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Francesca Dal Chele, la photographe du coin de la rue

Elle a photographié pour nous « l’ennui épais » du confinement. Francesca Dal Chele, qui manie son appareil photo comme d’autres leur stylo pour exprimer ses émotions et ses idées, nous a très gentiment reçu chez elle rue Didot pour nous présenter son oeuvre tout en entre deux.

Parisienne de nationalité

Francesca Dal Chele est née aux Etats-Unis mais ne cultive aucunement ses racines. Car si ses travaux photographiques questionnent la notion d’identité, l’appartenance à un pays n’est pas sa propre histoire. Dès sa petite enfance californienne, cette fille d’immigrés italiens a le sentiment d’être « étrangère » et, à l’adolescence, c’est vers la France que la guide son intuition. Elle décide d’étudier la langue et la littérature françaises à l’université pour se préparer à y vivre et fait à cette occasion un premier séjour à Aix-en-Provence. Arrivée à Paris fin 1978 pour y devenir assistante de direction bilingue, c’est aujourd’hui tout naturellement qu’elle se définit comme « parisienne de nationalité » après s’être fixée il y a 40 ans dans le 14ème arrondissement. Ce sont les hasards de sa vie qui vont être les déclencheurs de sa passion relativement tardive pour la photographie. L’idée lui trottait à vrai dire déjà dans la tête depuis une bonne dizaine d’années car elle pressentait qu’il y avait là un moyen adapté d’exprimer sa créativité en parallèle de son travail. Elle commence par se former avec Mira, un photographe-reporter iranien qui dispense des cours dans une MJC de la rue de Trévise, puis plus tard à l’EFET, une école de photographie parisienne où elle reste un an en cours du soir. Elle approfondit par la suite sa connaissance de la photo en la pratiquant très assidument et forme son regard en analysant les travaux d’autres artistes-photographes. Ses références sont alors Sebastiaõ Salgado et Raymond Depardon avec lequel elle aura l’honneur d’effectuer un stage à l’ENSP d’Arles. « Je voulais comprendre ce qui faisait qu’une image était forte et une autre pas », se souvient-elle. Je me suis rendu compte que j’avais tout à apprendre, mais cela m’intéressait énormément car, dés que j’ai commencé la photo, j’ai senti que j’avais trouvé là le canal pour exprimer mon désir de création ». Sa vocation est née : elle devient en 1986 à 36 ans photographe-auteure indépendante en travaillant dans un premier temps uniquement en noir et blanc et en réalisant elle-même ses propres tirages. 

Dans le chantier de Tarlabasi 360, Istambul 2015 in Quel est ce bruit à l’horizon

Tropisme turc

Elle commence par envisager la photographie comme un moyen de témoigner voire de dénoncer les injustices du monde au travers de ses reportages et s’intéresse tout particulièrement aux cultures traditionnelles mises à mal par la modernité. Ainsi Vies silencieuses, son premier sujet au long cours réalisé en N&B dans les années 90 traite-il de la vie des Touaregs qui sont des anciens nomades du Sahara contraints par les autorités algériennes à une sédentarisation forcée. Ainsi s’intéresse-t-elle également à la Turquie à partir de 2005 qui est l’année du début officiel des négociations pour l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne. « J’ai entendu toute une série de propos négatifs et racistes sur ce pays musulman perçu comme islamiste et finalement arriéré par rapport à l’Occident, se rappelle-t-elle. Comme j’ai grandi aux Etats-Unis où la lutte des Afro-américains pour leurs droits civiques et contre la discrimination a fortement marqué ma manière de penser et d’être, je suis devenue sensibilisée pour toujours aux questions de racisme et de xénophobie et j’étais donc très choquée par ces propos ». Ce qu’elle lit alors à propos de la Turquie ne correspond pas du tout à ce qu’elle a constaté à Istanbul où elle s’est rendue en 2004. Pour se faire une idée définitive de la question, elle décide de visiter la Turquie profonde et de se rendre en Anatolie. Dans le cadre de son travail de documentation préalable indispensable à la construction de son sujet, elle s’intéresse tout particulièrement aux villes de l’Anatolie en voie de modernisation très rapide et dépossédées de leur identité propre par la globalisation économique mondiale. Son objectif va être de témoigner des changements qu’elle pourra observer. « Ce que j’ai vu en Anatolie en 2005 était tout le contraire du pays arriéré peuplé de femmes voilées auxquelles il n’était fait aucune place, que décrivaient certains en France », se souvient-t-elle. Elle tombe en fait complètement sous le charme de ce pays en transition dont le tiraillement entre tradition et modernité, entre pauvreté extrême et gentrification, rentre en résonance avec sa personnalité duale. Elle en garde la trace dans plusieurs séries de photographies visibles sur son site internet, notamment Le Passé de l’AvenirD’où vient ce bruit à l’horizon et Du Loukoum au Béton« De voir combien ce pays formidable est devenu autoritaire et liberticide me désole complètement, ajoute Francesca en faisant référence à la récente actualité. Quand je relis les propos des jeunes Turcs que j’ai retranscrits dans mon livre Du Loukoum au Béton [publié aux éditions Trans Photographie Press], je suis pratiquement au bord des larmes. Que d’espoirs déçus ! »

Sédimentation n° 2, Didot-Eure, 2 avril 2020, Jour 17 (Copyright Francesca Dal Chele)

Photographier l’épaisseur du temps

La démarche de Francesca n’est toutefois pas seulement documentaire. Dès 1995, elle commence à explorer une photographie plus intime, plus distanciée du réel, qui s’appuie sur la richesse des flous pour le transcender. C’est l’idée qui guide sa série de photographies de visages intitulée Archaeus née d’un désir de revenir vers l’humain dans ce qu’il comporte d’universel. Dans Surfaces sensibles, Francesca utilise le flou pour essayer de traduire l’intangible sentiment d’appartenance et la notion de génie des lieux. Sa toute récente série intitulée Sédimentations est quant à elle à l’origine un travail plastique qui réutilise la technique du « palimpseste » déjà explorée à l’occasion de la réalisation de Le Passé de l’Avenir pour se faire cette fois le reflet de l’ennui et de la monotonie ressentis durant le confinement. Ses photos sont l’expression de l’épaisseur du temps s’écoulant sans réel relief et tout juste ponctué de micro-évènements à l’extérieur de son appartement. Afin de donner corps à cette sédimentation de la vie, Francesca a placé son objectif à sa fenêtre et a photographié chaque jour l’angle de la rue Didot et de la rue de l’Eure pour finir par superposer sous Photoshop au prix d’un très minutieux travail technique différentes strates de photographies. Chaque Sédimentation réalisée est le produit de quatre images choisies parmi toutes celles qu’elle a prises le même mâtin. S’il lui arrive parfois d’ajouter à sa construction des personnages prélevés dans d’autres images, la règle est que tous les éléments qui la constituent doivent provenir de scènes observées au cours de cette mâtinée. « Mon objectif est de faire ressentir à la personne qui regarde ces Sédimentations l’épaisseur du temps et le mouvement ralenti de la vie », nous indique Francesca. Le résultat très esthétique est tout à fait à la hauteur de ses ambitions. « Il est également important qu’une image soit esthétique, précise la photographe. Car si elle n’est pas esthétique, les gens n’ont pas envie de la regarder et passent à côté du « message » que l’artiste y a mis. Ce que je dis est tout aussi bien valable pour les images de documentaires subjectifs ou de reportages. Le tout est de se garder de réaliser des images esthétisantes dans lesquelles l’esthétique est plus important que le fond ». Francesca a toutefois naturellement bien conscience que l’interprétation de ses oeuvres peut être éminemment subjective. Ainsi Yann Stenven qui a commenté son tout récent travail pour la revue TK-21 y a vu la « glorification des petit métiers et des métiers de ceux qui malgré le confinement doivent travailler aux fins que tourne un système de plus en plus fou ». Comme si l’oeil critique toujours en éveil de Fransceca avait inconsciemment intégré une dimension politique à sa dernière oeuvre en date. Chassez le naturel…

La mer à Sutt’a a Rocca, Bonifacio (Corse) 2000 in Surfaces Sensibles

Cliquer ici pour accéder au site internet de Francesca Dal Chele et ici pour accéder à l’article de la revue TK-21 consacré à Sédimentations.

 

Lucile Denizot n’a pas peur du grand méchant loup

La liberté fait peur à beaucoup mais certainement pas à Lucile Denizot. Il n’y a guère qu’avant de monter sur scène qu’elle est saisie par le doute. Pour le reste, c’est toujours tout à trac ! C’est souvent d’un seul jet que cette artiste à la spontanéité désarmante créé les textes de ses chansons. Elle ne s’est pas non plus posé trop de questions avant de partir à l’âge de vingt ans comme volontaire sur un chantier de reboisement au Togo. « Just do it ! », telle semble être la devise de cette gauloise brune sans filtre. Une leçon pour tous les frileux de la vie !

