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Cadavres exquis et autres désirs de Daisy Le Dez

On me demande ce que je veux dire ? Je dis : rien !” Pourtant, Daisy Le Dez n’est pas du tout nihiliste car très consciente que “rien, c’est déjà quelque chose” (Raymond Devos). De tous les “riens” qu’elle dessine et peint à jet continu depuis dix ans, Daisy a fait une nouvelle exposition au P’tit Café sur le site de Notre-Dame de Bon Secours sis au 68 rue des Plantes dans le 14ème arrondissement de Paris. Nous nous y sommes rendus après avoir un peu tâtonné pour en trouver l’entrée et après avoir rencontré l’artiste au Village Terraza qui fait l’angle de la rue des Plantes et de la rue du Moulin Vert afin qu’elle nous explique un peu mieux ce que rien veut dire.

Une littéraire devenue peintre “par accident”

La Bretagne me manque”, nous répète Daisy en s’asseyant sur l’un des sièges peinturlurés du Village Terraza. A peine revenus d’une seconde escapade dans les Côtes d’Armor, nous la comprenons aisément… Cette brestoise de naissance se souvient avec nostalgie de son enfance dans la maison familiale située à trois kilomètres de Pont-Aven où sont venus peindre d’illustres artistes dont Gauguin et Sérusier. “Il y avait plusieurs tableaux de maîtres à la maison et aussi deux fusains de ma grand-mère et mon arrière grand-mère qui littéralement me fascinaient, se rappelle-t-elle. Le fait d’avoir baigné dans cette atmosphère-là participe sans doute de ma vocation de peintre car l’envie de peinture me vient depuis l’enfance même si je m’y suis mise beaucoup plus tard dans ma vie”. Car Daisy commence par écrire – beaucoup. Elle écrit des centaines de nouvelles dont deux seront publiées sous les titres Du vent dans les branches des cerisiers et Amours finis, amours infinis. Un jour qu’elle s’installe à son bureau, elle se met à esquisser quelques traits qui vont devenir son premier dessin et sa première peinture. Comme une lointaine réminiscence du célèbre Dormeur du Val de Rimbaud, cette première oeuvre représente un soldat à genoux touché par une balle dans le coeur et qui s’apprête à mourir. C’est le déclic de son insatiable envie de dessiner et de peindre qui va l’amener à orner de dessins les lettres qu’elle envoie en Bretagne à l’un de ses amis artiste-peintre alors qu’elle réside à la pension de famille des Thermopyles dans la rue de Plaisance du 14ème arrondissement de Paris. A peine un an après avoir commencé à peindre, Daisy a déjà de quoi exposer lors de la dernière édition 2013 du Festival des Arts de la rue Raymond Losserand organisé sous l’ère du Maire Pierre Castagnou. Elle réalise à cette occasion sa toute première vente d’une oeuvre intitulée Visage au corbeau. “Ce que je faisais à l’époque était très différent de ce que je fais aujourd’hui mais c’était déjà de la poésie, nous explique Daisy. Comme je viens de l’écriture, j’essaie de transcrire en peinture ce que j’aurais dit avec des mots.” La poétesse picturale se défend pourtant de pouvoir apporter une quelconque explication rationnelle à son oeuvre. Chacun peut y voir ce qu’il veut de la même façon que chacun comprend le mot d’un poème comme il en a envie. Il arrive même à l’artiste de construire ses oeuvres comme les poètes surréalistes procédaient pour composer leurs “cadavres exquis” : “Quand je suis en panne d’inspiration, j’esquisse plusieurs premiers traits avant de décider de commencer à poursuivre mon oeuvre à partir d’un trait particulier. Certaines fois, je commence à peindre les yeux fermés et je vois ce que cela donne. Et cela donne forcément quelque chose puisqu’il y a des traits et des couleurs. J’aimerais d’ailleurs tenter cette expérience collective qui consisterait à faire peindre un bout d’oeuvre par plusieurs artistes placés derrière des paravents pour finalement dévoiler une oeuvre complète”.

Se livrer sans aucune limite

Mais Daisy poursuit le plus souvent une idée précise qui est le produit du maelstrom formé par sa mémoire, son inconscient, ses rêves et ses fantasmes. Elle garde par exemple gravées dans sa mémoire les couleurs vert bouteille et marron couleur terre des tableaux de maitres de la maison familiale de son enfance, qu’elle va reprendre à son compte. “Je fonctionne absolument comme fonctionnent les artistes de l’art brut ou de l’art singulier et n’ai absolument aucun tabou ni aucune limite, ajoute l’artiste. Car c’est la liberté absolue qui doit s’exprimer. Ma seule limite est la limite de la page ou de la toile qui n’est pas extensible à l’infini.” Elle peut par exemple peindre des corps faisant l’amour, même si elle préfère suggérer les choses plutôt que les montrer, en laissant l’oeil aller au delà de ce qu’elle a peint par le pouvoir de l’imagination. Bien plus que par ses textes, Daisy a pourtant l’impression de se livrer et de se dévoiler complètement dans ses oeuvres picturales. “Il m’a d’ailleurs été bien plus difficile de montrer mes peintures que de lire mes textes en public, témoigne-t-elle. Le pas ayant été pris, il n’y a plus aujourd’hui aucun frein au rythme de sa production artistique : jusqu’à quatre ou cinq (!) dessins par jour quand elle décide de dessiner, ou deux toiles par jour lorsqu’elle décide de peindre. “En fait, je peins comme je tiens un journal en racontant ma journée, nous explique l’artiste. Ce qui m’amène à être aussi productive que Picasso qui a produit jusqu’à 60.000 oeuvres durant sa carrière. Depuis dix ans, j’ai dû produire environ 4.000 oeuvres au total, peut-être plus.” Daisy nous en donne chaque jour la primeur sur Facebook, mais il lui arrive aussi très souvent de participer à des expositions telles celles organisées par Patricia Michel dans le cadre de son association As de Coeur, par la Fondation Abbé Pierre (Festival “C’est pas du luxe !”) ou bien encore ici et là dans certaines salles d’écoles des beaux-arts. Son exposition phare reste celle de 2015 qui a eu lieu tout au long d’un mois au bar-restaurant Le Laurier et à l’occasion de laquelle elle a vendu une dizaine d’oeuvres. “Je pense qu’il est important pour l’artiste de vendre, nous confie la peintre. Parce que c’est l’ultime reconnaissance qu’il puisse avoir de son vivant”. La vente ne constitue pour autant pas son moteur premier et Daisy continue de tracer son chemin quoi que l’on puisse dire de son travail qu’elle se sent aujourd’hui toujours en mesure de défendre même si elle est parfois habitée par le doute créateur. La peinture et le dessin sont en effet devenus deux éléments essentiels de sa vie qu’elle entend partager au maximum pour peut-être donner aux autres l’envie d’en faire autant. “Car plus nous serons d’artistes et meilleur le monde sera à condition que nous restions totalement libres de nos créations”, conclut-elle. Voilà qui n’est pas parler pour ne rien dire !

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La parcelle oubliée du royaume de Michèle Leroy

Michèle Leroy devant la statue de Soutine

“C’était un petit jardin / Qui sentait bon le Métropolitain / Qui sentait bon le bassin parisien”, chante Jacques Dutronc. S’il est un magnifique petit jardin, c’est bien le square Gaston-Baty sur lequel veille sans relâche Michèle Leroy, présidente de la SSGB (Association pour la Sauvegarde et la Protection du Square Gaston-Baty). Et l’on comprend très bien qu’elle tienne à ce square niché au coeur du Quartier Montparnasse-Raspail comme à la prunelle de ses yeux tant il est en tout point délicieux et charmant. Elle nous en a fait faire la visite circonstanciée ce jeudi 11 août 2022 un peu avant midi. A peine l’enchantement rompu, nous avons évoqué devant un verre au Café La Liberté l’ensemble des questions tournant autour de ce splendide îlot de verdure qui est aussi un puits de lumière et de culture.

