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Romuald Provost, le luthier en guitare qui décoiffe

Franck et Romuald Provost n’ont que le nom et le département de naissance en commun. Tous les deux sont d’origine sarthoise, mais si l’un a opté pour la coiffure, l’autre a choisi les guitares. Au bar de L’Osmoz Café à l’heure du déjeuner, on reconnait facilement Romuald à sa barbiche et à ses cheveux ramenés en chignon au dessus de la tête. Il est luthier en guitare depuis maintenant presque vingt ans dans le quatorzième arrondissement de Paris. Rencontre à son atelier de la rue du Texel.

Le déclic devant un beau livre de lutherie à la FNAC du Mans

Romuald Provost est né en 1976 dans la ville du Mans où il passe toute sa jeunesse. Après une première tentative en école d’architecture, il poursuit sans conviction des études d’histoire moderne et de géologie tout en cultivant un goût pour les activités manuelles en sculptant sur bois et en bricolant les guitares de ses copains. Il passe régulièrement dans le Vieux Mans devant l’atelier de Frank Ravatin, luthier du quatuor (*), et il est déjà fasciné par l’atmosphère qui s’en dégage. Mais ce qui véritablement suscite sa vocation, c’est le beau livre d’art intitulé Luthiers et guitares d’en France sur lequel il tombe en arrêt à la FNAC du Mans : « Comme je n’avais pas de ronds je ne l’ai pas pris, mais je suis resté scotché dessus l’après-midi entière à la FNAC. Je suis rentré chez moi pour demander un peu d’argent à ma mère qui m’a permis de l’acheter. Et là, tous les jours, tous les soirs, je regardais les guitares. Je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de ça ». Romuald n’a plus que ça en tête et veut absolument tenter sa chance dans la lutherie. Il finit son année à la fac tout en se mettant à la recherche d’une école ou d’une possibilité d’apprentissage. Coup de chance, l’ITEMM, l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique, une des rares écoles de lutherie de France, est justement basée au Mans. Il se lance dans une formation en alternance de trois ans dans le cadre de laquelle il travaille chez un ébéniste d’art et il décroche à la sortie un CAP de facteur de guitares. Il continue en parallèle à jouer de cet instrument. Comme musicien il s’imaginait plutôt batteur (de jazz) mais il va dès ses quatorze ans sagement se replier sur la guitare pour épargner les tympans de ses parents. « De toute façon, ce n’est pas le même rapport à l’instrument et même si je pratique un peu je ne suis pas moi-même un excellent guitariste. Certains luthiers en guitare n’en jouent d’ailleurs pas du tout ». A l’issue de sa formation, Romuald cherche pendant un an en vain du travail dans les ateliers de lutherie en France et en Belgique, puis monte à Paris pour suivre sa compagne. Sans réseau aucun, il décide à l’âge de vingt trois ans de se mettre à son compte : « Je ne voulais pas avoir fait tout ça pour rien. Aujourd’hui, cela fait presque vingt ans je suis installé comme luthier à Paris ».

Une clientèle constituée grâce au bouche à oreille

« C’est un bon, lui. Et il a une clientèle terrible ! ». Elle court, elle court la rumeur dans le Quartier Pernety. Romuald a parcouru bien du chemin depuis son interview en 2006 pour laguitare.com (cliquez ici pour lire l’interview). Il s’est créé son réseau absolument seul alors qu’il est arrivé à Paris il y a dix-neuf ans sans aucune relation et sans aucun ami ou aucune famille pour l’appuyer. Le bouche-à-oreille a fonctionné à plein pour asseoir sa réputation de grande maîtrise et de professionnalisme. Il a également un peu fréquenté les salons, mais sans plus. « J’ai été longtemps sans avoir de site, nous confesse-t-il. Tout se fait en réalité petit à petit. On te ramène un jour une guitare et ça marche à la confiance. Si le boulot est bien fait, ça parle et de fil en aiguille on se fait une clientèle. Il y a le coup de chance aussi : un instrument précieux qu’un collectionneur te met entre les mainsEt puis, on n’est pas non plus extrêmement nombreux en restauration sur Paris. Or les techniques un peu anciennes que j’ai apprises se prêtent bien à la restauration. » Romuald, dont le savoir faire est aujourd’hui reconnu au plan national où il compte plus de quatre cent concurrents, ne nous cache que le niveau dans notre pays est extrêmement élevé. Certains collectionneurs traversent l’Europe pour lui confier une guitare : « Après ça marche aussi par l’activité, nuance-t-il. Nous sommes une dizaine de luthiers en guitare sur Paris, ce qui n’est pas non plus délirant. Et puis le feeling est également très important. Je sais que certaines personnes que je rencontre sur des salons ou lors de concerts ne viendront pas chez moi parce que le courant ne passe pas. » La restauration de guitares lui prend aujourd’hui bien plus de temps que la fabrication à laquelle il a également été formé. Le rapport à la matière est pourtant ce qui fondamentalement l’intéresse. Il peut lui arriver pour fabriquer une guitare de s’inspirer des modèles qu’il a restaurés dont il reprend les épaisseurs et copie la structure. Mais il propose en général un modèle unique quoique toujours renouvelé dont l’esthétique s’inscrit dans celle de l’école française de la première moitié du vingtième siècle. Son site internet précise qu’il fabrique cinq à six guitares par an de façon entièrement artisanale, que les bois utilisés sont rigoureusement sélectionnés par ses soins (épicéa ou cèdre rouge) et que sa facture reste traditionnelle, tout bois, avec un montage dit « à l’espagnol » et un vernis au tampon. « Rien n’est plus beau qu’une guitare, sauf peut-être deux », disait Chopin. Romuald qui est entouré d’instruments dans son atelier de la rue du Texel est sans nul doute un homme comblé.

(*) C’est-à-dire un luthier spécialiste des violons, altos, violoncelles et contrebasses.

Cliquez ici sur accéder au site internet de Romuald Provost.

 

Philippe Jolly, le génial facteur et restaurateur de pianos de la rue Boulard

Philippe dans son “atelier-boutique-foutoir” de la rue Boulard à la Noël 2021

Philippe Jolly ne laisse personne indifférent comme en témoignent les nombreux articles de presse et les vidéos consultables sur son site internet.  Il nous a reçu plus d’une heure dans ses ateliers du 25 rue Boulard dans le 14ème arrondissement de Paris et nous avons eu grand peine à le quitter tant sa conversation est passionnante et sa personnalité attachante. On pourrait rester la journée à l’écouter parler de tout, y compris de Dieu. Et le piano dans tout ça ?

