Marc Havet, « plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie »

Comme « les nouveaux vieux » de sa chanson et de son spectacle musical éponyme (*), Marc Havet pète toujours le feu. Difficile d’interrompre l’auteur-compositeur-interprète quand il est lancé ! Il nous a reçu à son domicile de la rue de la Sablière pour nous parler pendant plus d’une heure de musique et de politique en oubliant presque de mentionner son actualité artistique pourtant très chargée. En plus des concerts habituels, Marc prépare en effet la sortie d’un nouveau disque de chansons inédites intitulé « Tais-toi et chante » et la publication d’un livre aux Editions de La Lucarne des Ecrivains qui reprendra les textes de deux cent de ses chansons.

Tombé dans la marmite des musiciens

Marc Havet ne s’en cache pas, il est tombé dans la marmite du barde Assurancetourix quand il était petit : « La musique, j’en fais depuis que je suis né. Ce n’est pas prétentieux de dire ça, c’est vrai ! Je ne sais pas si dans le ventre de ma mère j’en faisais, mais au moins depuis que j’en suis sorti, parce que ma mère jouait du violon en amateur, ma tante jouait du piano, ma sœur ainée également qui a fait le conservatoire et qui a chanté très jeune. Donc, dans ma famille, on faisait de la musique ». En plus d’être musicienne, la famille de Marc s’écarte également volontiers du dogme et des conventions : « Je suis né dans une famille communautaire, je n’aime pas trop ce mot là, mais enfin si, c’était des chrétiens dissidents héritiers de Pascal et des jansénistes qui ne reconnaissaient pas l’autorité de l’Eglise ». Marc se souvient notamment de noces extraordinaires célébrées en région parisienne qui était encore la campagne à cette époque. A seize ans, il fait déjà partie d’orchestres de jazz qui accompagnent de célèbres musiciens américains et français. Quand vient le moment de choisir ses études, Marc opte pourtant pour l’architecture pour rassurer ses parents. Mais pas question pour lui de faire de hiérarchie entre les arts soit disant « majeurs » (architecture, peinture, etc.) et les arts dits « mineurs » dont ferait partie la chanson (« Gainsbourg a dit une belle connerie ce jour-là », nous assure Marc). Bien au contraire, ces différentes disciplines artistiques vont interagir l’une avec l’autre pour nourrir et canaliser l’inspiration du chanteur qui « compose ses maisons et construit ses chansons »« La seule différence, poursuit Marc, c’est que pour construire une maison il faut du pognon, alors que pour faire une chanson il ne faut rien du tout. Pas besoin d’un piano ni d’une guitare, il suffit de se mettre sur un coin de table. Même pas besoin d’un stylo, tu peux la penser dans ta tête ou presque. »

« Le cri primal de la chanson »

Encore faut-il avoir ce talent ou plutôt ce don. Dans un souci pédagogique, Marc s’est essayé à l’organisation d’ateliers de chansons sans que cette expérience soit vraiment concluante. Car si l’on peut apprendre à écrire dans le cadre d’atelier d’écriture voire de poésie, la chanson requiert un talent différent : celui de trouver les tonalités parmi mille différentes sur lesquelles seront chantés les mots. « C’est le cri primal de la musique et c’est ça la chanson. Quand tu as trouvé le truc, les deux notes qui font l’affaire pour prononcer et chanter un mot, il n’y en a rien à faire du piano, de la guitare et du reste. Après tu peux mettre quinze violons, deux guitares, ça c’est autre chose. Juste de l’habillage. » Pour autant, ce talent particulier n’est pas tout et, s’agissant des textes, Marc n’écrit jamais ses chansons au fil de la plume. Tout comme Brassens, il ne se sent pas poète et se méfie des fulgurances de l’inspiration : « Des fois, j’ai une idée sur un mot ou une phrase mais ça dort longtemps dans un tiroir et pour faire une chanson, la finaliser, il y a du boulot ! C’est comme pour une tapisserie, j’ai recommencé dix fois la même chanson. » Bien loin donc les « Illuminations » de Rimbaud et les vers de Verlaine créés sous l’emprise de l’absinthe : si l’inspiration reste première, le travail est là pour la structurer.

 Trenet, l’inspirateur

Les chanteurs qui restent ses références de base sont bien sûr les géants de la chanson française que sont Brassens et Ferré mais peut-être aussi surtout Trenet dont il admire l’œuvre foisonnante et l’humour mordant. Il lui consacre un récital par an tant il est fan de sa poésie familière aux antipodes de celle des poètes classiques. Parce qu’il connait par cœur les répertoires de ses illustres prédécesseurs, Marc s’est pendant des années senti empêché de composer ses propres chansons avant de connaître le déclic vers quarante ans. Au moins quatre raisons à cela : la création du « Magique », le bar-cabaret de la rue de Gergovie qu’il a ouvert avec sa femme Martine suite à la fermeture du « Piano Bar » de la rue Mouffetard où il allait se produire lors d’apéros-concerts en compagnie de pianistes de jazz ; la mort ou le repli artistique des grands ainés qui ne sont pas véritablement remplacés par la jeune génération dans laquelle Marc se reconnait moins ; l’affirmation de sa propre identité artistique qui s’affranchit progressivement des influences passées et se détache nettement de celle des autres chanteurs qui émergent sur la nouvelle scène artistique française ; la politique enfin qui après la victoire socialiste de 1981 aiguise son regard « gauche critique » et lui inspire de nombreux textes. Mais, comme de très nombreux autres artistes français, Marc admet que c’est l’incontournable Trenet qui lui a donné l’envie d’écrire des chansons. Une envie toujours présente chez lui aujourd’hui même si, comme nombre d’artistes également, il a toujours peur de tarir la source et s’il est souvent saisi par l’angoisse ne pas réussir à se renouveler.

