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Le kiosque-atelier de Sedigheh Fahrat

Sedigheh Farhat, fidèle au kiosque (photo YB)

J’la croise tous les matins, 7h40″, aurait pu chanter Johnny. Quels destins et quels talents se cachent derrière les vies en apparence les plus banales ? Chaque jour de la semaine aux alentours de 7h45, Sedigheh Fahrat rejoint son kiosque à journaux situé devant la station de métro Pernety. N’était-ce la curiosité de quelques Pernétiens initiés (*), nul ne se douterait qu’une artiste peintre de très grand talent se cache derrière la kiosquière d’origine iranienne. Nous l’avons rencontrée ce samedi matin pour découvrir son parcours et nous familiariser avec son oeuvre.

“Le meilleur kiosque de Paris”

Le c.v. de vingt pages de Sedigheh Fahrat que nous a communiqué une amie Pernetienne est agrémenté de nombreuses oeuvres représentant des paysages, des portraits, des natures mortes ou bien encore des chevaux qui révèlent une technique picturale accomplie. Nous nous arrêtons sur la première page sur laquelle figurent les informations clés relatives à notre artiste peintre. Sedigheh est kiosquière à Paris depuis aujourd’hui 18 ans. Elle  a exercé ses fonctions dans des kiosques à journaux à Saint-Lazare, à Saint-Germain-des-Près, place Clichy, au Champs de Mars avant d’arriver rue Pernety en 2021. “Le kiosque de la rue Pernety est entre tous celui que je préfère car j’y ai sans doute l’occasion de rencontrer et de sympathiser avec des gens dont le niveau intellectuel est un peu supérieur”, nous confie Sedigheh dont l’inextinguible goût des autres la pousse à exercer cette activité avec bonheur malgré son âge avancé. Elle est née en 1946 dans le nord de l’Iran et y développe dès l’âge de 14 ans une passion pour la peinture qu’elle pratique au quotidien. C’est donc tout naturellement qu’elle s’oriente dans son pays natal vers le métier d’enseignante en arts plastiques, tout d’abord dans une école primaire à Téhéran, puis, après avoir obtenu une licence universitaire dans cette matière, dans un collège, dans un lycée et finalement à la faculté des enseignants de la capitale iranienne. La révolution islamique interrompt cette très belle progression, qui la conduit à suivre son mari architecte en France où il est réfugié politique. Malgré une maîtrise d’Esthétique obtenue à la Sorbonne, trop d’obstacles empêcheront cette diplômée des Beaux Art de Paris d’exercer le métier d’enseignante en France. Sedigheh doit en effet d’abord s’occuper de sa famille de quatre enfants et perfectionner sa pratique de la langue française. Grâce à une amie, elle apprend à faire des crêpes et exerce pendant sept ans le métier de crêpière boulevard Sébastopol au centre de Paris avant de devenir kiosquière à journaux.

Portrait d’Abbas Moyaeri, huile sur toile (photo S. Fahrat)

Sur les traces d’Abbas Moyaeri

Mais les contraintes de sa vie mouvementée ne l’ont jamais éloignée de la peinture et, dès avant de se fixer définitivement dans notre pays, elle a l’occasion d’exposer en Iran (à l’Hôtel Continental de Téhéran en 1982) et en France (par exemples, au Grand Palais et au Musée de la Femme de Paris en 1972) lors de séjours qu’elle y effectue avec son mari. Les expositions s’enchaînent dans son nouveau pays d’adoption à partir de 1990 : à Paris bien sûr (à l’occasion de ventes aux enchères à la salle Drouot entre 1990 et 1993 et à la salle Bonhams Cornette de Saint-Cyr en 2010), mais aussi dans le Val-d’Oise à Herblay où elle réside et où elle collectionne les prix, de même qu’à Cergy, à Cormeilles-en-Parisis ou bien encore dans les Yvelines à Conflans-Sainte-Honorine. Le succès est au rendez-vous puisqu’elle réussit l’exploit de vendre près de 80 (!) de ses oeuvres lors d’une exposition organisée en 2015 à la Mairie du 7ème arrondissement de Paris. “C’est le fruit d’un travail que je poursuis depuis quarante ans en empruntant différents styles : impressionnisme, abstrait, figuratif, portrait, et en utilisant différentes techniques : aquarelle, pastel, huile, gouache, stylo à bille, nous précise l’artiste qui réalise également de la peinture sur porcelaine et de la sculpture à l’argile depuis deux ans. Sedigheh a eu le privilège de suivre pendant plus de cinq ans l’enseignement d’Abbas Moyaeri (**), le grand maître franco-iranien spécialiste des miniatures persanes qui a lui aussi longtemps hanté le Quartier Pernety non loin du kiosque à journaux puisqu’il résidait rue Losserand avant d’être emporté en 2020 par la pandémie de Covid. Elle a par ailleurs pu se voir enseigner la calligraphie par Abdollah Kiaïe, un autre très grand artiste graphiste et calligraphe d’origine iranienne dont nous venons de déplorer le décès en mai dernier. Ces deux illustres prédécesseurs continuent bien sûr à nourrir son inspiration pour réaliser les natures mortes, les paysages, les portraits et les nus qui constituent l’essentiel de son oeuvre. Mais Sedigheh la trouve également sur place dans son kiosque au cours des longues heures qu’elle y passe, en compulsant par exemple les principaux titres de la presse hippique qu’elle vend aux amateurs. Elle réalise justement actuellement une série sur les chevaux. Voyez plutôt ce qu’elle sait réaliser munie d’un seul stylo à bille BIC qu’elle vend un euro dans sa boutique ! Cela se passe juste de commentaires… Puissions-nous très bientôt admirer ses oeuvres dans le 14ème arrondissement de Paris !

Cheval attelé, stylo à bille noir sur feuille, 2022 (30 x 40 cm) (photo S. Fahrat)

(*) Lire notamment l’article d’Arnaud Boland dans La Page du 14ème daté d’Avril-Juin 2023.

(**) Ne manquez pas l’actuelle exposition organisée autour de l’oeuvre d’Abbas Moayeri jusqu’au 4 septembre 2023 au Sénat (flyer ci-dessous) !

Nous avons résolu l’énigme Miss Marple & Consorts

Catherine Desbordes à l’inauguration de Miss Marple & Consorts en 2017

Il n’y a vraiment pas de quoi être fier car il nous a suffi d’envoyer un courriel au siège de la brocante associative pour pouvoir convenir d’un rendez-vous avec Catherine Desbordes qui est la principale animatrice de la structure sise au 45 rue de la Sablière, tout près de la place Flora-Tristan. L’entrevue fut des plus agréables car Catherine fait partie de ces gens passionnés qui dégagent une énergie vitale qui vous pousse vers le haut. La passion comme moteur et comme carburant. Elémentaire, mon cher Watson !

