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Hervé Jacob, le G.O. de la Place Moro-Giafferi

Pas un jour sans une publication dans le groupe Facebook des Amis de la Place Moro-Giafferi ! L’activisme d’Hervé Jacob au cœur du Quartier Pernety a de quoi susciter la curiosité et l’admiration des badauds. Nous avons voulu savoir quelle était la motivation de celui qui anime sans relâche notre cher barrio et connaitre les circonstances de la création de l’association qu’il préside.

L’impetus du réaménagement sans concertation de la Place Moro Giafferi 

L’association des Amis de Place Moro-Giafferi a été créée en 2014 en réaction à la décision prise par la Mairie du 14ème de réaménager la Place Moro-Giafferi : « Cette décision a été prise en 2013 juste avant les élections municipales sans que personne ne demande rien et sans concertation aucune, déplore Hervé. J’ai trouvé un peu dommage que ça se passe comme ça en catimini pour dépenser un reste de budget (environ 600.000 euros) et j’ai donc décidé avec deux ou trois copains de créer une association qui servirait de relais auprès de la Mairie pour exprimer les véritables besoins du voisinage de cette place ». C’est la rue du Château qui, selon eux, doit à l’époque être urgemment refaite. La Mairie en décidera autrement en raison du coût élevé des travaux de réhabilitation de cette rue. Qu’à cela ne tienne, Hervé et ses amis déposent les statuts d’une association dont l’objet va être de faire vivre le quartier et également de militer pour le réaménagement de la rue du Château. L’association contacte tous les candidats à l’élection municipale de 2014 pour les challenger sur ce sujet et constate avec satisfaction qu’ils le reprennent tous à leur compte dans leur programme électoral respectif. Fort de ce soutien implicite, l’association organise une « agora participative » plusieurs week-ends durant pour solliciter les avis des habitants de la rue et de ceux qui la traversent sur le projet de réaménagement. Cette consultation citoyenne aboutira au final à prévoir une voie unique pour les voitures dont il sera par ailleurs inversé le sens de circulation afin de résoudre les problèmes de bruit et de pollution que l’ancienne configuration n’était pas sans poser aux riverains qui y travaillent. Capitalisant sur ces premiers résultats concrets, l’association crée une page et un groupe Facebook qui vont servir de supports de communication avec les habitants du quartier. Quatre cents personnes en suivent aujourd’hui chaque jour l’actualité par ce moyen.

Les heures heureuses de la Place Moro Giafferi à la saison d’été

Une association vectrice de lien social

Même si personne ne sait qui était de Moro-Giafferi (qui se soucie des avocats et des hommes politiques ?), tout le monde dans le Quartier Pernety connait la Place Moro-Giafferi, ses bars, ses restaurants et ceux des rues alentours qui forment le périmètre qui délimite le terrain de chasse d’Hervé Jacob : « Les parisiens ne connaissent généralement que les seuls deux cent mètres autour de chez eux. On a voulu faire pareil et ne pas dépasser le triangle formé par la rue Losserand, l’avenue du Maine et la rue Pernety prolongée par la rue de la Sablière. En gros, on va jusqu’au Laurier et pas au delà, jusqu’au Ton Air de Brest et pas au delà et jusqu’aux Tontons et pas au delà ! » Hervé est par la force des choses au courant de tout ce qui se passe dans le mini-village dont il raconte avec ses amis la vie à ses habitants : « Souvent on se sert des informations fournies par les commerçants eux-mêmes, celles qu’ils publient sur Facebook et qu’on republie derrière dans notre propre groupe. Ou bien alors il peut s’agir d’évènements dont on est témoin dans le quartier (incendie, manifestation associative, etc.) et qu’on relaie également. » Hervé, qui est par ailleurs conseiller de quartier, commence sa journée dès six heure et demi du matin Chez César et Paulo autour d’un café : « On vient régulièrement me voir avant sept heure pour un problème de logement ou même pour solliciter mon aide pour remplir des papiers administratifs. Et quand les commerçants font face à un problème, il viennent me voir également. Je sers en quelque sorte de médiateur vis-à-vis de la Mairie. » Les quatre cent membres du groupe sont ravis d’être alimentés de cette information locale et participent à leur tour à la fourniture de tuyaux et de potins dont Hervé et ses amis font leur miel. Rien de tel pour briser l’anonymat de la capitale parisienne. Pour communiquer, ils choisissent volontiers les photographies facilement prises par le moyen d’un smartphone : « Les gens ne lisent pas les publications sans photo », témoigne Hervé. Même s’il se défend de vouloir faire du buzz à tout prix, Hervé apprécie bien sûr à leur juste valeur les retours des membres du groupe sur les publications. Ces retours ont notamment été très nombreux lors de la Coupe d’Europe de football dont la finale a réuni plus de mille personnes sur la Place Moro-Giafferi de même que sur le texte qu’il a publié lors du récent drame de l’attaque au couteau de Villejuif dont l’auteur résidait rue Pernety. Mais le groupe intéresse aussi les personnalités politiques qui sont nombreuses à en être membres. Une aubaine pour Hervé qui comptent bien en cette période pré-électorale rééditer son exploit de 2014 en réussissant à les sensibiliser à la nécessité d’aménager le parking Didot en parking temporaire afin de compenser la disparition de places de voiture occasionnée par les travaux de réhabilitation de la rue du Château.