Influences d’aujourd’hui

En octobre 1992, une sympathique bande de jeunes fréquentant assidument « Le Magique » témoignent de leur admiration pour Marc en publiant aux Editions Du Pousse Au Cul soixante à quatre-vingt de ses textes. « N’attendez pas qu’il soit crevé pour l’admirer, nous enjoignent-ils en préface. Depuis que Gainsbourg est mort, Marc Havet reste le plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie. » Peut-être l’un des deux meilleurs, rectifie Marc avec humour. Il n’est en réalité jamais satisfait de lui même et n’a pour seule ambition qu’aboutir à « quelque chose d’intéressant ». Il reste pour ce faire à l’écoute de tout ce que produit la scène musicale francophone : les classiques contemporains bien sûr (Lavilliers, Thiéfaine, Souchon, etc.) mais également le rap et même les chansons « un peu con con ». Car il fait sa sauce personnelle et son miel de tout : « Souvent on me demande par qui je suis influencé. La vérité c’est que je me laisse influencer par plein de choses et que je le restitue à ma façon ! ». Pour autant, Marc n’a toujours pas trouver parmi les chanteurs du moment sa nouvelle idole. Il reste bien plutôt fidèle aux grands auteurs qu’il continue à interpréter avec bonheur. Sans oublier bien sûr son propre répertoire d’hier et d’aujourd’hui. Ne manquez surtout pas « Marc Havet chante Marc Havet » au Forum Léo Ferré les 30 novembre et 1er décembre 2019 !

(*) « Les Nouveaux Vieux » au Théâtre du Nord Ouest les dimanches 20 et 27 octobre à 14h30 et le mardi 29 octobre à 20h15.

Cliquez ici pour accéder au site de Marc Havet.

Nelly Pouget, dernier dinosaure du jazz contemporain

Nelly Pouget est une véritable star et un personnage incontournable du 14ème arrondissement de Paris. Elle nous a fait l’honneur d’une visite au 25 rue de Plaisance, le siège de Pernety 14, pour évoquer son parcours de musicienne quelques jours avant la projection de Spirale Danse, le film retraçant sa vie, le 14 mars 2018 au cinéma L’Entrepôt.

Le choix instinctif du saxo

La vie en spirale de Nelly Pouget n’a plus de secret pour personne depuis que Jérémie Lenoir y a consacré un film tourné en 2014 et sorti en 2017. Nelly est née à Dijon en Bourgogne le 19 mai 1955 et passe une enfance heureuse au bord de Saône au sein d’une famille de sept enfants. « C’est une période de ma vie que j’ai adorée. Quand j’avais dix ans, on partait tous ensemble en vacances pour de grandes parties de camping sauvage et l’on avait pas moins de six toiles de tentes pour y abriter toute la famille. » Sur ses photos souvenirs, en famille ou à l’école, Nelly occupe déjà le centre de la scène. Son éveil musical date du jour où son frère ainé décide de l’emmener au conservatoire de Dijon où il joue du trombone, plutôt que la laisser s’ennuyer à la maison le mercredi. Elle s’inscrit à la classe de solfège dont le professeur est un joueur de basson, et progresse très rapidement au point d’avaler en une seule année les deux ans d’apprentissage. A quatorze ans, lorsque son professeur lui demande de quel instrument elle souhaite jouer, son choix se porte spontanément sur le saxophone. Il suffit de traverser la cour du conservatoire pour rejoindre la classe de Jean-Marie Londeix, l’auteur d’ « Un siècle de saxophone » et qui est à l’époque la référence française à l’étranger pour cet instrument. Parallèlement à la musique, Nelly suit sans enthousiasme des cours de comptabilité-mécanographie. Sa professeur de dessin qui détecte en elle des talents artistiques lui suggère de s’inscrire à l’école des beaux arts de Beaune. Nelly parvient à obtenir l’accord de ses parents pour le faire et se débrouille pour suivre les cours de cette seconde école d’art malgré les problèmes d’intendance et un différent qui l’oppose à ses enseignants en fin d’année. Nelly s’éprend en effet d’un homme qui n’a l’heur de plaire ni à ses professeurs ni à sa famille et avec lequel elle décide de partir pour l’Afrique. C’est de cette époque que date son amour pour le continent noir qu’elle va atteindre « par la route » en traversant le Sahara espagnol et en embarquant sur un bateau dont elle se souvient encore aujourd’hui des grincements. Les deux tourtereaux s’installent finalement à Ouagadougou où Nelly acquiert une mallette de peinture dont elle va se servir pour peindre les scènes de la vie quotidienne des familles africaines.

Le choix viscéral de la liberté

A son retour d’Afrique, Nelly retrouve le saxo qu’elle a laissé en France chez ses parents. Elle vit quelques temps à la campagne puis monte à Paris suite à sa rupture avec son compagnon avec pour seul bagage son instrument et sa mallette de peinture. Nous sommes en 1981 et elle a tout juste vingt cinq ans. Pour se loger, elle habite une chambre de bonne rue Notre Dame des Champs puis squatte rue Saint Martin et derrière l’Hôtel de Ville. Les anecdotes sur ses années de galère à Paris se bousculent dans sa tête. Elle trouve des petits boulots dont un emploi a mi-temps chez Henri Dessin rue de Rennes. Au marché aux puces de Montreuil et de Saint Ouen, elle vend des chaussures et des vêtements pour les rockers. Elle donne également quelques cours sans accepter de poste officiel de professeure pour conserver sa liberté. Surtout elle commence à composer et en 1982 elle dirige son premier orchestre pour l’Institut Pierre et Marie Curie à l’Université de Jussieu. Elle enchaine tant bien que mal les expériences de conduction d’orchestre, continue à jouer du saxo et à composer mais souffre du sexisme du milieu : « Quand tu es femme, instrumentiste avec un saxophone, compositrice et leader, tu as tout faux car tu as tout ce qu’il ne faut pas dans nos sociétés. J’ai surmonté beaucoup de choses mais ça je ne le savais pas car je suis arrivée avec ma naïveté ». Après avoir bien galéré, elle est sur le point de faire son premier disque en 1987, mais son producteur qui est en pleine période de succession se fait inopinément interner en psychiatrie par ses proches qui veulent l’éloigner de l’héritage familial. Ses amis lui proposent alors de créer un label propre, Minuit Regards, sous lequel elle va produire sa musique, six disques au total. Difficile toutefois d’en vivre avec l’arrivée d’internet qui a fait beaucoup de mal aux musiciens. Car produire un beau disque sous label officiel a un coût. « On est passé à un système dématérialisé où l’on ne maitrise plus rien, où l’on doit avancer de l’argent et où c’est devenu très compliqué car les trois quart des gens téléchargent gratuitement ou quasi et l’on touche que dalle », témoigne Nelly qui pourtant produit une vidéo musicale en 1992 et qui n’a pas dit son dernier mot avec la sortie de l’album « Spirale danse » et d’un film éponyme réalisé par Jérémie Lenoir disponible aujourd’hui en DVD. L’occasion d’y retrouver Nelly au milieu de ses souvenirs et de ses amis d’hier et d’aujourd’hui : sur des documents d’archives avec entre autres Micheline Pelzer, Siegfried Kessler, Sunny Murray et Makoto Sato ; et sur la route entre Paris, la Drôme, la Camargue et la plage de Piémanson.

