YKO, artiste total et sans frontières

Dialogue entre YKO et son Polaroïd (photo C. Degoutte)

Il cause, il cause, YKO. Et l’on se sent très vite perdu et dépassé, comme au beau milieu de la forêt amazonienne. Comment peut-on avoir fait autant de choses dans et de sa vie ? Comment peut-on parler plusieurs langues de façon articulée et nuancée tout en étant happé par les mille disciplines de l’art ? Comment peut-on être tout à la fois poète, musicien, acteur de théâtre (et de séries télé), photographe, artiste urbain et (ex-)trapéziste de cirque ? “Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur”. Suivons donc le conseil de Cocteau et écrivons notre article en trois parties à peu près égales sur Yesser Kaadi Oliveira, alias YKO.

Brésilien cosmopolite

Cet article n’est pas une iconographie. Car une heure et dix huit minutes d’interview n’ont pas fini d’épuiser le sujet YKO, artiste total et sans frontières. La profondeur de la connaissance des activités artistiques auxquelles il s’adonne nous empêche d’utiliser le terme de touche-à-tout qui pourrait suggérer la superficialité dans tous les domaines. YKO est bien plutôt un “multi-perfectionniste”, habité du même désir de profonde maîtrise quand il transfert une émulsion de Polaroïd, joue de son pandeiro ou pratique une langue étrangère. L’exigence est un fardeau qui empêche l’autosatisfaction mais aussi parfois la concrétisation d’une oeuvre ou d’un projet. Elle nous pousse à creuser autant qu’à avancer. C’est peut-être elle qui explique comment l’énergie créatrice d’YKO a pu jaillir en étoile dans autant de directions artistiques. Bien sûr, comme toujours, l’entourage familial a joué un rôle déterminant. Son père notamment, grand amateur de poèmes et de photographie, qui le laisse manipuler son appareil photo dès l’âge de 8 ans pendant sa jeunesse brésilienne, et lui offre un appareil personnel quelques années plus tard. Cette ouverture grand angle sur la vie et la culture va l’amener à détester les frontières géographiques et abolir celles artistiques susceptibles de freiner sa soif de découvertes. YKO nous a raconté par le menu son parcours personnel et artistique qui l’a mené du Brésil à la France en passant par les Etats-Unis, et du théâtre à la musique en passant par le cirque. Nous ne nous doutions pas un seul instant de l’extrême richesse de sa trajectoire lorsque nous l’avons rencontré pour la première fois à Belleville rue Dénoyez au moment où il opérait la jonction entre ses deux principales activités artistiques d’aujourd’hui : l’art urbain et la scène musicale.

Carreaux High Voltage d’YKO (photo C. Degoutte)

Des carreaux et des corps

YKO se produisait ce soir-là en concert solo à la galerie Friches_et_nous_la_paix de la rue Dénoyez bien connue de tous les street-artists parisiens. Dans ce qui fut le lieu de résidence du pochoiriste Pedrô!, il a interprété quelques unes de ses chansons avant d’aller poser alentours plusieurs carreaux qui sont les supports de prédilection de son travail photographique sur le nu. Pourquoi le nu ? “Une fois terminé mon travail sur la technique du transfert d’émulsion à partir de Polaroïds et sur les différents vernis permettant de préserver au mieux ce transfert sur un carreau, s’est posée la question du sujet, se souvient YKO. Je ne me sentais pas de mettre la tête des gens sur mes carreaux. Autant que des réminiscences de la culture du corps qui prévaut au Brésil, ma visite d’un camp naturiste à Montalivet avec un groupe d’amis a été le déclic qui m’a donné l’idée de mettre en relief les corps nus du commun en tant que représentation d’une sorte d’expression universelle du corps. J’ai proposé à mes amis de les prendre en photo, ce qu’ils ont accepté de très bonne grâce. Mais on ne voit bien sûr jamais leur visage sur mes carreaux pour préserver leur anonymat.” YKO pose depuis lors ses carreaux représentant des corps nus un peu partout dans le 20ème arrondissement ou à proximité des endroits où il se produit en tant que musicien. Il a récemment investi le 14ème en en collant quatre dans la rue des Thermopyles. Certaines de ses rues ou de ses impasses sans issue de prédilection deviennent pour lui de véritables rues-galeries. YKO continue pourtant à coller ses carreaux à la sauvette avec un peu d’appréhension de peur d’être interpellé par la maréchaussée et de devoir payer une amende qui viendrait s’ajouter aux coûts déjà importants occasionnés par son travail. Mais la motivation demeure et il n’est pas peu fier de voir nombre de ses oeuvres “validées” par les habitants des immeubles sur lesquelles il les a posées en constatant qu’elles n’ont pas été enlevées par eux ou sont même nettoyées par eux . “J’y vois la reconnaissance artistique de mon travail et cela me touche toujours énormément”, reconnait le street artist avec sincérité.

En flagrant délit de collage fluo rue des Thermopyles (photo C. Degoutte)

New Morning pour Next Frontrier

Mais la grande affaire du moment est la musique à laquelle il s’adonne depuis des années. A l’école du cirque, YKO jouait du saxophone. Contraint d’abandonner le métier de circassien, il est devenu musicien percussionniste professionnel spécialiste du pandeiro, le tambourin sur cadre et à cymbalettes qui est si central dans la musique brésilienne. Il a travaillé énormément de cet instrument avant de pouvoir en vivre en tant qu’intermittent du spectacle en accompagnant des musiciens de samba. Depuis 4 à 5 ans, YKO est devenu auteur-compositeur-interprète de ses chansons qu’il qualifie lui-même de poésie chantée subversive. Orphelin volontaire des grandes formations musicales au sein desquelles il jouait de son instrument de prédilection, il se retrouve aujourd’hui seul sur scène habillant de sons électro des textes scandés qui questionnent la société dans laquelle nous vivons. “Ma production musicale réunit toutes les influences cosmopolites que j’ai pu rencontrées en France depuis 20 ans, résume YKO. Je ne prétends pas du tout faire de la musique brésilienne. Mon style personnel se rapproche beaucoup plus du slam et de la musique urbaine comme le rap tout en restant mélodique. J’écris la plupart du temps mes textes avant la musique, mais ils restent des textes pour faire danser que je peux écrire aussi bien en français qu’en portugais”. Le challenge est aujourd’hui de surmonter son perfectionnisme congénital pour parvenir à réunir ses chansons en un album. Nul doute que son prochain concert du samedi 11 novembre au New Morning en première partie de Djonga, qui est l’un des rappeurs les plus importants de la scène brésilienne actuelle, lui apportera le surcroit de confiance nécessaire à la réalisation de ce projet qui représente à coup sûr pour notre artiste total the Next Frontier

Cliquer ici pour accéder au compte Instagram d’YKO.

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