Un joyau parisien dans un quartier voué au théâtre et à la culture

Est-il un triangle d’or (autre nom du triangle sacré) sensé développer des énergies, comme l’enseigne le savoir antique ? Evoque-t-il la fertilité universelle ou quelque autre principe féminin, comme le prétendent ceux qui possèdent un certain niveau de connaissances ésotériques ? Toujours est-il que le square Gaston-Baty est de forme triangulaire. Délimité par les rues Poinsot (à l’ouest), Jolivet et du Maine, il a été créé par décret du 2 décembre 1881 sur une surface d’un peu plus de 1000 m2 (1035 m2 très précisément). Il porte le nom de Gaston Baty (1885-1952) en l’honneur de celui qui dirigea entre 1930 et 1943 le théâtre Montparnasse tout proche. Ayant fait l’objet d’une rénovation complète en 2013, il est aujourd’hui planté de tilleuls et de houx taillés en cônes et est équipé d’une aire de jeux pour les enfants qui s’y sentent très en sécurité et dont les cris et les courses égayent les lieux. Sur le côté du triangle qui correspond à la rue du Maine trône une statue en pied, en bronze, du peintre Chaïm Soutine, par Arbit Blatas, datée de 1963 et signée sur le socle. Ont également ces dernières années été adjointes au square une fontaine (suite au vote d’un voeu émis par le conseil de quartier) et une très jolie boite à livres rouge qui ajoutent encore à la magie du lieu. Tout le monde, à vrai dire, aime le square Gaston-Baty. Les habitants du Quartier bien sûr qui y sont très attachés, mais également les personnels de service d’entretien et les jardiniers de la ville qui ont à coeur de le maintenir en très bon état. De toute façon, la SSGB, fondée en mai 2011 par Alain Chauvet, le surveille et le dorlote en permanence. Comme nous le rappelle Michèle, sa nouvelle présidente, l’association s’est donnée pour but “la sauvegarde, la protection et la mise en valeur du square Gaston Baty et de son environnement” (article 2 des statuts). Et Madame la Présidente bataille sans arrêt pour que ce qui est devenu son “pré-carré” puisse être en mesure de continuer à donner le meilleur de lui-même aux habitants du Quartier et à leurs enfants : elle signale le manque d’entretien de ses plantations ; elle se démène pour que le nombre de ses entrées soit réduit de six (!) à trois et que des bancs soient installés en lieu et place de certaines de ses quelque quarante chaises pour permettre le repos des SDF ; elle tente enfin d’organiser une fête annuelle des enfants qui a déjà été réalisée avec succès en 2019.

Michèle devant la nouvelle boîte à livres rouge

La pomme de discorde de la parcelle Gaîté/Jolivet

Mais son principal souci ne se situe pas dans le square Gaston-Baty lui-même, plutôt à sa périphérie est. Il concerne une petite parcelle de terrain actuellement laissée à l’état de friche : la parcelle Gaîté/Jolivet qui fait face au Café Gaîté et n’a pas fini de faire parler d’elle, comme le souligne l’édito du 34ème numéro daté de mars-avril 2022 de La Lettre du Square qui est la publication éditée par la SSGB à 1000 exemplaires environ pour assurer le lien entre l’association et les habitants du Quartier. Que va finalement devenir cette fameuse parcelle ? Elle est à l’origine un terrain privé que la municipalité avait acquis en 2017 par voie d’expropriation en se fondant sur une déclaration d’utilité publique motivée par la réalisation d’un immeuble d’habitation à vocation sociale de cinq étages et vingt-cinq logements assortis d’un local commercial. La SSGB, plébiscitée par les habitants consultés, a pour sa part pendant des années milité pour l’aménagement de cette aire en un espace vert qui se situerait dans le prolongement du square Gaston-Baty. L’idée a fait son chemin auprès des élus puisqu’en 2020, pendant la campagne des municipales, Madame la Maire Carine Petit l’a reprise à son compte. Patatras ! Lors du conseil d’arrondissement de novembre 2021, le projet d’espace vert est abandonné et la réalisation d’un immeuble remise au goût du jour. De format plus modeste que le plan initial, il deviendrait une pension de famille/maison-relais de 25 logements destinée à des personnes seules. La volte-face municipale rompant avec l’engagement pris auprès des électeurs trouverait sa justification dans la prise de conscience tardive de la Mairie que l’ex-propriétaire pourrait se retourner contre elle si elle ne respectait pas les clauses de la déclaration d’utilité publique. Un de ses adjoint s’est efforcé de faire oublier cette bévue en soulignant l’intérêt de l’existence de ce nouveau gîte pour les personnes isolées et précaires qui sont souvent des personnes en grandes difficultés sociales et en mauvaise santé. Par la voix de son représentant, le groupe écologiste s’est estimé piégé dans cette affaire, mais a tout de même approuvé la nouvelle orientation. L’opposition municipale représentée par M. Eric Azière n’a pas été convaincue par l’argumentation mise en avant pour justifier la dérobade municipale. A ses yeux, l’implantation d’une pension de famille à cet endroit serait un véritable sacrilège car elle contribuerait à changer la nature d’un quartier voué à la culture, au théâtre et à l’animation. Au final, une majorité hésitante mais disciplinée a donné son aval au projet et le Conseil de Paris a entériné la décision le mois suivant. La SSGB continue à bien sûr vivement contester ce choix. Elle rappelle que le projet de pension de famille va à l’encontre des engagements pris par tous les représentants des différents groupes du conseil municipal et que l’on ne peut pas prétendre défendre la vision d’une ville accueillante, verte et aérée et en même temps construire sur le moindre espace qui se libère. Alain Chauvet ajoute en guise de conclusion optimiste que l’immeuble en ruine qui a été démoli en 2018 à cet endroit aurait dû l’être dès 1913 (!) et que l’association dispose encore de quelques temps pour fourbir ses armes si la même sage lenteur prévaut toujours à l’Hôtel de Ville… “De grâce, de grâce / Monsieur le promoteur / De grâce, de grâce / Préservez cette grâce / De grâce, de grâce / Monsieur le promoteur / Ne coupez pas mes fleurs.”
Michèle Leroy et Alain Chauvet devant la parcelle de la discorde

Association pour la Sauvegarde et la Protection du Square Gaston-Baty (SSGB) – 10 rue Poinsot 75014 Paris – 01 43 22 60 98 – sauvegarde.square.gb@gmail.com.

Evelyne Bouëtel, amoureuse passionnée des mots

Evelyne, pilote d’avion : “Souvent, j’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot” (Balzac)

D’Evelyne Bouëtel et moi, qui est le plus amoureux ? Des mots, bien sûr ! Car Evelyne est en réalité pour moi une seconde maman, une marraine du Quartier à tout le moins. Elle repère les fautes d’orthographe et de syntaxe de mes articles et me permet de les corriger, elle me présente à de nouveaux personnages du Quartier pour les interviewer, elle me mâche le travail de rédaction de cet article en écrivant un texte bien plus intéressant dont vous ne pourrez bénéficier ici que de morceaux choisis, et elle va même jusqu’à m’affubler d’un nouveau nom : Tonneau Brouilly qui est l’anagramme exacte de Yann Boutouiller. Décidemment, on n’échappe pas à son destin ! Interview très poussée chez notre cher ami commun, Yves Marius André dit Gallas.

Itinéraire du dictionnaire Larousse à la page Facebook

Déjà toute petite, Evelyne Bouëtel aime les mots : la poésie, les dictées, l’orthographe et la grammaire. Elle n’est pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche et aucun livre ne traine à la maison, juste un quotidien ça et là dont le peu enviable sort sera de finir dans les toilettes au fond du jardin. Les distractions sont rares : la radio qui diffuse ses feuilletons à l’heure du dîner, des airs d’accordéon le dimanche matin et, les jours de chance, les sketchs de Pierre Dac et de Francis Blanche. Internet n’existe pas encore quand on lui offre son premier dictionnaire Larousse à l’âge de dix ans pour son entrée en 6ème. Evelyne décide d’arrêter ses études très tôt. Après la mort de son père, le BEPC en poche, elle prépare un BEP de sténo-dactylo correspondancière qui lui fait saisir l’essence commune des mots et des signes. Elle quitte son village d’Echouboulains en Seine-et-Marne à l’âge de 17 ans aspirée par Paris qui offre du travail. La radio toujours lui fait découvrir Pierre Desproges et Raymond Devos, deux magiciens des mots et des jeux de mots. Après 20 ans passés dans le 20ème arrondissement, Evelyne atterrit un peu par hasard dans le 14ème où elle réside depuis aujourd’hui 30 ans quelque part entre l’impasse Florimont, la rue Hippolyte Maindron et la rue du Château, des lieux hantés par le souvenir de Georges Brassens, de Giacometti et des artistes surréalistes. Baignant dans le 14ème artistique, elle se familiarise bientôt avec les livres et se tourne naturellement vers les poètes, les linguistes et les lexicologues, mais aussi les photographes, les sculpteurs et les peintres. Elle écume les expositions et les concerts, et suscite des rencontres – y compris sur les réseaux sociaux par la grâce desquels Claude Duneton, le célèbre auteur de Parler Croquant et de La Puce à l’oreille, va entrer dans sa vie. Ayant lu plusieurs de ses ouvrages et s’étant régalée de ses chroniques dans Le Figaro, elle décide en effet de lui consacrer une page Facebook après en avoir obtenu son accord par l’entremise d’un de ses amis ardennais chroniqueur à L’Avenir. L’écrivain et historien du langage, qui est totalement étranger à l’univers de l’informatique et du numérique, est à la fois très heureux et amusé de cette initiative. Les deux amoureux des mots sont sur le point de se rencontrer dans le pied-à-terre parisien de l’écrivain quand ce dernier est hospitalisé à Lille avant de décéder en 2012.

