Dominique Cros : « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture »

Dominique dans son atelier d’artiste de la rue des Mariniers

Comme tous les artistes authentiques, Dominique Cros n’est jamais où on l’attend car elle ne trouve sa place nulle part. Sa vie est une remise en cause permanente et son parcours une quête perpétuelle d’autres mondes et d’autres réalités. Elle a pourtant connu la célébrité aux Etats-Unis au début des années 90 avec ses planches de dessins de tatouages et un grand succès en France au cours des années 2000-2010 avec sa peinture. Elle se verrait bien aujourd’hui créer et administrer une école ou un centre d’accueil dans un coin perdu de France. Pour l’heure, c’est toujours Paris qui est la source de son inspiration. Elle a bien voulu nous recevoir dans son atelier du 14ème arrondissement où elle a depuis peu élu domicile.

Pionnière du tatouage en France

Dominique Cros est une artiste autodidacte qui ne se souvient pas avoir jamais cessé de peindre : « J’ai peint depuis toute petite, toute gosse, et c’est toujours resté ». De l’école d’art de Cergy-Pontoise où elle passe deux ans après avoir obtenu son Bac ne lui restent que quelques notions sur l’utilisation des couleurs et quelques bases de psychologie et de communication. Mais l’approche très contemporaine de l’art qui est celle de l’école ne lui convient pas du tout. Dès l’âge de vingt-et-un an, elle préfère voler de ses propres ailes en filant avec son ami bassiste à New York où elle commence par réaliser des affiches et des logos pour les groupes de rock de Manhattan. A son retour en France un an plus tard, elle devient illustratrice de revues et de manuels scolaires pour les éditions Belin, puis peintre décoratrice pour les studios de télévision d’Antenne 2. « J’étais archi-timide à l’époque et j’ai voulu travailler dans la restauration pour me débloquer un peu. Au contact de mes clients étudiants, je me suis rendu compte que les études c’était pas mal. Alors j’ai passé un DUT de gestion. Je voulais comprendre ce qu’il se passait autour de moi car je planais complet. » Entre 1983 et 1986, Dominique est assistante de gestion chez Bull et profite de son temps libre pour dessiner. Elle se spécialise dans les planches de tatouages et acquiert une grande notoriété outre-Atlantique pour son travail qui sera primé plusieurs fois aux Etats-Unis : « J’étais super connue à l’époque et j’étais dans tous les magazines de tatouage internationaux au début des années 90 », se rappelle-t-elle. En France, c’est une pionnière dans ce domaine. Elle ouvre plusieurs studios de tatouage à Castelnaudary, la ville dont elle est originaire, ainsi qu’à Nîmes et à Marseille. Le 4ème RE, le régiment de formation de la Légion étrangère stationné à Castelnaudary, lui fournit une bonne partie de sa clientèle. Mais elle reçoit également la visite de personnes venues de tous les pays dont notamment des japonais qui ont vent de son savoir-faire. Elle aime ces rencontres avec des gens venus de tous les horizons qui lui racontent leur vie et lui ouvrent l’esprit. Elle aime également pratiquer cet art primitif qu’elle contribue à revaloriser et dont elle apprécie la difficulté puisqu’il s’agit de réaliser des dessins en trois dimensions sur des supports mouvants. Elle en fait son quotidien de 28 à 56 ans avant de décrocher complètement. « Au bout d’un moment, la boutique ça devient l’industrie. J’avais besoin de passer plus de temps avec chaque client. Et puis, on sature un peu car on fait tout pour les autres qui viennent avec leurs idées. On a envie de faire des trucs à soi, d’exprimer ce qu’on a dans la tête. » Elle prend donc progressivement du champ avec le monde du tatouage et se retire quelque temps à la campagne pour peindre les moulages de corps qu’elle a réalisés. Elle commence à se mettre sérieusement à la peinture au début des années 2000 tandis qu’elle tient « L’Ancre Bleue », une boutique de tatouage qu’elle a ouverte à Marseille. Elle prend l’habitude de se lever très  tôt le matin et de grignoter quelques heures sur ses heures de travail pour se consacrer à la peinture à l’huile qui a sa préférence depuis toujours. Elle commence par peindre des paysages en faisant une série de tableaux sur Marseille. Puis elle monte à Paris en 2009 bien décidée à ne plus faire les choses à moitié et à peindre à plein temps pour améliorer sa technique.