Fibre altruiste et tropisme africain

L’enfance de Lucile qui est née à Sancerre dans le Berry fleure bon le terroir, le vin blanc et le fromage de chèvre. Ses grands parents du côté maternel sont des entrepreneurs qui se sont lancés avec succès dans l’affinage et la commercialisation industriels du crottin de Chavignol. Elle est élevée par sa mère, médecin scolaire, tandis que son père exerce la profession de psychiatre addictologue. Après son bac, Lucile s’envole pour le Togo puis le Bénin dans le cadre de missions de reboisement organisées par les Clubs UNESCO. C’est encore l’Afrique qui continue de susciter son intérêt pendant qu’elle étudie les relations internationales à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris. Elle enchainera avec un troisième cycle à la Sorbonne en consacrant son mémoire de DESS à l’allègement du travail domestique en milieu rural sahélien. Après son stage de fin d’études effectué au Burkina Fasso, elle devient chargée de mission au Sénégal pour mettre en place différents projets humanitaires. Le pli est pris : c’est aux autres qu’elle va consacrer sa vie plutôt que la perdre à courir après l’argent. C’est ce qui l’amènera par la suite à devenir animatrice socio-culturelle puis enseignante suppléante à l’issue d’un passage à l’IUFM d’Anthony. Nombreux sont les projets sur lesquels elle travaille, soit en direction des enfants, soit en direction des plus démunis. En 2014, dans le cadre de L’Enfance de l’Art, l’atelier d’arts plastiques pour enfants-adolescents qu’elle a fondé en 2009, elle anime Les Enseignes des enfants où trente six enseignes sont créés par des enfants pour trente six boutiques de la rue Raymond Losserand dans le XIVème arrondissement de Paris. Entre 2016 et 2018, elle devient responsable de l’animation et du bénévolat du centre d’hébergement d’urgence de l’Ordre de Malte abrité par la péniche Le Fleuron Saint-Jean dans le XVème et organise des activités sportives et artistiques ainsi que des sorties et des soirées culturelles à destination d’hommes sans domicile accompagnés de leur chien. Toutes ces expériences souvent effectuées aux confins des activités artistiques ne sont en réalité que le versant professionnel d’une créativité qu’elle exprime par ailleurs par la confection d’œuvres d’art ou l’écriture de chansons.

Reboisement en Afrique à 20 ans

Des bouquets-sculptures aux concerts solo

Car Lucile a en réalité toujours mené une double vie et cultivé le goût des arts. Le goût des objets d’art en premier lieu qui la fait tomber en pâmoison devant la collection de masques africains de sa mère pendant son enfance et qui la fait se transformer en brocanteuse de poche dès l’âge de huit ou neuf ans. Ses premières sculptures datent de 1996-1997 et témoignent de sa passion pour les fleurs en plastique ainsi que de son goût pour la déco des années 50. C’est le début de la série Plastiflores et Florifères, des assemblages ludiques et hétéroclites aux couleurs acidulées qui ont été exposés dans plusieurs galeries et bars parisiens, notamment du XIVème arrondissement. Ces bouquets-sculptures ainsi que d’autres œuvres bois et textile vont lui valoir un certains succès puisqu’elles seront le sujet d’un numéro de l’émission Talents de vie diffusée sur France 2 et de plusieurs articles de magazines de décoration.  Mais Lucile, peut-être saisie par la peur de réussir, préfère arrêter la production et laisser d’autres s’inspirer de ses créations originales. Elle stocke aujourd’hui toutes les œuvres qu’elle a conservées de cette période faste dans son atelier de la rue du Moulin Vert situé à quelques pas de celui où Alberto Giacometti a habité toute sa vie. Lucile n’est pourtant pas seulement une artiste plasticienne. Elle a également écrit plusieurs contes pour enfants toujours à l’heure actuelle inédits et surtout des textes de chansons dont certains ont été mis en musique par Rémi Bienvenu. C’est lui qui le premier a repéré son talent de compositrice de chansons qu’elle n’a de cesse de perfectionner aujourd’hui avec Claude Lemesle qui fut parolier de Jo Dassin. Elle a déjà eu l’occasion de se produire à l’occasion d’une quinzaine de concerts et s’active maintenant à la réalisation de vidéos sur YouTube pour diffuser ses créations le plus largement possible. Méchant Loup dont elle a écrit les paroles et la musique n’est sans doute que la première d’une longue série !

Dans la série Plastiflores et Florifères

Vous pouvez trouver un autre portrait de Lucile Denizot dans Visages du XIVe de Béatrice Giudicelli et France Dumas.

Les tempêtes traversées de Gilles Kraemer, capitaine de Riveneuve Editions

Faut-il nécessairement sortir du cadre pour devenir éditeur ? Gilles Kraemer qui plus jeune rêvait de devenir archéologue s’est tour à tour essayé au journalisme, à l’enseignement et à la diplomatie culturelle avant de reprendre il y a quatre ans les éditions Riveneuve dont les locaux sont aujourd’hui situés au 85 rue de Gergovie dans le 14ème arrondissement de Paris. Il a fait de sa maison d’édition un véritable petit centre culturel au coeur du 14ème avec pour ambition de « raconter le monde aux Français et les Français au monde ». Retour sur le très riche parcours d’un homme impliqué et exigeant.

Les très difficiles heures du journalisme

L’ouverture au monde de Gilles Kraemer date très certainement de son enfance voyageuse. Son père qui travaille pour Renault et qui est resté plus de dix ans en poste à l’étranger s’installe au Koweït alors qu’il a cinq ans. « Je me suis retrouvé à l’Alliance Française au milieu de petits libanais et d’autres jeunes ressortissants de pays étrangers qui parlaient français comme moi et qui d’un seul coup se mettaient à parler une langue que je ne comprenais pas – sans que je comprenne pourquoi je ne comprenais pas », se souvient Gilles. Il découvre l’Egypte au même âge. Plus que les pyramides, c’est le Sphinx qui l’impressionne et le fascine au point de susciter chez lui l’envie de devenir archéologue. Le besoin d’ailleurs et de découverte du monde s’instille déjà en lui, qui déterminera la suite de son parcours et deviendra sa marque de fabrique. Au collège et lycée, sa préférence va aux lettres et au dessin, mais comme beaucoup de bons élèves il poursuit des études scientifiques avant de se réorienter en filière littéraire en s’inscrivant dans les classes préparatoires d’hypokhâgne et de khâgne. Il dit adieu à l’archéologie quand il prend conscience qu’écrire des enquêtes archéologiques ne pourra lui faire bénéficier que d’un lectorat très restreint. Le journalisme lui semble être une bien meilleure option et il décide d’intégrer le Centre de formation des journalistes (CFJ) et de consacrer sa thèse d’étudiant à la presse francophone en Méditerranée. Son service militaire effectué en tant que coopérant en Egypte lui donne une image passionnante de ce métier : tout en assurant des cours à la faculté, il est un collaborateur du journal de langue française Le Progrès Egyptien et négocie la création du nouvel hebdomadaire Al-Ahram Hebdo qui sera promis à un très bel avenir. A son retour en France, il trouve son pays et le secteur de la presse plongés dans une crise noire. Il travaille en tant que pigiste et garde un très amer souvenir de cette expérience : « A cette époque, les journaux dés-embauchaient et j’ai très nettement assisté à la dégradation matérielle et morale de la condition de journaliste. J’ai travaillé pour une quinzaine de journaux et ça a été véritablement quinze problèmes différents : il fallait sans cesse batailler avec ceux qui ne voulaient pas payer, ceux qui revenaient sur leur parole et ceux qui essayaient de mégoter en tirant prétexte que je n’avais pas ma carte de presse pour ne pas me payer en tant que journaliste. Tous des grands journaux pourtant ! ». Gilles rentre alors comme formateur au CFJ où il a étudié et devient l’adjoint puis le responsable des relations internationales de l’école. A ce titre, il donne des cours à l’étranger (à Moscou, au Caire et au Liban notamment), accueille des étrangers en France et monte différents programmes sous financement du Ministère des Affaires étrangères dans le cadre d’une mission générale visant à assurer le rayonnement de la pensée française dans le monde. Il quitte le CFJ au bout de neuf ans alors que l’école connait une profonde restructuration : « A ce moment là, l’école était en train de couler. Elle venait d’être rachetée après avoir fait faillite deux fois. Son mode de gestion paritaire issu de la Résistance ne fonctionnait plus et elle a malheureusement fini par être rachetée par des marchands de soupe ». Gilles qui n’aime pas du tout le nouvel environnement de travail dans lequel il doit évoluer accueille avec soulagement la proposition que lui fait le Ministère des Affaires étrangères : prendre la tête du centre culturel de Ramallah en tant que chargé de coopération à l’ambassade de France, un poste qui requiert une solide connaissance du monde arabe en plus d’une bonne maitrise de la langue allemande dans la perspective d’une collaboration avec le Goethe-Institut.

La petite gestion de la diplomatie culturelle française

Gilles envisage sa nouvelle fonction de chargé de coopération à l’ambassade avec autant d’enthousiasme qu’il avait envisagé auparavant le journalisme et l’enseignement. S’il a enseigné au CFJ, il n’a pourtant jamais pu réussir à se faire coopter au sein du système universitaire français quand bien même sa thèse a été reçue avec les félicitations du jury. Qu’à cela ne tienne, la diplomatie culturelle l’agrée tout autant. Il est à l’époque bardé de certitudes quant à l’utilité du soft power. A Ramallah, la capitale administrative de fait de l’Autorité palestinienne, il va tenter de coordonner autant que possible l’action du centre culturel français dont il est à la tête avec le Goethe-Institut allemand. La mission dont il est chargé le motive d’autant plus qu’elle lui est confiée au moment même où les Français et les Allemands s’associent pour essayer de s’opposer à la Guerre en Irak. Il s’agit, par la culture et les bonnes pratiques, d’aider et d’encourager l’Etat palestinien à se structurer de façon indépendante, démocratique et vivant en paix avec son voisin israélien. Même s’il se souvient de formidables réalisations culturelles, force lui est aujourd’hui de constater l’échec total de la démarche. Sa mission suivante en tant que de chargé de coopération à l’ambassade de Sarajevo n’est guère plus concluante. Il s’agit ni plus ni moins d’aider la Bosnie-Herzégovine à se structurer pour rentrer dans l’Union européenne . « A chaque fois, il y avait de beaux enjeux. A chaque fois, j’y croyais. Et à chaque fois, j’ai vu l’étendue du désastre politique », se souvient-il un brin désabusé. Il est également frappé par la lourdeur administrative française, le manque de vision du ministère qui l’emploie et la petite gestion sans ambition des carrières de ses employés. Travailler avec des gens qui ne croient pas vraiment en ce qu’ils font et qui ne vivent que pour leur statut social et leur salaire de fin de mois ne l’enthousiasme guère. C’est le directeur des éditions Riveneuve qui va finalement l’aider à surmonter sa déception en lui proposant de diriger une collection.