Au salon “Facebouquins” de 2009 avec Edith

De continuelles rencontres autour des mots

Alexandre Vialatte,  l’écrivain et traducteur de Kafka qui est aussi chroniqueur à La Montagne, fait également partie du Panthéon personnel d’Evelyne qui s’intéresse par ailleurs beaucoup à la généalogie en écoutant assidument l’émission de Jean-Louis Beaucarnot, l’auteur de Laissons parler les noms, sur Europe 1. Sur Geneanet, elle découvre le dictionnaire des noms de famille de Jean Tosti, une passionnante étude de la signification des patronymes. Elle apprend à cette occasion que Bouëtel est d’origine bretonne et signifie “boiteux” ou, au choix, “gardien de boeufs” ! Grâce à internet et aux réseaux sociaux, elle fait la découverte de nouveaux endroits dans le 14ème arrondissement et alentour : Le Magique de Marc et Martine Havet rue de Gergovie et surtout le Forum Léo Ferré d’Ivry-sur-Seine qui promeut des artistes peu médiatisés tels Yvan Dautin, Louis Capart, Gilbert Laffaille ou bien encore Michel Bülher. Elle y croise un jour Anne Sylvestre en compagnie de Matthias Vincenot, un jeune poète très prolifique qui organise des soirées Poésies et Chansons à la Sorbonne et plusieurs autres manifestations à Paris et en province où se retrouvent de nombreux artistes de talent. Une autre fois, elle rencontre à l’occasion d’une lecture à L’Entrepôt Simone Hérault, la voix de la SNCF et l’une des voix de FIP qui a également fondé Lire Autrement, la Compagnie de lecture publique. Evelyne n’en délaisse pas pour autant la radio en restant une grande fidèle des Papous dans la tête, l’émission de France Culture animée par Françoise Treussard, et également des chroniques du lexicologue Jean Pruvost sur France Bleu qu’elle aime aussi retrouver sur le site internet du Figaro. En 2009, elle décide d’aller à la rencontre d’Edith qui a initié le premier salon Facebouquins et est l’auteure du dico des gros mots cachés dans les mots. Ce ne sont pourtant pas les gros mots qui sont ceux avec lesquels Evelyne aime le plus jouer. Elle leur en préfère d’autres comme “hirondelle” et, de même qu’Anne Sylvestre, “coquelicot” et “libellule”. A l’exclusion toutefois du mot “retraite” (dont l’anagramme est “artérite”…) quand bien même la retraite lui a fait découvrir les joies du Scrabble qu’elle pratique tous les jeudis à 14h30 à l’Espace Maindron dans le cadre du Club Seniors de l’association Florimont animé par Danièle Rack. Elle y joue depuis aujourd’hui cinq ans au sein d’un petit club d’amatrices très férues de ce pacifique divertissement. Et pour la seconde fois cette année, elle a participé à la Fête mondiale du jeu qui s’est déroulée Place de la Garenne en face du Moulin à Café. Un nécessaire exutoire après un très ennuyeux confinement pendant lequel Evelyne n’est pourtant pas restée inactive puisqu’elle s’est attelée à la création de grilles de mots casés pour différentes associations et également à la parodie de refrains de chansons et de fables de La Fontaine dont celle du Masque et du Corbeau qu’elle a conçue en observant de sa fenêtre un corbeau visiblement complètement fasciné par un masque accroché aux branches d’un arbre. Gare aux vers boiteux !

LE MASQUE ET LE CORBEAU

Dans ma cité, sur un arbre, haut perché,

Un Corbeau intrigué par un objet bleuté,

Tint ce langage, à peu près :

“Hé ! Bonjour bel objet, seriez-vous un Masque ?

Que vous êtes joli ! peut-être un peu fantasque…

Sans mentir, si votre dérapage  

Se rapporte à votre fuselage   

Vous êtes le champion de l’atterrissage .”

A ces mots le Masque répondit :

“Que nenni ! Ne vois-tu pas que je suis souillé

Que par la fenêtre on m’a jeté !

Et qu’aux branches, je me suis accroché ?

Pourrais-tu m’aider et me délivrer ?”

 Aussitôt, le Corbeau s’envola, peur d’être contaminé…

Et c’est ainsi que le Masque souillé

Resta accroché durant de longues années…

Moralité :

Bien que sur la boîte il soit écrit “jetable”

et que jeter par la fenêtre soit confortable…

Chez toi tu garderas virus et détritus

Ta poubelle tu sortiras, même si ça te semble saugrenu !

—–

à bon entendeur, salut ! 😉

Jade Saint-Paul, peintre autodidacte de Paris, de la Martinique et du monde

Jade devant l’une de ses oeuvres et les magnifiques paysages de la Martinique

S’il y a un point commun entre l’art et l’amour, c’est bien celui du mystère de sa naissance. Il advient alors que rien ne nous y avait vraiment préparé et que l’on se croyait à mille lieux de le rencontrer un jour. Jade Saint-Paul nous en fait l’éclatante démonstration en peignant depuis un an et demi sans jamais avoir reçu aucune formation artistique et en suivant sa seule intuition de créatrice que son métier d’hôtesse de l’air avait jusqu’alors quelque peu contrariée. Le résultat est assez bluffant et n’a pas manqué de susciter l’enthousiasme de ses amis peintres et amateurs d’art qu’elle aime retrouver dans son 14ème arrondissement d’adoption entre deux vols de par le monde. Rencontre à la terrasse du Laurier, le repaire des artistes-peintres du Quartier Pernety.

Effet artistique collatéral du Covid-19

C’est après le confinement dû à la pandémie de Covid-19 que, “du jour au lendemain”, Jade Saint-Paul s’est mise à peindre. “Ca m’est venu comme ça”, se rappelle-t-elle. Sans doute le fréquent contact de ses voisins peintres du Quartier Pernety pendant cette douloureuse épreuve d’enfermement obligatoire y est-il quand même un peu pour quelque chose : celui de Jean-Pierre Torlois, son voisin immédiat de l’immeuble de la rue Bénard où elle habite à l’époque ; celui de Dominique Cros, qui vient très souvent rendre visite à Jean-Pierre ; et celui de Marie-Laure Fadier qu’elle croise également régulièrement sur la Place Flora Tristan lors de salutaires apéros collectifs plus ou moins licites qui ont lieu sur la terrasse vide de tables et de chaises de L’Imprévu. “Sans que je m’en rende vraiment compte, contempler leurs oeuvres et les entendre parler peinture et pastel a provoqué chez moi, quelques mois après, un déclic qui m’a poussé à libérer mon énergie créatrice et les potentialités artistiques que mon métier d’hôtesse de l’air m’avaient longtemps amenées à refouler”, témoigne Jade. Elle se souvient toute petite avoir pratiqué la danse classique et de quelques velléités pour rentrer au conservatoire de danse de Montpellier en butte aux exigences de la carrière militaire de son père qui est également musicien et artiste peintre à ses heures perdues et qu’elle va accompagner lors de ses différentes affectations en Afrique. De retour en France, elle entreprend des études littéraires dans le cadre desquelles elle choisit l’option théâtre qu’elle va pratiquer au théâtre Olivier Py d’Orléans. “Je pense que tout cela se rejoint, affirme Jade. Durant le confinement pendant lequel je m’ennuyais énormément puisque j’étais littéralement clouée au sol au même titre que les avions, un ami du Quartier m’a prêté un clavier sur lequel je me suis exercée huit à dix heures par jour ! Mon besoin de m’exprimer artistiquement d’une manière ou d’une autre s’est finalement cristallisé autour de la peinture”. Notre artiste autodidacte choisit alors pour signer ses oeuvres son deuxième prénom, Jade, qu’elle accole au nom de jeune fille de sa mère, Saint-Paul, pour se faire connaître en tant qu’artiste.