Un autodidacte en (presque) tout

Rien ne prédestinait cet ancien étudiant et professeur de philosophie à devenir facteur et restaurateur de piano si ce n’est un goût certain pour la déconstruction… et donc la (re-)construction. S’il baigne dans le monde de la culture et des arts depuis sa petite enfance grâce à ses parents qui formaient un couple extraordinaire, il est également rapidement attiré par la mécanique automobile et cultive un vrai don pour le bricolage. Philippe Jolly est un intellectuel et un artiste mais également un manuel qui aime comprendre comment ça marche. Rentrer dans le ventre des pianos et en devenir le plus méticuleux des chirurgiens va constituer un défi à sa mesure qui puise également dans sa passion pour la musique. Il n’avait pas touché à un piano avant l’âge de vingt ans. Aujourd’hui, il les restaure, les règle et les accorde dans son grand « atelier-boutique-foutoir » de la rue Boulard où sont également organisés des cours et des concerts. Il en construit aussi et c’est sans doute cela sa plus grande originalité. Il a d’ailleurs bien plus de plaisir à créer et à ramener à la vie les pianos qu’à s’éterniser à les accorder pour le compte de musiciens en mal de perfection musicale inatteignable. Car Philippe ne fait jamais semblant. Il a depuis longtemps identifié les faux postulats et les finasseries commerciales de nombreux de ses confrères marchands de pianos : « Dans les livres concernant les pianos il y a beaucoup de choses fausses et également idéologiques, ce qui est encore plus grave. C’est là que la philo m’a été utile car elle m’a obligé à penser ce que je faisais. Or en pensant, je me suis aperçu que presque tout ce qu’on disait sur les vieux pianos était faux, erroné ou tout simplement intéressé, que ça participait d’une démarche commerciale. C’est ce qui m’amené à m’intéresser aux vieux pianos ». Aux piano-forte tout particulièrement. Les piano-forte sont les ancêtres du piano, des instruments intermédiaires entre le clavicorde et le piano du XIXème siècle. En 2004, Philippe s’est attelé à la création de son premier piano-forte qui est proche dans sa forme et ses dimensions de l’Erard de Beethoven et de Haydn. L’instrument dont la caisse est en merisier massif mesure à peu près 2,20 mètres de longueur sur 1,10 mètre de largeur. « Un piano de l’époque de Mozart, c’était introuvable et donc la seule solution c’était de le fabriquer. Un de mes copains qui a fait des études là-dessus m’a suggéré de le faire. Sur le moment, je me suis dit qu’il était fou et que j’en serais bien incapable. Et puis je me suis piqué au jeu et je l’ai fait. » Philippe a construit son piano-forte sans respecter de plan particulier, juste l’esprit qui a présidé à la création de l’instrument. Ce qui l’intéressait c’était de s’approcher de l’univers sonore de Mozart. « J’aimerais ne faire que ça, mais le marché est ultra-réduit malheureusement. […] Construire des pianos, ça correspond à un rêve d’enfant : quand j’étais petit je fabriquais des jouets, maintenant je fabrique de grands jouets ». En témoigne le piano-girafe sur lequel il travaille actuellement et qu’il me fait découvrir bien sagement rangé dans un coin de ses ateliers.

Devant le piano-girafe finalisé (Noël 2021).

Parler au cosmos les mains dans le cambouis

L’histoire personnelle et familiale de Philippe est la clef de nombreux aspects de sa personnalité. Son père, qui tenait une librairie en face de l’église Saint-Pierre-de-Chaillot dans le seizième arrondissement de Paris, était un vrai personnage de roman qui le fascinait complètement et dont il va hériter de l’anti-conformisme et du goût des paradoxes. Sa mère, « ultra-cultivée et qui connaissait tout de la musique et de la littérature » était tout aussi extraordinaire. C’est elle qui va lui transmettre une certaine dimension mystique et spirituelle à l’origine de sa grande sensibilité à la transcendance. Philippe a été profondément marqué par la rupture de ses parents ainsi que par la trajectoire de son frère musicien et également par la maladie qu’il va devoir affronter à l’adolescence. C’est ce cocktail d’ingrédients allié à un rapport intime à la matière qui expliquent l’extraordinaire richesse de son parcours et de ses talents. Philippe ne se contente pas de créer et réparer des pianos, il collectionne également des voitures anciennes dont il sait changer les boites de vitesse et refaire la carrosserie, de même qu’il retape de A à Z des maisons entières en Aveyron : « Je ne peux pas m’en empêcher et m’en passer, c’est comme une drogue, mais une bonne drogue. Je lis Simone Weil le soir, après avoir charrié des pierres dans la journée et réglé en début de soirée une Austin-Healy 1955 que je viens d’acheter et dont je commande les pièces en Angleterre ». Et si, après avoir succombé aux charmes du marxisme dans sa jeunesse, la véritable vocation de Philippe était celle de théologien ? Il se sent aujourd’hui happé par la transcendance dont la musique peut être une des formes de l’expression. « Mais également la matière, poursuit-il. Car la matière, c’est le cosmos et le cosmos c’est l’œuvre du Créateur quel que soit le nom qu’on Lui donne ». Voilà Philippe parti dans une nouvelle digression sur la religion avant qu’il ne nous parle de Bernanos, de Léon Bloy, de ses compositeurs préférés et de bien d’autres choses encore. Nous le quittons au bout d’une heure un peu sonnés… Car Philippe doit maintenant recevoir un de ses anciens professeurs, ethno-musicologue à la retraite, qui a fait le déplacement du Sud de La France pour peut-être lui acheter un piano.

Concert de « Ô Duo » du dimanche 6 octobre 2019 aux Ateliers Jolly

« Il faut sauver les bistrots! », le cri d’amour de Pierrick Bourgault, « bistrologue »

Photo Christophe Henry

On a déjà la tête qui tourne à la vue de son c.v. et de la liste des ouvrages dont il est l’auteur. Le « bistrologue » Pierrick Bourgault qui nous accueille chez lui rue Pernety est écrivain, journaliste, photographe, enseignant, organisateur de concerts, compagnon d’une très talentueuse artiste… et papa du petit Jules qui a tout juste deux mois et qui tient à nous le faire savoir à pleins poumons dans notre magnétophone numérique de poche. Son prochain livre, le « petit dernier » qui devra attendre le 8 novembre 2019 pour pousser son premier cri, s’appellera Bistroscope, l’histoire de France racontée de cafés en bistrots et sera publié aux Editions Chronique/La Martinière. Présentation de l’auteur et de son livre en avant-première pour Pernety 14.

Une passion pour les bistrots

Difficile de trouver par quel bout commencer l’interview car Pierrick Bourgault est un touche-à-tout qui se mêle aussi bien de vins et de bistrots que d’histoire, d’agriculture, de nourritures, de photo, de vidéo, d’informatique et de mécanique céleste. Il a également écrit un recueil de nouvelles érotiques intitulé D’amour et de vins nouveaux publié en 2007 aux Editions L’iroli. Pierrick a réuni sur le sofa du salon en une pile impressionnante tous les ouvrages dont il est l’auteur : pas moins d’une cinquantaine au total dont presque la moitié est consacrée aux bars, buvettes, estaminets et brasseries, notamment son Paris 200 bars-concerts, guide des bons plans réédité tous les deux ans chez Bonneton. D’où lui vient cette passion jamais démentie pour les bistrots ? Sans aucun doute de sa petite enfance mayennaise à Saint-Fraimbault-de-Prières, le village de sept cent habitants où il est né et où son grand père tenait un café. Un jour, sans crier gare et alors qu’il n’a que trois ans, il absorbe le philtre d’amour en sifflant des fonds de verre. Et il tombe bien sûr instantanément amoureux des troquets sans qu’il existe de remède connu… Cela ne va pourtant pas l’empêcher, bien au contraire, de décrocher un diplôme d’ingénieur agronome à Beauvais en 1985 et deux ans plus tard un DEA d’anthropologie visuelle à Nanterre-Sorbonne tout en assouvissant sa passion pour les voyages qui va le mener sur les cinq continents et qui sera à l’origine de son premier ouvrage sur les bars intitulé Bars du monde, un magnifique portfolio photographique publié en 2005 aux Editions de l’Epure, un éditeur local situé rue de la Sablière à deux pas de chez lui.  On ne saura pas trop pourquoi Pierrick a choisi la profession de journaliste-photographe plutôt que celle d’ingénieur agronome. On sent chez lui comme une certaine réserve qui entretient le mystère sur sa personne pourtant si riche et diverse. C’est sans doute ce goût du secret qui le pousse à se retrancher derrière la masse impressionnante de ses livres plutôt que se dévoiler entièrement, et à nous fournir en guise de photographie personnelle celle, certes magnifique, où il se cache derrière un verre de vin. « J’ai davantage l’habitude d’écouter que de parler de moi », aime-t-il à dire. Pierrick se définit volontiers comme un « artisan en écriture et photographie » : « J’aime écouter, observer et décrire en réalisant des livres, des reportages et des expositions. Pour les photos, je travaille avec la lumière du lieu et de l’instant afin de montrer l’univers d’une personne ou d’une société. A l’écrit, j’adopte la même approche inspirée de l’ethnologie : tenter de comprendre et témoigner ». Pour savoir ce qui, profondément, a motivé sa démarche, il faudra repasser… On ne peut pourtant qu’être fasciné par l’extraordinaire diversité de ses multiples centres d’intérêt et activités qui se reflète à nouveau dans son prochain livre à paraître, à la croisée de ceux qu’il a déjà consacrés aux bistrots et à l’histoire.