Le 85 rue de Gergovie

Un éditeur introuvable

A l’origine de cette rencontre se trouve une autre frustration : celle qu’il éprouve quand, à l’instigation de quelques amis, il se met en tête de publier les chroniques qu’il écrivait au fil de l’eau lorsqu’il était en poste à Ramallah. Une fois rentré en France, il se met à la recherche d’un éditeur en activant son réseau personnel afin de rentrer en contact avec les meilleurs d’entre eux. Il se rend compte à cette occasion qu’écrire sur la Palestine est en France un peu tabou et que personne n’ose prendre de risque sur ce sujet précis. « J’ai bien sûr trouvé cela absolument scandaleux dans la mesure où je me trouvais complètement légitime à exprimer mon point de vue sur ce que j’avais vécu, s’insurge-t-il encore aujourd’hui. Mon témoignage était d’autant plus intéressant qu’il reflétait un point de vue franco-allemand et qu’il avait été écrit pendant une période marquée par la mort d’Arafat et qui s’achevait avec la négociation d’Annapolis censée être la négociation de la dernière chance. Il y avait donc beaucoup de choses à raconter. » Une réponse convenue de refus sanctionne chaque envoi de manuscrit. Seule une éditrice, qui avait publié par le passé un ouvrage de témoignage sur la Palestine, lui confie que cela lui a valu de nombreuses insultes et qu’elle ne tient pas à renouveler l’expérience. Il n’y a au final que le patron des éditions Riveneuve qui s’engage à le publier si sa recherche d’un éditeur n’aboutit pas. Ainsi naît la collection Jours tranquilles à … dont il va lui être confiée la direction après la publication de Jours tranquilles à Ramallah. Elle raconte la vie quotidienne dans des endroits dont on pourrait croire en écoutant les média mainstream qu’ils ont été désertés de toute vie et de toute animation. Ce concept original séduit de nombreux journalistes, diplomates et humanitaires et Gilles n’a aucun mal à recruter des candidats pour cet exercice de journalisme d’auteur. A Jours tranquilles à Ramallah succèderont ainsi Jours tranquilles à Kaboul, Jours tranquilles à Gaza, Jours tranquilles à Alger, Jours tranquilles à Tunis, etc., qui sont les chroniques de villes dans lesquelles la situation s’est dégradée et dont justement il importe de raconter l’évolution des jours les moins tranquilles. Gilles se prend si bien au jeu de l’animation de cette collection que son éditeur lui propose de prendre la relève de la maison d’édition. Il saisit cette occasion pour aller enfin au bout de ses envies et intuitions en restructurant, en rajeunissant et en féminisant les éditions Riveneuve et en les dotant de nouveaux locaux, d’un nouveau logo et d’un nouveau site internet qui actent du changement de cap de la maison. Quel meilleur atout que son remarquable parcours pour remplir la mission qu’il s’est donnée « d’aider modestement au rapprochement et à la compréhension des peuples » ?

Cliquez ici pour accéder au site de Riveneuve Editions et découvrir son catalogue.

France Dumas croque la vie du 14ème arrondissement

Vous l’avez peut-être croisée le Rotring à la main dans le coin d’un bistrot du 14ème arrondissement occupée à croquer une scène sur le vif. Telle la petite souris des dessins de Plantu, France Dumas aime observer et être le témoin bienveillant de ce qui se passe autour d’elle. Ses dessins et gravures sont la trace de moments précieux, de visages connus ou inconnus ou d’émotions fugaces. Nous l’avons rencontrée entre deux rayons de soleil à la terrasse du bar-restaurant La Place, place Flora Tristan, pour qu’elle nous présente son travail de graveur et d’illustratrice.

Des reportages dessinés inspirés par les spectacles vivants

« C’est ma première terrasse depuis deux mois et demi ! ». Enfin déconfinée, France est visiblement contente de pouvoir s’asseoir à une terrasse de café. Elle a apporté dans son sac un nombre impressionnant de livres et d’éditions rassemblant ses oeuvres dont son Calendrier Perpétuel, Bistrots du XIVe arrt que nous lui avions commandé. Pour illustrer le mois de juillet, on y trouve le dessin d’une terrasse animée du café L’Imprévu qui jouxte le bar-restaurant où nous sommes assis. Voilà une très bonne idée-cadeau pour tous les Quatorziens qui aiment les bistrots dont France a donné une preuve supplémentaire d’amour en publiant aux Editions Autrement un recueil de dessins intitulé Bistrots et Cafés, Paris.

Cette Bretonne de coeur qui est née en région parisienne connait Paris comme sa poche. Elle habite depuis aujourd’hui plus de vingt ans dans le XIVème arrondissement dont elle est un visage si familier qu’elle aurait très bien pu figurer dans l’un des recueils de portraits que Béatrice Giudicelli a consacrés à ses illustres et moins illustres habitants. Au lieu de quoi, c’est elle qui a illustré de son coup de crayon reconnaissable entre tous Visages du XVIe sorti en 2011 aux Editions Carnets-Livres et Figures du XIVe arr. publié en 2017 à Riveneuve Editions. La route a en réalité été longue, qui a mené France vers le dessin et la gravure. « J’ai toujours aimé dessiner, mais je me suis jamais autorisée à en faire un métier sans doute par peur de ne pas être à la hauteur », se rappelle-t-elle. Rien ni personne dans son environnement familial ne la prédestine à devenir artiste. Et dans le lycée élitiste qui est le sien, on prépare les élèves aux écoles de commerce bien plutôt qu’aux études artistiques. Elle commence donc par étudier l’économie à Nanterre jusqu’au niveau maitrise avant de réaliser qu’elle s’est trompé de chemin. Elle bifurque alors vers l’art en passant un troisième cycle de gestion d’arts à la suite duquel elle effectue un stage chez Drouot où elle reste travailler une dizaine d’annéesElle s’y fait l’oeil en visitant tous les jours les salles des ventes. Elle y travaille par ailleurs beaucoup avec un expert en bandes dessinées qui organise régulièrement les ventes aux enchères d’originaux d’illustrateurs connus. C’est le déclic qui va la décider à se lancer elle-même dans l’illustration pour assouvir un désir de dessiner devenu à cette époque quasi-obsessionnel. Tout en travaillant à Drouot, elle suit les cours du soir de l’Ecole Duperré où elle apprend la gravure. « Mais en réalité, j’ai surtout appris à travailler dans les bistrots, précise-t-elle. Parce qu’il n’y avait pas encore l’Internet quand j’ai commencé à démarcher les directeurs artistiques que je devais rencontrer en rendez-vous. Entre deux rendez-vous, j’allais me poser dans un bistrot et je dessinais les gens que j’observais. » De là vient sans doute son goût pour les spectacles vivants (les cirques, les théâtres, les concerts, etc.) qui principalement nourrissent son inspiration.

 

Le Bourgeois Gentilhomme de Jérôme Deschamps (Les Editions du Balcon, copyright France Dumas).

Elle est la fondatrice des Editions du Balcon dont l’ambition va être de publier chaque année une série d’une dizaine de livres illustrant les pièces emblématiques de la saison théâtrale. Le temps d’une représentation, France dessine au Rotring ce qui se joue sur scène sans presque jamais relever la main. Elle capte les attitudes, les mouvements et les expressions des comédiens tout en notant quelques bribes de texte. Ses dessins de théâtre qui constituent la mémoire sensible de moments évanouis sont bien sûr un formidable souvenir pour qui a assisté à une pièce. Elle est également l’auteure de concerts dessinés et de très nombreux reportages dessinés (carnets de voyages ou autres) rassemblés dans des éditions qu’elle fabrique, relie et diffuse elle-même. Elle a aussi illustré plusieurs livres de portraits et d’interviews (dont Aimez-vous l’art ? publié chez Magellan et Cie et réalisé en collaboration avec Frédéric Elkaïm, un ancien collègue de Drouot) et tout récemment J’ai plus d’un vieux dans mon sac, si tu veux je te les prête, un ouvrage publié à Riveneuve Editions qui est le support de la future création théâtrale de Marie-Do Fréval, la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche. Ce sont principalement ses rencontres personnelles qui déterminent ses choix de création et d’illustration même si elle est aussi bien sûr amenée à travailler pour des clients institutionnels : La Poste dont elle a réalisé un certain nombre de timbres, Hermès et Orange à l’occasion d’animations portraits, ou bien encore, parmi d’autres, Nestlé dont elle a récemment beaucoup aimé croqué sur le vif les ouvriers des usines de pizzas. En sus du livre d’interviews illustrées réalisées à Montmartre sur lequel elle travaille actuellement, sa marotte du moment, ce sont les puces de Vanves dont elle interroge assidument les brocanteurs. « Comme je m’auto-édite, je peux alimenter mon livre à chaque réédition », se réjouit-elle. Car France, qui est malheureusement toujours en mal de pouvoir occuper un véritable atelier d’artiste, réussit bon an mal an à caser dans son appartement parisien tout le matériel nécessaire à l’édition de ses livres de dessins et même une presse qu’on lui a prêtée pour réaliser ses gravures.