Une vie au service de la musique classique

L’étincelle qui met le feu aux poudres de la passion musicale de Catherine Desbordes a lieu à Saint-Céré dans le Lot alors qu’elle a 14 ans. Elle et ses frères ainés tombent dans la marmite de la musique classique en assistant à un rassemblement choral qui les bouleverse complètement. Après avoir entendu le requiem de Brahms, ils se précipitent vers le président de l’association organisatrice et lui proposent de mettre toute l’énergie de leur jeunesse à son service. Catherine et ses deux frères commencent par s’occuper de la régie et de la logistique immobilière pour apprendre leur métier. En 1980, ils reprennent eux-mêmes les rênes du Centre Européen d’Echanges Musicaux avec l’idée de le transformer en une structure leur permettant de gagner leur vie tout en développant l’activité opéra. Ils travaillent cinq années, sept jours sur sept, avant de percevoir leur premier salaire. Alors que son frère Olivier qui est un artiste-né se consacre bientôt à la mise en scène d’opéras, Catherine s’occupe quant à elle de la production des spectacles musicaux en gérant toute la chaîne de leur fabrication. En 1993, elle opte pour une vie plus stable en travaillant au développement de l’ensemble baroque de Limoges sous l’impulsion de son chef Christophe Coin, avant de prendre en charge celui de la Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés (FEVIS) dirigée par Jacques Toubon. “Nous avons, avec Jacques Toubon, fait pendant dix ans un énorme et très efficace travail de lobbying pour que la sphère indépendante soit observée et considérée de la même manière que les orchestres permanents et les maisons d’opéras, témoigne Catherine. Alors que certains ensembles indépendants sont mieux ou très différemment lotis, historiquement et politiquement, nous nous sommes appliqués à les remettre à niveau et à rendre visible toute la sphère indépendante”. Catherine, qui a gardé intact l’enthousiasme de ses vingt ans, a des raisons d’être fière de son bilan. Combien de portes vers la musique classique et l’opéra les ensembles indépendants ont-ils en effet ouvert en ruralité ou dans les centres urbains de la banlieue parisienne, là où il ne se passe habituellement rien ou presque dans ce domaine particulier ? “Une levée de rideau avec 500 personnes qui vous disent merci les larmes aux yeux au mois de janvier au fin fond du Lot ou du Gers, ça vous donne des frissons et j’ai encore aujourd’hui les poils qui se dressent à l’évocation de ses souvenirs”, nous dit-elle.

Picture discs et affiches Rossignol

C’est pour rester en lien avec l’art vivant et pour faire profiter de son retour d’expérience de 45 ans de métier que Catherine et deux amis ont créé en 2017 l’association Miss Marple & Consorts qui accompagne et soutient les ensembles de musique indépendants dans la sphère classique. Le mentorat qu’exerce l’association a notamment été utile pendant le confinement de 2020 : “Quand vous avez plus de 40 ou 50 concerts annulés et que vous ne pouvez plus payer vos musiciens, vous êtes sujets à certains questionnements, notamment en termes de coûts et d’appréciations, pour lesquels nous pouvons par notre expérience apporter des éléments de réponse”, soutient Catherine. Nous restons dans tous les cas au service des indépendants et intermittents qui travaillent sur de beaux projets de musique classique.” La petite brocante du 45 rue de la Sablière atteste de cette présence et de ce soutien continus puisque tous les bénéfices des ventes financent (en partie) les missions de l’association. “Au moment de notre retraite, nous nous sommes demandés avec mes deux amis ce que nous pouvions faire pour ne pas mourir après de si passionnantes vies, et, puisque nous étions tous les trois très chineurs, nous avons décidé de monter cette petite brocante près de la place Flora-Tristan”, se souvient Catherine. C’est le bon plaisir de sa principale animatrice qui préside aux choix des objets proposés à la vente : “J’aime les choses anciennes et je me fais un plaisir personnel illimité”, assume-t-elle. On balaie un spectre qui va des années 1930 aux années 1960-70-80. Je m’amuse beaucoup à chiner et je me suis tout particulièrement prise de passion pour les picture discs qui datent pour certains du début des années 30 ainsi que pour les cartes scolaires réalisées dans les années 50-60 par les époux Rossignol pour faire évoluer par l’image l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Je les achète et je les donne à l’association.” Rien ne remplace bien sûr une visite à la brocante associative pour découvrir les autres trésors qu’elle recèle et qui font sa singularité : moulins à café et poivriers, produits publicitaires (buvards, thermomètres et chromos Liebig), terres cuites de l’Isle Adam, et bien sûr disques vinyles de musique classique. La brocante est aussi pour Catherine l’occasion d’assouvir son goût des autres et de créer du lien humain autour d’un café. Nous reconnaissons d’ailleurs “la parfaite détective à domicile” aux quelques questions qu’elle nous pose sur notre propre activité associative dans le 14ème… Autant tout cracher car rien ne saurait échapper à la sagacité de Miss Marple !

Cliquer ici pour accéder au site de Miss Marple & Consorts et ici pour sa page Facebook.

Balade street-art à Paris 14 : art urbain et mémoire des lieux

Double anamorphose en hommage à Coluche et sa femme Véronique par Zag et Sia

“Les lieux se souviennent des évènements”, notait James Joyce dans son roman Ulysse. Cette réflexion, qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd mais dans celle du Quatorzien Claude Degoutte, figure en exergue de son très beau livre intitulé Paris Street Art, la mémoire des lieux. Le “fotograff” y revisite le concept des oeuvres d’art in situ qui sont celles réalisées et produites pour un endroit spécifique en entrant en résonnance avec son histoire, sa mythologie ou son actualité. Claude a bien voulu décliner ce concept localement en nous offrant une balade street art in situ dans le 14ème arrondissement.

De Coluche à Miller, l’extraordinaire substrat artistique du 14ème

A tout seigneur tout honneur, notre balade s’ouvre, aux confins du 13ème arrondissement, par l’hommage à Coluche situé entre la rue Gazan où il résidait et la rue de l’Amiral Mouchez : le génial humoriste et sa femme Véronique y sont réunis dans une double anamorphose réalisée par Zag et Sia sur l’escalier d’une trentaine de marches de la rue Lemaignan. Un peu plus loin, nous traversons le parc Montsouris où fut tourné Cléo de 5 à 7, le célèbre film d’Agnès Varda qui habitait la rue Daguerre à deux pas de laquelle a été réalisée en son honneur une fresque poétique de 25 m. “On réfléchit à immortaliser le film par une plaque ou un pochoir sur une boite métallique du parc”, nous dit Claude. Sortis avenue René Coty, nous sommes soudain confrontés à une oeuvre de street art très originale signée Léonalix Maz représentant une vue aérienne du quartier Montsouris chargée en Lubrizo, principe actif perturbateur des lignes cartographiques. Remontant l’un des escaliers de l’avenue, nous traversons la rue des artistes et tombons rue de l’Aude sur une grande fresque réalisée sur le mur d’un bâtiment Emmaüs par Twopy, qui a fait des rats les principaux personnages de ses oeuvres après avoir séjourné aux Grands Voisins dans un atelier d’artiste qui était un ancien laboratoire où étaient étudiés nos amis “surmulots”. Poussant jusqu’à la villa Seurat, haut lieu artistique du 14ème et autrefois conçue comme une véritable cité d’artistes regroupant de nombreuses maisons ateliers, Claude évoque le souvenir d’une scène des Tontons flingueurs avec Lino Ventura qui pourrait elle aussi être immortalisée par une plaque. Le numéro 18 de la voie qui hébergea Henri Miller, l’auteur de Tropique du Cancer, mais également Chaïm Soutine et Antonin Artaud, marque très précisément le début de la démarche du fotograff se lançant dans le projet d’écrire un livre sur les oeuvres in situ : “J’ai proposé à David Singular Vintage qui avait réalisé un pochoir d’Arthur Miller, qu’il avait collé à Belleville où l’écrivain n’avait pas du tout ses habitudes, de venir le poser à l’endroit où Miller habitait. C’est le concept même de l’in situ que de donner un surcroit de sens aux oeuvres produites. L’idée a beaucoup plu à David qui l’a réutilisée pour Albert Camus dont il a posé un pochoir à l’hôtel du Poirier rue Ravignan où il a terminé d’écrire L’étranger ainsi que rue Réaumur où il travaillait pour Combat et au Théâtre Antoine où fut créée par lui la pièce Les Possédés adaptée du roman de Dostoïevski”

Pochoir d’Henry Miller par Singular Vintage posé en face du 18 Villa Seurat (Photo C. Degoutte)