Cliquez ici pour accéder à la page Wikipédia de Nelly Pouget.

Florence Thépault, la voix des chansons à textes de FIP TA ZIK

C’est au « Chat alors ! », un très sympathique bar-brasserie de la rue Baudouin dans le 13ème arrondissement de Paris que le groupe FIP TA ZIK a démarré sa rentrée musicale 2018/2019. Florence Thépault a irradié de sa présence et de son talent d’interprète le concert du trio qu’elle forme avec Isabelle Le Gouic et Philipe Fegey. Nous lui avons donné rendez-vous au bistrot « Le Laurier » dès le lendemain de sa performance pour qu’elle nous fasse partager sa passion pour les chansons à texte.

Naissance de FIP TA ZIK et baptême des concerts en public

Toujours impeccable et la voix claire malgré ses vingt-quatre interprétations de la veille, Florence, qui préfère se faire appeler Flo, examine les clichés d’amateur que nous avons pris lors du concert. Son choix se porte finalement sur une photo où elle apparait radieuse et souriante : « Oui, elle est bien celle-là parce que je suis souriante et naturelle. Enfin c’est moi, quoi ! Et puis c’est joli avec le mur en briques derrière ». Mais pas question pour Flo (F) d’oublier ses partenaires de scène Isabelle (I) et Philippe (P). Pour nous aider à illustrer notre article, elle nous fournira elle-même une photo du trio FIP TA ZIK prise dans le cadre moins confiné du parc Montsouris. Une telle sollicitude nous oblige à redoubler d’attention pour l’interview et l’enquête commence sans que nous prenions même le temps de commander un café. Voilà maintenant trois ans, nous apprend Flo, que le groupe se produit en concert. Tout a commencé une poignée d’années auparavant lorsqu’elle rencontre Isabelle qui est déjà la compositrice de nombreuses chansons qu’elle interprète à la guitare. Flo a le coup de foudre pour l’une d’entre elles intitulée « Une nuit à Paris ».  « C’est exactement le genre de chansons que j’adorerais chanter », lui confie-t-elle. Isabelle lui offre sans hésiter la possibilité de l’interpréter à sa guise. Les deux amies constatent que leur voix se mélangent harmonieusement et prennent l’habitude de s’exercer sur d’autres chansons en caressant l’espoir de pouvoir un jour se produire ensemble en public. Elles se mettent alors à la recherche d’un guitariste qui pourra les accompagner lors de concerts une fois qu’elles se sentiront suffisamment au point. Elles sollicitent en 2014 le concours de Philippe, un musicien de rock et de country, que Flo a rencontré il y a déjà quelques années par l’intermédiaire de son ami musicien Jean-Pierre Torlois. Après avoir écouté les enregistrements qu’elles lui soumettent, Philippe se déclare intéressé par le projet des deux femmes. Les trois partenaires commencent à répéter en se distribuant les rôles au sein du groupe. Philippe se charge de transposer, modifier et enrichir certaines mélodies des compositions musicales d’Isabelle que son auteur trouve parfois trop simplistes. Et il compose lui-même à l’occasion les musiques des textes nus produits par Isabelle. Flo, l’interprète du trio, se propose quant à elle d’ajouter au répertoire du groupe de nouvelles chansons auxquelles elle ajoute une touche personnelle. En plus de leur passion commune pour les chansons à textes, les membres du trio partagent la même fibre humaine faite de tolérance et de respect mutuel. Les oublis et les étourderies des uns et des autres sont plus le prétexte à un fou rire qu’à une fâcherie et aucune guerre d’égo ne vient altérer la bonne humeur qui préside aux répétitions. Des conditions idéales pour se lancer dans le grand bain des concerts en public auxquels Flo se prépare en pensant très fort à Yvette Guilbert, la célèbre chanteuse et diseuse dont elle admire depuis toujours le talent.

Un répertoire éclectique de chansons à textes

A l’instar d’Yvette Guilbert, Flo aime faire face à son public pour lui raconter des histoires, lui faire ressentir des ambiances ou lui transmettre des images. « J’essaie d’y mettre de ma personne et j’y consacre tout mon cœur. Et je regarde les gens pendant le concert parce que je leur raconte et je leur transmets quelque chose. » D’où sa grande prédilection pour les chansons à textes qui l’inspirent tout particulièrement et dont elle parle en experte : « Dans « Une nuit à Paris » qu’a écrit Isabelle, on imagine très bien sa déambulation dans les différents quartiers de la capitale. Et il faut par exemple bien écouter les paroles du « Mariage secret de la mer et du vent », la chanson d’Yves Simon, pour comprendre l’allusion aux vagues. Il en est de même pour l’histoire de « La fille du geôlier de Nantes » de Romain Didier. » Flo serait bien en peine de fournir la liste des chansons qu’elle prend plaisir à interpréter tant sont nombreuses celles qui se bousculent dans sa tête. Elle aime tout autant faire rire en chantant « Tel qu’il est » qu’émouvoir et voir son public fondre en larmes lorsqu’elle interprète « Göttingen » de Barbara. Toutes les chansons de son répertoire la touchent et elle n’imagine de toute façon pas interpréter une chanson qui ne lui plait pas. Barbara, Brassens, Brel, Nougaro, Aznavour, Yves Simon, Souchon et d’autres grands noms de la chanson française peuplent bien sûr le panthéon très éclectique de ses auteurs de prédilection. Mais elle fonctionne aussi par coups de cœur et peut tout aussi bien craquer sur « J’envoie valser » de Zazie parce que la chanson lui donne envie de danser. Elle n’oublie bien sûr pas non plus son ami Jean-Pierre Torlois dont elle chante plusieurs titres lors de ses concerts. Flo a bien conscience que ce n’est pas parce qu’on aime une chanson qu’on est forcément à même d’en recréer l’interprétation et d’en apporter une nouvelle dimension en se la réappropriant. Elle veille d’ailleurs elle-même toujours à choisir pour les concerts les chansons qui correspondent le mieux à sa façon de chanter. Les chansons anciennes, nostalgiques et mélodieuses d’Emile Carrara (« On danse à la Villette ») ou d’Emmanuel Pariselle  (« La Nonchalante ») rentrent tout à fait dans cette catégorie. Mais elle aime également faire goûter à son public des chansons plus légères comme « Plus je t’embrasse plus j’aime t’embrasser » ou bien encore « Le Tourbillon de la vie » et « J’ai la mémoire qui flanche » immortalisées par Jeanne Moreau. Des succès que le public conquis aime à reprendre en chœur avec elle. Et c’est bien là la plus belle récompense pour celle qui n’est motivée que par le partage du plaisir de chanter.