L’histoire de France racontée de cafés en bistrots

Le Bourgault nouveau est donc annoncé cette année pour le 8 novembre prochain, soit deux semaines avant le Beaujolais nouveau. La cuvée 2019 est en tous points exceptionnelle, qui marie parfaitement l’histoire, les arts, la religion, la politique et bien d’autres choses encore. Comme son nom ne l’indique pas, le Bistroscope est en fait une histoire de France d’un genre particulier : « Loin des palais royaux ou présidentiels, elle se déroule, plus intime, dans les auberges, bistrots, brasseries et cafés, ces bouillons de culture qui révèlent leur monde, leur époque, qui apportent boissons et idées nouvelles », nous dit l’éditeur. Et en effet, c’est une formidable balade « des cavernes aux tavernes », de l’Antiquité à nos jours, au cours de laquelle on croise nos ancêtres les Gallo-romains, Jésus-Christ, les moines du Moyen-Age, François Villon, Rabelais, Voltaire, Louis XVI, les révolutionnaires français, les artistes impressionnistes, les aubergistes auvergnats, Jaurès, les résistants de la Seconde Guerre Mondiale et bien d’autres encore. Cette entreprise complètement originale, magnifiquement illustrée et richement documentée ravira tous les amateurs de beaux livres. Pas moins de quatre années d’efforts auront été nécessaires pour collecter toutes les informations nécessaires à la production de ce très grand cru du domaine (de prédilection) de Pierrick ! Car son cœur de compétence reste les bistrots dont il vante sans relâche l’utilité sociale et dont il s’inquiète de la disparition progressive : « Il faut sauver, les bistrots !, s’enflamme-t-il soudain. Ce sont des endroits magnifiques et d’authentiques lieux d’expression et de création qui sont fragiles et donc menacés. Surtout les bars les plus insolites qui donnent des concerts et des spectacles et qui sont très précieux, mais dont le nombre malheureusement diminue ». Pierrick met la main à la pâte, qui s’est vu confier l’organisation des « Lundis Chansons », les concerts de chansons à texte du nouveau « Jazz Café Montparnasse » (anciennement « Petit Journal Montparnasse »). Il fait également partie du Comité Scientifique de l’Association pour l’Inscription au Patrimoine Immatériel de l’Unesco des Bistrots et Terrasses de Paris pour leur Art de Vivre. Il est donc à la fois présent sur le terrain et à la pointe du combat en publiant ses livres. Bistroscope n’est peut-être pas celui qui va clore la série. Allez Pierrick, un petit dernier pour la route ? (*) (**)

« Jam Session » à « L’Imprévu », rue Didot (photo Pierrick Bourgault)

Cliquez ici pour accéder à monbar.net, le site internet très complet de Pierrick Bourgault.

(*) Mise à jour au 7 février 2020 : Le petit dernier intitulé La Mère Lapipe dans son bistrot vient tout juste de sortir aux ateliers henry dougier dans la collection « Une vie, une voix » (cliquez ici pour le lien vers le site des ateliers henry dougier).

(**) Mise à jour novembre 2021 : Pierrick n’en peut plus d’enfanter ! Un autre petit dernier intitulé Voyage dans les bistrots de l’Ouest est sorti ce mois-ci aux Editions Ouest-France.

Marc Havet, « plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie »

Comme « les nouveaux vieux » de sa chanson et de son spectacle musical éponyme (*), Marc Havet pète toujours le feu. Difficile d’interrompre l’auteur-compositeur-interprète quand il est lancé ! Il nous a reçu à son domicile de la rue de la Sablière pour nous parler pendant plus d’une heure de musique et de politique en oubliant presque de mentionner son actualité artistique pourtant très chargée. En plus des concerts habituels, Marc prépare en effet la sortie d’un nouveau disque de chansons inédites intitulé « Tais-toi et chante » et la publication d’un livre aux Editions de La Lucarne des Ecrivains qui reprendra les textes de deux cent de ses chansons.

Tombé dans la marmite des musiciens

Marc Havet ne s’en cache pas, il est tombé dans la marmite du barde Assurancetourix quand il était petit : « La musique, j’en fais depuis que je suis né. Ce n’est pas prétentieux de dire ça, c’est vrai ! Je ne sais pas si dans le ventre de ma mère j’en faisais, mais au moins depuis que j’en suis sorti, parce que ma mère jouait du violon en amateur, ma tante jouait du piano, ma sœur ainée également qui a fait le conservatoire et qui a chanté très jeune. Donc, dans ma famille, on faisait de la musique ». En plus d’être musicienne, la famille de Marc s’écarte également volontiers du dogme et des conventions : « Je suis né dans une famille communautaire, je n’aime pas trop ce mot là, mais enfin si, c’était des chrétiens dissidents héritiers de Pascal et des jansénistes qui ne reconnaissaient pas l’autorité de l’Eglise ». Marc se souvient notamment de noces extraordinaires célébrées en région parisienne qui était encore la campagne à cette époque. A seize ans, il fait déjà partie d’orchestres de jazz qui accompagnent de célèbres musiciens américains et français. Quand vient le moment de choisir ses études, Marc opte pourtant pour l’architecture pour rassurer ses parents. Mais pas question pour lui de faire de hiérarchie entre les arts soit disant « majeurs » (architecture, peinture, etc.) et les arts dits « mineurs » dont ferait partie la chanson (« Gainsbourg a dit une belle connerie ce jour-là », nous assure Marc). Bien au contraire, ces différentes disciplines artistiques vont interagir l’une avec l’autre pour nourrir et canaliser l’inspiration du chanteur qui « compose ses maisons et construit ses chansons »« La seule différence, poursuit Marc, c’est que pour construire une maison il faut du pognon, alors que pour faire une chanson il ne faut rien du tout. Pas besoin d’un piano ni d’une guitare, il suffit de se mettre sur un coin de table. Même pas besoin d’un stylo, tu peux la penser dans ta tête ou presque. »

« Le cri primal de la chanson »

Encore faut-il avoir ce talent ou plutôt ce don. Dans un souci pédagogique, Marc s’est essayé à l’organisation d’ateliers de chansons sans que cette expérience soit vraiment concluante. Car si l’on peut apprendre à écrire dans le cadre d’atelier d’écriture voire de poésie, la chanson requiert un talent différent : celui de trouver les tonalités parmi mille différentes sur lesquelles seront chantés les mots. « C’est le cri primal de la musique et c’est ça la chanson. Quand tu as trouvé le truc, les deux notes qui font l’affaire pour prononcer et chanter un mot, il n’y en a rien à faire du piano, de la guitare et du reste. Après tu peux mettre quinze violons, deux guitares, ça c’est autre chose. Juste de l’habillage. » Pour autant, ce talent particulier n’est pas tout et, s’agissant des textes, Marc n’écrit jamais ses chansons au fil de la plume. Tout comme Brassens, il ne se sent pas poète et se méfie des fulgurances de l’inspiration : « Des fois, j’ai une idée sur un mot ou une phrase mais ça dort longtemps dans un tiroir et pour faire une chanson, la finaliser, il y a du boulot ! C’est comme pour une tapisserie, j’ai recommencé dix fois la même chanson. » Bien loin donc les « Illuminations » de Rimbaud et les vers de Verlaine créés sous l’emprise de l’absinthe : si l’inspiration reste première, le travail est là pour la structurer.