Endroits mythiques de l’histoire de l’art

Les oeuvres de street art sont par trop disséminées dans notre arrondissement pour que l’on puisse organiser un véritable circuit de leur découverte comme, par exemple, à la Butte aux Cailles dans le 13ème arrondissement. Après avoir marché un moment, nous nous engageons dans la Petite Ceinture au niveau de la gare du Poinçon. La portion de 750 m de voie ferrée reste un repère important pour les graffeurs de l’arrondissement et réserve de jolies surprises tout le long de ses voies surélevées végétales. Arrivés rue Didot, nous nous arrêtons devant la fresque de Fred Calmets qui rend hommage au grand peintre chinois Zao Wou-Ki. “A son arrivée à Paris, Zao Wou-Ki installa son premier atelier rue du Moulin Vert, tout proche de celui de Giacometi, m’explique Claude. Puis il emménagea rue Jonquoy, tout près de la rue Didot où Fred Calmets a réalisé cette fresque de 4 m sur 9 m à l’initiative des habitants du quartier qui croisaient souvent le peintre dans la rue, sa blouse tachée de peinture et ses vielles baskets aux pieds”. Au niveau de la rue d’Alésia, nous nous arrêtons à l’endroit précis où Cartier-Bresson a pris en 1961 l’une de ses photos les plus célèbres montrant Giacometti traversant la rue sous la pluie, le col du manteau relevé sur la tête. C’est à cet endroit mythique que Jérôme Gulon a collé une mosaïque représentant un portrait d’Alberto Giacometti et assortie d’un clin d’oeil à cette fameuse photo.

La mosaïque de Jérôme Gulon malheureusement disparue (photo de 2011). La référence précise à la photo de Cartier Bresson est toute discrète, en bas à gauche, mais elle y est ! (Photo J. Gulon)

Plaques commémoratives et boîtes à musique

Le 54 de la rue du Château est un autre de ces endroits mythiques en ce qu’il fut il y a tout juste un siècle le rendez-vous de nombreux Surréalistes dont notamment Breton, Prévert et Tanguy. La plaque provisoire collée par les soins de Jean-François Caillarec a tenu deux semaines avant qu’elle ne soit décollée par un indélicat. L’avenir nous dira si ce beau projet de commémoration aura une suite grâce au concours de la Mairie du 14ème. Mais nous nous dirigeons pour l’heure vers l’impasse Florimont dont tous les Quatorziens ont au moins entendu parler parce qu’elle fut pendant plus de vingt ans le lieu de la résidence de Georges Brassens qui est peut-être la plus grande gloire de l’arrondissement. A son entrée, une immense photo de l’artiste déambulant dans l’impasse est sans doute le travail le plus intéressant réalisé par la Mairie du 14ème à l’initiative du Conseil de Quartier Pernety. A l’intérieur de l’impasse, plusieurs plaques commémoratives ont déjà été posées en l’honneur du géant de la chanson française, mais également une boîte à musique Brassens interprétant la chanson Les amoureux des bancs publics. Cette oeuvre originale in situ est celle de The Atomik Nation, deux musiciens qui réalisent pour le street-art des séries de boîtes à musique rendant hommage aux plus grands noms de la chanson française (Brassens, Gainsbourg, Piaf, etc.).

Pose de la boîte à musique Brassens, impasse Florimont.

Le 14ème, berceau de l’art urbain

Après être passés devant l’atelier de Giacometti qui fait l’angle des rues du Moulin Vert et Hyppolite Maindron, nous nous dirigeons pour terminer notre balade vers la rue des Thermopyles dont très peu savent qu’elle a été le berceau français de l’art urbain. “Bien avant la création du square Alberto Giacometti, cet endroit était une sorte de hangar tombé en ruines, nous précise Claude. La légende veut que c’est sur l’un de ses murs qu’a démarré l’art urbain en France en 1981 car c’est à cet endroit précis que le Quatorzien Blake le Rat a posé ses premiers pochoirs dont son livre témoigne. Un exemple bientôt suivi par d’autres, comme Jef Aérosol ou bien encore Miss. Tic”. Nous voici arrivés au terme de notre promenade street-art que nous vous invitons vous aussi à faire en vous laissant guider par le très beau livre de Claude Degoutte qui contient vingt pages sur le 14ème arrondissement et qui sortira en septembre 2023 dans toutes les bonnes librairies (déjà disponible sur le site de la FNAC).

Vient de sortir ! Le livre de Claude Degoutte : “Paris Street Art, la mémoire des lieux”. Cliquer ici pour un avant goût documenté avec des extraits, une bibliographie et 100 photos qui ne sont pas dans le livre.

Le Paris plus beau de Jean-François Caillarec

Jean-François posant la plaque du 54 rue du Château (photo C. Degoutte)

Il est de ceux qui transforment le plomb en or et qui veulent rendre la vie plus belle. Jean-François Caillarec, qui a déjà une centaine d’idées de plaques de rue à son actif, a sauté sur l’occasion qui s’offrait à lui de rendre hommage à une adresse mythique de l’histoire de l’art, le 54 de la rue du Château, pour exprimer tout son talent d’artiste urbain. Nous l’avons rencontré sur les lieux de sa dernière oeuvre et l’avons interrogé sur son parcours et ses projets artistiques.

Transformer le mobilier urbain en oeuvres d’art

Rien ne prédestinait Jean-François Caillarec, Breton de Paris depuis vingt-cinq ans, à devenir “décorateur d’extérieur”. Ce physicien de formation, qui travaille aujourd’hui dans le secteur médical, a certes toujours été traversé par quelques velléités artistiques. Mais à peine plus que tous ceux qui envisagent la vie de façon un peu plus créative que la préparation du prochain week-end. Le Quatorzien commence à peindre des tableaux sur le thème de Paris, particulièrement du métro parisien. Puis, il prend l’habitude de participer à Arts en balade, une manifestation de créateurs qui a lieu chaque année à la fin juin sur la Coulée Verte René Dumont dans le 12ème arrondissement de Paris. Encouragé par les organisateurs à tirer au maximum partie de l’espace naturel et verdoyant, Jean-François choisit en 2019 de réaliser une maquette de banc de jardin public peinte aux couleurs de l’arc-en-ciel qui rencontre un tel succès qu’elle fait partie des projets retenus puis votés dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris. “Cette réalisation m’a motivé pour la suite car nombreux sont ceux qui rêvent de créer des oeuvres dans l’espace public”, nous confie celui qui n’est devenu que sur le tard artiste urbain. Elle va de fait être le déclic et le point de départ de la réalisation d’autres “installations dans la rue” qui utilisent toutes sortes de mobilier urbain pour les transformer en oeuvres d’art. “Je fais néanmoins toujours en sorte d’utiliser du plastique et du carton pour que les services de la Ville de Paris puissent en faire ce qu’ils veulent”, tient à nous préciser notre gentil vandale. Et je signe systématiquement mes installations provisoires avec mon adresse Instagram pour permettre mon identification si nécessaire. Car j’assume absolument tous les risques liés à la production de mes oeuvres. Qu’est-ce qu’être artiste sinon accepter de prendre des risques ?”