« Renaitre chaque jour », 2014

Des reflets qui offrent une image déformée de la réalité

En délaissant le tatouage pour la peinture, Dominique se sent enfin libre. Même si elle a connu la gloire en tant que dessinatrice de planches de tatouages, pour elle la peinture coule plus de source que le dessin. « Ce n’est pas la même approche, nous explique-t-elle. Parce que la peinture c’est des surfaces alors que le dessin c’est des contours. » C’est pour le tatouage qu’elle s’est mise à dessiner mais sa vocation profonde est celle de peintre, qu’elle va maintenant pouvoir exprimer à temps complet.  Elle emprunte les circuits classiques de la reconnaissance artistique en exposant notamment au Grand Palais au Salon des Artistes Français et en devenant sociétaire de la Société des Artistes Français. De nombreux prix lui sont attribués à l’occasion des différentes expositions auxquelles elle participe à Paris et en région parisienne. Elle expose également quelques années au « Marché de la Création Paris Montparnasse » qui se tient tous les dimanches de l’année boulevard Edgard Quinet. Le succès est au rendez-vous et Dominique peut facilement vivre de sa peinture. Certaines toiles marchent très bien notamment celles qui représentent des aéroports, des gares et certains quartiers de Paris car Dominique excelle à jouer des effets fugitifs de la lumière mis en exergue par de puissants contrejours. Le public est également particulièrement friand des reflets qui offrent une image déformée de la réalité. En poursuivant dans cette voie, elle aurait pu rapidement faire fortune. Mais refaire encore et toujours la même chose ne l’intéresse pas du tout. « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture, nous confie-t-elle. Je veux rester moi-même. » La vérité c’est qu’elle ne se sent pas très à l’aise et pas vraiment à sa place en compagnie de ses pairs qui l’ont pourtant distinguée à plusieurs reprises. Elle a envie de peindre mais différemment en exprimant ses idées et ses opinions propres tout en restant résolument attachée aux techniques traditionnelles de la peinture auxquelles les peintres contemporains ont justement tourné le dos. Vouloir faire des toiles hyper-contemporaines avec une technique hyperclassique fait d’elle une rebelle dans le petit monde de la peinture d’aujourd’hui. Elle considère que toute une technique ancestrale s’est aujourd’hui perdue, qu’elle n’a jamais pour sa part cessé d’appliquer. « Je me demande si je ne m’engage pas dans une voie de garage en soutenant ces idées car il faut vivre avec son temps ; la peinture c’est peut-être complètement dépassé », nous glisse-t-ellePas de quoi pourtant désespérer celle qui reste convaincue que les vraies choses perdureront toujours et qui n’a pas la peinture comme unique passion. Dominique se réjouit au contraire de vivre cette période d’incertitude : « On ne sait pas trop où on va et c’est ça qui est bien. »  L’aventure ne lui a jamais fait peur et elle compte bien explorer à l’avenir les nouveaux chemins artistiques et professionnels qu’elle aura elle-même choisis d’emprunter.

« La louve du Louvre », 97x162cm, huile sur toile

Cliquer ici pour accéder au blog de Dominique Cros et ici pour accéder à son site officiel. Cliquer ici pour sa collaboration avec Guillaume Chaumet.

Jean-Pierre Torlois : “Je ne me prends pas pour un artiste, j’aime faire des trucs !”