Cliquez ici pour accéder à la page Facebook du groupe public des Amis de la Place Moro-Giafferi.

Le 14ème en portraits de Béatrice Giudicelli

Alienis pedibus ambulamus. Nous marchons tous dans les pas des autres et Pernety 14 n’échappe pas à la règle, qui n’a rien inventé en réalisant les portraits des personnalités marquantes du 14ème arrondissement de Paris. Béatrice Giudicelli avait ouvert la voie bien avant nous en publiant dès 2011 aux éditions Carnets-Livres Visages du XIVe suivi en 2017 à Riveneuve Editions de Figures du XIVe arr.. La moindre des politesses à l’égard de notre remarquable prédécesseur était donc de la solliciter pour une interview. Béatrice a fini par céder à nos supplications et nous nous sommes rencontrés en ce début d’année 2020 au café Les Artistes de la rue Didot pour qu’elle nous fournisse la matière d’un portrait de la portraitiste.

Le goût des autres puissance 14

Béatrice n’est pas née dans le quatorzième arrondissement de Paris. Cette Cannettane d’origine ne se souvient pas non plus avoir toujours voulu écrire. Après son baccalauréat, elle s’inscrit en prépa HEC puis se rabat sur des études d’économie. Elle commence par travailler dans les télécoms en tant que chargée d’études économiques mais s’y « ennuie à cent sous de l’heure ».  Les métiers de la communication correspondent plus à sa fibre personnelle. Après avoir rongé son frein pendant plusieurs années, elle finit par obtenir un poste au service de communication de l’Autorité de Régulation des Télécoms (ART devenue ARCEP). Elle y devient rédactrice en chef de la lettre d’information externe qu’elle transforme complètement. C’est de cette époque que naît le projet d’écrire un livre. Elle perd son emploi à la suite d’une restructuration et devient pigiste avant de collaborer à France Active où elle prend grand plaisir à réaliser les portraits d’entrepreneurs de la vie sociale et solidaire : « Cette expérience a été une révélation. Je me suis sentie en osmose et en empathie complète avec mes interlocuteurs. Leur parcours semé d’embûches m’a vraiment interpelée et inspirée. J’étais soudain portée par une veine créative et mes articles ont tous été très bien accueillis. C’est ça qui a lancé le livre Visages du XIVe car je sentais que j’avais des choses à exprimer ». C’est en effet cette énergie positive qui transparaît quand on lit ce premier opus de Béatrice magnifiquement illustré par les dessins de France Dumas. Une énergie soutenue par une belle générosité puisqu’on y retrouve au milieu des stars que sont Cabu, Jean Lebrun ou Armand Gatti, des gens moins illustres mais qui dans leur grande diversité ont en commun d’ajouter un supplément d’âme à l’arrondissement de Paris qu’elle a choisi d’habiter depuis aujourd’hui plus de vingt ans. Des artistes bien sûr mais également des responsables associatifs, un jardinier, un libraire, une gardienne d’immeuble, un réparateur de cycles et bien d’autres encore qui sont autant de pittoresques et attachants personnages du 14ème. Tous sont porteurs d’un univers qui leur est propre, chargés d’une histoire personnelle plus ou moins chaotique, marqués par des combats et des blessures qui ont forgé leur caractère, et soutenus par des espoirs qui les font tenir et avancer. « En écrivant ce livre, j’ai tout à coup essayé de comprendre les autres de l’intérieur alors que jusque là ils étaient très lointains. Il y a tellement de choses à explorer chez les gens. J’ai cherché à capter la magie de chacun », témoigne Béatrice. Son goût des autres et de l’écriture va l’amener à renouveler l’expérience et sortir en 2017 un second livre intitulé Figures du XIVe arr. toujours illustré par France Dumas et réalisé avec le précieux concours de François Heintz, un collaborateur du journal de quartier associatif La Page du 14è arrondissement aujourd’hui décédé. Une réception est organisée à cette occasion à la Mairie du 14ème, qui vient saluer le travail effectué par Béatrice et ses amis (*). De quoi l’encourager à voir grand et à nourrir de nouveaux projets.

