Mais qu’est-il donc arrivé à Béatrice Giudicelli bien connue des Quatorziens pour ses sympathiques portraits de personnalités marquantes du 14ème arrondissement de Paris ? Elle a publié en février de cette année Remous sous caillou, le récit d’un épisode maniaque intervenu quatre ans auparavant entre décembre 2019 et janvier 2020, juste avant le premier confinement. Elle s’y met courageusement à nu avec style et humour en contribuant à dédramatiser les troubles psychiques qui peuvent concerner tout un chacun à un moment donné de sa vie.
La drolatique narration de délires made in Paris 14ème
Un beau jour de décembre 2019, Béatrice Giudicelli acquiert l’intime conviction que notre monde, tel que nous le connaissons, ne représente qu’un monde parmi des milliards d’autres et, de fil en aiguille, finit par douter de sa propre existence. Le doute est le début de la sagesse, disait Aristote. Il est aussi le point de départ des Méditations métaphysiques de Descartes. Plutôt que de lâchement conclure “Je pense, donc je suis” et de passer à autre chose, Béatrice approfondit le cogito cartésien jusqu’à s’ouvrir les portes de la folie qui la fait percevoir les choses sous un oeil différent : “C’est ainsi que dans mon environnement, tout me semblait étrange, écrit-elle. Une rue ne m’apparaissait ni chaque fois la même, ni chaque fois une autre. Je ne parvenais plus à savoir si j’étais dans un rêve ou dans la réalité.” Au point qu’un jour, elle se retrouve comme par magie dans le jardin pourtant toujours fermé qui jouxte la Fondation Cartier. “Mais heureusement, hormis celle de mon goûter dans mon sac, pas de pomme à croquer à l’horizon pour aggraver encore le sort de l’humanité” (!). Le ton est donné. C’est sous l’angle de l’humour et de l’auto-dérision que Béatrice se refait le portrait en ne nous épargnant, pour notre plus grand plaisir, aucun détail de ses délires made in Paris 14ème. De la description des folles “machines maléfiques” qui l’entourent à l’évocation des “SMS détonants” qu’elle envoie à ses proches et amis en passant par les “bouffées d’érotisme” qui l’assaillent, la portraitiste favorite des Quatorziens nous raconte par le menu toutes ses pensées décalées qui l’ont parfois conduite à sortir du cadre social établi et tacitement accepté de tous. Il y a dans Remous sous caillou force anecdotes réjouissantes de scènes qui ont, selon le cas, fait rire ou grincer des dents à La Coupole, au Rostand, à La Closerie des Lilas ou bien encore sur le lieu de travail de notre héroïne malgré elle. Jusqu’au jour où, sur la demande de ses proches, une ambulance “Béatrice” (ça ne s’invente pas) la conduise au Pavillon Piera Aulagnier de Sainte Anne où sont hospitalisés en psychiatrie tous les habitants du 14ème arrondissement qui présentent des troubles mentaux.
La pin-up de Piera Aulagnier
C’est aux écrivains du 14ème arrondissement que revient l’insigne privilège de laisser une trace écrite de ce qu’il se passe à l’intérieur du club très fermé du Pavillon Piera Aulagnier. Béatrice Giudicelli nous décrit de manière touchante le petit monde de ses compagnons de souffrance psychique : le beau Romain, Justine l’avocate, Maxime le blagueur un peu lourdingue, Janine et son sac jaune Gibert, Françoise et ses ui, Malika la star du Pavillon, Bernard le Bourdon, Cynthia la brindille, Bogdan le ténébreux sont quelques uns de celles et ceux qui constituent la faune très disparate au milieu de laquelle elle va évoluer pendant six semaines en attendant de pouvoir redescendre sur terre en rompant avec la phase euphorique qui l’avait emportée vers les territoires de la “folie”. Son séjour à Sainte Anne fut entrecoupé de plusieurs stages à l’Unité de Stabilisation (UBS) du 26 boulevard Brune où les médecins-psychiatres s’obstinaient à la trouver trop “up”, c’est à dire en gros trop perchée (la phase “up” signifiant phase euphorique en langage psy). “Il faut dire qu’à l’USB, j’étais clairement la plus “up”, voire même, sans fausse modestie, la plus pin-up“, note avec beaucoup d’humour Béatrice qui finira par trouver la clef qui déverrouille la porte du Pavillon Piera Aulagnier, ce “cocon douillet où l’on se répare avec et grâce aux autres“, patients comme soignants. Remous sous caillou est une plongée fort intéressante dans l’univers de la psychiatrie qui appréhende courageusement et sans tabou aussi bien les symptômes des troubles psychiques que les difficultés et les contraintes rencontrées pour les surmonter. Le livre a déjà été au centre de plusieurs débats qui se sont tenus à l’occasion de dédicaces organisées par son autrice dans quelques librairies parisiennes et sur l’Adamant, le bateau-hôpital psychiatrique de jour amarré quai de la Rapée. Vous pouvez en acquérir un exemplaire en le commandant en librairie ou en passant à la librairie Au plaisir des yeux située au n° 120 de la rue Raymond Losserand. Vous pouvez également le commander directement à Béatrice (contact : beagiudicelli@yahoo.fr).
Remous sous caillou, Editions Voix Tissées (collection C’est-à-dire), 45 pages, 7 euros.