 Trenet, l’inspirateur

Les chanteurs qui restent ses références de base sont bien sûr les géants de la chanson française que sont Brassens et Ferré mais peut-être aussi surtout Trenet dont il admire l’œuvre foisonnante et l’humour mordant. Il lui consacre un récital par an tant il est fan de sa poésie familière aux antipodes de celle des poètes classiques. Parce qu’il connait par cœur les répertoires de ses illustres prédécesseurs, Marc s’est pendant des années senti empêché de composer ses propres chansons avant de connaître le déclic vers quarante ans. Au moins quatre raisons à cela : la création du « Magique », le bar-cabaret de la rue de Gergovie qu’il a ouvert avec sa femme Martine suite à la fermeture du « Piano Bar » de la rue Mouffetard où il allait se produire lors d’apéros-concerts en compagnie de pianistes de jazz ; la mort ou le repli artistique des grands ainés qui ne sont pas véritablement remplacés par la jeune génération dans laquelle Marc se reconnait moins ; l’affirmation de sa propre identité artistique qui s’affranchit progressivement des influences passées et se détache nettement de celle des autres chanteurs qui émergent sur la nouvelle scène artistique française ; la politique enfin qui après la victoire socialiste de 1981 aiguise son regard « gauche critique » et lui inspire de nombreux textes. Mais, comme de très nombreux autres artistes français, Marc admet que c’est l’incontournable Trenet qui lui a donné l’envie d’écrire des chansons. Une envie toujours présente chez lui aujourd’hui même si, comme nombre d’artistes également, il a toujours peur de tarir la source et s’il est souvent saisi par l’angoisse ne pas réussir à se renouveler.

Influences d’aujourd’hui

En octobre 1992, une sympathique bande de jeunes fréquentant assidument « Le Magique » témoignent de leur admiration pour Marc en publiant aux Editions Du Pousse Au Cul soixante à quatre-vingt de ses textes. « N’attendez pas qu’il soit crevé pour l’admirer, nous enjoignent-ils en préface. Depuis que Gainsbourg est mort, Marc Havet reste le plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie. » Peut-être l’un des deux meilleurs, rectifie Marc avec humour. Il n’est en réalité jamais satisfait de lui même et n’a pour seule ambition qu’aboutir à « quelque chose d’intéressant ». Il reste pour ce faire à l’écoute de tout ce que produit la scène musicale francophone : les classiques contemporains bien sûr (Lavilliers, Thiéfaine, Souchon, etc.) mais également le rap et même les chansons « un peu con con ». Car il fait sa sauce personnelle et son miel de tout : « Souvent on me demande par qui je suis influencé. La vérité c’est que je me laisse influencer par plein de choses et que je le restitue à ma façon ! ». Pour autant, Marc n’a toujours pas trouver parmi les chanteurs du moment sa nouvelle idole. Il reste bien plutôt fidèle aux grands auteurs qu’il continue à interpréter avec bonheur. Sans oublier bien sûr son propre répertoire d’hier et d’aujourd’hui. Ne manquez surtout pas « Marc Havet chante Marc Havet » au Forum Léo Ferré les 30 novembre et 1er décembre 2019 !

(*) « Les Nouveaux Vieux » au Théâtre du Nord Ouest les dimanches 20 et 27 octobre à 14h30 et le mardi 29 octobre à 20h15.

Cliquez ici pour accéder au site de Marc Havet.

« L’Osmoz », le Café Arty Show qui a du coeur

Smail aux commandes de « L’Osmoz Café »

Des artichauts en guise d’appâts pour les Bretons de passage, des spectacles comiques le mardi, des concerts de jazz le vendredi, des expositions temporaires de peinture, des récitals de poésie, des soirées américaines par ci, des soirées bretonnes par là, Smail Ait Saadi regorge d’idées pour faire vivre et animer L’Osmoz Café, le bar-restaurant situé au 33 rue de l’Ouest dans le 14ème arrondissement de Paris. Ce très sympathique et dynamique patron de bar a su fidéliser une clientèle de quartier en conjuguant ouverture d’esprit et sociabilité au quotidien.

Le patron donne le ton

Voilà enfin un patron de bar qui sait marier commerce et convivialité et pour qui solidarité n’est pas un vain mot ! Smail, qui est d’origine kabyle et qui est arrivé en France à l’âge de 23 ans, s’inscrit en cela sur les traces de son père, un enseignant qui en plus de mener de nombreuses actions bénévoles donnait des cours gratuits aux élèves en difficultés après la classe. La tradition familiale dont il a hérité et les valeurs qui s’y rattachent expliquent sans doute pourquoi Smail détonne un peu dans l’univers impitoyable des bistrotiers. Il se démarque en prenant des risques et en osant la différence. Pour preuve, l’artichaut breton qu’il propose à ses clients. Au départ, une idée toute simple : « La dernière fois que je suis allé en Bretagne, on m’a proposé ça en hors-d’œuvre, et je me suis dit : « Pourquoi je ne ferais pas ça dans mon restaurant ? ». Le succès est immédiat et ne se dément pas. Pas tant parce que c’est un vrai plat de pauvres comme dit Coluche (« le seul plat que quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand t’as commencé »), mais parce que « ça plait et ça fait plaisir aux clients », constate Smail. Sur sa carte figure également bien évidemment en bonne place le couscous (« C’est ma culture », nous dit Smail) et toutes sortes d’autres plats d’origines diverses et variées (français, italiens, etc.) : « C’est ce qui fait le bonheur des gens, ils aiment bien trouver un peu de tout », croit-il avoir remarqué. Cette année, la nouvelle carte de l’établissement propose un plus grand choix de vins : les différentes régions viticoles françaises (Bourgogne, Bordeaux, Pays de Loire, etc..) y sont représentées ainsi que plusieurs pays étrangers. S’ajoutent à cela quelques nouveaux plats (steak de thon, tartare de bœuf, salade au saumon, etc.). Smail ne s’en cache pas, il est « heureux comme un roi en France » aux commandes de « L’Osmoz Café ». Il est arrivé à Paris en 2003 après des études d’hôtellerie effectuées en Tunisie : « J’ai travaillé un peu partout comme cuisinier. J’ai fait Ladurée aux Champs-Elysées, j’ai fait Le Louvre, Le Méridien, les grands hôtels, etc.  J’ai également travaillé comme serveur dans des cafés, des boites de nuit et des cafés-concert. Et puis je me suis décidé à m’installer à mon compte pour faire quelque chose de plus personnel et mettre à profit mon bon contact avec les gens ». Car Smail a conscience d’avoir un don pour le contact humain : « J’ai une cote avec tout le monde », nous assure-t-il crânement. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa peine pour attirer et divertir sa clientèle.

Ines, derrière le bar

Le pari de la culture et de la bonne humeur

Car s’il aime les gens, Smail est également un amoureux de la culture française : « J’adore tout ce qui est culture, littérature et poésie. En plus le Quartier Montparnasse a une très forte identité culturelle et artistique. Les touristes viennent des Etats-Unis et d’ailleurs pour voir ça ». C’est son père enseignant qui lui a injecté le virus pendant son enfance kabyle. Et Smail a bien conscience que Paris est une capitale culturelle mondiale courue par tous les artistes en quête de reconnaissance internationale. Paris fait rêver tout le monde, son petit bistrot parisien également : « Il y a un savoir vivre parisien. Quand à l’étranger je dis que je viens de Paris et que j’y tiens un bistrot, les gens sont émerveillés. Paris c’est romantique et la capitale française continue de fasciner. Boire l’apéro sur une terrasse parisienne, ça fait rêver ! », témoigne Smail. Surfant sur cette image de capitale culturelle, le dynamique patron de bar n’a de cesse d’organiser des animations dans son établissement. Des expositions temporaires de peinture s’y succèdent tous les mois ou presque : « Les artistes de Paris et d’ailleurs viennent eux-mêmes me voir pour me proposer d’exposer. Le bouche à oreille joue à plein, exactement de la même façon que pour les musiciens qui viennent se produire dans mon bar. Je reçois chaque jour trois ou quatre emails. C’est moi qui fais mon choix ». Chaque mardi soir à partir de ce mois de septembre ce sont de jeunes acteurs comiques auxquels Smail veut donner leur chance qui viendront se produire à L’Osmoz Café dans le cadre d’une scène ouverte. Les vendredis soir sont quant à eux consacrés aux concerts de jazz qui attirent de nombreux habitués de l’endroit. La cerise sur l’artichaut, ce sont les Nuits d’Abîmes de l’Osmoz Café. Rémy-Pierre Pêtre, dit le Grand Rémi, est à la manœuvre pour organiser des escales de poésie ou des évènements conçus autour d’écrivains célèbres qui font intervenir des acteurs professionnels aussi bien que des complets amateurs. L’été dernier, Jean-Jacques le Vessier déclamait des vers de Robert Desnos. Il se produira à nouveau très bientôt pour célébrer et faire découvrir ou redécouvrir le génie d’Apollinaire. Et ce troisième jeudi de novembre sera organisé un second évènement autour de Boris Vian qui coïncidera avec la fête du Beaujolais Nouveau. « Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! ». Avec Smail, Beaudelaire prêche un convaincu : vin, poésie et vertu, il n’a pas choisi !