Entouré pour la première fois d’un public fasciné… (Photo C. Degoutte)

Une centaine de plaques provisoires et trente (moins trois) plaques pérennes

Le confinement lié à la pandémie va stimuler la créativité de Jean-François. L’idée lui vient d’illustrer les plaques de rues parisiennes. “J’ai commencé à préparer mes plaques pendant le confinement et à les poser dès sa levée au mois de mai 2020, se rappelle le street-artist. Jean-François fait bien le distingo entre plaques “provisoires” et plaques “pérennes”. Les premières, dont il a produit une bonne centaine d’exemplaires, sont facilement décollables et sont de fait souvent enlevées pour finir par se retrouver dans le salon des amateurs. Elles consistent en des photos imprimées sur carton ou plastique qui sont ensuite collées sur les plaques de rue grâce à quatre points adhésifs. Les plaques pérennes sont quant à elles imprimées sur dibond et encollées fortement sur les plaques de rue originelles, de sorte qu’on ne peut en principe les retirer qu’au burin. “Toutes mes plaques provisoires ont vocation a devenir des plaques pérennes que je réalise pour qu’elles restent collées des dizaines d’années, assume Jean-François. J’en ai déjà posé une trentaine dont trois ont malgré tout été enlevées par les services de la Ville de Paris. Peut-être la difficulté rencontrée pour les enlever explique-t-elle en partie leur longévité.” De fait, ce sont les agents de la ville eux-mêmes qui aujourd’hui nettoient les plaques pérennes qu’il a posées et qu’il a pris soin de couvrir d’un vernis pour permettre leur entretien. C’est à coup sûr la reconnaissance inofficielle de projets qui n’ont pas tous loin de là fait l’objet des autorisations municipales ou administratives nécessaires, ce qui est tout à fait compréhensible au regard des délais d’obtention de ces autorisations. Si Jean-François a, par exemple, obtenu en 2021 l’accord de la Mairie du 12ème arrondissement par l’intermédiaire de sa Commission culturelle pour apposer trois plaques de rues rue Baudelaire à l’occasion du bicentenaire de la naissance du poète, jamais il n’a pu recevoir en temps et en heure l’aval de la Direction des Affaires Culturelles sur son projet. Ce qui s’appelle être complètement à côté de la plaque…

Montage photo C. Degoutte

Vulgarisateur de culture

Mais Jean-François n’entend pas désarmer et continue son combat pour l’embellissement de la capitale au sein du collectif ou en solo. Même s’il a finalement été recalé en 2022 au budget participatif de la Ville de Paris pour le projet qu’il portait (et qui fut un premier temps retenu) visant à l’apposition de plaques à la mémoire d’un autre illustre poète français rue Ronsard dans le 18ème arrondissement de Paris, notre indécrottable poseur de plaques continue à foisonner d’idées. D’où lui viennent-elles ? Ce sont souvent ses lubies personnelles qui lui font s’intéresser tantôt aux poètes tantôt aux peintres célèbres. Mais Jean-François est également soucieux de faire oeuvre utile : “Enormément de personnes ne savent pas qui est Delacroix ou même Michel-Ange, témoigne-t-il. C’est pourquoi j’ai été si heureux d’illustrer leur plaque de rue parisienne respective avec La Liberté en Marche et La Création du Monde. J’ai, autre exemple, illustré la rue de l’Observatoire avec la Voie Lactée. Parfois une photo parle beaucoup plus qu’un nom, et mes oeuvres permettent de facilement associer l’une à l’autre“. Claude Degoutte, qui est un autre fidèle arpenteur des rues parisiennes, lui fournit aujourd’hui de nombreuses autres idées de plaques illustrées en continuant à développer le concept des oeuvres in situ qui sont réalisées et produites pour un endroit spécifique en entrant en résonnance avec le lieu choisi, son histoire, sa mythologie ou son actualité. La première plaque de rue in situ réalisée par Jean-François est celle réalisée rue Valette qui évoque le célèbre film La Boum de Claude Pinoteau parce que Vic, l’héroïne du film interprétée par Sophie Marceau, habite au “6ème étage gauche” (sic) du 21 rue Valette qui ne compte en réalité que trois étages… Et c’est donc aujourd’hui le 54 de la rue du Château, une adresse mythique de l’histoire de l’art en ce qu’elle fut il y a un siècle le lieu de rencontres de nombreux Surréalistes dont notamment Breton, Prévert et Tanguy, que l’artiste urbain honore d’une nouvelle plaque de rue in situ. Si Jean-François a bien conscience que transformer la ville et contribuer à l’embellir se fait extrêmement lentement, il tient absolument à être de ceux qui y contribuent. “Faire partie de ce mouvement, même à une petite échelle, je trouve ça super bien”, nous dit-il. Pour que Paris chargée de vie et d’histoire reste à jamais la plus belle ville du Monde…

La plaque provisoire du 54 rue du Château (photo C. Degoutte)

Art-délinquance à Pernety : Que fait la police ?

Scandaleux ! (Photo C. Degoutte)

Samedi dernier 24 juin a marqué une nouvelle journée noire pour le Quartier Pernety dont nombre d’habitants se désolent de constater la dégradation continue de la qualité de vie. A son point excentré du 56 de la rue du Château qui est limitrophe du 15ème arrondissement de Paris, des vandales ont saccagé le somptueux mobilier urbain dont les services de la voirie parent nos rues. Pernety 14 a mené l’enquête.

Activistes “surréalistes” amateurs de “cadavres exquis”

Arrivé sur les lieux du forfait, notre envoyé spécial n’a pu que constater les dégâts : sur l’aile droite de l’ensemble immobilier du 23 place de Catalogne qui va du 10 rue Alain au 56 rue du Château, la très surréaliste plaque de rue indiquant la fin de la rue du château a été affublée d’une photo représentant quatre hurluberlus sévissant dans le Quartier il y a aujourd’hui un siècle : un certain Jacques Prévert, sa femme Simone et son frère Pierre entourent André Breton, ancien gourou d’une secte dite “surréaliste”. Autant dire des poètes… Une recherche sur internet (cliquez ici) nous apprend que ces zozos vivaient il y a cent ans avec leurs compagnes au 54 de la rue du Château qui était à l’origine “une toute petite bicoque de marchands de peau de lapin” transformée en une luxueuse maison par Marcel Duhamel, éditeur et futur créateur de La Série Noire. Dans Hebdromadaires (1972), le susnommé Jacques Prévert se souvient : “Breton disait de la rue du Château qu’il n’avait pas vu pareille atmosphère de liberté… Il y avait un peintre, Yves Tanguy qui n’avait jamais peint, un mécène, Marcel Duhamel, qui était alors directeur d’hôtel, et moi qui ne foutais rien.” On y trouvait “le véritable alambic de l’humour au sens surréaliste”, surenchérit le dit Breton dans ses Entretiens. De fait, le 54 de la rue du Château, qui est aujourd’hui un petit parking situé au-dessus des voies de la gare Montparnasse, était il y a un siècle “un atelier, un phalanstère, une maison ouverte à tous vents, aux artistes et aux chats”. Outre Breton et Prévert, Giacometti, Desnos, Queneau y passaient. Benjamin Peret, puis Aragon y vécurent. Beaucoup de réunions surréalistes s’y tinrent et c’est là que Prévert aurait donné au jeu des petits papiers le nom de “cadavre exquis”. Nous sursautons aux mots de “cadavres exquis”. Comment un cadavre pourrait-il être exquis ? Pourquoi diantre des activistes surréalistes auraient-ils voulu rendre hommage à des nécrophages ? Sans doute vaut-il mieux appeler la police… Oui, le recours à la maréchaussée est de toute force nécessaire. Car vraiment, quels exemples pour nos enfants que ces poètes bons à rien ? Imagine-t-on encore aujourd’hui nos chères petites têtes blondes réciter du Prévert quand elles ont bien mieux à faire avec leurs jeux vidéos ou leurs poupées LOL ? Fort heureusement, la plaque “provisoire” sauvagement apposée sur celle du 56 de la rue du Château pourra facilement être ôtée par les services de la municipalité. Nous rappelons quand même à ces vandales, surréalistes en peau de lapin, que la dégradation des mobiliers urbains est punissable de plusieurs sanctions. Dans le cas de dommages légers, le responsable du délit se doit de payer une amende de 5e classe et est passible d’une peine de travail d’intérêt commun. Dans le cas de dommage plus grave comme la destruction de biens immobiliers ou des tags, le fautif encourt une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement avec une amende de 30 000 euros. Cette sanction peut aller jusqu’à 75 000 euros d’amende et cinq ans de prison.

Une photo de la victime avant sa sauvage agression (Photo YB)

Le sort du Village Pernety suspendu au bon vouloir de la Mairie de Paris

Le désastre annoncé

Trois ans de travaux dans les rues Losserand et Niepce à même de complètement défigurer le Quartier Pernety et d’acculer à la faillite tous les commerçants environnants, est-ce seulement concevable ? C’est pourtant le projet annoncé par la RATP qui a aujourd’hui obtenu l’aval de la Mairie du 14ème arrondissement. Une résistance désespérée s’organise toutefois à Pernety Village sous la houlette de Dominique Mazuet, l’irréductible libraire du 63 de la rue Raymond Losserand, qui figure au premier rang des potentiels futurs sinistrés de ce gigantesque chantier dont le bien-fondé reste discutable.