Saint-Malo. Plage du bon secours. Panorama (copyright France Dumas)

Eloge de la gravure

France ne se souvient pas comment est née sa passion pour la gravure. Peut-être parce qu’elle a un cousin éloigné qui en faisait, peut-être parce qu’elle a vu quelques expositions qui l’ont marquée. Elle est en tout cas une ardente défenseuse de cet art qu’un non-initié pourrait trouver un peu suranné : « La gravure permet d’obtenir des matières extraordinaires et d’imprimer en multiples mais aussi de créer des ambiances inédites et d’expérimenter pleins de choses qui peuvent emmener vers des hasards créatifs intéressants. On ne sait jamais à l’avance ce que cela va donner et c’est justement cela qui est passionnant ». France qui enseigne la gravure à l’Académie d’Art de Meudon et au Cesan, une école de bande dessinée & d’illustration du XIème arrondissement de Paris, constate d’ailleurs le regain d’intérêt des jeunes illustrateurs et dessinateurs de BD pour cette technique d’impression artisanale. Son prochain livre intitulé Impressions d’ateliers qui sortira en octobre prochain chez Riveneuve Editions et sera le coeur d’un évènement organisé à la Fondation Taylor évoque justement les ateliers d’impression dont les métiers artisanaux résistent encore au tout numérique en utilisant des machines qui ont plus de deux cent ans d’existence. France est donc intimement persuadée que la gravure a toujours de beaux jours devant elle quel que soit le matériau utilisé : bois, lino, zinc, cuivre et même gomme comme en attestent les couvertures de livres qu’elle a récemment réalisées pour la collection « Pépites » de Riveneuve Editions, la maison d’édition de la rue de Gergovie de plus en plus dynamique au niveau local. D’autant que gravure et dessin peuvent être allègrement mélangés pour insuffler la vie et la couleur du second dans le noir et blanc de la première. France me le prouve en me tendant le leporello, mix de gravure et d’aquarelle, qu’elle a préparé pour le festival Philoscène organisé pour la deuxième année consécutive par Bête à Bon Dieu Production, l’association d’Annie Mako. Les gravures de France sont à ce point suggestives qu’elles ont inspiré à Patrick Navaï, un artiste du 14ème arrondissement, de nombreux poèmes qui ont été publiés aux Editions Carnets-Livres. Elle garde également de merveilleux souvenirs de l’exposition Les Traces de l’Ephèmere organisée au Centre Européen de Poésie d’Avignon à l’occasion de laquelle elle a pu dévoiler au public du festival ses gravures de théâtre. En Attendant Godot de Beckett, Hamlet et Macbeth de Shakespeare, Le soulier de satin de Claudel sont autant de chefs-d’oeuvre dont elle pris un immense plaisir à graver sur un grand zinc les moments les plus forts pour en faire le panorama. France continue à exposer ses gravures tous les ans à la Galerie de l’Echiquier dans le Xème arrondissement de Paris. Courez-y si vous voulez conforter de visu la très bonne première impression que vous ne manquerez pas d’avoir en consultant son site internet (ici) et son compte Instagram (ici) !

Gravure couleur (copyright France Dumas)

Vincent Luccarini (*), le parrain corse du Quartier Pernety

Crédit photo : Yann Boutouiller

« Attends, bouge pas ! », c’est l’expression favorite de Vincent Luccarini quand il vous raconte une anecdote ou se lance dans une explication. Mais aujourd’hui c’est à lui de prendre la pause pour Pernety 14 qui se fait un plaisir de vous faire découvrir cet homme chaleureux et sympathique qui hante le Quartier Pernety et ses bars depuis vingt ans au point d’en être devenu le véritable parrain respecté par toutes et tous. C’est le chouchou de ces dames à qui il sait parler et offre régulièrement des roses (il connait tous les vendeurs de roses de Pernety) et le pote de tous les fidèles du Quartier avec lesquels il trinque au comptoir des bistrots. Vincent « le coco » qui toujours porte beau habillé d’un élégant costume-cravate n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. On l’aime pour ses excès et ses colères homériques. Hommage à un sacré personnage du Quartier Pernety.

Une carrière de conseiller technique dans le papier

Au départ, il voulait être marin. Mais cela n’eut pas l’heur de plaire à son père qui refusa de lui donner l’autorisation de s’inscrire à l’Ecole Navale. C’est donc un peu par accident, et après un essai non-concluant en mécanique, qu’il devient apprenti lithographe, dès l’âge de quatorze ans, grâce à une relation de sa mère dont il assure par ailleurs les fonctions de concierge à Paris. Muni de son certificat d’études obtenu trois semaines après avoir commencé à travailler, il prend immédiatement goût à son travail à l’imprimerie Courbet située rue de Charonne dans le 11ème arrondissement de Paris. Il apprend le métier de receveur puis de margeur pendant deux ans dans des conditions de sécurité parfois extrêmement limite. Le sparadrap coûtant trop cher, c’est en les couvrant de papier collant qu’il se protège les mains (!). « Au début j’avais peur, se rappelle-t-il. Comme tous les grouillots, j’étais bousculé et je prenais des coups de pied au cul. Les temps ont bien changé. » Mais Vincent veut progresser rapidement et toucher à tout pour connaître à fond le métier d’imprimeur. Il devient offsettiste pour suivre l’évolution technologique. Afin de s’aguerrir et évoluer plus rapidement, il change d’entreprise et rejoint la Photolith, une société très réputée pour la qualité de son travail et qui imprime les cartes géographiques pour l’Institut Géographique National (IGN) et pour Michelin de même que les couvertures de Reader’s Digest. L’ambiance de travail y est très bonne. Les machines offset lui paraissent énormes et bruyantes mais les ateliers sont spacieux : « Ce n’était pas de l’esclavage mais on ne rigolait pas. Il n’y avait pas de vraie tension sociale et nous n’étions pas mal payés. J’étais jeune et insouciant mais surtout je voulais apprendre et faire mon trou. Alors je bossais dur. » Puis il entre aux Encres Lorilleux à Puteaux où il est affecté au service technique chargé de tester les diverses qualités des encres, c’est-à-dire d’en évaluer l’aspect, la viscosité, l’imprimabilité, le poisseux, la colorimétrie et la siccativité en fonction des différents supports papier. C’est aussi là qu’il découvre et teste d’autres procédés d’impression comme la typographie, l’héliogravure, la flexographie, l’aniline, etc. Après avoir accompli son service militaire en tant que pompier de Paris entre dix-huit et vingt ans, il entre comme cadre à Aviaplans à Suresnes, une entreprise qui s’occupe de photo aérienne pour Dassault. Il initie les ouvriers de cette imprimerie typographique à l’offset dont il est chargé du développement du service : « Je leur ai fait acheter des machines en leur faisant faire de la couleur plutôt que du noir. J’ai fait du sacré boulot là-bas, qui était reconnu par les clients de mon employeur ». Il rencontre par la suite Jacques Dambry, un copain d’école qui travaille chez Desgrandchamps, une imprimerie située boulevard Brune dans le 14ème arrondissement de Paris qui cherche un responsable pour son service offset. Il saute sur l’occasion et en six ans transforme totalement le service en achetant de nombreuses machines et au point de faire passer sa part dans le chiffre d’affaires de l’imprimerie de 5% à 95%. Son tempérament accrocheur le fait repérer par Jean Granet qui travaille aux Papèteries de l’Aa et qui lui propose de lui céder sa place pour lequel il ne trouve aucun remplaçant à la hauteur : « C’est un métier pour vous », lui assure-t-il. C’est le début de sa carrière de conseiller technique indépendant dans le papier qui va le mener à des postes bien rémunérés de groupe industriel en groupe industriel et de pays en pays (du Japon aux Etats-Unis et Canada en passant par tous les pays d’Europe y compris l’URSS). « En février 1971, l’année de tous mes records, je suis monté 28 fois dans un avion en 20 jours ouvrables. Et j’ai fait 117.000 km en voiture dans l’année  sans compter les locations de véhicules dans les aéroports. Là, je bougeais mon cul », se rappelle-t-il. Il finira son parcours professionnel comme directeur général de la Papèterie d’Essonnes de Corbeil dont il achèvera la liquidation après y avoir été le Directeur Recherche & Développement, le Directeur Technique et le Directeur Commercial. Avant de rebondir pendant sa retraite comme chargé de mission pour la Commission Européenne chargé du redressement de la situation économique d’entreprises en difficultés notamment dans les pays du Maghreb. (**)

Crédit photo : Yann Boutouiller

Un communiste historique

« Je suis communiste depuis toujours. Je suis né communiste parce que mon père était communiste, que ma mère était communiste, et que tout le monde était communiste chez moi. Lorsque j’ai rencontré ma femme, elle faisait un discours aux Cavalcades de la Jeunesse à Ivry-sur-Seine. Elle était présidente des Jeunes Filles Communistes de France », se remémore Vincent. L’un de ses plus notables faits d’armes reste de s’être occupé de la campagne de la députée Marie-Claude Vaillant-Couturier lors de sa réélection à l’Assemblée Nationale en 1967 : elle est réélue avec 3.600 voix d’avance après une invalidation au premier tour pour 300 voix. Dès l’âge de 23 ans, Vincent devient conseiller municipal communiste de Malakoff. Il se fait remarquer à l’époque par des articles dans Le RéveilFrance Nouvelle et L’Aube Nouvelle, qui condamnent fermement le recours à l’arme atomiqueA Malakoff, il tracte assidument en dirigeant la cellule Gabriel Crié et est responsable de la diffusion de la presse communiste dans la ville. Il organise à ce titre la vente de L’Humanité quotidienne par des équipes de volontaires très tôt le matin dans toutes les cités. Il organise également tous les ans Les Deux Jours de la Presse en louant des barnums dans lesquels toute la presse militante était convoquée. « Léo Ferré est venu sur le site, se souvient Vincent. Jean Ferrat et Marc Ogeret également. De même qu’Armand Lanoux, lauréat du Prix Goncourt 1963, qui est venu dédicacer ses livres. Ainsi que Pierre Juquin. » Il couvre environ deux mandats du règne du maire communiste Léon Salagnac qui décèdera en 1964 au moment même où il organise sa manifestation annuelle. Les bénéfices tirés de la fête sont bien évidemment immédiatement reversés au parti de même qu’à l’époque une part de sa rémunération. Il arrête de militer au parti parce qu’il finit par estimer qu’on abuse un peu trop de son dévouement sans limites et suite à un différent avec un camarade qui lui signifie son rejet du groupe parce qu’il est devenu cadre dans la société qui l’emploie. Il gardera malgré tout sa carte de communiste jusqu’en 1974. Mais, pour garder son indépendance d’esprit, jamais il ne se syndiquera à la CGT .« Je suis profondément un communiste français mais jamais je n’ai été stalinien », nous assure Vincent qui ne s’est pour cette raison jamais vraiment senti affecté par les révélations sur l’envers du décor des régimes communistes des pays de l’est. On le croit volontiers en le voyant naviguer dans le Quartier Pernety et faire montre avec toutes et tous de gentillesse et d’élégance émaillées d’éclats et de coups de gueule toujours bien sentis. Cet anti-apparatchik a visiblement bien trop d’épaisseur humaine pour faire aujourd’hui carrière en politique.

