Le kiosque-atelier de Sedigheh Fahrat

Sedigheh Farhat, fidèle au kiosque (photo YB)

J’la croise tous les matins, 7h40″, aurait pu chanter Johnny. Quels destins et quels talents se cachent derrière les vies en apparence les plus banales ? Chaque jour de la semaine aux alentours de 7h45, Sedigheh Fahrat rejoint son kiosque à journaux situé devant la station de métro Pernety. N’était-ce la curiosité de quelques Pernétiens initiés (*), nul ne se douterait qu’une artiste peintre de très grand talent se cache derrière la kiosquière d’origine iranienne. Nous l’avons rencontrée ce samedi matin pour découvrir son parcours et nous familiariser avec son oeuvre.

“Le meilleur kiosque de Paris”

Le c.v. de vingt pages de Sedigheh Fahrat que nous a communiqué une amie Pernetienne est agrémenté de nombreuses oeuvres représentant des paysages, des portraits, des natures mortes ou bien encore des chevaux qui révèlent une technique picturale accomplie. Nous nous arrêtons sur la première page sur laquelle figurent les informations clés relatives à notre artiste peintre. Sedigheh est kiosquière à Paris depuis aujourd’hui 18 ans. Elle  a exercé ses fonctions dans des kiosques à journaux à Saint-Lazare, à Saint-Germain-des-Près, place Clichy, au Champs de Mars avant d’arriver rue Pernety en 2021. “Le kiosque de la rue Pernety est entre tous celui que je préfère car j’y ai sans doute l’occasion de rencontrer et de sympathiser avec des gens dont le niveau intellectuel est un peu supérieur”, nous confie Sedigheh dont l’inextinguible goût des autres la pousse à exercer cette activité avec bonheur malgré son âge avancé. Elle est née en 1946 dans le nord de l’Iran et y développe dès l’âge de 14 ans une passion pour la peinture qu’elle pratique au quotidien. C’est donc tout naturellement qu’elle s’oriente dans son pays natal vers le métier d’enseignante en arts plastiques, tout d’abord dans une école primaire à Téhéran, puis, après avoir obtenu une licence universitaire dans cette matière, dans un collège, dans un lycée et finalement à la faculté des enseignants de la capitale iranienne. La révolution islamique interrompt cette très belle progression, qui la conduit à suivre son mari architecte en France où il est réfugié politique. Malgré une maîtrise d’Esthétique obtenue à la Sorbonne, trop d’obstacles empêcheront cette diplômée des Beaux Art de Paris d’exercer le métier d’enseignante en France. Sedigheh doit en effet d’abord s’occuper de sa famille de quatre enfants et perfectionner sa pratique de la langue française. Grâce à une amie, elle apprend à faire des crêpes et exerce pendant sept ans le métier de crêpière boulevard Sébastopol au centre de Paris avant de devenir kiosquière à journaux.

Portrait d’Abbas Moyaeri, huile sur toile (photo S. Fahrat)

Sur les traces d’Abbas Moyaeri

Mais les contraintes de sa vie mouvementée ne l’ont jamais éloignée de la peinture et, dès avant de se fixer définitivement dans notre pays, elle a l’occasion d’exposer en Iran (à l’Hôtel Continental de Téhéran en 1982) et en France (par exemples, au Grand Palais et au Musée de la Femme de Paris en 1972) lors de séjours qu’elle y effectue avec son mari. Les expositions s’enchaînent dans son nouveau pays d’adoption à partir de 1990 : à Paris bien sûr (à l’occasion de ventes aux enchères à la salle Drouot entre 1990 et 1993 et à la salle Bonhams Cornette de Saint-Cyr en 2010), mais aussi dans le Val-d’Oise à Herblay où elle réside et où elle collectionne les prix, de même qu’à Cergy, à Cormeilles-en-Parisis ou bien encore dans les Yvelines à Conflans-Sainte-Honorine. Le succès est au rendez-vous puisqu’elle réussit l’exploit de vendre près de 80 (!) de ses oeuvres lors d’une exposition organisée en 2015 à la Mairie du 7ème arrondissement de Paris. “C’est le fruit d’un travail que je poursuis depuis quarante ans en empruntant différents styles : impressionnisme, abstrait, figuratif, portrait, et en utilisant différentes techniques : aquarelle, pastel, huile, gouache, stylo à bille, nous précise l’artiste qui réalise également de la peinture sur porcelaine et de la sculpture à l’argile depuis deux ans. Sedigheh a eu le privilège de suivre pendant plus de cinq ans l’enseignement d’Abbas Moyaeri (**), le grand maître franco-iranien spécialiste des miniatures persanes qui a lui aussi longtemps hanté le Quartier Pernety non loin du kiosque à journaux puisqu’il résidait rue Losserand avant d’être emporté en 2020 par la pandémie de Covid. Elle a par ailleurs pu se voir enseigner la calligraphie par Abdollah Kiaïe, un autre très grand artiste graphiste et calligraphe d’origine iranienne dont nous venons de déplorer le décès en mai dernier. Ces deux illustres prédécesseurs continuent bien sûr à nourrir son inspiration pour réaliser les natures mortes, les paysages, les portraits et les nus qui constituent l’essentiel de son oeuvre. Mais Sedigheh la trouve également sur place dans son kiosque au cours des longues heures qu’elle y passe, en compulsant par exemple les principaux titres de la presse hippique qu’elle vend aux amateurs. Elle réalise justement actuellement une série sur les chevaux. Voyez plutôt ce qu’elle sait réaliser munie d’un seul stylo à bille BIC qu’elle vend un euro dans sa boutique ! Cela se passe juste de commentaires… Puissions-nous très bientôt admirer ses oeuvres dans le 14ème arrondissement de Paris !

Cheval attelé, stylo à bille noir sur feuille, 2022 (30 x 40 cm) (photo S. Fahrat)

(*) Lire notamment l’article d’Arnaud Boland dans La Page du 14ème daté d’Avril-Juin 2023.

(**) Ne manquez pas l’actuelle exposition organisée autour de l’oeuvre d’Abbas Moayeri jusqu’au 4 septembre 2023 au Sénat (flyer ci-dessous) !

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