Bernard Chaumeil nous tend enfin la perche

Silence, moteur, ça tourne… (Bernard en) Action !

Bernard Chaumeil est un Pernetien très dur à cuire. Il nous a fallu le cuisiner pendant des mois, pour ne pas dire des années, avant qu’il ne se décide à nous accorder une interview. Avec près de deux cent productions cinématographiques en tant que perchman à son actif, parmi lesquelles Cyrano de Bergerac, 1492 : Christophe ColombGreencard ou bien encore Jean de Florette et Tous les matins du monde, il a eu l’occasion de côtoyer tout au long de ses plus de 40 ans de carrière certains des plus grands réalisateurs et des meilleurs acteurs du petit monde très fermé du cinéma français et international. Rencontre autour d’un verre chez Jools.

Une vocation précoce et un talent vite repéré

Le perchman (perchiste en bon français) est, sur un tournage, l’assistant de l’ingénieur du son. Dans les industries du cinéma et de la télévision, c’est un membre clé de l’équipe de production audio car il est chargé d’assister sur le plateau le mixeur du son en manipulant les micros perches, en sélectionnant et en plaçant les micros radio et en entretenant l’équipement audio. Comment devient-on perchman ? Dans l’histoire de Bernard Chaumeil, il y a au départ un goût prononcé pour les technologies du son qu’il développe dès son adolescence en parallèle de ses études de maths et de physique. Débarqué à Paris en septembre 1968 à l’âge de vingt ans, il a le privilège de pouvoir intégrer l’école Louis-Lumière qui est un appréciable tremplin pour tous les professionnels du cinéma, de la photographie et du son. Il côtoie ensuite pendant son service militaire effectué en Iran dans le cadre de la coopération tout un groupe de personnes qui ont déjà un pied dans le cinéma. Bernard n’a pas encore à l’époque une idée très précise de l’orientation future de sa vie professionnelle et se destine vaguement à devenir technicien de l’ORTF. A son retour à Paris, il effectue des piges de reportages télé et participe à la réalisation de téléfilms et de feuilletons télévisés. Son talent particulier de perchman, qui est a l’époque primordial pour la production d’un son de bonne qualité, ne tarde pas à être repéré et l’amène à rencontrer Pierre Gamet qui, malgré son jeune âge, est déjà reconnu comme un ingénieur du son de très haut niveau. C’est le début d’un compagnonnage de quarante ans qui amènera les deux hommes à apporter leur pierre à la production de plus de cent films créés par nombre des plus importants réalisateurs français et internationaux.

En discussion avec Pierre Gamet, l’ingénieur du son aux 4 Césars, sur le tournage de “1492 : Christophe Colomb” de Ridley Scott.

Un métier extrêmement technique en voie de disparition

Le perchman est un acteur clé de l’équipe de production audio sur le tournage d’un film. Bernard, qui a appris son métier sur le tas, au fil du temps et très progressivement, a pleinement conscience de son caractère essentiel et très particulier de par la maîtrise technique, la dextérité, la réactivité et la précision qu’il requiert – ou plutôt qu’il requérait par le passé. “A l’époque de mes débuts, c’était vraiment le perchman qui faisait la différence car si ce dernier n’était pas bon, le son était exécrable, se rappelle-t-il. L’exigence constante de qualité interdisait qu’un micro puisse être à peine en place au moment d’une prise de vue, qu’on manque la moindre réplique ou qu’on rate le moindre mouvement. C’est pourquoi ce métier était à l’époque si compliqué et, de fait, assez contraignant pour certains autres acteurs du tournage, comme le photographe de plateau ou même le metteur en scène. Aujourd’hui, on a contourné ces difficultés en plaçant des micros HF (micros haute fréquence sans fil) sur les acteurs, mais le rendu sonore n’est bien évidemment pas le même.” Nous sentons Bernard un peu nostalgique d’un passé où il pouvait donner toute la mesure de son talent de perchman car ce métier de professionnel du son a sensiblement perdu de son lustre et tend aujourd’hui à disparaitre. “Pourtant, si les conditions sont excellentes, travailler avec un micro aérien, cela reste incomparable”, maintient-il mordicus en puriste de sa spécialité. Il nous explique comment la télévision a joué un grand rôle en tant qu’ennemi du son au cinéma et comment les métiers de perchman et d’ingénieur du son ont pu évoluer au fil des années au gré des évolutions technologiques mais également des desiderata des réalisateurs. Le binôme Gamet-Chaumeil parvient à très bien tirer son épingle du jeu au moment de la Nouvelle Vague qui renouvelle complètement les conventions du cinéma traditionnel. Les deux complices accompagnent les réalisateurs hors du studio pour continuer à faire du “son direct” (son pris sur le tournage) quelles que soient les conditions du tournage. Leur succès reconnu dans cette entreprise est le point de départ de leur notoriété professionnelle qui va déboucher sur une large demande de la part des réalisateurs français et étrangers.

