Le 14ème après Elias

Pernety 14 s’associe à tous les Quatorziens qui ont présenté leurs plus sincères condoléances à la famille d’Elias, le jeune adolescent tué samedi 25 janvier près de la porte de Châtillon dans le 14ème arrondissement de Paris. Si le deuil sera sans doute sans fin pour la famille, le temps du diagnostic et de l’action est déjà revenu pour toutes celles et tous ceux qui se soucient de “vivre ensemble” dans notre arrondissement. Sylvie Boudoulec, porte-parole du collectif COQUA, est depuis des années en pointe pour dénoncer la dégradation des conditions de sécurité des habitants du Quartier Pernety-Plaisance qui nourrit le sentiment d’abandon et de déclassement des populations, notamment celles qui résident dans les cités HLM. Elle a bien voulu répondre à nos questions.

Le meurtre d’Elias, tué par deux adolescents qui voulaient lui extorquer son portable, a bouleversé la France, les Parisiens et les Quatorziens. Y aura-t-il, selon vous, un “avant Elias” et un “après Elias” dans le 14ème arrondissement de Paris ?

Je dirais plutôt que ce meurtre marque pour les Quatorziens le paroxysme d’une violence et d’un état d’insécurité dont nous avons pu constater la préoccupante évolution ces dernières années. S’agissant du seul Quartier Pernety, plusieurs tragiques événements se sont succédés ces derniers mois qui en attestent : la rixe avec machette de mai dernier au Moulin de la Vierge ; le poignardage au mois d’août d’un jeune homme qui a fort heureusement survécu à ses blessures ;  l’agression quelques jours plus tard au Moulin de la Vierge d’une vieille dame de 83 ans très violemment projetée par terre et délestée de ses bijoux ; l’agression au mois de septembre dans le hall de son immeuble du 81 rue Vercingétorix d’une habitante qui, par chance, a pu se défendre par elle-même. On n’en a pas parlé car il n’y a pas eu de morts. Elias n’a pour sa part malheureusement pas survécu à l’agression de ses assaillants qui ont opéré dans un endroit où sévissait une forme de racket et d’intrusion depuis plus d’un an, comme l’a reconnu Madame la Maire. Il a fallu attendre ce drame effroyable pour que les Quatorziens qui se préoccupent de leur sécurité puissent enfin se faire entendre. C’est en ce sens qu’il y aura en effet un “après Elias”. Mais nous nous berçons peut-être d’illusions puisque notre Maire a déclaré à la presse que “tout avait été fait pour assurer la sécurité dans le 14ème arrondissement”. Nous continuons néanmoins à croire que ce meurtre constituera l’électrochoc qui va créer une rupture dans les discours de la municipalité et dans les analyses empreintes d’angélisme et déconnectées de la réalité qui les sous-tendent.

Si COQUA a été pionnier dans le signalement des problèmes d’insécurité dans le Quartier Pernety-Plaisance, peut-on vraiment parler, comme le font beaucoup, d’un déni de réalité de la Mairie de Paris et de la Mairie du 14ème s’agissant de l’insécurité ?