Cliquez ici pour entendre « Une nuit à Paris », ici pour entendre « Quelque chose qui dénote » et lancer la vidéo ci-dessous pour des extraits du concert donné en novembre 2019 au Jazz Café Montparnasse.

Quand l’énergie devient art (Roland Erguy (*), professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur)

Pernety 14 creuse résolument son sillon dans le Village Pernety et le site de l’association reçoit aujourd’hui les visites de plus en plus nombreuses des habitants du Quartier tout à la fois curieux et émus d’en découvrir ou redécouvrir les acteurs et les lieux les plus pittoresques. Cette semaine, c’est Colette qui nous a contactés après avoir lu quelques-uns des articles publiés sur notre blog pour nous mettre sur la piste de Roland Erguy, professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur.

« Technique de boxe du faîte suprême » : le Tai-Chi, entre art martial et gymnastique de santé

Roland Erguy est né à Paris en 1952 d’un père basque et d’une mère d’origine italienne. A l’issue de ses études secondaires au lycée Chaptal, il décroche un diplome d’imprimeur avant de partir faire son service militaire. Il rentre ensuite par concours à la Mairie de Paris au sein de laquelle il va faire toute sa carrière dans l’imprimerie et la décoration florale. En parallèle de ses activités professionnelles, Roland pratique dès le plus jeune âge différents sports dont notamment le judo qui le sensibilise à l’importance de la maitrise de l’équilibre du corps et de son centre de gravité. Il découvre le Tai-Chi avant même de partir à l’armée mais lui préfère pendant plusieurs années d’autres activités plus « dynamiques » comme la voile, la danse, le théâtre, etc. Son partenaire de théâtre l’amène à reconsidérer son appréciation de départ et le remet sur la voie du Tai-Chi en l’initiant à ses principes de base. C’est le déclic qui le poussera à se rendre à la fédération de la rue de Babylone pour y pratiquer pendant quatre ans cet art martial chinois « interne » et obtenir un diplôme de formateur grâce auquel il pourra enseigner la discipline dans plusieurs centres de quartier. Roland transmet la forme yang du Tai-Chi qui est sa forme la plus courante en Chine. Tai-Chi signifie textuellement « technique de boxe du faîte suprême ».  C’est un art martial autant qu’une gymnastique de santé et un travail psychique et spirituel autant que corporel puisqu’il fait fonctionner en même temps le corps et l’esprit. Le Tai-Chi a pour objet le travail de l’énergie appelée chi et consiste en un enchainement de mouvements circulaires et réalisés à la même vitesse qui ont été codifiés dans les années vingt. Ceux qui le pratiquent se concentrent sur le maintien du corps, du souffle, du centre de gravité du corps et sur l’enracinement du poids du corps vers le sol. Roland est intarissable sur les bienfaits physiques, psychiques et spirituels de la discipline qu’il enseigne et il pourrait également disserter pendant des heures sur les origines de cette pratique chinoise ancestrale et les principes du Tao qui la fondent. Il insiste sur le fait que tout le monde, quel que soit son âge, peut pratiquer le Tai-Chi pour son plus grand bénéfice. Il réunit actuellement tous les jeudis dans le cadre d’un cours d’une heure trente délivré dans la salle municipale polyvalente du 12 rue du Moulin des Lapins à Paris 14ème une dizaine de personnes très motivées dont Colette et quelques autres habituées constituent le noyau dur. Le cours est divisé en plusieurs séquences complémentaires : le travail du plexus et de la respiration qui se fait essentiellement au sol ; ensuite, les mouvements de yoga tibétain et les exercices d’étirement du corps ; enfin, le Tai-Chi proprement dit qui n’est ni plus ni moins qu’une méditation en mouvements. Roland nous en fait une démonstration d’un quart d’heure à l’issue de notre entretien dans le petit jardin public de la ZAC Didot qui jouxte la Place de la Garenne. Il enchaine devant nous sur fond de musique chinoise une série de mouvements aux noms très évocateurs (« caresser la queue de l’oiseau », « le simple fouet », « coup de pied en diagonal », « comme un éventail », « la grue blanche déploie ses ailes », « mouvoir les mains comme les nuages », « la fille de Jade tisse et lance ses navettes aux quatre coins de l’horizon », etc., etc.). Le dépaysement est garanti !