Créer un lieu de rencontres avec les artistes

Car Béatrice qui s’occupe au quotidien d’accompagner des élèves en situation de handicap n’est jamais rassasiée de rencontres dont elle s’attache à faire profiter les autres. De dîners entre amis en soirées musicales qu’elle accueille régulièrement à son domicile de la rue des Suisses, elle s’est constitué un réseau d’amis et de connaissances qui ont en commun d’aimer animer et faire vivre le Quartier Pernety. Son projet serait aujourd’hui de créer un espace similaire à celui qu’a animé Jean Lebrun au Café El Sur sur le boulevard Saint Germain il y a maintenant vingt cinq ans. Le célèbre journaliste et producteur de France Culture y avait coutume de recevoir des invités pour parler de leur univers personnel, de leur carrière et de leur actualité. Ce salon des temps modernes pourrait très bien se tenir au Poinçon, l’ancienne gare de la Petite Ceinture, qui dispose déjà de toute la logistique nécessaire. Béatrice se voit bien en animatrice de débats entourée de chroniqueurs intervenants sur le thème et autour de l’invité de la soirée. Le 14ème arrondissement a toujours été un territoire d’élection pour les artistes et nombre d’entre eux y sont restés très attachés comme par exemple Renaud à qui Béatrice a fait parvenir Visages du XIVe et qu’elle rêve depuis toujours d’interviewer. L’avenir nous dira si ce beau projet pourra un jour se concrétiser. En attendant de le faire progresser, Béatrice, qui a gardé intacte sa curiosité pour les autres, continue l’aventure de Figures du 14ème arr. en réalisant avec France Dumas et le journaliste-vidéaste Alain Goric’h une série de films courts et fort instructifs sur les personnalités remarquables et inspirantes du 14ème arrondissement. Presque vingt vidéos ont à ce jour été produites, qui sont disponibles sur la chaîne YouTube ad hoc créée par Béatrice (cliquer ici) ou accessibles à partir de la page Facebook de Figures du 14ème arr. (cliquer ici). Elles ont également été réunies sous la forme d’une série de quatre CD que tous les amoureux du 14ème se doivent absolument de détenir dans leur vidéothèque personnelle !

Béatrice, Alain et France au Petit Bazaar de Noël 2021 organisé par “Urbanisme et Démocratie”

(*) A également été projeté lors de cet évènement le premier opus de la série de films Figures du 14ème arr. consacré à Margaret Skinner, figure des combats urbanistiques du quartier Pernety-Plaisance (visionner la vidéo ci-dessous).

« Les Jardins Numériques » et l’IUT de Bobigny s’allient contre la fracture sociale

Pascal Vaillant et Joseph Han au « Laurier »

Les Jardins Numériques, une association de la Porte de Vanves, s’est associée à l’IUT de Bobigny pour favoriser l’inclusion numérique et sociale de tous en concevant une plateforme informatique dont la vocation est de permettre la mise en relation des « décrochés du digital » avec des personnes aidantes de toutes les nationalités. Nous avons rencontré au bar-restaurant Le Laurier Joseph Han, le président des Jardins Numériques, et Pascal Vaillant, informaticien-linguiste et enseignant en informatique à l’IUT de Bobigny, qui sont les instigateurs et les porteurs de ce magnifique projet solidaire.

