“Il faut être mort plusieurs fois dans sa vie pour faire positivement de l’art”. Aussi sublime soit l’oeuvre d’une peintre-sculptrice, c’est parfois une phrase prononcée par l’artiste qui, en entrant en résonance avec notre inconscient, suscite notre intérêt et se révèle être le sésame qui nous est offert pour tenter d’accéder à son monde intérieur. Anna Waisman ne précise pas combien de fois elle est morte avant de commencer à “faire positivement de l’art”, mais il ne fait aucun doute que son oeuvre survivra très longtemps à son décès survenu en 1995, grâce aux bons soins de ses ayants droit Samuel et Sibylle Blumenfeld qui nous ont permis de visiter son atelier de la rue du Château. Premières impressions de béotien.
Une artiste-née en quête de perfection
Notre visite a duré une heure trente et bien trop de choses nous ont été présentées pour qu’il soit même utile d’en réécouter l’enregistrement en vue de rédiger un article de grande vulgarisation très largement inspiré de Wikipédia. Nous sommes sortis “sonnés” de la rue du Château tant est riche et diverse l’oeuvre picturale et sculpturale d’Anna Waisman qui était assurément une très grande artiste. Peut-être la meilleure façon d’en avoir une première image globale est-elle de visiter le site internet que Sibylle Blumenfeld lui a consacré (cliquez ici). On y apprend qu’Anna Waisman était une artiste-née qui brûlait du feu artistique qui l’habitait et qui était à la constante recherche de la perfection. Née à Strasbourg en 1928, elle est une enfant de la guerre. Pourtant, très jeune, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle devient danseuse étoile à l’Opéra de Strasbourg, puis intègre la troupe des Ballets d’Amérique latine dont elle restera la vedette jusqu’à la fin des années 1950. Portée par son exigence de perfection, elle y épuise complètement ses forces. Après avoir modelé son corps sur la musique des grands compositeurs, elle se tourne alors vers une autre forme d’expression artistique et commence en 1958 à sculpter sur pierre en autodidacte et désormais mue par le désir de travailler sur sa propre musique. Sa première oeuvre réalisée sur un chantier ne laisse pas du tout indifférent Ossip Zadkine, qui est considéré comme l’un des plus grands maîtres de la sculpture cubiste. Ce dernier l’encourage donc à persévérer dans cette nouvelle voie et à chercher un atelier. Anna Waisman s’installe alors sur les berges de la Seine pour travailler les pierres du viaduc d’Auteuil en démolition. Sans instrument de travail, elle taille ces pierres en plein air et par tous les temps avec un tournevis et une paire de tenailles (!). Réalisées en taille directe, ses sculptures développent une esthétique néo-figurative où l’on reconnaît plusieurs figures de la Bible et d’autres inspirées de son vécu de danseuse.
Lettres hébraïques
Plus tard dans les années 1960, elle délaisse la sculpture pour un travail de recherche mnémonique sur papier, sur toile, et sur d’autres matières diverses comme le polystyrène. Elle réalise ainsi des centaines d’œuvres autour de la thématique commune « du point et du trait » en improvisant et en se laissant guider par son esprit. Peu à peu, le point, dans son travail, prend la forme d’une sphère et le trait devient parallélépipède rectangle, qui sont deux formes qui s’imposent respectivement comme le Yod et le Vav, deux lettres de l’alphabet hébraïque dont l’aspect est justement celui d’un point et d’un trait. Elle s’attaque aussi à la peinture, réalisant à partir de 1972 de grandes huiles sur papier cosmiques. À partir du début des années 1970, Anna Waisman reprend son travail de sculpture, cette fois exclusivement consacré à l’alphabet hébreu, et y retrouve enfin la troisième dimension et le mouvement, tant appréciés dans la danse. En réalisant les lettres hébraïques en trois dimensions – telles qu’elles étaient à l’origine sur les tables de la loi et taillées de surcroît dans le vide – elle tente de créer non pas un art cultuel juif, mais un art qui, par son apport symbolique, physique, cosmique et humain se veut universel. La rencontre de l’écrivain-philosophe juif André Neher et de son épouse, Renée Neher-Bernheim, est initiatique. Les sources juives, dont elle avait été tenue éloignée, refont surface. Au cours d’une correspondance qui durera pendant 25 ans (*), André Neher initie Anna Waisman aux symboles que la tradition juive attache à chacune de ces lettres, « matériau ayant servi au Créateur à construire le monde ». Avec son érudition, André Néher retrouve dans les sculptures d’Anna Waisman des significations qu’elle n’a mises à jour que par intuition, avec son approche directe par la forme.
(*) La correspondance qui court sur un quart de siècle entre Anna Waisman et André Neher a été publiée en mai 2023 dans un livre (notamment illustré par les photos de Daniel Chenot) qui a été le premier point d’orgue de l’opération orchestrée par Sibylle Blumenfeld visant à faire revivre et à faire connaître d’un plus vaste public la pensée et l’œuvre de l’artiste (cliquez ici).
Une habitante du 14ème arrondissement de Paris
Dans la dernière partie de sa carrière, dans les années 1980 et les années 1990 jusqu’à son décès en 1995, le travail d’Anna Waisman se développe également dans un mélange de deux et de trois dimensions, avec un travail de sculptures à l’aide de papiers déchirés, et de collages de microprocesseurs. Dans les déchirures de papier, l’artiste dégage une lettre hébraïque en la découpant ou en l’arrachant du papier tandis que le vide créé par la lettre en forme une autre. Elle se sert par ailleurs, de composants électroniques, de puces et de fils électriques pour les décortiquer et réaliser des collages. Tous ces éléments d’ordinateur ont leur message à faire passer car ils sont un véhicule de la pensée contemporaine, témoins, comme l’artiste, de leur temps. Sibylle Blumenfeld précise sur son site que “toutes les directions créatives en étoile de l’artiste Anna Waisman sont reliées à son cœur par un fil conducteur, l’énergie qu’elle laisse courir entre eux. Cette « énergie tangible et invisible » est une alchimie de la science, de la mystique, et du corps.” Anna Waisman meurt dans le 14ème arrondissement de Paris le 1er. Son atelier de la rue du Château n’est malheureusement pas ouvert au grand public. Ses dessins, huiles, sculptures répertoriés et préservés représentent actuellement des centaines d’œuvres qui sont valorisées par sa famille et qui ne manqueront pas d’alimenter de futures expositions. Nous remercions très sincèrement Sibylle et Samuel Blumenfeld ne nous avoir fait partager un très grand moment de culture en nous faisant visiter l’atelier d’Anna Waisman qui témoigne de l’immense richesse du patrimoine artistique du 14ème arrondissement de Paris.
Cliquez ici pour découvrir l’artiste Anna Waisman sur Instagram.
Il est toujours émouvant de constater que des paroles prononcées il y a des années trouvé un écho chez nos contemporains.
L’œuvre d’Anna Waisman est en effet toujours d’actualité. Comme elle le disait elle-même: “une œuvre qui ne sait pas vieillir, est une œuvre qui n’a jamais su vivre”
Voici un lien vers son portrait documentaire :
https://youtu.be/tGCBBwCGot8