Influences africaines dans cette oeuvre “semi-figurative”

Inspiration martiniquaise, parisienne et… mondiale

Jade Saint-Paul affirme n’avoir “aucun plan” lorsqu’elle se met à peindre : “J’ai peut-être des idées de couleurs, mais c’est tout”. C’est donc son inspiration du moment et sa spontanéité guidée par sa seule intuition qu’elle projette sur ses toiles. C’est seulement “après coup” qu’elle réalise qu’elles sont en réalité l’écho de certaines périodes de sa vie ou de choses qu’elle aime et qui ressortent au bout de ses pinceaux sans même qu’elle y pense. “Si j’ai commencé par peindre des choses très colorées, c’est que je vivais en Martinique à cette époque, se rappelle Jade. J’ai été inconsciemment inspirée par les couleurs de la maison dans laquelle j’habitais, aussi bien celles de l’intérieur (plutôt ocres) que celle de l’extérieur (bleu turquoise). J’ai aussi réalisé des toiles qui sont des mélanges de vieux rose, de noir et de beige et je me suis rendu compte que le vieux rose était une réminiscence heureuse du tutu de ma prime jeunesse de danseuse classique.” Telles des madeleines de Proust, les couleurs qu’elle utilise évoquent donc parfois des micro-évènements qui font ressurgir d’heureux souvenirs de son enfance ou de son adolescence itinérantes marquées par les différents pays où elle a vécu au gré des affectations de son père militaire. D’où les influences africaines de certaines de ses oeuvres. Mais sa production artistique est aussi le reflet de son actuel métier d’hôtesse de l’air qui continue à la faire voyager à travers le monde et de son grand écart permanent entre la Martinique et Paris qui sont ses deux lieux de résidence. Jade est un réalité un véritable caméléon dont les couleurs de l’inspiration épousent l’endroit dans lequel elle exprime ses talents de peintre : “Ce que je fais en Martinique est très différent de ce que je fais à Paris qui est plus contemporain, plus épuré et qui n’utilise pas les mêmes couleurs. Et depuis que j’ai eu l’occasion de voir le mur de la Havane, j’aime travailler la texture de la matière que j’utilise, mettre des couches de différentes couleurs et les racler pour leur donner un effet altéré”.

Technique de plus en plus pointue

Sous les encouragements de ses amis peintres du 14ème arrondissement, Jade perfectionne en permanence sa technique et multiplie les tentatives en véritable touche-à-tout de la peinture. “J’ai commencé par faire de l’acrylique et de l’abstrait parce que je pensais ne pas savoir dessiner, se souvient-elle. Puis, j’ai tenté le pastel, ce qui m’a également beaucoup plu. J’ai non seulement testé différents médias, mais également différents supports (papier, papier kraft, papier à aquarelle, papier journal, papier à musique, etc.). Et après la peinture abstraite, je me suis mise au portrait, puis au nu. Quand je vois ce que j’ai produit en autodidacte depuis presqu’un an et demi, je pense que j’ai parcouru par moi-même le chemin d’initiation à la peinture et au dessin que j’aurais pu faire dans le cadre de véritables cours d’art. Aujourd’hui, mon goût est presque déjà formé et je sais ce que j’aime et prends plaisir à faire (travailler la texture, la transparence, etc.)”. Néanmoins, dans le but d’affiner et de préciser encore sa technique, Jade s’est inscrite aux cours des Ateliers des Beaux-Arts de Montparnasse qui débuteront en septembre prochain. Ils l’aideront à surmonter certains blocages qu’elle ressent de temps à autre dans sa progression et aussi à monter en puissance dans ce second souffle artistique de sa vie – mais au risque (bien réel) de brider sa spontanéité… Sans attendre de nouer à cette occasion de nouvelles relations avec les artistes locaux, notre impatiente croqueuse d’art et de vie a déjà exposé au Café culturel Paradol de la Porte de Vanves dans le 14ème arrondissement de Paris et le fera encore en 2023 en Martinique, son autre pays de coeur et d’adoption. Le succès est au rendez-vous puisque Jade a déjà vendu sa première toile à un collectionneur d’art bien connu des Amis de la Place Flora Tristan qui lui ont été d’une très grande aide pour l’aider à déterminer sa cote, et puisqu’elle enregistre également maintenant ses premières commandes. Soulages n’a plus qu’à bien se tenir !

Cliquer ici pour accéder à la page Instagram de Jade Saint Paul.

Patrice Meynier : “Il faut toujours faire comme si les gens allaient devenir écrivain”

Les ateliers d’écriture sont légion dans le 14ème arrondissement de Paris. Quoi de plus normal quand on pense que notre arrondissement a abrité ce qui en fut leur lointain prédécesseur : l’atelier du 54 rue du Château, haut lieu du Surréalisme, dans lequel Prévert et ses amis auraient donné le nom de “cadavre exquis” au jeu des petits papiers ? Un siècle plus tard, les ateliers d’écriture font toujours recette. Nous avons rencontré au Losserand Café Patrice Meynier qui en fut un animateur à plein temps pendant vingt ans.

Moment de partage et de fraternisation

C’est à Paris-Ateliers, anciennement ADAC, que Patrice Meynier a exercé entre 1992 et 2012 son activité d’animateur d’ateliers d’écriture. Il a principalement officié en face du Forum104 de la rue de Vaugirard qui est un espace de rencontre culturel et spirituel animé par les Pères Maristes. “Je me suis retrouvé à pratiquer ma discipline en face d’un grand maître bouddhiste dont je partageais les mêmes horaires. Je ne sais pas qui a influencé qui”, se rappelle-t-il avec humour. Il a bénéficié au préalable d’une formation dispensée par les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing, une association pionnière du développement des ateliers d’écriture dans notre pays, qui est aujourd’hui fermée et dont il a longtemps été le seul animateur homme. C’est par l’intermédiaire de cette association qu’il a pu exercer ses talents d’animateur d’ateliers d’écriture au CNAM de Paris au contact d’ingénieurs, à l’Université Mohammed-V de Rabat au contact d’étudiants, mais aussi à la Prison de Bois d’Arcy pour des prisonniers ou bien encore chez Renault au bénéfice de salariés. Patrice est en réalité autant un animateur qui met en place les conditions d’une production qu’un formateur qui délivre un retour sur les textes produits en permettant leur modification et leur amélioration ultérieures. “Se contenter de seulement animer un atelier d’écriture n’est pas très compliqué puisqu’il suffit de s’inspirer de propositions dont on peut facilement trouver des exemples sur internet à défaut d’en inventer soi-même, nous précise l’animateur-formateur. La plus galvaudée d’entre elles est le Je me souviens de Georges Perec qui est un magnifique travail de l’écrivain mais sur lequel on peut bien sûr se casser les dents lorsqu’on s’y exerce.” Tout le monde peut d’ailleurs librement s’improviser animateur d’ateliers d’écriture puisque l’activité n’est pas réglementée même s’il en existe des formations universitaires à Strasbourg et à Aix-en-Provence. La formation qui fut un temps délivrée par les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing reste malgré tout une référence dont le label constitue un gage de très grande qualité. “Ma conviction est néanmoins que l’on ne peut faire écrire que lorsqu’on écrit soi-même”, nous confie Patrice. C’est pourquoi les meilleurs ateliers sont sans doute ceux des écrivains qui ouvrent le leur propre aux autres en essayant de transmettre leur questionnement et leur recherche sur l’écriture plutôt que délivrer un savoir-faire qui reste personnel et donc un peu arbitraire.” De fait, les ateliers d’écriture qui se tiennent par exemple chez Gallimard constituent de très appréciables compléments de salaire pour les écrivains qui ont du mal à vivre de leur plume mais ne donnent pas forcément à leurs participants un passeport pour être un jour publiés par cette prestigieuse maison d’édition… Car l’écriture est et restera une pratique de terrain, un questionnement et une recherche qui n’est pas susceptible de faire l’objet de cours délivrés ex cathedra. D’où la nécessaire posture de l’animateur délivrant ses propositions à ceux qui participent à ses ateliers. Tel un acteur qui joue un rôle qu’il s’est vu confier, il est le “pôle froid” de sessions pendant lesquelles s’échange beaucoup de chaleur humaine. Car les ateliers d’écriture bien conduits permettent à leurs participants de passer de très bons moments de partage d’expériences parfois intimes qui favorise la désinhibition de l’assistance et la fraternisation au delà des étiquettes sociales ou des clivages politiques. En plus de cet aspect humain que Patrice juge irremplaçable, l’exercice peut aussi amener certains à véritablement prendre goût à l’écriture et faire de cette activité une passion qui viendra habiter leur existence. “Certains finissent même par écrire des livres”, nous assure-t-il. Elisabeth Bing nous donnait d’ailleurs pour exigeant précepte de toujours faire comme si les gens allaient devenir écrivain”.