Concerts 2024

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Nelly Pouget, dernier dinosaure du jazz contemporain

Nelly Pouget est une véritable star et un personnage incontournable du 14ème arrondissement de Paris. Elle nous a fait l’honneur d’une visite au 25 rue de Plaisance, le siège de Pernety 14, pour évoquer son parcours de musicienne quelques jours avant la projection de Spirale Danse, le film retraçant sa vie, le 14 mars 2018 au cinéma L’Entrepôt.

Le choix instinctif du saxo

La vie en spirale de Nelly Pouget n’a plus de secret pour personne depuis que Jérémie Lenoir y a consacré un film tourné en 2014 et sorti en 2017. Nelly est née à Dijon en Bourgogne le 19 mai 1955 et passe une enfance heureuse au bord de Saône au sein d’une famille de sept enfants. « C’est une période de ma vie que j’ai adorée. Quand j’avais dix ans, on partait tous ensemble en vacances pour de grandes parties de camping sauvage et l’on avait pas moins de six toiles de tentes pour y abriter toute la famille. » Sur ses photos souvenirs, en famille ou à l’école, Nelly occupe déjà le centre de la scène. Son éveil musical date du jour où son frère ainé décide de l’emmener au conservatoire de Dijon où il joue du trombone, plutôt que la laisser s’ennuyer à la maison le mercredi. Elle s’inscrit à la classe de solfège dont le professeur est un joueur de basson, et progresse très rapidement au point d’avaler en une seule année les deux ans d’apprentissage. A quatorze ans, lorsque son professeur lui demande de quel instrument elle souhaite jouer, son choix se porte spontanément sur le saxophone. Il suffit de traverser la cour du conservatoire pour rejoindre la classe de Jean-Marie Londeix, l’auteur d’ « Un siècle de saxophone » et qui est à l’époque la référence française à l’étranger pour cet instrument. Parallèlement à la musique, Nelly suit sans enthousiasme des cours de comptabilité-mécanographie. Sa professeur de dessin qui détecte en elle des talents artistiques lui suggère de s’inscrire à l’école des beaux arts de Beaune. Nelly parvient à obtenir l’accord de ses parents pour le faire et se débrouille pour suivre les cours de cette seconde école d’art malgré les problèmes d’intendance et un différent qui l’oppose à ses enseignants en fin d’année. Nelly s’éprend en effet d’un homme qui n’a l’heur de plaire ni à ses professeurs ni à sa famille et avec lequel elle décide de partir pour l’Afrique. C’est de cette époque que date son amour pour le continent noir qu’elle va atteindre « par la route » en traversant le Sahara espagnol et en embarquant sur un bateau dont elle se souvient encore aujourd’hui des grincements. Les deux tourtereaux s’installent finalement à Ouagadougou où Nelly acquiert une mallette de peinture dont elle va se servir pour peindre les scènes de la vie quotidienne des familles africaines.

Le choix viscéral de la liberté

A son retour d’Afrique, Nelly retrouve le saxo qu’elle a laissé en France chez ses parents. Elle vit quelques temps à la campagne puis monte à Paris suite à sa rupture avec son compagnon avec pour seul bagage son instrument et sa mallette de peinture. Nous sommes en 1981 et elle a tout juste vingt cinq ans. Pour se loger, elle habite une chambre de bonne rue Notre Dame des Champs puis squatte rue Saint Martin et derrière l’Hôtel de Ville. Les anecdotes sur ses années de galère à Paris se bousculent dans sa tête. Elle trouve des petits boulots dont un emploi a mi-temps chez Henri Dessin rue de Rennes. Au marché aux puces de Montreuil et de Saint Ouen, elle vend des chaussures et des vêtements pour les rockers. Elle donne également quelques cours sans accepter de poste officiel de professeure pour conserver sa liberté. Surtout elle commence à composer et en 1982 elle dirige son premier orchestre pour l’Institut Pierre et Marie Curie à l’Université de Jussieu. Elle enchaine tant bien que mal les expériences de conduction d’orchestre, continue à jouer du saxo et à composer mais souffre du sexisme du milieu : « Quand tu es femme, instrumentiste avec un saxophone, compositrice et leader, tu as tout faux car tu as tout ce qu’il ne faut pas dans nos sociétés. J’ai surmonté beaucoup de choses mais ça je ne le savais pas car je suis arrivée avec ma naïveté ». Après avoir bien galéré, elle est sur le point de faire son premier disque en 1987, mais son producteur qui est en pleine période de succession se fait inopinément interner en psychiatrie par ses proches qui veulent l’éloigner de l’héritage familial. Ses amis lui proposent alors de créer un label propre, Minuit Regards, sous lequel elle va produire sa musique, six disques au total. Difficile toutefois d’en vivre avec l’arrivée d’internet qui a fait beaucoup de mal aux musiciens. Car produire un beau disque sous label officiel a un coût. « On est passé à un système dématérialisé où l’on ne maitrise plus rien, où l’on doit avancer de l’argent et où c’est devenu très compliqué car les trois quart des gens téléchargent gratuitement ou quasi et l’on touche que dalle », témoigne Nelly qui pourtant produit une vidéo musicale en 1992 et qui n’a pas dit son dernier mot avec la sortie de l’album « Spirale danse » et d’un film éponyme réalisé par Jérémie Lenoir disponible aujourd’hui en DVD. L’occasion d’y retrouver Nelly au milieu de ses souvenirs et de ses amis d’hier et d’aujourd’hui : sur des documents d’archives avec entre autres Micheline Pelzer, Siegfried Kessler, Sunny Murray et Makoto Sato ; et sur la route entre Paris, la Drôme, la Camargue et la plage de Piémanson.

Cliquez ici pour accéder à la page Wikipédia de Nelly Pouget.

Florence Thépault, la voix des chansons à textes de FIP TA ZIK

C’est au « Chat alors ! », un très sympathique bar-brasserie de la rue Baudouin dans le 13ème arrondissement de Paris que le groupe FIP TA ZIK a démarré sa rentrée musicale 2018/2019. Florence Thépault a irradié de sa présence et de son talent d’interprète le concert du trio qu’elle forme avec Isabelle Le Gouic et Philipe Fegey. Nous lui avons donné rendez-vous au bistrot « Le Laurier » dès le lendemain de sa performance pour qu’elle nous fasse partager sa passion pour les chansons à texte.