La sculpture conçue comme projection du centre de gravité du corps sur les matériaux

« Chercher l’assise et le centre de gravité dans une sculpture », tel est le projet de Roland, professeur de Tai-Chi côté cour(s) et artiste-sculpteur côté jardin. Roland ne puise pourtant pas uniquement son inspiration dans la discipline qu’il enseigne à titre bénévole. Il capitalise également sur son expérience professionnelle à la Mairie de Paris dans les secteurs de l’imprimerie et de la décoration florale. Car tandis que l’imprimerie le familiarise avec la calligraphie et la gravure, la décoration florale lui ouvre les portes de la création artistique ainsi que celles de l’Opéra Garnier, du Palais des Congrès, du Musée Galliera et de mille autres lieux plus somptueux encore. Ses premières sculptures sont celles toutes végétales qu’il conçoit dans le cadre de son métier d’horticulteur. On retrouve dans celles qu’il réalise aujourd’hui (en métal ou en pierre) les arrondis du Tai-Chi et les traces d’une véritable réflexion sur l’équilibre du corps. Qu’il est loin le temps où son professeur lui reprochait d’être « un homme du siècle passé » au regard du caractère un peu figé de ses premières tentatives dans l’art figuratif ! Sa production actuelle est à ce point diverse que Roland a intitulé sa récente exposition « Abstractions » pour englober toutes ses œuvres sous un concept unique. Certaines cultivent le contraste entre le lisse (métal) et le brut (pierre) ; d’autres (comme, par exemple, « Le touareg ») sont réalisées avec du chiffon enduit de plâtre. Roland a bien sûr exposé à la Galerie du Montparnasse qui dépend de la Mairie de Paris dont il a longtemps été l’employé mais également à la Galerie Everarts de la rue d’Argenson après qu’il a été remarqué par certains amateurs d’art. Il y a d’ailleurs laissé un des seuls grands formats qu’il a réalisés dans sa vie faute de place pour le stocker personnellement… Mais pour Roland, l’inspiration est toujours là, qu’il puise dans le Tai-Chi mais aussi ailleurs, pour produire des œuvres originales qui expriment la sérénité et l’équilibre qu’il veut faire partager chaque jeudi à celles et ceux qui le souhaitent dans le cadre de son enseignement.

(*) Roland Erguy s’est malheureusement éteint le 14 janvier 2023. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

Dominique Cros : « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture »

Dominique dans son atelier d’artiste de la rue des Mariniers

Comme tous les artistes authentiques, Dominique Cros n’est jamais où on l’attend car elle ne trouve sa place nulle part. Sa vie est une remise en cause permanente et son parcours une quête perpétuelle d’autres mondes et d’autres réalités. Elle a pourtant connu la célébrité aux Etats-Unis au début des années 90 avec ses planches de dessins de tatouages et un grand succès en France au cours des années 2000-2010 avec sa peinture. Elle se verrait bien aujourd’hui créer et administrer une école ou un centre d’accueil dans un coin perdu de France. Pour l’heure, c’est toujours Paris qui est la source de son inspiration. Elle a bien voulu nous recevoir dans son atelier du 14ème arrondissement où elle a depuis peu élu domicile.

Pionnière du tatouage en France

Dominique Cros est une artiste autodidacte qui ne se souvient pas avoir jamais cessé de peindre : « J’ai peint depuis toute petite, toute gosse, et c’est toujours resté ». De l’école d’art de Cergy-Pontoise où elle passe deux ans après avoir obtenu son Bac ne lui restent que quelques notions sur l’utilisation des couleurs et quelques bases de psychologie et de communication. Mais l’approche très contemporaine de l’art qui est celle de l’école ne lui convient pas du tout. Dès l’âge de vingt-et-un an, elle préfère voler de ses propres ailes en filant avec son ami bassiste à New York où elle commence par réaliser des affiches et des logos pour les groupes de rock de Manhattan. A son retour en France un an plus tard, elle devient illustratrice de revues et de manuels scolaires pour les éditions Belin, puis peintre décoratrice pour les studios de télévision d’Antenne 2. « J’étais archi-timide à l’époque et j’ai voulu travailler dans la restauration pour me débloquer un peu. Au contact de mes clients étudiants, je me suis rendu compte que les études c’était pas mal. Alors j’ai passé un DUT de gestion. Je voulais comprendre ce qu’il se passait autour de moi car je planais complet. » Entre 1983 et 1986, Dominique est assistante de gestion chez Bull et profite de son temps libre pour dessiner. Elle se spécialise dans les planches de tatouages et acquiert une grande notoriété outre-Atlantique pour son travail qui sera primé plusieurs fois aux Etats-Unis : « J’étais super connue à l’époque et j’étais dans tous les magazines de tatouage internationaux au début des années 90 », se rappelle-t-elle. En France, c’est une pionnière dans ce domaine. Elle ouvre plusieurs studios de tatouage à Castelnaudary, la ville dont elle est originaire, ainsi qu’à Nîmes et à Marseille. Le 4ème RE, le régiment de formation de la Légion étrangère stationné à Castelnaudary, lui fournit une bonne partie de sa clientèle. Mais elle reçoit également la visite de personnes venues de tous les pays dont notamment des japonais qui ont vent de son savoir-faire. Elle aime ces rencontres avec des gens venus de tous les horizons qui lui racontent leur vie et lui ouvrent l’esprit. Elle aime également pratiquer cet art primitif qu’elle contribue à revaloriser et dont elle apprécie la difficulté puisqu’il s’agit de réaliser des dessins en trois dimensions sur des supports mouvants. Elle en fait son quotidien de 28 à 56 ans avant de décrocher complètement. « Au bout d’un moment, la boutique ça devient l’industrie. J’avais besoin de passer plus de temps avec chaque client. Et puis, on sature un peu car on fait tout pour les autres qui viennent avec leurs idées. On a envie de faire des trucs à soi, d’exprimer ce qu’on a dans la tête. » Elle prend donc progressivement du champ avec le monde du tatouage et se retire quelque temps à la campagne pour peindre les moulages de corps qu’elle a réalisés. Elle commence à se mettre sérieusement à la peinture au début des années 2000 tandis qu’elle tient « L’Ancre Bleue », une boutique de tatouage qu’elle a ouverte à Marseille. Elle prend l’habitude de se lever très  tôt le matin et de grignoter quelques heures sur ses heures de travail pour se consacrer à la peinture à l’huile qui a sa préférence depuis toujours. Elle commence par peindre des paysages en faisant une série de tableaux sur Marseille. Puis elle monte à Paris en 2009 bien décidée à ne plus faire les choses à moitié et à peindre à plein temps pour améliorer sa technique.