Sur le tournage de “Détective” de Jean Luc Godard (à la caméra) avec Johnny Halliday et Nathalie Baye.

Truffaut, Godard, Resnais, Rappeneau, Corneau, Blier, Berri, Pialat, Costa-Gavras, Scott, Depardieu et les autres

Elle est longue la liste des grands cinéastes qui souhaitent bénéficier du savoir faire du duo Gamet-Chaumeil sur le tournage de leurs films. La mémoire de Bernard fourmille d’anecdotes les concernant. D’abord donc les figures de la Nouvelle Vague : François Truffaut bien sûr dont la femme de Bernard sera la secrétaire, mais également l’iconoclaste Jean-Luc Godard qui, sur le tournage de Détective, le poussait constamment dans ses retranchements en interrogeant sa façon de travailler pour l’obliger à la remettre en question. Puis tous les réalisateurs français qui, d’Alain Resnais à Jean-Paul Rappeneau en passant par Claude Berri, Bernard Blier, Alain Corneau ou Costa-Gavras, voulaient au contraire bénéficier de la garantie de qualité attachée à la bonne réputation du binôme. “Nous étions présents sur presque tous leurs films”, se rappelle Bernard. Le réalisateur britannique Ridley Scott vient également frapper à leur porte peu après le tournage de Cyrano de Bergerac qui met en scène Gérard Depardieu. 1492 : Christophe Colomb marque pour Bernard le passage à une autre dimension de la production cinématographique. “J’ai vraiment été impressionné par la débauche de moyens attachés à la production de ce film, se souvient le perchman français. Nous y sommes allés avec Pierre un peu léger avec un petit matériel et puis ça a finalement très bien fonctionné car nous avions une réactivité et une inventivité que n’avaient pas forcément tous nos collègues américains.” Mêmes impressions sur le tournage de Green Card tourné à New York avec des équipes américaines dans le cadre d’une nouvelle coproduction à laquelle Gérard Depardieu fait participer le duo Gamet-Chaumeil. Ce ne sont bien évidemment pas les seuls souvenirs de tournages à l’étranger. Bernard évoque aussi celui de Marcello Mastroianni en Italie et bien d’autres anecdotes encore qui sont toutes susceptibles de susciter l’intérêt des cinéphiles mais qui ne peuvent malheureusement pas être évoquées dans le cadre trop restreint de cet article de blog. Si Bernard Chaumeil décide un jour de publier un livre, nous voulons bien être son prête-plume… En attendant que n’aboutisse ce projet, nous pouvons tous le retrouver chaque premier mercredi du mois au ciné-club de Pernety dont il anime la séance à L’Entrepôt en veillant à nous faire profiter de son carnet d’adresses qui lui permet d’inviter les personnes les mieux placées pour faire partager sa passion du cinéma.

Sur le tournage de “Jean de Florette” de Claude Berri avec Emanuelle Béart et Daniel Auteuil (ici, le travelling “Manon, je t’aime d’amour“).

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