(*) Vincent Luccarini s’est éteint le 25 janvier 2024. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

(**) Pour plus de détails sur les aspects techniques du métier d’imprimeur de Vincent, lire l’article que lui a consacré Pierre Cixous dans le n° 33 du journal Monts 14 de février-avril 2009 (page 5).

Marie-Do Fréval : « Le théâtre doit être une sorte de tempête »

Elle a créé la Compagnie Bouche à Bouche et la dirige depuis aujourd’hui plus de dix ans. Marie-Do Fréval, présente sur tous les fronts du théâtre engagé en tant qu’autrice, metteuse en scène et comédienne, nous a reçu à la Boutik, le siège de l’association sis 2/4 rue du Général Humbert à la Porte de Vanves dans le 14ème arrondissement de Paris, pour nous faire partager son urgence à écrire le monde et à le recréer par le théâtre. Tentative(S) de Résonance(S).

Secouer le public

Le théâtre de Marie-Do Fréval se situe à mi-chemin entre la commedia dell’arte et le théâtre contemporain. Initiée au jeu théâtral par des italiens, elle va les suivre en tournée et se produire en tant que comédienne dans plusieurs langues un peu partout en Europe. Le théâtre de tréteaux qu’elle pratique alors est un théâtre physique et rythmé, basé sur l’adresse du public et en prise directe avec lui. Il mélange allégrement les arts de la scène, de la musique et de la danse et n’a pas grand chose à voir avec le théâtre classique français. Ce sont plutôt les auteurs contemporains qu’elle rencontre dans le cadre de son activité de comédienne qui vont être sa seconde source d’inspiration au moment où elle va décider de s’inscrire dans une démarche personnelle aussi bien en tant qu’interprète qu’en tant qu’autrice. On trouve au départ de cette démarche la prise de conscience personnelle et politique liée à l’élection présidentielle de 2002 qui oppose au second tour Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen : « Je me suis sentie coincée dans quelque chose qui était pourtant de l’ordre de la démocratie, et le fait de voir mon choix contraint m’a beaucoup troublée. Je me suis alors un peu radicalisée et j’ai ressenti le besoin de poser des actes plus forts, d’aller à la rencontre de tout le monde et de déranger le théâtre dans ses habitudes et dans son embourgeoisement. » Marie-Do qui est havraise d’origine choisit le 14ème arrondissement de Paris qu’elle connait très bien comme territoire d’élection. Elle y développe petit à petit son langage en y créant des spectacles de rue qu’elle fait par la suite voyager en dehors de l’arrondissement. En 2009, elle crée la Compagnie Bouche à Bouche avec le concours de partenaires extérieurs puisque, comme elle ne manque pas de le déplorer, le 14ème consacre relativement peu d’argent à la culture. Elle monte un certain nombre de spectacles impliquant à la fois des amateurs et des professionnels : « Ces spectacles m’ont énormément touchée parce qu’il n’y avait plus de frontières et que j’arrivais à raconter des histoires un peu folles avec de grands groupes et de grands chœurs de façon complètement spontanée. » Le défi qu’elle relève avec succès était d’autant plus risqué que la rue est un espace difficile à investir et que, même s’il est un arrondissement de théâtre, le 14ème est très peu familier des Arts de la rue. Mais Marie-Do reste motivée par l’envie de toucher tous les publics et va même aller à leur rencontre dans les cafés et les PMU.  L’état d’esprit qui l’anime est très différent de celui d’une metteuse en scène de théâtre classique. « On ne fait pas tout à fait le même métier, souligne Marie-Do. Car moi je raconte des histoires au travers de textes auxquels je peux associer de la musique ou de la danse selon les cas, mais aussi et surtout parce que j’interagis plus fortement avec le public que j’ai envie de secouer. Il faut se poser la question du pourquoi de la création artistique, de ce qu’on veut qu’il se passe. Personnellement, j’attends du théâtre et de l’art en général quelque chose de fort qui nous fait dépasser notre quotidien et qui nous fait voir la vie autrement. Il faut qu’on se souvienne d’une création théâtrale comme on se souvient d’avoir traversé ensemble une tempête. Le théâtre doit être cette sorte de tempête. » Il n’est toutefois pour Marie-Do nullement question de prosélytisme : « Je ne dis pas aux gens comment ils doivent se comporter ou bien quel est le monde idéal de demain. Je pose la question de notre liberté. Je crois que c’est essentiellement ça que je fais avec différents langages. » 

Des vieux non-apprêtés plein son sac

Pour toucher à ce but, la Compagnie Bouche à Bouche a déjà créé plusieurs spectacles dont récemment Tentative(S) de Résistance(S) (2016), Tentative(S) d’Utopie Vitale (2018) et Paillarde(S) (2019) qui ensemble forment une trilogie autour de la résistance, de l’utopie et de la virilité et qui font toujours l’objet de tournées. Le dernier opus de Marie-Do en cours de création s’intitule J’ai un vieux dans mon sac, si tu veux je te le prête. Marie-Do a écrit son texte en un mois à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon, le centre national des écritures du spectacle, après avoir passé trois ans dans des Ehpad du 14ème arrondissement et accueilli à la Boutik de la compagnie une population de personnes âgées souvent isolée, fragile et bancale et qui décrit tout un pan de l’humanité qui la touche profondément. Elle aura rencontré pendant ces trois années pas moins de trois cents « vieux » ou « vieilles » et monté avec eux des spectacles en Ehpad pendant que France Dumas qui est graveur et illustratrice pour la presse et l’édition croquait ces précieux instants. Le texte dont Marie-Do a accouché a été publié en janvier dernier et la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche réfléchit aujourd’hui à la façon d’en poser les premiers actes de création au théâtre en 2021 ou en 2022 en partenariat avec les centres des Arts de la rue de Brest, de Lyon et de Saint-Omer. L’épidémie de coronavirus rend bien sûr le thème d’une brûlante actualité et lui donne une acuité toute particulière : « J’ai eu l’impression de parler au monde, donc ça m’a un peu rassuré », déclare celle dont le souci constant est de veiller à garder une parole vivante et authentique. « Peut-être, rajoute-elle, faut-il d’ailleurs prendre au pied de la lettre cette crise de notre santé car mon métier lui aussi est en crise. Nous sommes certes dans un pays privilégié qui alloue des budgets aux spectacles vivants et à différentes formes artistiques mais cela se fait surtout au bénéfice d’une culture d’Etat qui étouffe les vrais cris et qui ébranle la notion même de création. » Les Tentative(S) de Résistance(S) de Marie-Do Fréval suffiront-elles à sauvegarder l’essentiel ? Pratiquer assidument le bouche-à-bouche et souffler violemment sur les braises du pouvoir créateur sont sans doute les meilleures façons de ranimer la flamme d’un théâtre moribond et d’une toujours vivante et vitale utopie.

Cliquer ici pour accéder au site de la Compagnie Bouche à Bouche.

Dany Dan Debeix ou la thérapie par l’hypnose et l’autohypnose

Paralysé à vingt ans à la suite d’un grave accident de voiture, Dany Dan Debeix est parvenu en quelques années à retrouver l’usage de ses jambes grâce à l’autohypnose. Il n’a depuis eu de cesse d’approfondir sa connaissance des techniques hypnotiques qu’il enseigne aujourd’hui au 34 rue Jules Guesde dans le 14ème arrondissement de Paris où il a fondé son propre centre d’apprentissage : l’Ecole Centrale d’Hypnose (ECH). C’est là que nous l’avons rencontré pour qu’il nous explique les tenants et aboutissants de cette pratique qui reste encore à la frontière de la médecine traditionnelle malgré toutes les découvertes scientifiques sur le fonctionnement du cerveau. Entretien les yeux dans les yeux.