Jean-Pierre à la terrasse du “Laurier”

Frimer, ce n’est vraiment pas son truc. Jean-Pierre Torlois a beau être un artiste complet, auteur-compositeur-interprète d’un coté, artiste peintre de l’autre, il ne la ramène pas et déteste ceux qui la ramènent. Ne lui parlez pas d’humilité des grands, il vous répondra que lui-même n’a jamais voulu jouer dans la cour des grands. Chaque soir vers 19 heures 30, il quitte son appartement du 47 bis de la rue Bénard dans le 14ème arrondissement de Paris et traverse la Place Flora Tristan pour rejoindre son petit groupe d’amis au café-restaurant Le Laurier situé à l’angle de la rue Didot et de la rue Pernety. A soixante quinze ans bien sonnés, Jean-Pierre a toujours la banane même si quelques petits soucis de santé l’ont empêché ces dernières années de prendre la guitare pour continuer à animer et faire vivre ce Quartier Pernety qu’il aime tant. Portrait de l’artiste.

Bordeaux-Madrid-Paris, itinéraire du jazz à la chanson

Jean-Pierre Torlois est né en 1947 à Bordeaux dans une famille d’origine charentaise. Il ne garde pas de sa ville natale un souvenir impérissable et n’y est d’ailleurs plus retourné depuis la mort de ses parents. Mais c’est pendant sa jeunesse bordelaise qu’il attrape le virus de la musique. Vers l’âge de 15 ans, il commence par prendre des cours de guitare classique mais il rend rapidement fou son professeur qui parvient néanmoins à lui apprendre à lire la musique. Une fois ces bases acquises, Jean-Pierre décide de voler de ses propres ailes et c’est curieusement auprès d’amis pianistes qu’il apprend le jazz à la guitare. Il fera ses débuts de guitariste dans les clubs de jazz de Bordeaux dès l’âge de 17 ans où il joue également de la contrebasse malgré sa petite taille. A 23 ans, il rencontre sa future femme d’origine bretonne avec laquelle il part sur un coup de tête en vacances en Espagne. Ils n’en reviendront pas. Car, à Grenade, Jean-Pierre rencontre un chanteur madrilène qui connaissait un certain succès à l’époque et qu’il accompagne pendant six mois au Maroc. Puis c’est le retour à Madrid où il fera l’essentiel de sa carrière de musicien. En deux ans, Jean-Pierre apprend à parler, lire et écrire l’espagnol presque couramment. Il essaie tant bien que mal de vivre de ses talents de musicien tandis que sa femme donne des cours de français. L’Espagne de Franco fait la vie dure aux artistes libertaires de gauche que le couple côtoie au début des années 70. Jean-Pierre intègre un groupe de musique formé autour d’un très bon parolier qui deviendra plus tard journaliste à El País . “On avait les flics tout le temps derrière le cul quand on jouait quelque part”, se souvient-il. La mort de Franco survenue en 1975 marque le point de départ d’une période plus faste au plan financier : “On n’était plus interdit. J’avais travaillé avec pas mal de mecs et les maisons de disques voulaient leur faire faire des disques. C’était des mecs un peu connus. Et là c’était bien. J’ai gagné pas mal de fric”. De quoi vivre agréablement sous le soleil de Madrid pendant treize année au total. Au début des années 80, la femme de Jean-Pierre décide de revenir en France pour amorcer une reconversion professionnelle. Il la rejoint en 1984. Le retour au pays est très difficile car il a laissé tous ses amis dans la capitale espagnole. Le couple divorce et Jean-Pierre ne trouve plus en lui la motivation pour continuer à vivre de son art. “J’ai pris des boulots de merde. J’étais gardien d’immeuble de bureaux porte Maillot, ce qui m’a permis d’avoir beaucoup de temps libre. J’ai pu continuer la musique et composer. C’est le meilleur travail de composition de textes que j’ai fait. J’ai écrit une cinquantaine de chansons dont certaines sont vraiment bien, je le dis sans prétention. Certains de mes amis les reprennent et franchement je trouve ça très gratifiant. Mais je n’ai pas pris pour autant la grosse tête. Je ne me prends pas pour un artiste, j’aime juste faire des trucs.” C’est ainsi que sont nées des chansons comme Dans le fond de vos yeux, Alcool, Timide ou bien encore High Society, une violente charge anti-bourgeois que Jean-Pierre me fait écouter sur sa chaine personnelle dans son appartement de la rue Bénard.