Un portail multilingue de mise en relation et d’accès au droit

C’est sur une constatation de départ identique qu’a été créé Respect International, l’ancêtre de Pernety 14 : la difficulté des plus fragiles et des plus vulnérables à défendre leurs droits. La fracture sociale est aujourd’hui de plus en plus une fracture numérique dans la mesure où l’accès aux droits et aux services se fait généralement via l’outil internet dont le maniement par les séniors et les ressortissants étrangers demeure parfois très problématique. « Les besoins sont énormes », insiste Joseph Han dont les parents ne parlent pas un mot de français. D’où l’idée de créer un instrument qui soit un moyen de mettre en relation ceux qui ont besoin d’aide et ceux qui sont disposés à leur donner un coup de main en français ou dans toute autre langue et qui soit également un outil pédagogique de stockage d’informations qui servirait de bibliothèque numérique multilingue à la disposition de tous. S’agissant de la mise en relation, l’idée est d’amarrer une personne bien intégrée et socialement agile à une (ou plusieurs) personne(s) rencontrant des difficultés pour s’insérer notamment parce qu’elle(s) ne maitrise(nt) pas internet et/ou parce qu’elle(s) parle(nt) et/ou écrive(nt) difficilement le français. La population migrante se trouve tout particulièrement démunie à son arrivée sur notre territoire. L’objectif du dispositif est de mettre en relation des personnes originaires du même pays ou de la même région du monde et qui partagent la même langue pour créer une dynamique d’entraide. La bibliothèque numérique multilingue permettra quant à elle un accès facilité à une documentation de base par celles et ceux qui doivent se débattre dans les méandres de la législation / réglementation française. Elle consistera en des articles et en des tutoriels en ligne dans toutes les langues et sera enrichie en permanence en capitalisant sur les services rendus par les aidants dans le passé. Pas de place à l’amateurisme puisque ce sont des interprètes assermentés qui devront se charger des traductions des documents permettant l’accès au droit. Le projet tel qu’il a été conçu par Les Jardins Numériques a été regroupé avec celui de neuf autres associations et présenté au budget participatif 2019-2020 de la Ville de Paris. Les parisiens l’ont largement plébiscité puisqu’il a obtenu 32.000 voix et est arrivé en deuxième position juste derrière le projet environnemental et climatique. Il a donc toutes les chances d’être réalisé d’autant qu’il bénéficie aujourd’hui de l’appui logistique d’une équipe d’étudiants informaticiens de l’IUT de Bobigny.

Soutenance du projet en mars 2019 à l’IUT de Bobigny

Une équipe d’étudiants de l’IUT de Bobigny dédiée au projet

C’est en effet là que Pascal Vaillant entre en scène. Cet enseignant en informatique très impliqué dans la vie associative du 14ème arrondissement de Paris puisqu’il est par ailleurs secrétaire chargé de la communication de Paris 14 Territoire de cinéma rencontre Joseph Han en 2018 à l’occasion du premier festival de films organisé par l’association de cinéphiles. Les deux hommes se découvrent des centres d’intérêts communs et Pascal a tôt fait de s’enthousiasmer pour le projet de plateforme numérique solidaire de Joseph. Car c’est typiquement le genre de projet qu’il peut faire développer par les étudiants dont il a la charge au département des métiers de l’internet et du multimédia de l’IUT de Bobigny. Il les fait travailler en 2019 dans le cadre d’une compétition internationale pour réaliser un site internet multilingue répondant aux objectifs poursuivis par Joseph. Sept prototypes de site sont de cette manière réalisés dont un qui a été élu prototype gagnant pour servir de base aux développements futurs. A la rentrée dernière, il met en place au niveau licence un projet tutoré réunissant des étudiants développeurs, infographistes et chargés de communication pour faire avancer le projet de plateforme. Le site fonctionnel ou « coquille » devrait pouvoir être livré en mai 2020. Pour qu’il fonctionne concrètement, il faut bien sûr constituer une base d’aidants suffisante. C’est la raison pour laquelle ont été sollicités des chargés de communication dont la mission est de promouvoir le concept à l’extérieur à partir de mai 2020 (dans les associations et foyers s’agissant des personnes aidées et sur les réseaux sociaux s’agissant des aidants). La mise en service de la plateforme devrait pouvoir intervenir en 2021, ce qui pourrait correspondre au déblocage des fonds du budget participatif. Car la Ville de Paris qui organise des journées de la solidarité reste bien sûr un partenaire clef pour faire aboutir le projet porté par Joseph et Pascal. Nous ne doutons pas qu’ils sauront convaincre tous les élus municipaux quelle que soit leur couleur politique tant qu’il est vrai que ces derniers ne peuvent être insensibles aux efforts déployés pour réduire la fracture sociale par le biais de l’inclusion numérique de tous.