Définition et techniques de l’hypnose

En bons sceptiques et d’autant plus sur nos gardes que nous nous apprêtions à rencontrer un professionnel de la suggestion et de l’influence, c’est par étapes que nous avons décidé d’approcher Dany Dan Debeix. Car l’hypnose présente encore aujourd’hui une part de mystère. D’après Wikipédia, « l’hypnose est un état psychologique particulier encore mal défini qui revêt certains attributs physiologiques et marqué par le fonctionnement de l’individu à un niveau d’attention autre que l’état de conscience ordinaire. Il peut, sous certaines conditions, donner l’apparence du sommeil ou du somnambulisme sans en partager toutes les caractéristiques ». Comme celle de tout le monde dans le grand public, notre image de l’hypnose est liée à ce que nous en avons vu sur scène ou à la télévision où l’on en montre régulièrement certains de ses effets les plus spectaculaires. Dany Dan Debeix ne se prive d’ailleurs pas d’y avoir recours lors des conférences publiques qu’il organise à l’ECH. Nous avons assisté à l’une d’entre elles qui était tellement saisissante qu’elle n’a pas manqué de piquer notre curiosité et que nous n’avons pas résisté à la tentation de nous inscrire au premier stage dit « d’épanouissement personnel » intitulé « Auto-hypnose/Niveau 1/Techniques de base ». Nous apprenons grâce au support de cours de ce stage que Dany Dan Debeix a forgé au début des années 70 sa propre définition de l’hypnose qui est aujourd’hui adoptée par la majorité des experts : il s’agit d’« un Etat Elargi de la Conscience (« EEC ») permettant une plus grande suggestibilité dans le but de faciliter des changements psychiques, physiques, comportementaux et même neurobiologiques ». Certes. Mais comment parvient-on à cet état ? C’est là qu’intervient toute une série de techniques ou astuces hypnotiques dont les plus spectaculaires peuvent être observées en matière d’hypno-anesthésie dont Dany Dan Debeix est un grand spécialiste puisqu’il a inventé en 1973 sa propre méthode d’hypno-anesthésie rapide, pure et sans ajout de produit. Elles reposent tantôt sur la saturation tantôt sur la dissociation des canaux sensoriels sur lesquels nous fonctionnons tous mais à des degrés divers. Car chacun d’entre nous privilégie un ou deux canaux sensoriels (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) sur les autres qui nous font rentrer selon le cas dans la catégorie des Visuels, des Auditifs, des Kinesthésiques, des Olfactifs ou des Gustatifs. Dans le cas de la saturation, l’hypnotiseur arrive à transformer la pensée d’une personne en bombardant véritablement ses canaux sensoriels d’informations orientées. Il lui fera ainsi croire qu’une banane a un goût de citron ou qu’une poignée de porte lui brûle la main. Aucun miracle là-dedans, juste l’effet de la pensée. Car comme le disait Emile Coué dont les découvertes en matière de suggestion ont été essentielles pour le développement de l’hypnose : « Lorsque la volonté est confrontée à l’imagination, c’est toujours l’imagination qui l’emporte, sans aucune exception ». Dans le cas de la dissociation, on va dans un premier temps sursaturer un des canaux sensoriels (le kinesthésique par exemple) pour tout à coup basculer sur les quatre autres canaux en les saturant à leur tour pour par contraste éliminer la douleur. Les techniques d’induction à l’hypnose sont en réalité fort nombreuses. Dany Dan Debeix en enseigne un vingtaine à l’ECH, qui vont de la plus douce et progressive qui s’apparente à de la relaxation à la plus rapide grâce à laquelle on peut hypnotiser quelqu’un par une simple poignée de main (!).

En formation au 34 rue Jules Guesde

Du bon usage de la suggestibilité

La puissance et le pouvoir sur autrui que confère l’hypnose sont à maints égards fascinants, ce qui explique sans doute son caractère sulfureux et la méfiance qu’elle a toujours inspirée et qu’elle inspire d’ailleurs toujours aux autorités publiques, notamment celles en charge du contrôle de la médecine et de la pharmacie. « On n’a rien inventé en hypnose depuis 50 ans, constate Dany Dan Debeix qui, en bon passionné de sa matière, déplore cette stagnation de l’état de la connaissance. C’est comme si on avait voulu occulter certaines techniques qui existaient. On faisait des anesthésies hypnotiques sans le moindre produit avant 1843. Sous Napoléon, on effectuait des amputations sous hypnose qu’on a bizarrement complètement occultées. On ne fait plus non plus aujourd’hui sur internet aucune référence à Mc Douglas qui pratiquait les mêmes amputations sous hypnose pendant la guerre 14-18. » L’industrie pharmaceutique veille sur ses intérêts. Gare aux chirurgiens et/ou dentistes qui n’utiliseraient pas les produits officiellement prescrits, tel ce chirurgien plasticien du visage que Dany Dan Debeix a formé à l’hypno-anesthésie dans les années 2000 et qui, pour éviter tout problème avec le conseil de l’ordre, continuait à facturer à ses patients les ampoules d’anesthésiants alors même qu’il en faisait rarement usage ! « Je suis moi-aussi régulièrement embêté », nous confie Dany Dan. Mais ça ne me dérange pas, ça m’excite au contraire. Car chaque fois qu’on m’attaque, je suis encore plus virulent après ». De fait, les techniques hypnotiques sont également utilisées par les gourous des sectes (et mêmes les hommes politiques !) pour manipuler les populations à leur profit. D’où l’absolue obligation d’en faire un bon usage pour influencer et soigner à bon escient et avec intégrité. La première formation qu’a dispensée Dany Dan Debeix date de 1971 et s’adressait principalement aux personnels médicaux (médecins, infirmières, psychiatres, dentistes, etc.). Il a progressivement élargi son audience aux commerciaux, aux journalistes, aux avocats, aux politiciens, aux cadres supérieurs, aux dirigeants de société, etc., qui voulaient assister à ses cours pour apprendre les techniques de persuasion par l’hypno-communication (ou comment communiquer avec des formes hypnotiques).  En 2012, il a sorti un livre intitulé Codes et techniques secrète de l’hypnose dans la communication – Stratégies pour influencer avec intégrité. Il a également formé de nombreux sportifs à une autohypnose ciblée sur leur spécialité sportive. Il existe en réalité autant de déclinaisons de l’hypnose que de genres musicaux : l’hypnose Ericksonienne très connue en France mais qui ne permet pas de pratiquer l’anesthésie, l’hypnose Elmanienne plus connue aux Etats-Unis et dont Dany Dan Debeix apprécie la plus grande rapidité, l’hypnose du russe Kashpirovskiy qui a des méthodes instantanées, profondes et rapides mais dont ne fait pas mention en France, sans parler des techniques chinoises d’hypnose qui font l’objet d’un black-out total dans notre pays. Car l’hypnose a toujours mauvaise presse auprès des instances officielles qui sont promptes à dénoncer leurs dérives sectaires. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. C’est sans doute d’autant plus dommage qu’à chaque individu correspond une méthode particulière. « Certaines fois, témoigne Dany Dan, des gens viennent me voir en prétendant qu’ils ne sont pas hypnotisables car l’hypnose n’a pas fonctionné sur eux après consultation de deux spécialistes différents. Ce n’est bien évidement pas de la faute du patient ou du client, mais celle de l’hypnothérapeute qui manque de compétences car il ne connait souvent malheureusement qu’une seule méthode. » Dany Dan Debeix prétend pour sa part avoir découvert comment hypnotiser 100% des clients/patients qu’il n’entend influencer qu’à des fins positives comme peut le faire dans la vie n’importe quel parent, instituteur, professeur ou même manager.

L’autohypnose, un puissant outil thérapeutique

D’ailleurs, nous sommes tout à fait libres d’utiliser pour nous-même les techniques de l’hypnose qui sont à la portée de tous. « S’auto-hypnotiser, c’est obtenir, par un entraînement régulier, une manière d’être permettant de réagir positivement, de s’assumer en toutes circonstances et d’arrêter de subir. En cela, elle peut être un formidable outil thérapeutique », nous assure Dany Dan Debeix qui a notamment familiarisé à l’autohypnose de nombreux sportifs qui utilisent aujourd’hui couramment cette technique dans le cadre de leur spécialité sportive. Les liens de sa discipline avec la sophrologie ont conduit notre expert ès hypnose à s’associer avec le sophrologue Alain Lancelot pour sortir un nouveau livre en 2018 intitulé Allégez votre mental ! et sous-titré : « Libérez-vous des pensées parasites grâce à la sophrologie et à l’autohypnose ». Ce livre facile d’accès est une bonne introduction à l’autohypnose et au lâcher-prise qui en est le centre et la base de la réussite. Il peut, pour celles et ceux qui souhaitent approfondir la question, être utilement complété par un stage à l’ECH au cours duquel seront proposés des exercices pratiques d’autohypnose (induction par la respiration, lévitation de la main et du bras, etc.) qui sont autant de premiers pas vers la découverte de ce qui reste une terra incognita pour beaucoup d’entre nous !

Cliquez ici pour accéder au site internet de l’ECH.

Les ateliers henry dougier, le monde tel qu’il est et pas autrement !

Nous étions un peu émus ce jeudi 20 février 2020 à l’idée de rencontrer Henry Dougier, le fondateur des Editions Autrement. Pour nous qui rêvons depuis toujours de livres mais qui en avons au final lu si peu, rencontrer un éditeur représentait une forme d’aboutissement. Il a bien voulu nous recevoir aux ateliers henry dougier, rue du Pré-aux-Clercs dans le 7ème arrondissement de Paris, pour nous parler de son parcours et nous présenter les différentes collections qu’il a développées depuis la création de sa nouvelle petite boutique d’édition.