Naissance de FIP TA ZIK et baptême des concerts en public

Toujours impeccable et la voix claire malgré ses vingt-quatre interprétations de la veille, Florence, qui préfère se faire appeler Flo, examine les clichés d’amateur que nous avons pris lors du concert. Son choix se porte finalement sur une photo où elle apparait radieuse et souriante : « Oui, elle est bien celle-là parce que je suis souriante et naturelle. Enfin c’est moi, quoi ! Et puis c’est joli avec le mur en briques derrière ». Mais pas question pour Flo (F) d’oublier ses partenaires de scène Isabelle (I) et Philippe (P). Pour nous aider à illustrer notre article, elle nous fournira elle-même une photo du trio FIP TA ZIK prise dans le cadre moins confiné du parc Montsouris. Une telle sollicitude nous oblige à redoubler d’attention pour l’interview et l’enquête commence sans que nous prenions même le temps de commander un café. Voilà maintenant trois ans, nous apprend Flo, que le groupe se produit en concert. Tout a commencé une poignée d’années auparavant lorsqu’elle rencontre Isabelle qui est déjà la compositrice de nombreuses chansons qu’elle interprète à la guitare. Flo a le coup de foudre pour l’une d’entre elles intitulée « Une nuit à Paris ».  « C’est exactement le genre de chansons que j’adorerais chanter », lui confie-t-elle. Isabelle lui offre sans hésiter la possibilité de l’interpréter à sa guise. Les deux amies constatent que leur voix se mélangent harmonieusement et prennent l’habitude de s’exercer sur d’autres chansons en caressant l’espoir de pouvoir un jour se produire ensemble en public. Elles se mettent alors à la recherche d’un guitariste qui pourra les accompagner lors de concerts une fois qu’elles se sentiront suffisamment au point. Elles sollicitent en 2014 le concours de Philippe, un musicien de rock et de country, que Flo a rencontré il y a déjà quelques années par l’intermédiaire de son ami musicien Jean-Pierre Torlois. Après avoir écouté les enregistrements qu’elles lui soumettent, Philippe se déclare intéressé par le projet des deux femmes. Les trois partenaires commencent à répéter en se distribuant les rôles au sein du groupe. Philippe se charge de transposer, modifier et enrichir certaines mélodies des compositions musicales d’Isabelle que son auteur trouve parfois trop simplistes. Et il compose lui-même à l’occasion les musiques des textes nus produits par Isabelle. Flo, l’interprète du trio, se propose quant à elle d’ajouter au répertoire du groupe de nouvelles chansons auxquelles elle ajoute une touche personnelle. En plus de leur passion commune pour les chansons à textes, les membres du trio partagent la même fibre humaine faite de tolérance et de respect mutuel. Les oublis et les étourderies des uns et des autres sont plus le prétexte à un fou rire qu’à une fâcherie et aucune guerre d’égo ne vient altérer la bonne humeur qui préside aux répétitions. Des conditions idéales pour se lancer dans le grand bain des concerts en public auxquels Flo se prépare en pensant très fort à Yvette Guilbert, la célèbre chanteuse et diseuse dont elle admire depuis toujours le talent.

Un répertoire éclectique de chansons à textes

A l’instar d’Yvette Guilbert, Flo aime faire face à son public pour lui raconter des histoires, lui faire ressentir des ambiances ou lui transmettre des images. « J’essaie d’y mettre de ma personne et j’y consacre tout mon cœur. Et je regarde les gens pendant le concert parce que je leur raconte et je leur transmets quelque chose. » D’où sa grande prédilection pour les chansons à textes qui l’inspirent tout particulièrement et dont elle parle en experte : « Dans « Une nuit à Paris » qu’a écrit Isabelle, on imagine très bien sa déambulation dans les différents quartiers de la capitale. Et il faut par exemple bien écouter les paroles du « Mariage secret de la mer et du vent », la chanson d’Yves Simon, pour comprendre l’allusion aux vagues. Il en est de même pour l’histoire de « La fille du geôlier de Nantes » de Romain Didier. » Flo serait bien en peine de fournir la liste des chansons qu’elle prend plaisir à interpréter tant sont nombreuses celles qui se bousculent dans sa tête. Elle aime tout autant faire rire en chantant « Tel qu’il est » qu’émouvoir et voir son public fondre en larmes lorsqu’elle interprète « Göttingen » de Barbara. Toutes les chansons de son répertoire la touchent et elle n’imagine de toute façon pas interpréter une chanson qui ne lui plait pas. Barbara, Brassens, Brel, Nougaro, Aznavour, Yves Simon, Souchon et d’autres grands noms de la chanson française peuplent bien sûr le panthéon très éclectique de ses auteurs de prédilection. Mais elle fonctionne aussi par coups de cœur et peut tout aussi bien craquer sur « J’envoie valser » de Zazie parce que la chanson lui donne envie de danser. Elle n’oublie bien sûr pas non plus son ami Jean-Pierre Torlois dont elle chante plusieurs titres lors de ses concerts. Flo a bien conscience que ce n’est pas parce qu’on aime une chanson qu’on est forcément à même d’en recréer l’interprétation et d’en apporter une nouvelle dimension en se la réappropriant. Elle veille d’ailleurs elle-même toujours à choisir pour les concerts les chansons qui correspondent le mieux à sa façon de chanter. Les chansons anciennes, nostalgiques et mélodieuses d’Emile Carrara (« On danse à la Villette ») ou d’Emmanuel Pariselle  (« La Nonchalante ») rentrent tout à fait dans cette catégorie. Mais elle aime également faire goûter à son public des chansons plus légères comme « Plus je t’embrasse plus j’aime t’embrasser » ou bien encore « Le Tourbillon de la vie » et « J’ai la mémoire qui flanche » immortalisées par Jeanne Moreau. Des succès que le public conquis aime à reprendre en chœur avec elle. Et c’est bien là la plus belle récompense pour celle qui n’est motivée que par le partage du plaisir de chanter.

Cliquez ici pour entendre « Une nuit à Paris », ici pour entendre « Quelque chose qui dénote » et lancer la vidéo ci-dessous pour des extraits du concert donné en novembre 2019 au Jazz Café Montparnasse.

Quand l’énergie devient art (Roland Erguy (*), professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur)

Pernety 14 creuse résolument son sillon dans le Village Pernety et le site de l’association reçoit aujourd’hui les visites de plus en plus nombreuses des habitants du Quartier tout à la fois curieux et émus d’en découvrir ou redécouvrir les acteurs et les lieux les plus pittoresques. Cette semaine, c’est Colette qui nous a contactés après avoir lu quelques-uns des articles publiés sur notre blog pour nous mettre sur la piste de Roland Erguy, professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur.

« Technique de boxe du faîte suprême » : le Tai-Chi, entre art martial et gymnastique de santé