 Une renaissance artistique dans le dessin et la peinture

Jean Pierre est l’auteur, le compositeur et l’interprète de ses chansons. Pour les composer à la guitare, il n’a pas vraiment de méthode. “Quand je compose, je commence par chercher des accords, des harmonies. Comme je viens du jazz, j’emploie de très bons accords. Puis c’est comme une improvisation. Je commence par chantonner, faire des accords cohérents, des “grilles d’accords” comme disent les jazzmen. Puis il y a une mélodie qui vient se greffer dessus. Je chantonne et c’est ainsi que j’arrive à construire une chanson. En général, j’écris le texte après mais il m’est arrivé d’écrire le texte d’abord quand j’ai une idée avec une bonne métrique parce qu’en musique il faut un rythme.” Malheureusement, depuis son accident vasculaire cérébral de 2013, Jean-Pierre a complètement cessé d’écrire des chansons. Il s’est replié sur la création picturale qui l’avait déjà happé quelques années auparavant et qui n’est pas selon lui sans analogie avec la composition musicale. “Dans la musique, il y a deux choses, nous explique-t-il. D’un côté, la mélodie qui est un thème instrumental ou chanté. De l’autre, l’harmonie qui correspond aux accords que l’on met dessus. De la même façon en peinture, il y a le dessin qui correspond à la mélodie et les couleurs qui correspondent à l’harmonie.” Le parallèle qu’il fait avec la musique explique sans doute pourquoi son dessin est si précis et les couleurs de ses toiles si expressives. Il revendique un “côté surréaliste” à sa peinture figurative qui puise notamment son inspiration dans le monde animalier. Ainsi il n’hésite pas à faire apparaître sur ses toiles des autruches, des cochons, un chameau, un loup ou même un pingouin en train de fumer un joint… Mais Jean-Pierre s’inspire également dans ses œuvres de l’univers du jazz qu’il connaît bien et a par ailleurs réalisé de nombreux portraits de femmes à partir de photos. Très méticuleux et précis dans son travail, il passe beaucoup de temps sur chacune de ses toiles dont le style de certaines font penser à Edward Hoper. Pour répondre à l’attente des curieux, il a déjà exposé de nombreuses fois dans le 14ème arrondissement de Paris notamment à l’espace SolarHôtel, au Laurier, au Saint Joseph et à L’Osmoz Café. Quand il ne dessine ni ne peint, Jean-Pierre aime se plonger dans la littérature contemporaine notamment américaine (Jim Harrisson) ou japonaise (Haruki Murakami). Et puis, il y a bien sûr les amis avec lesquels il passe beaucoup de temps au Laurier ou ailleurs dans le Quartier Pernety dont il est devenu malgré lui l’un des artistes les plus appréciés.  “Je ne me prends pas pour une vedette” insiste-il pour conclure notre entrevue. Comme s’il n’avait pas au fond bien conscience que “la modestie n’est bien souvent que l’art de se faire louer une seconde fois” (Jacques Dutronc) !

Lancer la vidéo ci-dessous pour un petit aperçu en musique de l’œuvre picturale de Jean-Pierre Torlois (tél. : 06.74.63.29.37).