Rêver et agir

La vie d’Henry Dougier est un aller-retour permanent entre le rêve et l’action. Ni son milieu d’origine ni son début de parcours professionnel ne le prédestinait pourtant à devenir une grande figure de l’édition. Diplômé de l’ESSEC puis de l’INSEAD, il travaille six années à la Shell Internationale puis cinq autres années au Groupe Expansion. Mais ce cadre quelque peu indocile qui se sent à l’époque frustré d’avoir vécu de loin Mai 68 va quitter les rails d’une carrière classique et toute tracée pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Ce qui l’intéresse au premier chef, ce sont les mouvements de la société auxquels il veut lui-même participer avec un projet personnel dont il veut contrôler le contenu et l’esprit sans dépendre d’une hiérarchie ou d’investisseurs. Il prend donc le risque de créer sans trop de budget de départ une toute petit maison d’édition en sortant un titre, puis deux, puis trois, et ainsi de suite. Chaque livre est censé équilibrer ses comptes et financer un peu le suivant. L’idée qui préside à ses choix d’éditeur est de raconter la société française en mélangeant les disciplines des sciences humaines : sociologie, ethnologie, philosophie, histoire, etc. Henry Dougier se situe délibérément à mi-chemin entre la spéculation et l’action en donnant la parole aussi bien à des hommes et des femmes de terrain qu’à des intellectuel(le)s : « Notre contenu était plutôt de gauche, mais de gauche entrepreneuriale et rocardienne, se souvient-il. C’était un contenu résolument positif dont le but était de proposer quelque chose et d’inciter à l’action. Rêver et agir, comme je dis souvent. Rêver parce que tout n’est pas carré au départ et que l’on improvise beaucoup. Mais aussi agir en produisant des livres et en organisant des débats autour de ces livres pour encourager les gens à bouger ». Son projet est en phase avec l’air du temps et la revue Autrement qu’il lance en 1975 rencontre sans difficulté ses abonnés en plus de très bien se vendre en librairie : « La chance que j’ai eue, c’est l’époque !, admet Henry Dougier. Le fait aussi que le mot Autrement ait bien plu aux gens parce que c’était une façon de faire assez nouvelle. De même que notre liberté de ton parce que nous n’étions ni revanchards ni méchants mais plutôt dans la tendresse […]. Je ne pourrais certainement pas le refaire aujourd’hui car je serais bien incapable de trouver des abonnés et des ventes en librairies au niveau d’il y a trente ou quarante ans ». Pas question pour autant de lâcher le morceau et même s’il décide en 2011 de céder les Editions Autrement à Flammarion, Henry Dougier revient à la charge en 2014 en créant à bientôt 80 ans les ateliers henry dougier qui se définissent comme un laboratoire d’innovation sociale et d’actions de terrain prenant la forme de collections de livres. Son fil rouge : la curiosité de l’autre. Son secret : donner la parole aux invisibles et aux inaudibles. Son objectif : briser les murs et les clichés !

Quête d’authenticité

A côté de la collection « Métamorphoses d’une nation » et de la collection « 10+100 » avec lesquelles elle entre en résonance, la collection « Lignes de vie d’un peuple » est sans aucun doute la collection phare de la boutique d’Henry Dougier. Elle compte aujourd’hui une cinquantaine de titres dont toutes les couvertures représentent une main réelle photographiée sur laquelle a été imprimée la carte d’un territoire. « Le socle des ateliers il y a quatre cinq ans, c’était les peuples, nous explique l’éditeur. Quand on a fait Autrement, on a publié des quantités de livres sur les pays, les régions et les sociétés du monde entier, des livres historiques de même que des livres contemporains. Mais bizarrement on n’avait pas centré l’attention sur les peuples aussi bien au niveau régional qu’au niveau national ». Les auteurs de la collection « Lignes de vie d’un peuple » sont des journalistes francophones qui connaissent très bien un territoire et dont la mission est d’essayer de donner la parole aux gens qui y vivent, visibles ou pas visibles, riches ou pauvres, mais dans tous les cas emblématiques de la société. Il s’agit au travers de leur prise de parole de comprendre leurs conflits, leurs passions partagées, leur mémoire politique ou autre, leur imaginaire, etc. C’est la quête d’authenticité qui fondamentalement guide cette collection. « On ressent bien évidemment des choses plus ou moins dures ou tragiques selon les contextes, nous fait remarquer Henry Dougier. Il est certain qu’un livre sur les Lettons, les Lituaniens ou les Cambodgiens ne ressemble pas du tout à ce qu’on va faire sur les Napolitains ou les Siciliens. Ce n’est pas le même vécu ni la même histoire ni la même mémoire. Mais ce qui différencie nos livres de ce que j’ai fait avant et surtout de ce que font d’autres, c’est qu’il n’y a pas de dominante de l’auteur français ou francophone. L’auteur n’est là que pour accompagner, choisir et interroger les gens. Il prend très peu la parole mais plutôt la leur donne ce qui fait qu’on entend leur voix. » Henry Dougier veut éditer des livres qui sonnent vrai pour les visiteurs des pays, certainement pas des discours élaborés ou des analyses produites par des français donneurs de leçons.

Vies ordinaires, voix singulières

La même recherche du vrai et de l’authentique inspire la collection « Une vie, une voix » . Elle consiste en des récits de vie qui traversent des moments d’histoire de notre pays et racontent l’évolution de la France, de ses mœurs, de ses environnements urbains. Cette collection à la superbe maquette rayée est visiblement le petit chouchou de l’éditeur. Elle est née un peu par hasard il y a tout juste quelques mois suite à la réception d’un manuscrit écrit par un vieil ami, Philippe Gaboriau, qui a recueilli le témoignage de sa tante Mireille, ouvrière de la chaussure en Vendée. « Cette femme parle avec énormément de fraicheur et de vérité de son travail, de son mari, de ses enfants, de ses loisirs, de la cuisine, etc, s’enthousiasme encore a posteriori Henry Dougier. Elle raconte une France profonde qu’on ne voit pas toujours et que je connais personnellement peu. En lisant ce texte qui est très bien écrit par le narrateur et très vrai puisqu’il donne la parole à cette femme, ce qui m’a frappé c’est le partage des émotions que l’on ressentait. Je participais à la vie de cette femme et pourtant elle n’est pas du même endroit, du même milieu et n’a pas la même histoire que moi. » L’éditeur recevra quelques jours après un deuxième texte écrit par un scénariste, Jean-Frédéric Vernier, qui raconte sa rencontre avec Arthur un  handicapé mental qu’il va accompagner jusqu’à ces derniers jours en tant que bénévole pour les petits frères des Pauvres. C’est le début d’ « Une vie, une voix » (*), une collection dont la vocation est de raconter des vies ordinaires en laissant s’exprimer des voix singulières qui dessinent notre patrimoine sensible et notre mémoire commune, proclame le catalogue des ateliers henry dougier. Une nouvelle collection pour une nouvelle aventure littéraire et humaine… A 84 ans, Hennry Dougier n’a décidément rien perdu de son insatiable curiosité et de sa capacité d’émerveillement !

(*) La collection accueille déjà également Lulu, fille de Marin d’Alissa Wenz et La Mère Lapipe dans son bistrot de Pierrick Bourgault.

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Pierre Josse : «Le 14ème est une extraordinaire terre d’aventure»

Il a été rédacteur en chef des Guide du Routard pendant quarante ans et en est toujours conseiller à la rédaction. Pierre Josse, l’éternel grand voyageur pas du tout rangé des pataugas, nous a gentiment accordé plus d’une heure de son temps au bar-restaurant Le Laurier pour nous faire partager son goût des autres, sa soif de découvertes qui l’a mené sur les cinq continents et sa passion pour le quatorzième arrondissement où il a élu domicile.

Prédestiné aux grands voyages

Dans Chroniques Vagabondes, un livre de souvenirs sorti il y a deux ans, Pierre Josse évoque les nombreux moments de bonheur que lui a procurés la découverte de plus de cent pays pendant sa vie de routard. Il revient aussi dans les premières pages sur les différentes périodes de son existence qui ont précédé son arrivée à la tête de la rédaction du fameux guide. Car ce sont sans doute ses expériences de jeunesse qui ont été les plus déterminantes pour lui ouvrir les yeux sur sa vocation de grand voyageur. « J’ai la chance d’être né coupé en deux, nous explique Pierre. Il y a en moi une partie ouvrière que je tiens de mon père et une partie petite bourgeoisie militaire coloniale que je tiens de ma mère. J’ai vécu cette déchirure qui est aussi une grande richesse pendant toute ma vie. » Toute sa jeunesse a été bercée par les récits de voyages parfois très impressionnants de sa mère dont le propre père était un officier de l’artillerie coloniale qui a notamment participé à la conquête de Madagascar en 1898 ainsi qu’aux fameux Cinquante-cinq Jours de Pékin en 1900 et qui a échappé de justesse et bien malgré lui à l’enfer de Verdun en 1916 pour aller mater la révolte des Annamites en Indochine. En adhérant aux Auberges de Jeunesse en 1936, sa mère devient également une des premières routardes de France. Le caractère rebelle de Pierre et l’esprit critique qu’il développe très tôt vont achever d’en faire un adepte des voyages. A dix-sept ans, il se fait en effet renvoyer de la Paroisse Saint-Laurent à Paris, ce qui conduit sa mère à l’inscrire chez les Eclaireurs, une association de scoutisme laïque grâce à laquelle il va pouvoir s’embarquer pour les Etats-Unis comme « camp counselor ». Exceptionnel pour l’époque ! Arrivé en Amérique au moment de la lutte pour l’émancipation des Noirs, il garde de cette expérience une multitude de fabuleux souvenirs (dont notamment le voyage de 14 jours en bateau Le Havre-New-York et une virée en Californie en bus Greyhound comme Kérouac) et bien sûr une vocation à vie pour l’aventure à l’étranger.