Des palissades de deux mètres de hauteur ?

Les travaux qui n’en finissent pas de finir, c’est un peu le dada de la Mairie de Paris, comme tout le monde aura pu le remarquer depuis les deux mandatures d’Anne Hidalgo. Les Pernétiens, qui n’ont pourtant jamais rien demandé de plus que de vivre paisiblement dans leur Quartier, n’échapperont sans doute pas non plus à cette manne municipale. Il est en effet prévu qu’une véritable nouvelle “zone industrielle” vienne s’enkyster au coeur du Village Pernety pendant pas moins de trois ans (!). C’est la RATP qui, sous l’impérieux prétexte de la modernisation de la ligne 13 du métro, est à l’origine des nuisances programmées pour tous les habitants de notre Quartier et plus particulièrement pour les commerçants les plus directement concernés des rues Losserand et Niepce, qui sont bien sûr vent debout contre ce projet. “Ce chantier signe la disparition quasi-certaine des commerces les plus exposés dont les vitrines seront complètement masquées et qui ne pourront même plus du tout être livrés, ne décolère pas Dominique Mazuet dont les deux échoppes qui constituent la Librairie des Tropiques se font face rue Losserand. Le préjudice est pour nous énorme sans que nous ne puissions bénéficier d’aucune garantie d’indemnisation de la part de la RATP”. Les riverains s’inquiètent quant à eux du vacarme et des vibrations causés par les engins de chantier pendant trois longues années ainsi que de la pollution et de la poussière engendrées par les travaux et les ballets continuels de camions circulant pour évacuer la terre excavée. Le chantier est à coup sûr synonyme d’une très durable mise entre parenthèses de la vie de Quartier à Pernety dans la mesure ou des palissades de deux mètres de haut installées de chaque côté de la rue Losserand interdiront aux Pernetiens de se croiser sur les trottoirs transformés en zones de stockage du matériel de la RATP ou bien tout simplement de traverser la rue. Seul un étroit passage d’un mètre quarante rasant les vitrines des commerçants permettra la circulation des piétons le long du titanesque chantier dont les prémices ont d’ailleurs été posés puisque l’on a pu, pendant quelques mois déjà, buter sur les pieds en béton soutenant les palissades provisoires qui ont été installées rue Losserand en entravant considérablement le déplacement des poussettes des mères de famille et des personnes à mobilité réduite.

“Télé 14” toujours sur la brèche

Un argumentaire à géométrie variable

Et ceci n’est bien sûr pas le moindre des paradoxes pour un projet longtemps présenté par la très “inclusive” Mairie du 14ème comme destiné à faciliter l’accessibilité aux handicapés du métro de la ligne 13. De fait, pendant trois années de leur vie, les personnes à mobilité réduite ou difficile (personnes en fauteuil roulant, personnes âgées ou mal-voyantes marchant avec une canne ou un déambulateur) verront leur circulation considérablement gênée dans un Quartier très médicalisé qui abrite de nombreuses institutions spécialisées pour les personnes souffrant de handicaps dorénavant privées des courses qu’elles aiment tant faire dans le Village Pernety. Il n’est d’ailleurs plus question d'”accessibilité augmentée” depuis que la RATP a elle-même démenti qu’elle a jamais eu le projet d’installer une entrée avec ascenseur pour les handicapés. On ne parle plus aujourd’hui que de “sécurité augmentée” pour garantir les évacuations des voyageurs en cas d’incident ainsi que de “mise aux normes” et de “modernisation de l’infrastructure électrique de la station”. Mais en quoi la station de métro Pernety exigerait-elle plus que les autres stations de la ligne 13 une mise aux normes anticipée ? Ne serait-il de surcroît pas possible d’envisager de réhabiliter la station actuelle pour la rendre compatible avec les nouvelles normes sans nécessiter le pharaonique chantier prévu pour durer pendant trois interminables années ? Autant de questions auxquelles ni la RATP ni la Mairie du 14ème ne répondent clairement, qui essaient bien plutôt de se repasser tant bien que mal la patate chaude. Un adjoint de la Mairie n’a d’ailleurs pas caché son embarras devant une commerçante directement menacée de mettre la clé sous la porte en cas de validation finale du permis de construire et du projet de chantier par la Préfecture et la Mairie Centrale : la Mairie de Paris serait en effet déclarée responsable s’il survenait un quelconque problème de sécurité dans l’hypothèse où les travaux présentés comme “d’intérêt public” par la RATP seraient ajournés de son fait… Il n’en demeure pas moins que, s’ils sont finalement sacrifiés sur l’autel du principe de précaution, les habitants et les commerçants du Quartier Pernety auront vraiment bon dos !

Cliquer ici pour lire “la lettre ouverte à Mme Hidalgo” de Dominique Mazuet et visionner la vidéo pour le dossier très complet (et très à charge) de Dominique.

Dominique Massot : “On peut très vite se retrouver à la rue”

Dominique Massot en compagnie de Freddy Prudentos, Chef à La Mie de Pain (photo Colette Desage).

Il est membre du conseil d’administration et responsable des collectes alimentaires des Oeuvres de La Mie de Pain, l’association spécialisée dans l’aide d’urgence et la réinsertion sociale et professionnelle des personnes en difficultés. Le Quatorzien Dominique Massot nous a reçu dans son appartement de la rue Didot pour nous entretenir de son combat contre la précarité et l’exclusion au sein de sa structure caritative d’élection.

135 ans d’existence et des collectes alimentaires toujours en hausse

C’est au Lions Club que Dominique Massot s’est entiché de La Mie de Pain. L’ancien directeur commercial dont le leimotiv est la lutte contre la faim admet avoir craqué quand il a découvert la “population de misère” dont s’occupe l’organisation fondée il y a 135 ans dans le 13ème arrondissement de Paris par Paulin Enfert, un philanthrope catholique et personnage légendaire qui était également prestidigitateur à ses heures perdues. Le site internet de l’association (cliquer ici) retrace l’histoire de La Mie de Pain des origines du patronage Saint-Joseph de la Maison Blanche à nos jours. “De l’urgence à l’insertion”, tel est le slogan et également le programme de la structure caritative dont les activités sont centrées sur l’accueil (inconditionnel, anonyme et gratuit) et la mise à l’abri d’urgence des personnes les plus vulnérables, celles qui se trouvent exclues de la société. Ses missions et ses actions vont de l’aide alimentaire à l’insertion sociale et professionnelle en passant par l’hébergement d’urgence, le logement accompagné et en résidence sociale. Dominique s’occupe à titre bénévole tout particulièrement des collectes alimentaires depuis déjà une bonne douzaine d’années. Pour cet ancien spécialiste de la logistique qui a été pendant trente ans chargé d’organiser des transports terrestres, maritimes et aériens dans le monde entier, La Mie de Pain, c’est du gâteau ! Il n’en est pas moins très fier de son bilan : “Je me suis aperçu qu’au bout de dix ans j’avais collecté avec mon équipe l’équivalent de près de 350.000 repas, ce qui correspond à l’ensemble des repas que nous distribuons chaque année. Ca, c’est un chiffre qui me parle ! Et ce chiffre est en augmentation constante malgré les évènements de ces dernières années. Encore 35 tonnes en 2021, ce qui est un très bon résultat”, se félicite-il. L’essentiel de son travail consiste à trouver des bénévoles pour les collectes organisées dans la quinzaine de magasins dont il a la charge. “La bande à Massot” regroupe toutes celles et tous ceux qui recueillent les denrées dans les magasins ou bien les trient par catégories une fois acheminées par camion ou camionnette au siège de La Mie de Pain dans le 13ème arrondissement de Paris. Ce sont des copains dont il est allé tirer la sonnette et qui ont eux-mêmes dirigé vers lui d’autres personnes désireuses d’aider. “Tout se fait par le moyen du bouche à oreille et ça fait boule de neige car ceux qui sont venus une fois se prennent au jeu, témoigne Dominique. J’ai aujourd’hui 500 personnes qui sont inscrites sur la liste des volontaires de La Mie de Pain et que je peux contacter au moment d’organiser mes collectes. Cette liste regroupe toutes sortes de gens et des gens de plus en plus de jeunes, ce que je trouve personnellement très encourageant”.