Les très grandes potentialités des ateliers d’écriture

L’atelier d’écriture répond également à un désir d’expression de la sensibilité et de l’émotion qui a longtemps tout particulièrement pu concerner un public féminin dans la mesure où le désir des hommes se porte lui plus spécifiquement sur la maitrise des techniques de l’écriture. Enfin, de même que pratiquer un instrument de musique, il peut être vécu comme un simple loisir ou un divertissement qui peut, le cas échéant, déboucher sur la création artistique. Même s’il n’en vit plus professionnellement, Patrice est toujours actif dans le 14ème arrondissement dans le cadre d’ateliers d’écriture organisés au Château Ouvrier. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un atelier d’écriture de chansons animé par Chantal Grimm au sein de son association des Ecrivants Chanteurs qu’il a rencontré une rédactrice-en-chef travaillant au Figaro qui lui a permis d’y faire un premier stage de rédacteur-réviseur et de commencer à apprendre sur le tas ce qui est devenu son métier actuel. L’utile s’est donc joint à l’agréable pour lui ouvrir les portes d’un secteur dont l’accès reste le plus souvent réservé à celles et ceux qui peuvent bénéficier d’un réseau relationnel personnel. Patrice fait maintenant partie depuis plus de quinze ans de l’équipe de correcteurs du prestigieux quotidien national français qui n’a pas encore fait l’économie de cette fonction back-office longtemps marquée par la culture anarcho-gauchiste des ouvriers réunis au sein du Syndicat du Livre CGT. Nombreuses sont les anecdotes sur les coulisses de l’univers de la presse qui ont de tous temps alimenté les fantasmes des écrivains en herbe. L’ancien animateur d’atelier d’écriture est lui même “écrivant” depuis plus de trente ans. Il a à son actif un roman non publié dont la rédaction lui a procuré énormément de plaisir et de nombreux textes courts et de chansons qui ont été mis et musique et interprétés par une bande d’amis qui se produit notamment à L’Atelier du Verbe, un petit théâtre de la rue Gassendi. Patrice a d’ailleurs gagné le prix d’un concours national de chansons grâce à un texte mis en musique par le pianiste du groupe breton Tri Yann. Ainsi fut créée Coq en toc (cliquez ici) qui lui assure la considérable estime de toute la basse-cour littéraire des Ecrivants Chanteurs du 14ème arrondissement de Paris… “Ecrire permet de bouger dans sa vie, d’apprendre quelque chose et même de donner sens à son existence, conclut Patrice. Car écrire nous fait tout simplement sentir vivant. Les ateliers d’écriture que j’ai préférés animer sont de loin ceux dont les participants ont retiré une utilité pour leur vie personnelle. Ceux-là m’ont rempli de joie et même si ce sentiment n’a été que fugace, il s’approchait sans doute du bonheur…”.
Cliquez ici pour lire les chroniques de Patrice Meynier sur Ventscontraires.net, la revue en ligne du Théâtre du Rond Point.

Hafid Aboulahyane, en crabe vers le 14ème arrondissement

Hafid Aboulahyane, un acteur-réalisateur qui a mangé du lion !, Place Denfert Rochereau (photo YB)

Le plus court chemin n’est pas toujours la ligne droite. Hafid Aboulahyane, le réalisateur et acteur principal du court métrage La marche des crabes, n’a aujourd’hui qu’une idée en tête : revenir habiter dans notre arrondissement de cinéma où il a déjà vécu entre 2010 et 2020. Nous l’avons rencontré à l’Osmoz Café, notre bar-restaurant et café-concert fétiche de la rue de l’Ouest pour faire le point sur son parcours et pour qu’il nous explique pourquoi il est resté si attaché au 14ème arrondissement.

Acteur, scénariste, réalisateur, producteur et… écrivain !

Après avoir grandi dans la cité des Ulis dans l’Essonne, Hafid Aboulahyane, également connu sous le nom de scène de Hafidgood, fait sa première incursion dans le monde du cinéma en 1995 en interprétant le rôle d’un élève de Gérard Depardieu dans le formidable film de Gérard Lauzier intitulé Le Plus Beau Métier du monde. Il tient par la suite quelques rôles mineurs dans le cinéma et la télévision (Navarro, Quai n° 1) où il occupe le plus souvent des emplois de “racaille”. Les propositions de rôles se faisant de plus en plus rares, il change son fusil d’épaule et devient scénariste. Son sujet (son rêve secret ?) : la candidature aux élections législatives d’un jeune de la cité ! Un très sympathique court métrage réalisé sur ce thème par Guy Bardin et intitulé Les temps changent sort en 2004 (cliquez ici). Hafid finit par créer sa propre société de production en 2005 qu’il baptisera Hafidgood Productions et dont l’objet est de “produire des courts métrages et des documentaires de jeunes talents issus de la banlieue”. Son premier film produit est un court métrage très abouti intitulé Le poids du silence (2005) réalisé par David Benmussa et dont il est le scénariste et acteur aux côtés de Jacques Weber (cliquez ici). Sortiront par la suite plusieurs autres courts métrages auxquels Hafid participera en tant qu’acteur, scénariste, réalisateur ou producteur, notamment La marche des crabes (2009) qui raconte l’histoire d’amour de Sammy, un jeune paraplégique qui rencontre la belle Sarah au cours d’un mariage. Le film fera partie des sélections officielles de plusieurs festivals cinématographiques français et internationaux. Après ce court métrage au titre prémonitoire, Hafid fait un nouveau pas de côté et se métamorphose en écrivain. A l’origine du roman intitulé 31 février qui va sortir chez Plon en 2014, il y a le scénario d’un long métrage sur lequel il travaille et qui raconte l’histoire de trois pieds nickelés désireux de s’enrichir dans l’immobilier au Maroc. Un producteur en vue s’y intéresse quelque temps et en rachète les droits avant de finalement annoncer à Hafid qu’il renonce au projet au motif qu’il ne bénéficie pas d’une notoriété cinématographique suffisante et qu’il n’est pas fait pour la comédie (!). “Ce projet qui m’a pris dix ans de ma vie m’a soudainement filé entre les doigts”, se rappelle-t-il un brin amer. Il faut croire que notre scénariste n’a pas encore tous ses quartiers de noblesse pour pouvoir prétendre réaliser un film important dans le milieu très endogamique du cinéma… Mais il en fallait bien plus pour le décourager puisqu’il prépare aujourd’hui un nouveau projet de comédie en court métrage s’intitulant Un monde meilleur qui raconte l’histoire d’un couple mixte attendant un premier enfant qui n’est pas très enthousiaste à l’idée de faire ses premiers pas dans la vie. Figurent à l’affiche quelques acteurs connus dont Hafid ne nous dévoilera toutefois pas les noms. “C’est un préachat France 2 dont je suis très fier qu’il soit produit par Franck Carle qui dirige La Terre Tourne et qui a des convictions écologistes très affirmées”, nous révèle Hafid. J’aimerais aussi à l’avenir, en plus de réaliser un premier long métrage, essayer de faire des choses dans le 14ème arrondissement de Paris. Je souhaiterais tout particulièrement monter une sorte de café associatif qui relierait les artistes et aussi les personnes âgées puisque c’est devenu l’une de mes préoccupations principales depuis un drame que j’ai vécu dans ma vie personnelle”.