Roland Erguy est né à Paris en 1952 d’un père basque et d’une mère d’origine italienne. A l’issue de ses études secondaires au lycée Chaptal, il décroche un diplome d’imprimeur avant de partir faire son service militaire. Il rentre ensuite par concours à la Mairie de Paris au sein de laquelle il va faire toute sa carrière dans l’imprimerie et la décoration florale. En parallèle de ses activités professionnelles, Roland pratique dès le plus jeune âge différents sports dont notamment le judo qui le sensibilise à l’importance de la maitrise de l’équilibre du corps et de son centre de gravité. Il découvre le Tai-Chi avant même de partir à l’armée mais lui préfère pendant plusieurs années d’autres activités plus « dynamiques » comme la voile, la danse, le théâtre, etc. Son partenaire de théâtre l’amène à reconsidérer son appréciation de départ et le remet sur la voie du Tai-Chi en l’initiant à ses principes de base. C’est le déclic qui le poussera à se rendre à la fédération de la rue de Babylone pour y pratiquer pendant quatre ans cet art martial chinois « interne » et obtenir un diplôme de formateur grâce auquel il pourra enseigner la discipline dans plusieurs centres de quartier. Roland transmet la forme yang du Tai-Chi qui est sa forme la plus courante en Chine. Tai-Chi signifie textuellement « technique de boxe du faîte suprême ».  C’est un art martial autant qu’une gymnastique de santé et un travail psychique et spirituel autant que corporel puisqu’il fait fonctionner en même temps le corps et l’esprit. Le Tai-Chi a pour objet le travail de l’énergie appelée chi et consiste en un enchainement de mouvements circulaires et réalisés à la même vitesse qui ont été codifiés dans les années vingt. Ceux qui le pratiquent se concentrent sur le maintien du corps, du souffle, du centre de gravité du corps et sur l’enracinement du poids du corps vers le sol. Roland est intarissable sur les bienfaits physiques, psychiques et spirituels de la discipline qu’il enseigne et il pourrait également disserter pendant des heures sur les origines de cette pratique chinoise ancestrale et les principes du Tao qui la fondent. Il insiste sur le fait que tout le monde, quel que soit son âge, peut pratiquer le Tai-Chi pour son plus grand bénéfice. Il réunit actuellement tous les jeudis dans le cadre d’un cours d’une heure trente délivré dans la salle municipale polyvalente du 12 rue du Moulin des Lapins à Paris 14ème une dizaine de personnes très motivées dont Colette et quelques autres habituées constituent le noyau dur. Le cours est divisé en plusieurs séquences complémentaires : le travail du plexus et de la respiration qui se fait essentiellement au sol ; ensuite, les mouvements de yoga tibétain et les exercices d’étirement du corps ; enfin, le Tai-Chi proprement dit qui n’est ni plus ni moins qu’une méditation en mouvements. Roland nous en fait une démonstration d’un quart d’heure à l’issue de notre entretien dans le petit jardin public de la ZAC Didot qui jouxte la Place de la Garenne. Il enchaine devant nous sur fond de musique chinoise une série de mouvements aux noms très évocateurs (« caresser la queue de l’oiseau », « le simple fouet », « coup de pied en diagonal », « comme un éventail », « la grue blanche déploie ses ailes », « mouvoir les mains comme les nuages », « la fille de Jade tisse et lance ses navettes aux quatre coins de l’horizon », etc., etc.). Le dépaysement est garanti !

La sculpture conçue comme projection du centre de gravité du corps sur les matériaux

« Chercher l’assise et le centre de gravité dans une sculpture », tel est le projet de Roland, professeur de Tai-Chi côté cour(s) et artiste-sculpteur côté jardin. Roland ne puise pourtant pas uniquement son inspiration dans la discipline qu’il enseigne à titre bénévole. Il capitalise également sur son expérience professionnelle à la Mairie de Paris dans les secteurs de l’imprimerie et de la décoration florale. Car tandis que l’imprimerie le familiarise avec la calligraphie et la gravure, la décoration florale lui ouvre les portes de la création artistique ainsi que celles de l’Opéra Garnier, du Palais des Congrès, du Musée Galliera et de mille autres lieux plus somptueux encore. Ses premières sculptures sont celles toutes végétales qu’il conçoit dans le cadre de son métier d’horticulteur. On retrouve dans celles qu’il réalise aujourd’hui (en métal ou en pierre) les arrondis du Tai-Chi et les traces d’une véritable réflexion sur l’équilibre du corps. Qu’il est loin le temps où son professeur lui reprochait d’être « un homme du siècle passé » au regard du caractère un peu figé de ses premières tentatives dans l’art figuratif ! Sa production actuelle est à ce point diverse que Roland a intitulé sa récente exposition « Abstractions » pour englober toutes ses œuvres sous un concept unique. Certaines cultivent le contraste entre le lisse (métal) et le brut (pierre) ; d’autres (comme, par exemple, « Le touareg ») sont réalisées avec du chiffon enduit de plâtre. Roland a bien sûr exposé à la Galerie du Montparnasse qui dépend de la Mairie de Paris dont il a longtemps été l’employé mais également à la Galerie Everarts de la rue d’Argenson après qu’il a été remarqué par certains amateurs d’art. Il y a d’ailleurs laissé un des seuls grands formats qu’il a réalisés dans sa vie faute de place pour le stocker personnellement… Mais pour Roland, l’inspiration est toujours là, qu’il puise dans le Tai-Chi mais aussi ailleurs, pour produire des œuvres originales qui expriment la sérénité et l’équilibre qu’il veut faire partager chaque jeudi à celles et ceux qui le souhaitent dans le cadre de son enseignement.

(*) Roland Erguy s’est malheureusement éteint le 14 janvier 2023. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

« Le Laurier », le bar-restaurant qui ne s’endort pas (dessus) !

Louis, patron du “Laurier”, en mode Covid

Pour célébrer son sixième anniversaire et la sortie du premier livre autoédité par l’association, Pernety 14 se devait de mettre les petits plats dans les grands. Et c’est au Laurier que nous avons naturellement pensé pour  organiser notre séance de signatures et inviter tous les amis de l’association à partager un moment de convivialité autour d’un très généreux buffet. Zoom sur cet endroit chaleureux du Pernety Village où se croisent dans la bonne humeur nombre d’habitués du Quartier.

Cuisine traditionnelle, bar à vin et cheminée

Situé à l’angle de la rue Pernety et de la rue Didot, Le Laurier est le bistrot qui a le vent en poupe dans le 14ème arrondissement de Paris. Un panneau situé à l’entrée du restau donne le ton : « Ici nos vaches ne sont pas folles, Les poulets n’ont pas la grippe, Les fromages ne sont pas bourrés de listéria, Manger ici ne rend pas obèse, Toute notre cuisine est Maison… Et nos arrivages sont journaliers comme nos clients !! » A la fois restaurant et bar à vin, cet endroit est idéalement placé et agencé pour capter la clientèle locale ou de passage désireuse de goûter la cuisine traditionnelle française préparée par son chef ou de déguster les vins sélectionnés par Louis, le maitre des lieux. De bons plats un peu rustiques, généreusement servis et très accessibles en termes de prix, le tout mis en valeur par un service « aux petits oignons », c’est la recette du restaurant dont l’efficacité ne se dément pas depuis déjà plusieurs années. Et l’on ne connait absolument personne qui ait été déçu par l’un des plats phares du chef dont : – la souris d’agneau toujours « harchi-fondante » ; – la salade du Laurier qui mélange, entre autres produits frais, de la mangue, du pamplemousse et des écrevisses ; et – le hamburger du Laurier pas si classique qu’il n’y parait puisqu’il est servi avec une compotée de cèpes, du fois gras poilé et de l’huile de truffe ! Pour accompagner le repas, il n’y a que l’embarras du choix car Louis a  fait aménager dans la petite salle du restaurant un bar à vin dont la carte affiche une cinquantaine de crus produits par des petits producteurs. La très grande majorité d’entre eux sont proposés au verre et au pichet. Le champagne haut de gamme Billecart-Salmon est quant à lui proposé à un prix défiant toute concurrence à Paris. Enfin, cerise sur le restau, une cheminée réchauffe les convives en hiver et vient souligner le caractère rustique et « terroir » des prestations offertes.

Feu de cheminée au “Laurier”

Une équipe sympathique, de fidèles habitués et des évènements toute l’année

Mais c’est avant tout de la chaleur humaine que diffuse Le Laurier et la bonne humeur du personnel se transmet à la clientèle dont 90% sont des habitants du Quartier Pernety. Pour expliquer ce phénomène, Louis qui  dirige une équipe d’une petite dizaine de personnes se la joue modeste : « Apparemment les serveurs et les gens qui bossent ici se plaisent », se contente-il de dire. Du lundi au vendredi, c’est Bruno, un transfuge des Tontons, qui assure le service derrière le bar pendant la journée. Il est relayé en soirée par Xavier et Lodi et le week-end par Raphaël et Othman. L’ambiance conviviale du bar-restaurant est entretenue par les habitués du lieu qui sont volontiers proches et complices du personnel de salle. Le Laurier est également the place to be en raison des évènements qui y sont régulièrement programmés. Le jeudi et le samedi soir, l’endroit est animé par des concerts de jazz très prisés des amateurs du Quartier ou par des menus à thème qui permettent aux convives de découvrir la cuisine régionale française. De nombreux vernissages d’exposition et signatures de livres y ont également eu lieu et tout récemment c’est donc Secteur 13, le premier livre autoédité par Pernety 14, qui a été dédicacé aux habitants de Pernety. Le bureau de Pernety 14 tient à remercier très sincèrement Louis et toute son équipe pour leur professionnalisme qui a permis à cet évènement réunissant une quarantaine de personnes venues d’horizons très différents de se dérouler dans les meilleures conditions. Il atteste de façon définitive que le 24 de la rue Didot reste aujourd’hui l’une des meilleures adresses de Pernety Village pour les habitués du Quartier qui aiment se retrouver autour d’un verre et les personnes de passage qui veulent partager une bonne table sans se ruiner.