Une structure diversifiée pour répondre à un éternel besoin de solidarité

La Mie de Pain s’est considérablement développée et a considérablement évolué depuis sa création il y a plus de cent ans, tout en restant fidèle aux préoccupations et aux valeurs de son fondateur Paulin Enfert : solidarité, non-discrimination, respect de la personne et engagement sur la durée. Sept structures situées dans différents arrondissements de Paris (principalement dans le 13ème, mais également dans le 15ème et le 5ème) répondent aujourd’hui aux besoins des personnes en situation d’exclusion : le Foyer de Jeunes Travailleurs, les Chantiers d’Insertion, l’Arche d’Avenirs, le Refuge, le Relais Social, le foyer pour femmes sans abri et la Villa de l’Aube. Toutes répondent à leur manière aux impératifs d’aide d’urgence et d’insertion des laissés pour compte de la société, et tout le monde quel que soit son âge est en réalité concerné. “Ca peut aller très vite la chute dans la rue, témoigne Dominique. Prenez l’exemple d’un couple avec enfants bien inséré. Quand le chef de famille perd son travail et donc ses revenus et que le loyer ne peut plus être payé, son couple éclate, il se fait virer de son logement et se retrouve quelques semaines plus tard sur le trottoir avec sa valise. Ca va très très vite, et nous accueillons régulièrement à La Mie de Pain des cadres qui ont tout perdu du jour au lendemain.” Le degré de civilisation d’une société se mesure à sa capacité à remettre sur pied ceux qui, à un moment donné de leur vie, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ont perdu l’équilibre. Et le personnel de La Mie de Pain travaille activement à faire évoluer le regard de la société sur les personnes exclues trop souvent victimes d’ostracisme. Celles qui sont actuellement aidées par l’association ont cinquante-trois ans de moyenne d’âge et peuvent être originaires de tous les pays (plus de quarante nationalités sont représentées). “Cela pourrait être vous ou moi, insiste Dominique. Les personnes migrantes venant de zones de conflits (les afghans, les syriens, les ukrainiens) sont-elles véritablement responsables de leur sort ? Notre accueil est de toute façon inconditionnel, c’est-à-dire sans distinction d’origine ou de confession, en plus d’être anonyme et gratuit. Nous remplissons en réalité le rôle de l’Etat qui nous subventionne quand même pour une bonne part”. Pour, vous aussi, aider La Mie de Pain à boucler son budget annuel de plusieurs millions d’euros, différents moyens sont à votre disposition : le don par courrier, le don en ligne, le soutien régulier par prélèvement automatique, le bénévolat (écrire à benevoles@miedepain.asso.fr) ou bien le legs. Les dons que vous adressez aux Oeuvres de la Mie de Pain sont déductibles à 75% de l’impôt sur le revenu en deçà d’un plafond qui évolue chaque année (à 66% au-delà de ce plafond).

Cliquer ici pour accéder au site de La Mie de Pain.

Le résultat d’une collecte à La Mie de Pain (photo Colette Desage).
Hall d’entrée du centre d’hébergement et d’insertion de la Mie de Pain (photo Colette Desage)

Marie Laure Fadier, un talent en trois dimensions

Marie Laure dans son atelier de la rue de l’Eure

Marie Laure Fadier est une artiste peintre résolument moderne et avant-gardiste. Rien ne lui fait vraiment froid aux yeux. Il y a quinze ans, après avoir tout perdu, elle décide de tout changer : de vie comme de sexe ! Elle travaille aujourd’hui à mettre en scène l’ensemble de son œuvre dans une recherche graphique en 3D qui n’exigera pas moins de deux ans de préparation. Nous l’avons rencontrée dans son atelier du Quartier Pernety dans le 14ème arrondissement de Paris où elle a élu domicile depuis plus de 40 ans.

Une vocation et un destin : les fabuleuses rencontres de Marie Laure Fadier

Marie Laure ne s’est jamais vraiment posé de questions sur sa vocation. Pour elle, peindre est une évidente nécessité. Elle commence par suivre les pas de son père architecte en s’inscrivant à l’école d’architecture où elle étudie l’histoire de l’art. Sortie de l’école à 23 ans où elle obtient son diplôme sur toile (une première déjà !), elle profite des dernières belles années de Montparnasse dans l’atelier familial de Notre Dame des Champs qui fait face à Seneliers, le célèbre magasin de dessin qui vend le matériel pour artistes. Elle va tous les matins prendre son petit déjeuner à “La Coupole” où elle croise Sartre et Ionesco. Déjà hantée par des questionnements personnels sur sa véritable identité sexuelle, elle cède pourtant aux conservatismes de l’époque et décide de se marier. Marie Laure raconte plus facilement sa vie que les différentes périodes qui ont jalonnées son évolution artistique. Elle est notamment intarissable sur les circonstances extraordinaires dans lesquelles elle a pu bénéficier de l’aide inattendue de personnalités du cinéma, du théâtre et de la politique pour dénicher ses différents ateliers. C’est en effet suite à une histoire rocambolesque que Jean-Pierre Léaud, une connaissance de l’époque, la guidera vers Jean Le Poulain qui lui proposera d’occuper un loft dans le 19ème arrondissement de Paris. Pour obtenir son atelier actuel, elle bénéficiera au hasard d’une rencontre dans un bouiboui chinois du 14ème de l’aide d’un autre protecteur des artistes, Yves Lancien, alors député-maire de l’arrondissement, qui considérait à juste titre que les artistes peintres en étaient l’âme et le patrimoine humain. “De la 3D sans informatique”

Des rencontres, Marie Laure en fait également beaucoup dans le cadre de son travail d’artiste. Son ambitieux projet défini il y a vingt ans, faire de la 3D sans informatique, l’amène à frapper à la porte du plus grand spécialiste français des nouvelles images, le Pr Niño de l’Ecole Normale Supérieure. “On peut le faire mais c’est très compliqué !” , la prévient-il. Il en faut beaucoup plus pour décourager Marie Laure. Pour lui permettre de continuer sa quête, le Pr Niño la met en relation avec Jean-François Colonna, mathématicien à l’école polytechnique dont un des aspects du travail de recherche consiste à mettre en image les équations de la physique mathématique. Marie Laure connaît bien l’école polytechnique car elle y a déjà organisé plusieurs années auparavant une rétrospective de 150 tableaux. Lorsqu’elle rencontre Colonna, elle est frappée par les similitudes existant entre les résultats de son travail obtenu par l’informatique et le sien propre. Elle convainc le directeur des sciences de l’UNESCO de monter une exposition commune, “Les journées mondiales de la science” qui ont lieu en 2004 autour de physiciens, d’astrophysiciens et de chercheurs de tout premier plan dont Hubert Reeves et Michel Cassé. Mais elle ne s’arrête pas en si bon chemin faute d’avoir trouvé de véritable réponse à son obsession : faire de la 3D sans informatique. Elle se plonge pendant un an et demi dans l’étude des techniques développées par les studios Disney pour créer des images en trois dimensions. Elle décortique les images créées par ordinateur et perce les mystères des autostéréogrammes et de l’anaglyphe (technique par laquelle on éprouve la sensation du relief en chaussant des lunettes de couleur). La démarche toute personnelle entreprise par Marie Laure, le regard parallèle qu’elle développe, vont jusqu’à susciter l’intérêt d’ophtalmologues de l’hôpital militaire du Val de Grâce qui, d’abord incrédules, sont tout à la fois convaincus et stupéfaits par la démonstration qu’elle réalise devant eux à l’atelier. « Vous avez exercé votre nerf optique et vos yeux comme un sportif de haut niveau entraine ses mollets », lui déclarent-ils estomaqués. Nouvelles orientations