Oui, très certainement. Depuis 2016, l’année de la création de COQUA, on nous serine cette idée que nous serions victimes d’un “sentiment d’insécurité”. Les événements récents, auxquels je voudrais adjoindre le saccage de l’Eglise Notre-Dame-du-Travail survenu en juillet dernier et qui reflète une autre forme de mal-être, nous donnent malheureusement raison. Je dis malheureusement, car l’objectif poursuivi par COQUA a toujours été de travailler au “vivre ensemble” en restaurant au quotidien les conditions de sécurité et de tranquillité des habitants du Quartier Pernety-Plaisance. De ce point de vue, même si notre diagnostic de départ s’est avéré exact, nous ne pouvons que constater notre échec. On ne peut même plus aujourd’hui parler de “vivre ensemble”, mais tout au plus de “mieux vivre ensemble”, voire même de “moins mal vivre ensemble”. COQUA a dans un premier temps pu être entendu par la Mairie centrale grâce au conseiller à la sécurité d’Anne Hidalgo avec lequel le collectif a travaillé sur le thème de la zone grise existant entre police municipale et police nationale. Mais ce bon contact a malheureusement été rompu après les élections municipales de 2020 à l’issue desquelles ont émergé dans notre arrondissement de nouveaux élus municipaux formant une équipe très resserrée autour de Madame la Maire Carine Petit et qui sont d’anciens militants associatifs qui n’ont aucune idée de ce que peuvent représenter les contraintes liées à l’administration d’une commune de 130.000 habitants. A partir de ce moment là, rien n’a pu venir contrarier un discours officiel lénifiant selon lequel l’équipe en place effectuait un travail formidable n’offrant aucune prise à la critique, fût-elle rationnelle et constructive… Nous déplorons également n’avoir plus aucune visibilité sur le contrat de prévention et de sécurité de l’arrondissement et d’avoir moins de contacts constructifs avec le commissariat de police dont le premier responsable ne reste que trois ans en poste, ce qui n’est sans doute pas suffisamment de temps pour apprendre à bien travailler avec les différentes parties prenantes dont la population du 14ème. Avec sa réélection comme principal objectif, la municipalité en place s’obstine à dire que tout va bien alors que la police nationale souffre toujours d’un manque de moyens (en équipage et en véhicules) sur le territoire de l’arrondissement et que la police municipale, toujours en nombre insuffisant, mal formée et non équipée, se retrouve bien souvent aux abonnés absents.

Un conseil d’arrondissement du 28 janvier 2025 un peu mouvementé

Quelles sont les pistes concrètes d’action envisagées par COQUA pour assurer une meilleure sécurité des Pernetiens et des Quatorziens et continuer à lutter contre la dégradation de leur qualité de vie ?

C’est une question très délicate car COQUA ne dispose d’aucun pouvoir de décision et n’a aucun réel levier pour vraiment améliorer la situation. Comme nous arrivons difficilement à nous faire entendre “en interne” au niveau municipal, nous tentons d’alerter “en externe” grâce à la presse ou en contactant directement la Préfecture de Police ou le commissariat pour que soient à nouveau réunis les groupements de proximité opérationnels (GPO) qui constituaient de très bonnes initiatives qui n’ont malheureusement eu aucune suite. Nous souhaiterions également que le Conseil de Quartier Pernety se saisisse, avec la même ténacité que nous, des véritables priorités des habitants du Quartier plutôt que se concentrer sur l’organisation d’évènements “festifs” qui sont souvent des flops retentissants, comme par exemple le coûteux festival Art of Game dont le bilan chiffré en termes de fréquentation a été très faible et dont on ne sait toujours pas combien de jeunes du Quartier il a pu mobiliser. L’on a quand même pu constater au Conseil de Quartier Pernety un léger progrès ces derniers temps : alors que l’obstruction municipale avait empêché la bonne tenue de la réunion plénière d’octobre 2022 sur le sujet de la sécurité, le nouveau conseil de quartier a mis à l’ordre du jour de la prochaine séance publique programmée en mars les thèmes que notre collectif porte depuis des années. Nous allons également à COQUA essayer de redéployer nos efforts en direction des associations de locataires de HLM que nous soutenons depuis longtemps. Leurs adhérents souffrent énormément et se replient donc sur eux-mêmes dans leur appartement en ne parvenant plus à s’intéresser à ce qu’il se passe à l’extérieur ou à ce qui relève de l’intérêt général des habitants. Leur faire retrouver un peu de moral est notre nouvel objectif pour 2025 !

Pour contacter et/ou rejoindre COQUA, vous pouvez envoyer un email à 75coqua14@gmail.com. Vous pouvez aussi vous connecter au compte X (ex-Twitter) du collectif : @Coqua14.

Des roses blanches en hommage à Elias (Collège Montaigne, Paris VIème).

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