Réinvestir le 14ème artistique et social

Si les contraintes de la vie professionnelle nous amènent à faire des pas de côté pour continuer à avancer sur notre chemin de connaissance, on peut aussi marcher en crabe dans sa vie personnelle – par exemple en changeant de domicile. Hafidgood a quitté le 14ème arrondissement en 2020 après y avoir vécu pendant dix ans. Pourtant, ce ne sont pas les mêmes “vibes” qu’il ressent à Ménilmontant où il a emménagé. “Je pensais que j’allais m’épanouir dans le 20ème car Ménilmontant est également un quartier sympathique et vivant, mais je me suis rendu compte que je ne suis plus dans le tempo de ce rythme là, nous confie le réalisateur. Sans doute parce que j’ai pris un peu d’âge et que cela m’a amené à faire quelques bilans personnels, je lui préfère le côté discret, tranquille et villageois du 14ème qui agit aujourd’hui sur moi comme un aimant. Je suis véritablement tombé amoureux de cet arrondissement qui a une très forte identité artistique et une véritable tradition de cinéma. J’ai plein de connexions ici : des réalisateurs mais également plein d’autres artistes, notamment des peintres qui m’ont ouvert les portes de leur atelier. Je suis en train de tout faire pour essayer de revenir car je kiffe énormément le Quartier Pernety, la rue de la Gaîté, la rue Daguerre, la rue Didot, etc. Je m’y sens complètement dans mon élément et je voudrais m’y investir pour m’y rendre utile à quelque chose”. Hafid se souvient avec nostalgie de son arrivée il y a 12 ans rue Bardinet dans l’arrondissement de Brassens et de tant d’autres immenses artistes. Il est aujourd’hui persuadé qu’il ne quittera plus cet arrondissement de Paris une fois qu’il y sera revenu et qu’il y finira ses vieux jours. “J’ai vraiment le feeling avec le 14ème que j’ai sillonné de long en large et j’ai envie d’y faire des tas de choses aussi bien au niveau artistique qu’au niveau social qui sont deux niveaux que j’ai envie de mêler étroitement – avec également un angle particulier sur les personnes âgées, poursuit avec enthousiasme Hafid. J’ai pour projet précis de créer une association qui dénonce et combat le harcèlement moral au travail au travers d’ateliers artistiques d’improvisation, de vidéo et de cinéma, en faisant intervenir des gens qui raconteraient leurs expériences personnelles”. Nous ne doutons pas que notre très sympathique Quatorzien de coeur saura se faire accepter et coopter dans l’arrondissement inclusif en diable de Mme la Maire Carine Petit !

Les exquises Esquisses de Marie Burgat, écrivaine de Pernety

Comme souvent les artistes de grand talent, Marie Burgat est à la fois un peu sauvage, timide et extrêmement modeste. Elle est pourtant déjà l’auteure de trois ouvrages publiés : L’Amérique était sous nos pieds (L’Harmattan, 2011), Résurgence de la parole (auto-édition, 2018) et A chaque pas dans la neige fraîche (L’Harmattan, 2019), qui l’ont hissée au rang de figure emblématique du Quartier Pernety. Elle est aussi parolière de chansons et monte avec ses amis musiciens et interprètes des récitals autour de ses textes à L’Atelier du verbe, un théâtre de la rue Gassendi. Nous l’avons rencontrée à la terrasse de L’Envie, le café-restaurant de la rue Pernety, quelques mois après la sortie du double CD intitulé Esquisses qui est une anthologie en deux tomes de vingt-six de ses chansons.

La femme écrivain, “créature unique de Dieu”

Ni photo, ni magnéto !”, nous a prévenu Marie avant notre interview, qui ne tient pas non plus à trop parler d’elle-même. Il nous aura fallu pas moins de deux entrevues à la terrasse de L’Envie pour commencer à apprivoiser l’écrivaine et à lui donner envie de nous en dire plus. Mais qu’aurait-elle au juste à dire de plus que ce qui est déjà contenu dans son oeuvre ? Puisqu’il n’y a, parait-il, de livres qu’autobiographiques, lisons-les pour en découvrir l’auteure ! Force est pourtant de reconnaître qu’il n’est pas toujours facile de se plonger dans les textes denses et foisonnants de Marie. Le plus accessible d’entre ses livres est sans doute le premier paru intitulé L’Amérique était sous nos pieds (2011) qui réunit “Trente-deux histoires” témoignant d’un sens aigu de l’observation tout en laissant transparaître la vocation de poétesse de la nouvelliste. Résurgence de la parole (2018) nous en fait voir de toutes les couleurs puisqu’il réunit les Poèmes rouges, les Poèmes verts et les Poèmes bleus de Marie ainsi que des extraits de la correspondance qu’elle a entretenue un temps avec Anaïs Nin. La préface de ce second livre nous apprend que son auteure a exercé vingt-sept (!) métiers différents (maquilleuse à Canal+, soignante en psychiatrie, assistante d’un magicien, réceptionniste dans un hôtel, enseignante en alphabétisation, vendeuse de jouets, assistante de réalisation, gérante de boutique de parfums, animatrice d’ateliers d’écriture,…) qui l’ont “convaincue qu’on ne sait jamais d’où la beauté va surgir”. Peut-être surgit-elle parfois à la fin d’une nouvelle comme celle intitulée Récréation qui figure à la page 33 de son premier ouvrage : “[…] Et le sixième jour Dieu créa… la femme écrivain. Celle-ci n’était ni grande ni petite, ni belle ni laide, ni jeune ni vieille. Elle n’était ni gentille ni méchante, ni bavarde ni effacée, ni riche ni pauvre; mais elle était tout cela à la fois. La femme écrivain était une créature unique, et Dieu l’aima au premier coup d’oeil ; car il savait qu’il n’avait pas raté sa création et qu’il la donnerait en cadeau à l’homme. Et que lui-même ne s’en lasserait pas”.

Perles et bijoux

Mais la femme écrivain n’est jamais très sûre d’elle-même malheureusement. Pour être certaine de ne jamais lasser l’homme, elle préfère se parer de perles et de bijoux qui chez Marie Burgat prennent la forme de chansons dont elle compose les paroles. Chansons humoristiques, décapantes et déjantées, chansons poétiques et lyriques, chansons tendres sur les amours qui commencent et parfois finissent, Marie en a créées des dizaines avec ses amis musiciens et interprètes qui l’aident à en monter des récitals à L’Atelier du verbe, un petit théâtre de la rue Gassendi. “Je n’ai pas honte de dire que nous rencontrons beaucoup de succès”, nous précise l’écrivaine. Sans doute le sens de l’humour et de l’autodérision de Marie ne manque-t-il pas d’y contribuer. Ceux qui confondent poésie et guimauve en seront pour leurs frais car la tonalité générale du double album intitulé Esquisses qui compile vingt-six de ses chansons est plutôt aigrelette. Tout le monde en prend pour son grade, y compris l’auteure elle-même. Les hommes sont bien sûr les premières victimes de sa plume acérée en application du principe “qui aime bien, châtie bien” (par exemples, dans “Eux” servie par la voix de Fabienne Moachon sur une musique de Quentin Martel ou bien dans “Tu m’agaces” composée et interprétée par Chantal Grimm). “Âne gris – Ouistiti” (mis en musique par Ravachol Giscard), qui est peut-être le “tube” de ce double album puisqu’il a donné lieu à la réalisation d’un clip (voir ci-dessous), fait alterner Elle et Lui dans un dialogue bien plus comique que glamour. L’ironie fait place à l’autodérision dans “J’aime ça”, “Rêves dans le miroir” ou “Je m’aime” (musiques de Quentin Martel). Mais l’émotion est également bien présente, par exemple à l’évocation de l’existence “transparente et effacée” de la grand-mère de l’auteure dans “Invisible” (musique de Michèle Garance). Dans bien d’autres chansons encore qui font la part belle à l’amour et que sert le plus souvent la voix de Fabienne Moachon, Marie exprime par une écriture poétique toute en nuances sa grande sensibilité et sa clairvoyance dans la fine analyse de ses émotions et de ses sentiments. L’écrivaine, qui est définitivement “assez aimable pour être aimée” (“Assez aimable”, musique de Quentin Martel), réussit l’exploit de redonner goût aux chansons à texte à ceux qui l’avaient perdu – ou même jamais eu. Souhaitons qu’elle n’en restera pas là et que sa rage d’écrire donnera naissance à d’autres pépites, comme on transforme en or le plomb du quotidien. Car aucun bijou ne sera jamais assez belle parure pour “la femme écrivain, créature unique de Dieu” !

Pour acquérir Esquisses au prix de 15 euros, vous pouvez envoyer un mail à Marie (marieburgat@yahoo.fr).

Un extrait d’A chaque pas dans la neige fraîche (page 86) que l’on peut sans doute utilement rapprocher de la première nouvelle de L’Amérique était sous nos pieds intitulée “Mon ange…” :

“J’aimais ma mère et elle me le rendait bien. Elle était très maternelle. Aussi quand un jour elle m’appela “maman” je fus désarçonnée. Je la regardai et vis qu’elle avait rapetissé, était habillée d’une robe gaufrée rose et de petites chaussures blanches avec un noeud dans ses cheveux bouclés. Seul son visage n’avait pas changé.