Changer le monde avec des guides

Son éducation et ses expériences de jeunesse vont nourrir son imaginaire et quand plus tard il partira pour le Vietnam pour réaliser son guide, il aura l’impression d’y être déjà allé par la grâce de sa mère et de ses grands-parents maternels qui y vécurent de nombreuses années. Même ressenti quand il réalisera le guide Bretagne sur les traces des origines bretonnes de la famille de son père: il s’y reconnaitra dans les paysages, la nature, la musique, la langue et les traditions. Les rencontres seront elles aussi bien sûr déterminantes. Pierre les racontent dans toute leur diversité et leur richesse dans Chroniques Vagabondes. Des rencontres avec des gens de peu comme avec d’illustres représentants des pays visités. Car renverser les valeurs et bousculer l’ordre établi n’a jamais fait peur à ce révolutionnaire dans l’âme qui a longtemps milité à la LCR, la bande d’Alain Krivine. Cette « boule de révolte » toujours engagée pour la défense des plus faibles admet pourtant volontiers n’avoir pas toujours fait preuve de courage pour prendre les décisions importantes qui concernaient sa propre vie, notamment sa vie professionnelle :« J’avance plutôt au coup de pied au cul et je mets en œuvre des stratégies inconscientes qui aboutissent à me faire virer ». C’est ainsi qu’il enchaine les métiers et les occupations – tour à tour décorateur-étalagiste, étudiant à l’université de Vincennes-Paris VIII, inspecteur commercial dans une grosse boîte allemande, instituteur en prison, bobinier-rotativiste et militant syndical à l’imprimerie Draeger et enfin correcteur de presse et en édition au sein des célèbres Guides Bleus – avant de s’assagir au Routard où il fait ses premiers pas en 1978 comme correcteur et préparateur de copie. Le courant passe très bien entre Pierre et Philippe Gloaguen qui dirige la collection et qui apprécie à sa juste valeur l’extraordinaire richesse de son parcours. Il lui offre bientôt l’occasion de partir en voyage et l’investit du rôle de rédacteur en chef du guide en 1980. Pierre signe son premier gros coup éditorial en 1985 avec le guide de Paris : 100.000 exemplaires vendus ! Le guide est de fait un véritable OVNI, un objet hors normes qui, à rebours des guides classiques, consacre de longs développements aux quartiers populaires de Paris et juste le nécessaire aux quartiers les plus touristiques. « Ce guide, tout le monde l’attendait ! », se souvient-il en se félicitant d’avoir bien senti l’air du temps. Le Routard peut dès lors commencer à recruter de nouveaux collaborateurs qui viendront étoffer l’équipe dans laquelle travaillent aujourd’hui 75 personnes qui contribuent à changer la façon de voyager de millions de touristes à travers le monde.

Viscéralement attaché au 14ème arrondissement

Grand voyageur devant l’éternel, Pierre Josse n’en est pas moins viscéralement attaché à Paris et tout particulièrement à son 14ème arrondissement. Il s’est bien sûr beaucoup promené dans la capitale où il réside depuis 1948. Il a passé toute son adolescence au bord du Canal Saint Martin avant de passer cinq ans rue Saint Denis dans le Quartier des Halles. Puis il a vécu dix-neuf ans rue des Saint-Pères en plein Saint-Germain-des-Près pour finalement se fixer dans le 14ème, un arrondissement dont il est littéralement tombé amoureux : « Je mourrai dans le 14ème. J’ai tellement bourlingué que j’ai besoin aujourd’hui d’un port d’attache. Et l’empathie suintent toujours des murs de cet arrondissement populaire qui n’a pas encore été complètement normalisé et boboïsé même s’il évolue tout doucement dans ce sens ». Son territoire est le quartier de la rue Hallé où il réside : « Ma culture, c’est la rue Daguerre, la rue Boulard, la rue Mouton-Duvernet, la rue Hallé, l’avenue Coty, la Tombe Issoire ». Il y fréquente bien sûr les bistrots auxquels il a consacré un magnifique album photo avec Bernard Pouchèle en 1996 (La nostalgie est derrière le comptoir). Certains sont même devenus ses « cantines » comme par exemples Le Daudet rue Alphonse Daudet, Au Bistrot rue Lalande, Le Vaudésir rue Dareau ou L’Os Minothos rue Pernety. Autant d’endroits authentiques et chaleureux pour lesquels il se bat en militant pour la reconnaissance au Patrimoine Immatériel de l’UNESCO des Bistrots et Terrasses de Paris Pour leur Art de Vivre. « Le 14ème arrondissement est une extraordinaire terre d’aventure et peut-être mon île Marquise ! », dit-il pour conclure notre entretien et se préparer à se rendre à l’autre bout de Paris pour célébrer les 30 ans de Là-bas si j’y suis, une grande fête organisée par son pote Daniel Mermet. Je lui souhaite bonne route – bien évidemment !

Le Vaudésir, la force de la tradition des bistrots parisiens

Christophe Hantz, patron du Vaudésir

Dans le quatorzième arrondissement de Paris en voie de boboïsation croissante subsistent encore quelques îlots de bonne tradition française, de celle qu’il faut absolument préserver quitte à employer les grands moyens comme par exemple le classement au patrimoine immatériel de l’Unesco. Christophe Hantz, le patron du Vaudésir situé au 41 rue Dareau, collectionne depuis des années les reportages télé, les articles de presse et les références dans les guides comme autant de trophées qui attestent de l’excellence de la formule traditionnelle du bistrot parisien qu’il a choisit de faire vivre et de perpétuer. Le Vaudésir, tout le monde en parle, alors nous aussi !

Un patron qui n’a pas pris le melon

La vérité, c’est que nous avons été bien agréablement surpris à Pernety 14 lorsqu’à l’occasion de la publication d’un article de notre site sur la page Facebook du groupe Paris 14ème, nous avons reçu un message de Christophe Hantz nous invitant à faire sa connaissance. Ni une ni deux, nous nous sommes précipités dès le lendemain au Vaudésir pour rencontrer celui qui, comme en témoigne son site internet, a déjà reçu par le passé dans son bistrot la visite de nombreux journalistes (L’Auvergnat de ParisTF1France 3France 5Paris Première, etc.). Du Quartier Pernety à la rue Dareau, il y a un gros quart d’heure de marche que nous effectuons de bon matin dans le froid de l’hiver : rue Didot, rue d’Alésia, avenue du Général Leclerc, rue Rémy Dumoncel et nous voilà arrivés rue Dareau, une rue à l’aspect désertique soudainement illuminée, passé le pont du RER B, par la devanture du Vaudésir. Nous poussons la porte trop contents de trouver refuge dans un endroit chauffé. Comme à son habitude, Christophe est assis près de la cuisine pour sa séance quotidienne d’épluchage de pommes de terre. Voilà bien le signe qu’il n’a pas pris le melon et qu’il n’y a pas besoin d’être une grosse légume des médias pour engager la conversation ! Rassurés, nous commandons un café au comptoir (café bio Massaya à un euro). Entre deux clients, Christophe nous explique qu’il y a aujourd’hui une vingtaine d’années qu’il a repris cette affaire sur un coup de cœur au retour d’un séjour de trois ans en Afrique qui lui a permis de prendre du recul par rapport à ses études de droit international et surtout d’acquérir le goût du contact humain. Au Vaudésir, on refait le monde au comptoir en épluchant un œuf dur plutôt que pondre des commentaires d’arrêt et c’est sans doute tout aussi bien. Et fort de ses différentes expériences, l’ancien juriste sait s’adapter à tous ses clients « dont certains sont de gros intellos », nous précise Christophe qui n’a de cesse de faire régner la simplicité, la convivialité et l’ordre de la vraie gentillesse dans son bar-restaurant.

Comptoir refait à l’identique de celui de 1912

Musique, belote, mâchons et traditions

Justement la porte s’ouvre et Christophe nous présente le nouvel arrivant, un artiste dessinateur du 14ème arrondissement avec lequel nous engageons immédiatement la conversation. Il n’y a pas vraiment d’anonymat au Vaudésir car le patron en connait tous les habitués dont la plupart sont du quartier : « Ce sont les gens des bureaux autour à midi et également des voisins, des retraités, les mamans le mercredi avec leurs enfants, un petit peu de tout en fait », nous indique-t-il. L’ambiance chaleureuse et familiale, éloignée de toute fausse sophistication, nous incite à nous attarder au comptoir en examinant le décor du bistrot dont le propriétaire assume complètement le style un peu vieillot qui fait tout le charme du lieu. « Le café est à cette adresse depuis 1883 et a toujours été « café, bois, charbon, vins » de patron en patron sans aucune interruption », précise Christophe. C’est en fait un incroyable décor XIXème siècle avec rajouts successifs et dans son jus. La glacière a été reconditionnée en frigo dans les années 50 et le comptoir a été refait à l’identique de celui qui a été confisqué pendant l’occupation, un modèle original datant de 1912. Le plafond un peu jauni de la salle principale porte les stigmates de l’époque où l’on pouvait encore y fumer. La colonne qui le soutient est ornée d’un angelot entouré de grappes de raisin. Sur le mur qui fait face au comptoir sont accrochées deux ardoises sur lesquelles figurent le plat unique du jour (à 8,20 euros !) et le choix des entrées, des fromages et des desserts ainsi que les prix pratiqués, tous très concurrentiels. A cause du relatif isolement de son bistrot, Christophe est condamné à rester compétitif et la recette marche très bien puisque son établissement ne désemplit pas à midi. A tel point que l’on doit nécessairement réserver si l’on veut obtenir l’une des quarante places disponibles pour le déjeuner. Le bureau de Pernety 14 ne raterait pour rien au monde le paleron de bœuf braisé qui est le plat de ce lundi de janvier préparé comme tous les jours par Michèle, la cuisinière. Et comme chez nous on aime savoir de quoi l’on parle, deux couverts sont réservés pour midi. Verdict d’après déjeuner : très très bon ! Un service à la bonne franquette vient couronner la qualité des plats qui sont tous faits maison. Côté boissons, pas de soucis à se faire : Christophe a remporté en 2017 la Coupe du Meilleur Pot, un prix décerné par l’Académie Rabelais qui récompense chaque année un bistrot pour la qualité d’ensemble des vins français que l’on peut y boire. Le patron entretient volontiers la bonne convivialité qui préside au repas en organisant les mardis matin des mâchons et à l’occasion un concours de belote qui permet aux heureux gagnants de remporter un jambon d’Auvergne. Cela sans compter la Fête de la Musique qui voit rappliquer les musiciens de l’IMEP, l’école de jazz de la rue Emile Dubois et bien d’autres manifestations festives encore. Pour que vivent le quartier et la tradition des bistrots parisiens qui a encore de beaux jours devant elle, qu’elle soit ou non inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco !

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