Sou Abadi : « Je ne voulais pas faire un film politiquement correct »

Quand nous avons rencontré Sou Abadi en 2013 pour organiser des cours de français à destination de réfugiés politiques iraniens, nous ne nous doutions pas que nous verrions quatre ans plus tard son nom affiché un peu partout à Paris pour la promotion de son premier film Cherchez la femme sorti en juin 2017. Quelque peu intimidés par cette soudaine notoriété, nous n’avons pourtant pas hésité a perturber la réalisatrice franco-iranienne dans le travail d’écriture de son prochain film pour tenter de percer les secrets de son parcours et de sa réussite.  Sou nous a très gentiment consacré une heure de son précieux temps autour d’un thé au Laurier dans le 14ème arrondissement de Paris avant de se rendre à Hambourg pour une avant-première allemande de Cherchez la femme.

Du cinéma de quartier de Rasht  au montage de documentaires télé

Sou ne s’est jamais senti de vocation précoce de cinéaste. A Rasht, la ville du nord de l’Iran où elle passe son enfance sous l’étroit contrôle de ses parents, elle fréquente néanmoins assidûment le cinéma de son quartier dont le directeur arménien qui est un ami de son père assure une très riche programmation de films russes, américains et français. A douze ans, elle a le coup de foudre pour la version russe d’Hamlet réalisée par Grigori Kozintsev qu’elle visionne une trentaine de fois (!). Son père horticulteur est extrêmement cinéphile. Sa mère enseigne la littérature persane au collège. Elle a 10 ou 11 ans quand éclate la révolution iranienne avec son cortège de violations des droits de l’homme, d’arrestations arbitraires et de répression sur les femmes et les minorités. Le régime islamique impose les restrictions vestimentaires et l’éducation religieuse obligatoire. Toutes ces lois fondées sur l’interdit bercent son adolescence. A 15 ans elle quitte son pays pour s’installer en France. Bonne élève et curieuse de tout, elle s’intéresse surtout à la littérature et à l’histoire. Mais pas question pour elle d’emprunter la voie littéraire car ses parents soucieux de son avenir professionnel la poussent à entreprendre des études scientifiques. Elle décroche sans trop de difficultés une maitrise en sciences appliquées à l’industrie. Ce n’est qu’une fois son diplôme en poche qu’elle change d’orientation : elle s’intéresse à l’anthropologie et à l’ethnologie, aux films de Jean Rouch, le fondateur de l’anthropologie visuelle, qui l’amènent naturellement vers le cinéma. Elle débute ainsi sa vie professionnelle comme monteuse et réalisatrice de documentaires télé sans avoir jamais entrepris d’études de cinéma.

Un projet de film longuement mûri et jalousement préservé

Tout occupée au montage de ses documentaires télé, Sou n’en nourrit pas moins en parallèle son projet de film qui va lui demander trois années et demi de préparation avant la concrétisation du tournage. Le synopsis du film est écrit en 3 mois d’avril à juin 2012. Elle finalise la première version du scénario un an plus tard en juin 2013. Sou nous raconte avec humour ses premiers contacts avec les producteurs de télévision certes intéressés par son projet mais un peu trop frileux pour la laisser réaliser elle-même son film. « La télé, c’est très normatif et il n’était pas question que je vende mon idée pour laisser réaliser mon film par un autre », se souvient-elle. Alors elle prend contact avec différents producteurs de cinéma dont Michaël Gentile à qui elle envoie son scénario à la fin 2013. « Il a été immédiatement intéressé, réactif et concret ». Le producteur n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà produit douze autres films dont Papa Was Not a Rolling Stone de Sylvie Ohayon sorti en 2013, Lolo de Julie Delpy sorti en 2014 et Rosalie Blum de Julien Rappenneau sorti en 2015. Ce n’est pas non plus la première fois qu’il produit un premier film. Très emballé par le projet de Sou, il ne tergiverse pas longtemps avant de se rendre chez son agent pour donner son accord définitif et signer le contrat tant désiré.