Maman, hurlai-je, où es-tu passée ? Je vis qu’elle avait l’air furieuse. Elle monta sur la table et tenta de m’administrer une fessée. Mais elle me manqua. Moi, j’avais grandi et mes vêtements étaient trop petits pour moi. Nous étions toutes les deux ridicules. Je lui proposai alors un pacte.

Jurant de nous séparer pour toujours nous retrouverions notre dimension. Aussitôt nous fûmes à notre taille, nous nous serrâmes la main froidement et ne nous revîmes jamais.”

Cliquez ici pour une critique avisée d’A chaque pas dans la neige fraîche et ici pour acquérir les ouvrages de Marie Burgat.

Bernard Zitoune (*), alias Big Joe, la mémoire rock’n roll du 14ème

Avec Christophe à “Vivre FM”

Les papys du rock font toujours recette, preuve en est le concert des Rolling Stones prévu dans quelques jours à Paris. Bernard Zitoune, alias Big Joe, a croisé les plus grands jazzmen et rockers français et internationaux tout au long de sa carrière de DJ et d’animateur radio. Il a également tous les samedis pendant 15 ans fait swinguer les Quatorziens à l’occasion de bals organisés à la Mairie Annexe du 14ème arrondissement de Paris. Nous l’avons écouté évoquer ses souvenirs à son domicile de la rue Didot et pu constater qu’il reste un homme toujours très désireux de refaire chauffer ses platines.

Les rencontres déterminantes d’une vie très rock’n roll

La vie de Bernard Zitoune qui va aujourd’hui sur ses 80 ans ressemble à un roman d’aventures. Ce Kabyle natif de Tizi Ouzou en Algérie débarque en France en 1958 et y bénéficie du statut de pupille de la Nation au titre des actes de bravoure de son père très engagé dans la Résistance. Il ne goûte guère les méthodes d’enseignement des jésuites qui dirigent le centre de redressement où il a été placé et s’en échappe dès l’âge de 14 ans. C’est l’occasion pour lui de croiser Jacques Prévert et un ami de Boris Vian du nom de François Postif qui le prend sous son aile et va déterminer la suite de sa vie. Traducteur de Mark Twain, de Jack London et d’Agatha Christie, cet intellectuel de haut vol a également pour titre de gloire d’avoir réussi à faire se produire à L’Olympia Bill Haley et Brenda Lee. C’est par son intermédiaire que son protégé parviendra des années plus tard à interviewer Chuck Berry, Fats Domino et Jerry Lee Lewis. Bien avant cela, Bernard fut un  adolescent plutôt rebelle puisqu’il fit partie du groupe Les démons du 13ème, une bande de blousons noirs du 13ème arrondissement de Paris qui eut souvent maille à partir avec la “bande de la Trinité” composée de Jacques Dutronc, qu’on appelait “Charlot” à cause de ses lunettes à double-foyer, Claude Moine, futur Eddy Mitchel, et, last but not least, Jean-Philippe Smet, futur Johnny Halliday. Formé à la musique par un vieux DJ qui lui apprend à coups de tapes sur les doigts à caler les disques vinyles, Bernard devient lui-même DJ et se produit au Rex, au Memphis et à l’Entrepôt. Une impresario travaillant pour CNN le repère et lui donne l’occasion de travailler à Atlanta aux Etats Unis. Bernard aura également l’occasion de faire chauffer ses platines en Italie et en Angleterre. C’est en 1970 qu’il s’installe définitivement dans le 14ème arrondissement de Paris. Il y fonde avec son ami Jean-Marc Marceau, alias Jumpy, l’association Rock and Roll Revue qui publiera un magazine tiré à 1200 exemplaires diffusé dans le monde entier entre 1997 et 2017. Pierre Castagnou, Maire du 14ème, lui confie par ailleurs l’animation des bals qui se tiennent tous les samedis à la Mairie Annexe. Il y officie pendant 15 longues années en parallèle de ses activités d’animateur radio sur Vivre FM, TSF et Radio Beur et de plusieurs passages télé dont une émission sur M6 qui vient couronner son activisme rock’n roll. En témoignage de sa passion jamais démentie pour la musique jazz et rock, Big Joe a conservé dans une des pièces de son appartement toute une collection de disques et de vidéos qui constituent autant de formidables souvenirs de sa vie passée. Dans un coin somnole sagement une table de mixage qu’il aimerait beaucoup pouvoir à nouveau réveiller. La Mairie Annexe ou Le Moulin à Café n’étant plus aujourd’hui que de lointains souvenirs, nous promettons à Bernard de le mettre en relation avec des bar-concerts du 14ème de notre connaissance. Pour nous remercier, le vieux rocker nous met entre les mains un exemplaire de la Rock and Roll Revue et un CD de Country & Rockabilly Classics. Bien mieux qu’un billet pour le concert des Stones !

Cliquez ici pour accéder à la page Facebook de Bernard “Big Joe” Zitoune. Vous pouvez par ce biais lui adresser une demande pour devenir membre du groupe Facebook Cinéma et Musiques des Années 40 aux Années 60 qu’il alimente.

La Mairie Annexe du XIVème en pleine effervescence rock’n roll
Avec feu Pierre Castagnou, Maire du 14ème arrondissement

(*) Bernard Zitoune alias “Big Joe” s’est malheureusement éteint le 8 août 2022. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

HeartCraft, le coeur à l’ouvrage dans le 14ème bisounours

HeartCraft à l’ouvrage place Flora Tristan (photo YB)

Vous aimez les bacs à fleurs bleus de la Mairie de Paris ? Nous non plus ! Pourtant, ceux qui y regardent de plus près auront remarqué que certains d’entre eux sont ornés d’autocollants (de “sti-coeurs” plus exactement) qui sont l’oeuvre d’un street artist parisien très en vogue et très en cour à la Mairie du 14ème arrondissement de Paris. Nous avons interrompu HeartCraft dans son travail de collage place Flora Tristan pour qu’il nous explique les tenants et les aboutissants de sa démarche bisounours.

Amour, gloires et inclusivité

“L’amour au pouvoir !”, tel est le slogan d’HeartCraft dont la signature représente deux visages enlacés qui forment un cœur. Notre street artist, qui est un artiste urbain à tous les sens du terme, cultive la discrétion en collant ses oeuvres sous pseudo et en évitant le plus possible les photos de face. Il n’a pourtant rien d’un voyou ni même d’un vandale. Bien au contraire, il défend ardemment les valeurs en très nette perdition de tolérance et d’ouverture aux autres. Non sans un certain succès d’ailleurs puisqu’il a déjà plusieurs fois eu les honneurs du Figaro, de 20 Minutes et de quelques autres médias encore. Il a aussi la cote à la Mairie du 14ème arrondissement de Paris puisque Madame la Maire Carine Petit en est une grande fan, qui la première a “reposté” sur Instagram les oeuvres de l’artiste collées sur les fameuses jardinières bleues que ce dernier est très inspiré de vouloir artistiquement “customiser”. Il l’a déjà fait place Flora Tristan, place des Droits-de-l’Enfant (*), place Stéphane Hessel et rue Daguerre. Et consécration officielle, il s’est vu confier par la Mairie du 14ème, qui lui en a passé commande dans le cadre du mois parisien du handicap, la réalisation d’un “Mur Matisse” au 83 de la rue Pernety. Cela fait maintenant cinq ans qu’HeartCraft colle ses “sti-coeurs” un peu partout à Paris. Pour installer l’amour au pouvoir, il lui arrive de s’inspirer d’oeuvres d’art (tableau de Renoir, photo de Robert Doisneau, etc.), mais aussi de célébrités en devenir qu’il souhaiterait faire accéder au statut d’icônes artistiques de la même façon qu’Andy Warhol a immortalisé Marylin Monroe et Elvis Presley en en sérigraphiant les portraits . “J’ai essayé de trouver de nouveaux héros pour en faire des icônes d’aujourd’hui”, nous dit HeartCraft. Ainsi en a-t-il été d’Amanda Gorman, poète et activiste américaine, de Barbara Butch, DJ queer assumant ses formes, ou bien des handisportifs Felix Streng, Bethany Hamilton et Théo Curin. Même s’il n’en avait pas vraiment conscience, l’inclusivité était dès l’origine au centre de sa démarche personnelle qui l’a vu décliner des coeurs “interraciaux et interreligieux”. “Je ne suis bien sûr pas le seul mais il faut bien reconnaître que nous ne sommes pas nombreux à travailler sur ces thématiques, à les revendiquer et à les disséminer un peu partout, fait observer HeartCraft. Le 14ème arrondissement de Carine Petit était sans aucun doute le terrain idoine pour y exercer ses talents.