Mais patatras ! Le monde s’effondre en 2008 non pas tant à cause de la crise financière que parce sa femme la quitte en emportant meubles et tableaux. Le divorce et la remise en question qui s’ensuit l’amènent à changer de vie et à prendre tous les risques. Marie Laure passe quelques années sans toucher à la peinture et revient au dessin. Elle fait le siège de la maison Canson pour obtenir d’elle la fabrication d’un papier déjà marouflé qu’elle utilise pour la production de ses oeuvres. Elle a recours à des substances qui stimulent sa créativité (hallucinogènes et autres “potions magiques”). Enfin, elle entreprend les démarches nécessaires pour changer de sexe, une opération aujourd’hui prise en charge en France à partir du moment où elle découle d’une décision mûrement réfléchie. Cette métamorphose qui n’a pas été sans susciter peurs et angoisses, Marie Laure la raconte dans un livre sur lequel elle va travailler pendant plus de six ans et qu’elle a aujourd’hui finalisé. Mais c’est la peinture qui reste pour elle la priorité. En attendant la réalisation d’un film d’animation de dix épisodes qui mettra en scène son œuvre picturale (un chantier de deux ans de travail !), elle a décidé de produire avec un ami cinéaste un petit un court-métrage de 8 à 10 minutes qu’ils envisagent de présenter au festival d’Annecy. Autant de projets qui rythment sa nouvelle vie alors qu’elle a amorcé un retour en force à la peinture à l’huile, une peinture devenue plus graphique après quelques années consacrées au dessin et qui puise son inspiration aussi bien dans un imaginaire fantasmagorique personnel que dans la géométrie fractale. Marie Laure Fadier est aujourd’hui une femme et une artiste épanouie qui n’a décidément pas fini d’entreprendre et de nous étonner !

Une grande partie de l’œuvre de Marie Laure Fadier est visible sur internet sur le site www.marielaurefadier.com.

Conseil de Quartier Pernety : la chienlit jusqu’à quand ?

Cela fait aujourd’hui quatre ans que le plus grand désordre règne au sein du Conseil de Quartier Pernety sans qu’aucune issue positive et constructive ne soit en vue. Quelle est donc la malédiction qui touche cette instance participative d’expression, de co-construction, de proposition et d’initiative, conçue au service des habitants et des acteurs de notre bien-aimé Village Pernetix ?

Une ambiance toujours délétère

On avait pu espérer qu’un vent d’air frais allait souffler sur le Conseil de Quartier Pernety avec l’arrivée en septembre dernier de nouveaux volontaires au Comité d’Animation dont nous sentions tous qu’ils étaient capables et susceptibles de donner un nouvel élan à la très poussiéreuse et très ronronnante structure municipale (cliquez ici). Patatras ! En fait d’habits neufs, ce sont des habits de clown qu’a revêtus le Conseil de Quartier Pernety en cette fin d’année 2022 : nouvelles démissions, demandes d’exclusion en rafale, membres du Comité d’Animation ostracisés, listes de votants trafiquées, bagarres en réunion plénière, comptes-rendus de réunions rendus illisibles par leur interminable longueur, projets abandonnés, etc., la liste des dysfonctionnements qui minent le Conseil de Quartier n’en finit pas de nourrir les quolibets des Pernetiens qui daignent encore s’intéresser à la vie citoyenne. Il s’agit pourtant à la marge de l’utilisation de l’argent des contribuables ! Mais quel mauvais génie hante donc cette émanation de la Mairie du 14ème arrondissement, dont l’activité principale serait de glisser des peaux de banane sous les pieds de celles et de ceux qui veulent sincèrement faire avancer leur Quartier en portant de beaux projets comme celui de la pose d’une plaque mémorielle au 54 de la rue du Château (une adresse mythique de l’histoire de l’art en ce qu’elle a été le rendez-vous il y a tout juste un siècle de très nombreux artistes surréalistes dont notamment Prévert, Breton, Desnos et Tanguy) ? L’enquête du Service de Démocratie Locale piétine, les toutous aboient et la caravane passe. Tout va très bien, Madame la Marquise ! Les griefs de celles et ceux qui auraient souhaité ces dernières années mieux travailler avec le Conseil de Quartier comptent pour du beurre (cliquez ici) et les très récentes contestations concernant les “fraudes” qui auraient affecté la sincérité des votes réalisés lors de la dernière réunion plénière de décembre ne peuvent sans doute émaner que d’un cerveau malade…  “L’ambiance est délétère”, a commenté Mme la Maire Carine Petit alors qu’elle assistait à la réunion plénière d’octobre 2022 à l’occasion de laquelle certains participants en sont presque venus aux mains sous le regard médusé des policiers municipaux venus participer à la discussion organisée sur le thème de la sécurité. Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?

Qui sera le prochain cadavre exquis du Conseil de Quartier Pernety ?

Humilité et respect demandés

Piloter un Conseil de Quartier demande certes des qualités intellectuelles, mais également des qualités humaines et morales. Il ne faut bien sûr pas être naïf ou faire semblant d’ignorer que se jouent au sein de cette instance citoyenne (qui n’est pour beaucoup qu’un marchepied politique) des stratégies personnelles non-avouées. Mais l’agenda politique caché de tel ou tel doit-il être le prétexte de toutes les manoeuvres frauduleuses ou de déstabilisation du rival supposé ? Le jeu démocratique exige le respect des règles et de l’adversaire qui ne doit pas être traité avec brutalité, déloyauté, condescendance ou mépris, mais bien plutôt avec tact, compréhension et équité. Sans quoi ce jeu démocratique dégénère immanquablement en un très stérile obstructionnisme procédurier dans le tapis duquel les plus aguerris à la ruse et aux calculs politiques finissent par se prendre les pieds, comme vient de le démontrer le dernier scandale en date du Conseil de Quartier Pernety. On devrait pourtant pouvoir faire avancer son Quartier en portant de beaux projets pour le collectif sans systématiquement susciter la défiance des uns et des autres. A quoi cela sert-il de toujours vouloir jouer perso et/ou de s’enfermer dans l’opposition systématique ? Construisons plutôt – sans tacler au passage ceux qui sont plus capables ou plus brillants ou qui ont à l’occasion de meilleures idées que nous-mêmes ! Cela impose de surmonter son égo, d’accepter de ranger la jalousie au rayon des accessoires inutiles et de faire preuve d’humilité. On ne peut pas tout savoir sur tout, avoir toutes les qualités et toutes les compétences, et on a nécessairement besoin des autres pour faire avancer le Bien commun. Noël est une période propice aux belles paroles, espérons que celles-ci seront suivies d’effets lors des prochaines réunions du Conseil de Quartier Pernety. Nous sommes pour notre part définitivement persuadés que le Père Noël n’est pas une ordure !

Le ciel est tombé sur la tête du Père Noël !

Les 40 ans de vraie vie de Château de Daniel Chenot, photographe

Au café Le Cadran (photo Daniel Chenot)

Ancien pilier du Quartier Pernety, Daniel Chenot en a conservé par devers lui l’âme en plus de la mémoire. Il a habité à Pernety dès ses plus jeunes années et a eu pendant 40 ans son atelier de photographe-illustrateur-publicitaire au 130 de la rue du Château. Avec le soutien de Dominique Mazuet qui dirige La Librairie des Tropiques, il a publié en 2014 un beau livre de photographies intitulé rue du Château qui est un témoignage de la rénovation immobilière opérée dans notre Quartier au début des années 80 et qui finira par le contraindre à quitter son atelier. Il écrit dans la préface de son livre : “Dès mon arrivée dans ce petit coin retiré du XIVème, je fus touché par la chaleur humaine de mes nouveaux voisins : une petite communauté vivant dans la cour du 130 grâce à des loyers modérés. Je me souviendrai toujours de leur gentillesse et de leur intérêt à mon égard”. Faut-il croire aux forces de l’esprit pour prétendre que rien n’a changé ?