« Renaitre chaque jour », 2014

Des reflets qui offrent une image déformée de la réalité

En délaissant le tatouage pour la peinture, Dominique se sent enfin libre. Même si elle a connu la gloire en tant que dessinatrice de planches de tatouages, pour elle la peinture coule plus de source que le dessin. « Ce n’est pas la même approche, nous explique-t-elle. Parce que la peinture c’est des surfaces alors que le dessin c’est des contours. » C’est pour le tatouage qu’elle s’est mise à dessiner mais sa vocation profonde est celle de peintre, qu’elle va maintenant pouvoir exprimer à temps complet.  Elle emprunte les circuits classiques de la reconnaissance artistique en exposant notamment au Grand Palais au Salon des Artistes Français et en devenant sociétaire de la Société des Artistes Français. De nombreux prix lui sont attribués à l’occasion des différentes expositions auxquelles elle participe à Paris et en région parisienne. Elle expose également quelques années au « Marché de la Création Paris Montparnasse » qui se tient tous les dimanches de l’année boulevard Edgard Quinet. Le succès est au rendez-vous et Dominique peut facilement vivre de sa peinture. Certaines toiles marchent très bien notamment celles qui représentent des aéroports, des gares et certains quartiers de Paris car Dominique excelle à jouer des effets fugitifs de la lumière mis en exergue par de puissants contrejours. Le public est également particulièrement friand des reflets qui offrent une image déformée de la réalité. En poursuivant dans cette voie, elle aurait pu rapidement faire fortune. Mais refaire encore et toujours la même chose ne l’intéresse pas du tout. « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture, nous confie-t-elle. Je veux rester moi-même. » La vérité c’est qu’elle ne se sent pas très à l’aise et pas vraiment à sa place en compagnie de ses pairs qui l’ont pourtant distinguée à plusieurs reprises. Elle a envie de peindre mais différemment en exprimant ses idées et ses opinions propres tout en restant résolument attachée aux techniques traditionnelles de la peinture auxquelles les peintres contemporains ont justement tourné le dos. Vouloir faire des toiles hyper-contemporaines avec une technique hyperclassique fait d’elle une rebelle dans le petit monde de la peinture d’aujourd’hui. Elle considère que toute une technique ancestrale s’est aujourd’hui perdue, qu’elle n’a jamais pour sa part cessé d’appliquer. « Je me demande si je ne m’engage pas dans une voie de garage en soutenant ces idées car il faut vivre avec son temps ; la peinture c’est peut-être complètement dépassé », nous glisse-t-ellePas de quoi pourtant désespérer celle qui reste convaincue que les vraies choses perdureront toujours et qui n’a pas la peinture comme unique passion. Dominique se réjouit au contraire de vivre cette période d’incertitude : « On ne sait pas trop où on va et c’est ça qui est bien. »  L’aventure ne lui a jamais fait peur et elle compte bien explorer à l’avenir les nouveaux chemins artistiques et professionnels qu’elle aura elle-même choisis d’emprunter.

« La louve du Louvre », 97x162cm, huile sur toile

Cliquer ici pour accéder au blog de Dominique Cros et ici pour accéder à son site officiel. Cliquer ici pour sa collaboration avec Guillaume Chaumet.

Jean-Pierre Torlois : “Je ne me prends pas pour un artiste, j’aime faire des trucs !”

Jean-Pierre à la terrasse du “Laurier”

Frimer, ce n’est vraiment pas son truc. Jean-Pierre Torlois a beau être un artiste complet, auteur-compositeur-interprète d’un coté, artiste peintre de l’autre, il ne la ramène pas et déteste ceux qui la ramènent. Ne lui parlez pas d’humilité des grands, il vous répondra que lui-même n’a jamais voulu jouer dans la cour des grands. Chaque soir vers 19 heures 30, il quitte son appartement du 47 bis de la rue Bénard dans le 14ème arrondissement de Paris et traverse la Place Flora Tristan pour rejoindre son petit groupe d’amis au café-restaurant Le Laurier situé à l’angle de la rue Didot et de la rue Pernety. A soixante quinze ans bien sonnés, Jean-Pierre a toujours la banane même si quelques petits soucis de santé l’ont empêché ces dernières années de prendre la guitare pour continuer à animer et faire vivre ce Quartier Pernety qu’il aime tant. Portrait de l’artiste.

Bordeaux-Madrid-Paris, itinéraire du jazz à la chanson

Jean-Pierre Torlois est né en 1947 à Bordeaux dans une famille d’origine charentaise. Il ne garde pas de sa ville natale un souvenir impérissable et n’y est d’ailleurs plus retourné depuis la mort de ses parents. Mais c’est pendant sa jeunesse bordelaise qu’il attrape le virus de la musique. Vers l’âge de 15 ans, il commence par prendre des cours de guitare classique mais il rend rapidement fou son professeur qui parvient néanmoins à lui apprendre à lire la musique. Une fois ces bases acquises, Jean-Pierre décide de voler de ses propres ailes et c’est curieusement auprès d’amis pianistes qu’il apprend le jazz à la guitare. Il fera ses débuts de guitariste dans les clubs de jazz de Bordeaux dès l’âge de 17 ans où il joue également de la contrebasse malgré sa petite taille. A 23 ans, il rencontre sa future femme d’origine bretonne avec laquelle il part sur un coup de tête en vacances en Espagne. Ils n’en reviendront pas. Car, à Grenade, Jean-Pierre rencontre un chanteur madrilène qui connaissait un certain succès à l’époque et qu’il accompagne pendant six mois au Maroc. Puis c’est le retour à Madrid où il fera l’essentiel de sa carrière de musicien. En deux ans, Jean-Pierre apprend à parler, lire et écrire l’espagnol presque couramment. Il essaie tant bien que mal de vivre de ses talents de musicien tandis que sa femme donne des cours de français. L’Espagne de Franco fait la vie dure aux artistes libertaires de gauche que le couple côtoie au début des années 70. Jean-Pierre intègre un groupe de musique formé autour d’un très bon parolier qui deviendra plus tard journaliste à El País . “On avait les flics tout le temps derrière le cul quand on jouait quelque part”, se souvient-il. La mort de Franco survenue en 1975 marque le point de départ d’une période plus faste au plan financier : “On n’était plus interdit. J’avais travaillé avec pas mal de mecs et les maisons de disques voulaient leur faire faire des disques. C’était des mecs un peu connus. Et là c’était bien. J’ai gagné pas mal de fric”. De quoi vivre agréablement sous le soleil de Madrid pendant treize année au total. Au début des années 80, la femme de Jean-Pierre décide de revenir en France pour amorcer une reconversion professionnelle. Il la rejoint en 1984. Le retour au pays est très difficile car il a laissé tous ses amis dans la capitale espagnole. Le couple divorce et Jean-Pierre ne trouve plus en lui la motivation pour continuer à vivre de son art. “J’ai pris des boulots de merde. J’étais gardien d’immeuble de bureaux porte Maillot, ce qui m’a permis d’avoir beaucoup de temps libre. J’ai pu continuer la musique et composer. C’est le meilleur travail de composition de textes que j’ai fait. J’ai écrit une cinquantaine de chansons dont certaines sont vraiment bien, je le dis sans prétention. Certains de mes amis les reprennent et franchement je trouve ça très gratifiant. Mais je n’ai pas pris pour autant la grosse tête. Je ne me prends pas pour un artiste, j’aime juste faire des trucs.” C’est ainsi que sont nées des chansons comme Dans le fond de vos yeux, Alcool, Timide ou bien encore High Society, une violente charge anti-bourgeois que Jean-Pierre me fait écouter sur sa chaine personnelle dans son appartement de la rue Bénard.