(Sti-)coeur interconfessionnel de HeartCraft (photo YB)

Punk bisounours

Mais les bons sentiments sont-ils vraiment de l’essence de l’art urbain qui cultive volontiers la transgression ? Sont-ils compatibles avec l’âme punk et underground du street art ? “Tout dépend où l’on place le curseur de la violence et de la rébellion, nous répond HeartCraft qui n’a visiblement pas peur de casser les codes et d’évoluer hors des sentiers battus. Si je m’ingéniais à coller mes coeurs interraciaux dans certains quartiers de Paris, ça pourrait me poser de très sérieux problèmes. Idem pour mon coeur LGBT qui était systématiquement déchiré sur les bornes Autolib sur lesquelles je le plaçais.” La démarche du street artist a beau être dans l’absolu inclusive, tolérante et aimante, il n’en est pas moins parfois très mal compris. Et même s’il cherche à interpeller son public par la douceur, les coeurs qu’il dessine et colle dans la capitale restent en réalité très transgressifs pour certains auprès desquels son message d’amour ne passe pas toujours. “Un street artist très connu m’a très vertement rabroué au sujet de mon coeur représentant un juif portant une kippa embrassant une musulmane voilée, témoigne-t-il. Il m’a clairement dit que je n’avais pas à faire ça.” HeartCraft n’est par ailleurs pas toujours à l’aise pour s’exprimer à l’époque actuelle. Car il lui est aussi arrivé de se voir reprocher certaines de ses oeuvres au motif que ses origines et son vécu personnel ne lui permettaient pas de savoir de quoi il parlait. “J’y vois la conséquence du détournement de ce qu’on appelle aujourd’hui péjorativement le wokisme qui est pourtant à l’origine une pensée très intéressante en ce qu’elle appelle à l’éveil des consciences. Je suis pour ma part persuadé en tant qu’artiste et ancien comédien que, si on est ouvert à l’autre, on n’a pas besoin de vivre ses expériences pour pouvoir les comprendre et ressentir les injustices ou les discriminations qu’il a pu vivre – d’autant que j’ai également pu être discriminé dans ma vie personnelle.” HeartCraft est bien décidé à poursuivre sa route et contribue à sa façon à éveiller les consciences, notamment sur la question du handicap en collant des “sti-coeurs” représentant des athlètes paralympiques. Car il est profondément convaincu que ce qu’on ne montre pas n’existe pas. Un punk bisounours, ça n’existe pas, ça n’existe pas. Eh ! pourquoi pas ?

(*) “Sti-coeurs” aujourd’hui retirés.

“Mur Matisse” du 83 rue Pernety réalisé dans le cadre du mois parisien du handicap (photo de l’artiste)
Sti-coeur handisport, rue Daguerre (photo YB)
Sti-coeur Amanda Gorman, place Flora Tristan (photo YB)

Bruno Sauteron, un médecin rattrapé par son rêve humanitaire

“On n’échappe à rien pas même à ses fuites”, chante Jean-Jacques Goldman dans On ira. Bruno Sauteron y est allé, lui : sept mois en mission au Burundi pour Médecins Sans Frontières il y a tout juste vingt ans. Le médecin généraliste qui a son cabinet aux limites des 14ème et 15ème arrondissements de Paris revient sur cette expérience fondatrice de son engagement professionnel dans un livre publié aux Editions L’Harmattan. Nous avons lu Une saison à Makamba et pu interviewer son auteur.

Le parfum et les couleurs de l’aventure

En 2002, Bruno Sauteron, qui n’est pas encore “Docteur Sauteron” mais un jeune infirmier de vingt cinq ans qui a déjà passé deux ans dans les blocs opératoires parisiens, a des rêves d’aventure et d’engagement au service des plus démunis plein la tête. Après avoir poussé en vain les portes d’Action Contre la Faim et de Médecins du Monde, il est finalement recruté par Médecins Sans Frontières qui recherche un infirmier de bloc opératoire dans le cadre d’une mission chirurgicale au Burundi. Le petit pays d’Afrique de l’Est qui partage sa frontière du nord avec le Rwanda où a eu lieu huit ans auparavant le terrible génocide des Tutsi par les Hutu est alors en pleine guerre civile. Une saison à Makamba raconte par le menu l’expérience vécue par Bruno, du départ de Roissy au retour au pays sept mois plus tard. On y croise le Dr Jean-Hervé Bradol, le président de la section française de MSF, avec lequel Bruno aura le privilège d’effectuer une partie de son voyage aller, mais aussi et surtout ses collègues de mission à l’hôpital de Makamba et bien sûr les patients locaux qu’il sera amenés à soigner. On y mesure le décalage existant entre la médecine occidentale et la médecine humanitaire dans un pays en guerre où la perception de la maladie et de la vie en général n’est pas du tout la même. Les anecdotes se succèdent tout au long du récit constitué de 46 courts chapitres très dépaysants. Il a fallu à Bruno ne pas se laisser intimider lorsque qu’il constate à son arrivée à la maison MSF qui l’héberge qu’un mur a été criblé de balles… Quand aux maladies soignées, elles sont bien sûr très différentes en Europe et en Afrique où prévalent les maladies infectieuses au premier rang desquelles le paludisme, le VIH, la tuberculose et également la malnutrition qui est le premier problème rencontré par les enfants. Il lui est même arrivé de soigner, avec grand succès !, un homme mordu par un crocodile et, avec malheureusement moins de succès, un homme tombé d’un avocatier. Le rapport aux soins paraitrait également bien “exotique” à un Français bénéficiant de la Sécurité Sociale dans un pays où les patients peuvent aller jusqu’à vendre leur maison voire s’endetter à l’échelle d’une vie, ou pire transmettre leur dette à leurs enfants, pour arriver à les payer. Même si MSF a pour principe de soigner tout le monde gratuitement en fournissant à titre gracieux médicaments et personnels, la réalité du Burundi est bien différente, dont les hôpitaux peuvent garder prisonniers les patients non solvables tant que leur dette n’a pas été acquittée par leur entourage…

“To be or not toubib”

Bruno Sauteron parvient à nous émouvoir au récit des souffrances de Jeanne, la jeune femme de vingt ans qui va mourir du SIDA, et à nous faire rire de bon coeur à l’évocation des “pitoyables efforts” déployés par l’équipe médicale pour reproduire les chorégraphies locales que maîtrisent déjà très bien les enfants de l’orphelinat, lors de goûters géants organisés à la maison MSF. On comprend qu’il ait pu laisser une partie de lui-même à Makamba, quels que soient les risques qu’il ait pu prendre à l’occasion de cette mission. Dans “To be or not toubib”, l’avant-dernier chapitre de son livre, Bruno revit les tiraillements qui ont été les siens au terme de sa mission humanitaire au Burundi : “Je savais que je ne serais jamais à même de consulter par moi-même si je suivais la voie humanitaire. Et surtout toute cette belle expérience n’aurait de valeur que dans le monde de la médecine humanitaire. Dès lors que je rentrerai à Paris, telle Cendrillon perdant ses beaux habits, je retrouverai la condition d’un infirmier lambda, sans aucune considération pour les postes à responsabilité occupés et toute l’expérience acquise. Il aurait fallu faire le pari que MSF me plairait encore trente ans après, choisir définitivement une carrière centrée sur l’étranger dans des conditions difficiles. Devenir dans la durée “un homme aux semelles de vents””. Encouragé par ses parents, Bruno choisira finalement de se réinscrire en médecine pour devenir médecin généraliste. Pourtant, vingt ans plus tard, qui est vraiment l’homme sérieux et respectable assis derrière le bureau de son cabinet du quatorzième arrondissement ? Quel aventurier se cache derrière le professionnel qui vous rappelle (gentiment) que vous êtes priés de porter votre masque pendant la consultation ? On le devine un peu nostalgique de ses aventures passées même s’il admet avoir grand peine à envisager repartir aujourd’hui en Haïti ou en Ukraine. “On ne peut pas avoir toutes les vies !”, nous lâche-t-il en guise de conclusion. “On n’échappe à rien pas même à ses fuites”. La preuve : un livre !

Une saison à Makamba, récit d’une mission au Burundi avec Médecins Sans Frontières, aux Editions L’Harmattan dans la collection Ecrire l’Afrique, 149 pages, 16 euros (cliquez ici pour commander le livre).