Mahmoud et Armand(e)

Marier comédie burlesque et film politique

Pourtant, aborder sous l’angle de la comédie burlesque un sujet aussi dangereusement explosif que celui de l’intégrisme islamique est un pari risqué. Or, dans le scénario qu’elle soumet à son producteur, Sou assume complètement ce mélange des genres. Le synopsis du film annonce la couleur : « Armand et Leila, étudiants à Science Po, forment un jeune couple. Ils projettent de partir à New York faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais quand Mahmoud, le grand frère de Leila, revient d’un long séjour au Yémen qui l’a radicalement transformé, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand. Pour s’introduire chez Mahmoud et revoir Leila, Armand n’a pas le choix : il doit enfiler le voile intégral ! Le lendemain, une certaine Schéhérazade au visage voilé sonne à la porte de Leila, et elle ne va pas laisser Mahmoud indifférent… » C’est le début d’une longue série de quiproquos qui rythment le film jusqu’à son heureuse conclusion. Mais est-il seulement de nos jours loisible à un cinéaste d’associer rire et islam ? Sou est peu encline à pratiquer l’autocensure malgré les mises en garde. « Par les temps qui court, je ne travaillerais pas sur un projet comme ça ! », lui glisse une chef-décoratrice. « Personne ne voudra jouer dans votre film », lui assure un scénariste. Pas question pourtant qu’elle redessine ses personnages qu’elle trouve très bien caractérisés. « Je ne voulais pas faire un film politiquement correctA force de vouloir faire des films politiquement corrects, on n’a plus de propos », se défend-elle. Il faut assumer ce qu’on pense et en parler publiquement. Dans ce film, je me suis moqué de l’intégrisme, c’est vrai ! Mais je ne me suis jamais moqué de la religion. Si l’on ne peut pas se moquer de l’intégrisme, où va-t-on ? Il n’y a dans mon film aucune stigmatisation ni aucun amalgame. Il s’agit juste d’être clair avec soi-même et seuls les gens qui ne sont pas clairs avec eux-mêmes ont pu se sentir offusqués ou offensés ». Elle en veut pour preuve que les nombreuses personnes d’origine maghrébine qui ont assisté aux avant-premières du film organisées en province sont venus la féliciter à l’issue de la projection.

Un film finalement très bien accueilli par la critique et le public

L’impression ressentie lors des avant-premières françaises qui se sont tenues à Lyon, Macon, Toulon, Montpellier, Rennes, Lille, Strasbourg, Bordeaux et Valenciennes est une bonne annonciatrice de l’accueil très favorable réservé au film lors de sa sortie officielle en France : “Un regard burlesque sur l’islamisme radical” , selon Le Monde, “Un film jouissif et thérapeutique” selon Marianne, “Une fable drôle et insolente sur l’islam” pour Les Inrocks. Du Canard Enchainé à Marie-Claire en passant par Les Echos, France Inter ou BFM, le film est très largement plébiscité par la critique et il n’y a guère que Gala, Le Parisien et L’Humanité pour faire la fine bouche. Sou se prête volontiers au jeu de l’interview pour une journaliste du Figaro qui l’invite à décrypter son film politique. Télérama est franchement dithyrambique : “Sou Abadi assume fièrement des références ambitieuses comme Cyrano de Bergerac. Le rythme échevelé du cache-cache et de la course-poursuite burlesque évoque aussi le sommet de la comédie de travestissement, Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder.” Côté box-office, ce n’est pas mal non plus : 250.000 entrées à ce jour, un score très honorable pour un premier film diffusé au début de l’été et porté par des acteurs qui ne sont pas encore des grandes stars. Sou aurait pourtant aimé faire mieux et regrette que son film n’ait pas réussi à toucher le très grand public malgré la distribution qui en a été faite. Mais Cherchez la femme va bientôt sortir dans seize autres pays dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, ce qui n’est pas pour elle une mince consolation. “C’est un succès pour l’industrie cinématographique française et un des films français qui a été le plus acheté à l’étranger cette année”, nous confie-t-elle en savourant son thé vert. C’est également un passeport pour un deuxième film à venir sur l’écriture duquel elle travaille actuellement à plein temps.

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