 Une renaissance artistique dans le dessin et la peinture

Jean Pierre est l’auteur, le compositeur et l’interprète de ses chansons. Pour les composer à la guitare, il n’a pas vraiment de méthode. “Quand je compose, je commence par chercher des accords, des harmonies. Comme je viens du jazz, j’emploie de très bons accords. Puis c’est comme une improvisation. Je commence par chantonner, faire des accords cohérents, des “grilles d’accords” comme disent les jazzmen. Puis il y a une mélodie qui vient se greffer dessus. Je chantonne et c’est ainsi que j’arrive à construire une chanson. En général, j’écris le texte après mais il m’est arrivé d’écrire le texte d’abord quand j’ai une idée avec une bonne métrique parce qu’en musique il faut un rythme.” Malheureusement, depuis son accident vasculaire cérébral de 2013, Jean-Pierre a complètement cessé d’écrire des chansons. Il s’est replié sur la création picturale qui l’avait déjà happé quelques années auparavant et qui n’est pas selon lui sans analogie avec la composition musicale. “Dans la musique, il y a deux choses, nous explique-t-il. D’un côté, la mélodie qui est un thème instrumental ou chanté. De l’autre, l’harmonie qui correspond aux accords que l’on met dessus. De la même façon en peinture, il y a le dessin qui correspond à la mélodie et les couleurs qui correspondent à l’harmonie.” Le parallèle qu’il fait avec la musique explique sans doute pourquoi son dessin est si précis et les couleurs de ses toiles si expressives. Il revendique un “côté surréaliste” à sa peinture figurative qui puise notamment son inspiration dans le monde animalier. Ainsi il n’hésite pas à faire apparaître sur ses toiles des autruches, des cochons, un chameau, un loup ou même un pingouin en train de fumer un joint… Mais Jean-Pierre s’inspire également dans ses œuvres de l’univers du jazz qu’il connaît bien et a par ailleurs réalisé de nombreux portraits de femmes à partir de photos. Très méticuleux et précis dans son travail, il passe beaucoup de temps sur chacune de ses toiles dont le style de certaines font penser à Edward Hoper. Pour répondre à l’attente des curieux, il a déjà exposé de nombreuses fois dans le 14ème arrondissement de Paris notamment à l’espace SolarHôtel, au Laurier, au Saint Joseph et à L’Osmoz Café. Quand il ne dessine ni ne peint, Jean-Pierre aime se plonger dans la littérature contemporaine notamment américaine (Jim Harrisson) ou japonaise (Haruki Murakami). Et puis, il y a bien sûr les amis avec lesquels il passe beaucoup de temps au Laurier ou ailleurs dans le Quartier Pernety dont il est devenu malgré lui l’un des artistes les plus appréciés.  “Je ne me prends pas pour une vedette” insiste-il pour conclure notre entrevue. Comme s’il n’avait pas au fond bien conscience que “la modestie n’est bien souvent que l’art de se faire louer une seconde fois” (Jacques Dutronc) !

Lancer la vidéo ci-dessous pour un petit aperçu en musique de l’œuvre picturale de Jean-Pierre Torlois (tél. : 06.74.63.29.37).

Sou Abadi : « Je ne voulais pas faire un film politiquement correct »

Quand nous avons rencontré Sou Abadi en 2013 pour organiser des cours de français à destination de réfugiés politiques iraniens, nous ne nous doutions pas que nous verrions quatre ans plus tard son nom affiché un peu partout à Paris pour la promotion de son premier film Cherchez la femme sorti en juin 2017. Quelque peu intimidés par cette soudaine notoriété, nous n’avons pourtant pas hésité a perturber la réalisatrice franco-iranienne dans le travail d’écriture de son prochain film pour tenter de percer les secrets de son parcours et de sa réussite.  Sou nous a très gentiment consacré une heure de son précieux temps autour d’un thé au Laurier dans le 14ème arrondissement de Paris avant de se rendre à Hambourg pour une avant-première allemande de Cherchez la femme.

Du cinéma de quartier de Rasht  au montage de documentaires télé

Sou ne s’est jamais senti de vocation précoce de cinéaste. A Rasht, la ville du nord de l’Iran où elle passe son enfance sous l’étroit contrôle de ses parents, elle fréquente néanmoins assidûment le cinéma de son quartier dont le directeur arménien qui est un ami de son père assure une très riche programmation de films russes, américains et français. A douze ans, elle a le coup de foudre pour la version russe d’Hamlet réalisée par Grigori Kozintsev qu’elle visionne une trentaine de fois (!). Son père horticulteur est extrêmement cinéphile. Sa mère enseigne la littérature persane au collège. Elle a 10 ou 11 ans quand éclate la révolution iranienne avec son cortège de violations des droits de l’homme, d’arrestations arbitraires et de répression sur les femmes et les minorités. Le régime islamique impose les restrictions vestimentaires et l’éducation religieuse obligatoire. Toutes ces lois fondées sur l’interdit bercent son adolescence. A 15 ans elle quitte son pays pour s’installer en France. Bonne élève et curieuse de tout, elle s’intéresse surtout à la littérature et à l’histoire. Mais pas question pour elle d’emprunter la voie littéraire car ses parents soucieux de son avenir professionnel la poussent à entreprendre des études scientifiques. Elle décroche sans trop de difficultés une maitrise en sciences appliquées à l’industrie. Ce n’est qu’une fois son diplôme en poche qu’elle change d’orientation : elle s’intéresse à l’anthropologie et à l’ethnologie, aux films de Jean Rouch, le fondateur de l’anthropologie visuelle, qui l’amènent naturellement vers le cinéma. Elle débute ainsi sa vie professionnelle comme monteuse et réalisatrice de documentaires télé sans avoir jamais entrepris d’études de cinéma.