Les “règles du Quartier”

Cela fait aujourd’hui dix ans que Daniel Chenot a laissé son atelier derrière lui, le 130 de la rue du Château laissant la place à un énigmatique 130 bis. Mais la nostalgie des habitants du Quartier semble toujours habiter le photographe alors que nous nous escrimons à l’interroger sur son métier de créateur et d’artiste du 14ème: “La vraie création, ça reste quand même les gens qui font partie du Quartier”, nous recadre-t-il gentiment dès le début de notre interview. Elle naît des relations nouées entre les différentes personnalités de chacun”. D’ailleurs, le premier chapitre de rue du Château se passe au bistrot Le Cadran, l’ancien nom des Tontons qui fait l’angle de la rue du Château et de la rue Raymond Losserand. “La nostalgie est derrière le comptoir”, nous certifient dans un autre beau livre de photos Pierre Josse et Bernard Pouchèle (*). Et effectivement, les souvenirs du Cadran se bousculent dans la tête de Daniel : “Ce café était un point de rencontre très important du Quartier, se rappelle-t-il. Il servait aussi de distributeur de billets à une époque où il n’y avait pas encore de carte bleue, car c’est Nono, la gérante et propriétaire, qui bien souvent nous prêtait de l’argent pour le week-end. Nous avions également pour règles du Quartier de ne jamais payer notre café car nous étions toujours invités par une personne qui se trouvait au bar et c’était à chacun son tour sa tournée. Il y avait pas mal de gens qui venaient de très loin pour venir prendre leur café à cet endroit”. Daniel se souvient qu’à son époque tout le monde se saluait en se souhaitant le bonjour dans l’artère du Village Pernety où il avait son atelier. Avant la rénovation urbaine qui a en réalité été entamée dès les années soixante, la rue du Château abritait des imprimeurs, des photographes, bon nombre d’artistes désargentés, et même un théâtre comme en témoigne le livre de photos du vétéran du Quartier. Seules quelques petites maisons  – dont l’atelier d’Anna Waisman – ont survécu. “Adieu, charmantes courettes jouxtant ces petites maisons simples de deux étages au plus, et qui faisaient la magie de ce coin de Paris populaire !”, écrit Daniel en préface de rue du Château. Un coin de Paris populaire qui vaut bien toutes les vies de château…

Les habitués du Cadran et le flipper des années 80 (photo Daniel Chenot)

De la rue Vercingétorix à la rue du Château

Oui, rue du Château est un livre nostalgique, et alors ? Daniel Chenot est profondément humaniste et assume totalement son amour du Village Pernety et son attachement à tous les souvenirs qui continuent à le relier à lui. Il nous raconte comment, quelque temps après sa rencontre avec Robert Doisneau qui lui permet en 1964 de devenir reporter-photographe pour l’agence de communication Synergie, il est hébergé dans l’ancien atelier de Gauguin du 6 rue Vercingétorix par Pierre Jamet, un ami qui en plus d’être photographe est également chanteur puisqu’il est l’un des membres du groupe vocal Les Quatre Barbus très en vogue à l’époque. Appuyé par son père imprimeur qui le guide vers ses premiers clients, Daniel finira par installer son atelier de photographe-illustrateur-publicitaire au 130 rue du Chateau en 1974. C’est un grand atelier de plus de 80 m2 qui s’étale sur trois étages et qui comprend un labo au sous-sol, un espace photo au rez-de-chaussée et des bureaux au premier étage. Il va y rester quarante ans pour exercer son art tout en étant témoin de la démolition de nombreux bâtiments de son voisinage qu’il décidera d’immortaliser dans son ouvrage paru en 2014. Pendant que les pelleteuses s’activent, il ne perd pas une miette de l’humanité qui se manifeste autour de lui. Il se souvient comment, après avoir installé un piano dans son atelier à l’invitation de sa professeure de musique, il intriguait beaucoup le balayeur qui l’écoutait répéter toujours les mêmes morceaux à travers la vitre du rez-de-chaussée… Il se souvient également comment il a été aidé dans son activité de photographe par le fils de sa voisine grecque qui exerçait à l’époque le métier de coiffeur près de son atelier et qui s’est révélé être un renfort très précieux. Il se souvient enfin de ses multiples expositions au café Le Cadran dont la salle du restaurant accueillait des habitués venant tout aussi bien de Paris que de la campagne. Toute cette chaleureuse ambiance de la rue du Château et alentours est illustrée par de nombreuses photos du livre du photographe qui est toujours bien plus prompt à parler humain qu’à parler technique.

Les pelleteuses à l’assaut du 112 rue du Château (Anna Waisman à la fenêtre du 110) (photo Daniel Chenot)

Un métier relié au temps

Daniel se décide quand même à nous entretenir de son métier de professionnel de la photographie, mais sans jamais se départir d’une certaine hauteur de vue. “Mon métier est infiniment relié au temps car une bonne photo d’il y a dix ou vingt ans n’est pas toujours une bonne photo aujourd’hui, nous explique-t-il. Quand j’ai commencé mon travail, la conception de l’image n’était pas du tout la même et chaque époque a sa propre manière de voir. Les photographes, de même que les publicitaires qui sont souvent les commanditaires de leur travail, peuvent d’ailleurs très facilement reconnaître la période ou même l’année à laquelle une photographie se rapporte. Cela ne veut nullement dire que les photos anciennes sont mauvaises, cela veut seulement dire que notre appréhension de l’image est sujette au temps, autrement dit que ce que l’on ressent d’une image dépend de l’époque où elle a été prise. Cartier Bresson disait des photos qu’elles étaient des coupures dans l’univers du temps.” Les grands photographes de leur temps ont permis à cet art longtemps considéré comme un art populaire d’acquérir ses lettres de noblesse. Cela fait à peine trente ans que l’on expose des oeuvres photographiques, la première exposition de photos en couleur de Daniel datant de 1995. La révolution numérique des années 1990-2000 a encore rebattu les cartes et achevé de démocratiser l’accès de tous à la photographie au point que chacun peut aujourd’hui s’improviser photographe muni d’un simple téléphone portable. A-t-on d’ailleurs encore aujourd’hui besoin de cours pour réaliser des bonnes photos ? Sans prétendre pouvoir définir ce qu’est une bonne photo après nous avoir longuement expliqué que cette notion était très évolutive dans le temps et éminemment personnelle dans la mesure où elle fait intervenir les subjectivités du preneur d’images et de de ceux qui contemplent son travail, Daniel n’en continue pas moins à enseigner l’art de la photo le samedi à 10h30 à l’association ENAC (Enseignement Art et Culture) qui est basée au… 104 de la rue du Château ! “J’essaie très humblement d’apprendre à mes élèves à regarder en leur permettant d’affiner et d’enrichir leur regard et en tentant de leur faire prendre conscience de ce qu’ils regardent”, nous dit-il. La meilleure façon de vous convaincre de l’utilité de pouvoir bénéficier de l’oeil du photographe est sans doute d’acquérir son prochain ouvrage à paraître, fruit de ses promenades dominicales à Saint-Germain.

Une habitante de la rue du Château (photo Daniel Chenot)

(*) La nostalgie est derrière le comptoir, par Pierre Josse et Bernard Pouchèle, préface d’Alphonse Boudard, éditions Critérion.

Cliquez ici pour accéder au site de Daniel Chenot, Photographe.