La cave du “Laurier”

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Dominique Cros : « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture »

Dominique dans son atelier d’artiste de la rue des Mariniers

Comme tous les artistes authentiques, Dominique Cros n’est jamais où on l’attend car elle ne trouve sa place nulle part. Sa vie est une remise en cause permanente et son parcours une quête perpétuelle d’autres mondes et d’autres réalités. Elle a pourtant connu la célébrité aux Etats-Unis au début des années 90 avec ses planches de dessins de tatouages et un grand succès en France au cours des années 2000-2010 avec sa peinture. Elle se verrait bien aujourd’hui créer et administrer une école ou un centre d’accueil dans un coin perdu de France. Pour l’heure, c’est toujours Paris qui est la source de son inspiration. Elle a bien voulu nous recevoir dans son atelier du 14ème arrondissement où elle a depuis peu élu domicile.

Pionnière du tatouage en France

Dominique Cros est une artiste autodidacte qui ne se souvient pas avoir jamais cessé de peindre : « J’ai peint depuis toute petite, toute gosse, et c’est toujours resté ». De l’école d’art de Cergy-Pontoise où elle passe deux ans après avoir obtenu son Bac ne lui restent que quelques notions sur l’utilisation des couleurs et quelques bases de psychologie et de communication. Mais l’approche très contemporaine de l’art qui est celle de l’école ne lui convient pas du tout. Dès l’âge de vingt-et-un an, elle préfère voler de ses propres ailes en filant avec son ami bassiste à New York où elle commence par réaliser des affiches et des logos pour les groupes de rock de Manhattan. A son retour en France un an plus tard, elle devient illustratrice de revues et de manuels scolaires pour les éditions Belin, puis peintre décoratrice pour les studios de télévision d’Antenne 2. « J’étais archi-timide à l’époque et j’ai voulu travailler dans la restauration pour me débloquer un peu. Au contact de mes clients étudiants, je me suis rendu compte que les études c’était pas mal. Alors j’ai passé un DUT de gestion. Je voulais comprendre ce qu’il se passait autour de moi car je planais complet. » Entre 1983 et 1986, Dominique est assistante de gestion chez Bull et profite de son temps libre pour dessiner. Elle se spécialise dans les planches de tatouages et acquiert une grande notoriété outre-Atlantique pour son travail qui sera primé plusieurs fois aux Etats-Unis : « J’étais super connue à l’époque et j’étais dans tous les magazines de tatouage internationaux au début des années 90 », se rappelle-t-elle. En France, c’est une pionnière dans ce domaine. Elle ouvre plusieurs studios de tatouage à Castelnaudary, la ville dont elle est originaire, ainsi qu’à Nîmes et à Marseille. Le 4ème RE, le régiment de formation de la Légion étrangère stationné à Castelnaudary, lui fournit une bonne partie de sa clientèle. Mais elle reçoit également la visite de personnes venues de tous les pays dont notamment des japonais qui ont vent de son savoir-faire. Elle aime ces rencontres avec des gens venus de tous les horizons qui lui racontent leur vie et lui ouvrent l’esprit. Elle aime également pratiquer cet art primitif qu’elle contribue à revaloriser et dont elle apprécie la difficulté puisqu’il s’agit de réaliser des dessins en trois dimensions sur des supports mouvants. Elle en fait son quotidien de 28 à 56 ans avant de décrocher complètement. « Au bout d’un moment, la boutique ça devient l’industrie. J’avais besoin de passer plus de temps avec chaque client. Et puis, on sature un peu car on fait tout pour les autres qui viennent avec leurs idées. On a envie de faire des trucs à soi, d’exprimer ce qu’on a dans la tête. » Elle prend donc progressivement du champ avec le monde du tatouage et se retire quelque temps à la campagne pour peindre les moulages de corps qu’elle a réalisés. Elle commence à se mettre sérieusement à la peinture au début des années 2000 tandis qu’elle tient « L’Ancre Bleue », une boutique de tatouage qu’elle a ouverte à Marseille. Elle prend l’habitude de se lever très  tôt le matin et de grignoter quelques heures sur ses heures de travail pour se consacrer à la peinture à l’huile qui a sa préférence depuis toujours. Elle commence par peindre des paysages en faisant une série de tableaux sur Marseille. Puis elle monte à Paris en 2009 bien décidée à ne plus faire les choses à moitié et à peindre à plein temps pour améliorer sa technique.

« Renaitre chaque jour », 2014

Des reflets qui offrent une image déformée de la réalité

En délaissant le tatouage pour la peinture, Dominique se sent enfin libre. Même si elle a connu la gloire en tant que dessinatrice de planches de tatouages, pour elle la peinture coule plus de source que le dessin. « Ce n’est pas la même approche, nous explique-t-elle. Parce que la peinture c’est des surfaces alors que le dessin c’est des contours. » C’est pour le tatouage qu’elle s’est mise à dessiner mais sa vocation profonde est celle de peintre, qu’elle va maintenant pouvoir exprimer à temps complet.  Elle emprunte les circuits classiques de la reconnaissance artistique en exposant notamment au Grand Palais au Salon des Artistes Français et en devenant sociétaire de la Société des Artistes Français. De nombreux prix lui sont attribués à l’occasion des différentes expositions auxquelles elle participe à Paris et en région parisienne. Elle expose également quelques années au « Marché de la Création Paris Montparnasse » qui se tient tous les dimanches de l’année boulevard Edgard Quinet. Le succès est au rendez-vous et Dominique peut facilement vivre de sa peinture. Certaines toiles marchent très bien notamment celles qui représentent des aéroports, des gares et certains quartiers de Paris car Dominique excelle à jouer des effets fugitifs de la lumière mis en exergue par de puissants contrejours. Le public est également particulièrement friand des reflets qui offrent une image déformée de la réalité. En poursuivant dans cette voie, elle aurait pu rapidement faire fortune. Mais refaire encore et toujours la même chose ne l’intéresse pas du tout. « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture, nous confie-t-elle. Je veux rester moi-même. » La vérité c’est qu’elle ne se sent pas très à l’aise et pas vraiment à sa place en compagnie de ses pairs qui l’ont pourtant distinguée à plusieurs reprises. Elle a envie de peindre mais différemment en exprimant ses idées et ses opinions propres tout en restant résolument attachée aux techniques traditionnelles de la peinture auxquelles les peintres contemporains ont justement tourné le dos. Vouloir faire des toiles hyper-contemporaines avec une technique hyperclassique fait d’elle une rebelle dans le petit monde de la peinture d’aujourd’hui. Elle considère que toute une technique ancestrale s’est aujourd’hui perdue, qu’elle n’a jamais pour sa part cessé d’appliquer. « Je me demande si je ne m’engage pas dans une voie de garage en soutenant ces idées car il faut vivre avec son temps ; la peinture c’est peut-être complètement dépassé », nous glisse-t-ellePas de quoi pourtant désespérer celle qui reste convaincue que les vraies choses perdureront toujours et qui n’a pas la peinture comme unique passion. Dominique se réjouit au contraire de vivre cette période d’incertitude : « On ne sait pas trop où on va et c’est ça qui est bien. »  L’aventure ne lui a jamais fait peur et elle compte bien explorer à l’avenir les nouveaux chemins artistiques et professionnels qu’elle aura elle-même choisis d’emprunter.

« La louve du Louvre », 97x162cm, huile sur toile

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