Un projet de film longuement mûri et jalousement préservé

Tout occupée au montage de ses documentaires télé, Sou n’en nourrit pas moins en parallèle son projet de film qui va lui demander trois années et demi de préparation avant la concrétisation du tournage. Le synopsis du film est écrit en 3 mois d’avril à juin 2012. Elle finalise la première version du scénario un an plus tard en juin 2013. Sou nous raconte avec humour ses premiers contacts avec les producteurs de télévision certes intéressés par son projet mais un peu trop frileux pour la laisser réaliser elle-même son film. « La télé, c’est très normatif et il n’était pas question que je vende mon idée pour laisser réaliser mon film par un autre », se souvient-elle. Alors elle prend contact avec différents producteurs de cinéma dont Michaël Gentile à qui elle envoie son scénario à la fin 2013. « Il a été immédiatement intéressé, réactif et concret ». Le producteur n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà produit douze autres films dont Papa Was Not a Rolling Stone de Sylvie Ohayon sorti en 2013, Lolo de Julie Delpy sorti en 2014 et Rosalie Blum de Julien Rappenneau sorti en 2015. Ce n’est pas non plus la première fois qu’il produit un premier film. Très emballé par le projet de Sou, il ne tergiverse pas longtemps avant de se rendre chez son agent pour donner son accord définitif et signer le contrat tant désiré.

Mahmoud et Armand(e)

Marier comédie burlesque et film politique

Pourtant, aborder sous l’angle de la comédie burlesque un sujet aussi dangereusement explosif que celui de l’intégrisme islamique est un pari risqué. Or, dans le scénario qu’elle soumet à son producteur, Sou assume complètement ce mélange des genres. Le synopsis du film annonce la couleur : « Armand et Leila, étudiants à Science Po, forment un jeune couple. Ils projettent de partir à New York faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais quand Mahmoud, le grand frère de Leila, revient d’un long séjour au Yémen qui l’a radicalement transformé, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand. Pour s’introduire chez Mahmoud et revoir Leila, Armand n’a pas le choix : il doit enfiler le voile intégral ! Le lendemain, une certaine Schéhérazade au visage voilé sonne à la porte de Leila, et elle ne va pas laisser Mahmoud indifférent… » C’est le début d’une longue série de quiproquos qui rythment le film jusqu’à son heureuse conclusion. Mais est-il seulement de nos jours loisible à un cinéaste d’associer rire et islam ? Sou est peu encline à pratiquer l’autocensure malgré les mises en garde. « Par les temps qui court, je ne travaillerais pas sur un projet comme ça ! », lui glisse une chef-décoratrice. « Personne ne voudra jouer dans votre film », lui assure un scénariste. Pas question pourtant qu’elle redessine ses personnages qu’elle trouve très bien caractérisés. « Je ne voulais pas faire un film politiquement correctA force de vouloir faire des films politiquement corrects, on n’a plus de propos », se défend-elle. Il faut assumer ce qu’on pense et en parler publiquement. Dans ce film, je me suis moqué de l’intégrisme, c’est vrai ! Mais je ne me suis jamais moqué de la religion. Si l’on ne peut pas se moquer de l’intégrisme, où va-t-on ? Il n’y a dans mon film aucune stigmatisation ni aucun amalgame. Il s’agit juste d’être clair avec soi-même et seuls les gens qui ne sont pas clairs avec eux-mêmes ont pu se sentir offusqués ou offensés ». Elle en veut pour preuve que les nombreuses personnes d’origine maghrébine qui ont assisté aux avant-premières du film organisées en province sont venus la féliciter à l’issue de la projection.

Un film finalement très bien accueilli par la critique et le public

L’impression ressentie lors des avant-premières françaises qui se sont tenues à Lyon, Macon, Toulon, Montpellier, Rennes, Lille, Strasbourg, Bordeaux et Valenciennes est une bonne annonciatrice de l’accueil très favorable réservé au film lors de sa sortie officielle en France : “Un regard burlesque sur l’islamisme radical” , selon Le Monde, “Un film jouissif et thérapeutique” selon Marianne, “Une fable drôle et insolente sur l’islam” pour Les Inrocks. Du Canard Enchainé à Marie-Claire en passant par Les Echos, France Inter ou BFM, le film est très largement plébiscité par la critique et il n’y a guère que Gala, Le Parisien et L’Humanité pour faire la fine bouche. Sou se prête volontiers au jeu de l’interview pour une journaliste du Figaro qui l’invite à décrypter son film politique. Télérama est franchement dithyrambique : “Sou Abadi assume fièrement des références ambitieuses comme Cyrano de Bergerac. Le rythme échevelé du cache-cache et de la course-poursuite burlesque évoque aussi le sommet de la comédie de travestissement, Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder.” Côté box-office, ce n’est pas mal non plus : 250.000 entrées à ce jour, un score très honorable pour un premier film diffusé au début de l’été et porté par des acteurs qui ne sont pas encore des grandes stars. Sou aurait pourtant aimé faire mieux et regrette que son film n’ait pas réussi à toucher le très grand public malgré la distribution qui en a été faite. Mais Cherchez la femme va bientôt sortir dans seize autres pays dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, ce qui n’est pas pour elle une mince consolation. “C’est un succès pour l’industrie cinématographique française et un des films français qui a été le plus acheté à l’étranger cette année”, nous confie-t-elle en savourant son thé vert. C’est également un passeport pour un deuxième film à venir sur l’écriture duquel elle travaille actuellement à plein temps.

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