Cliquer ici pour accéder à l’agenda partagé des Jardins Numériques.

Françoise Le Goaziou, présidente du « lieu de la joie d’être ensemble »

Les Bretons de Paris ont leur endroit à Paris pour se réunir et partager leur fierté d’être Bretons, des moments conviviaux et des évènements organisés autour de la culture bretonne. Il s’agit du 22 rue Delambre, le siège de la Mission Bretonne niché au cœur du Quartier du Montparnasse, le quartier breton de Paris. La porte cochère ouvre sur une cour au fond de laquelle se tient une ancienne bâtisse qui a gardé son cachet d’antan : Ti ar Vretoned, littéralement « La Maison des Bretons ». Nous y avons rencontré Françoise Le Goaziou, sa dynamique présidente, qui sort ce mois-ci un nouveau livre intitulé Bretons sur Seine retraçant quinze siècles de présence bretonne à Paris.

Une historienne militante de la culture heureuse

Françoise Le Goaziou est une Bretonne de Paris qui est née à… Saint-Etienne où ont émigré ses ascendants originaires de Saint-Quay-Portrieux pour aller chercher du travail dans les mines. Elle est élevée par sa grand-mère qui n’aimait pas vraiment la préfecture de la Loire et qui nourrissait une profonde nostalgie de la Bretagne. A sa mort, c’est le Père François Le Quemener, aumonier des Bretons de Paris et animateur de la Mission Bretonne, qui achève de compléter son éducation. Elle passe l’agrégation d’histoire et devient professeure. Après une courte expérience en Champagne, elle est nommée à 23 ans au Lycée Jacques Brel de la Courneuve qui la met pour la première fois en contact avec le monde des banlieues. Elle surmonte rapidement ses premières préventions et s’enthousiasme bientôt d’avoir le privilège d’apprendre son métier au milieu des populations des cités. Puis elle devient prof de prépa au Raincy toujours en Seine-Saint-Denis. Entourée d’étudiants de toutes origines, elle ne quitterait son poste pour rien au monde car elle est pleinement convaincue de faire œuvre utile dans un endroit où l’ascenseur social a encore du sens : « Les gamins, on les intègre tous. Pas tous à HEC car ce n’est pas forcément là où ils seraient le plus heureux. Mais dans d’autres écoles de commerce ou ailleurs. On a des étudiants bons élèves, positifs, motivés, gentils, agréables, reconnaissants. C’est vraiment un chouette métier ! ». Quand en 2009 le Père Quemener s’en va retrouver l’éternelle jeunesse de Dieu, Françoise Le Goaziou est sollicitée pour revenir à la Mission Bretonne où elle intègre le conseil d’administration puis devient présidente. « L’expérience que j’ai des Bretons de Paris m’aide beaucoup avec mes étudiants, témoigne-t-elle. Parce que l’essentiel de mes étudiants est issu de l’immigration et que j’ai dans la même classe des maghrébins, des africains, des vietnamiens, des cambodgiens, des roumains, des turques, des kurdes, que sais-je encore. Or ces étudiants là ont souvent la culture honteuse. J’essaie de leur faire comprendre que les Bretons ont vécu des choses assez similaires. Et comme j’ai la chance d’enseigner le 20ème siècle, je commence souvent par leur parler de l’immigration bretonne à cause de l’interdiction de parler la langue, du rejet, etc.. J’essaie de leur faire prendre conscience que lorsqu’on conserve sa propre culture on est ouvert à celle des autres ».

Une association à vocation sociale devenue véritable centre culturel breton

C’est justement l’objet de la Mission Bretonne que de promouvoir la culture bretonne à Paris. L’association a été fondée en 1947 par l’abbé Gautier qui était professeur au collège et lycée des Cordeliers de Dinan et qui avait été témoin du départ de ses élèves et des familles de ses élèves vers Paris dans des conditions extrêmement difficiles. Il décide de leur consacrer sa vie et s’empare du sujet pour en faire une thèse de doctorat. Il crée dans la foulée la Mission Bretonne avec le soutien de l’archevêché de Paris qui travaille à l’époque à réconcilier l’Eglise avec le monde ouvrier. L’association est donc conçue à l’origine comme un point d’ancrage et de repère pour les nouveaux Bretons de Paris qui pourraient être déstabilisés par la trépidante vie parisienne. En favorisant l’entraide et la solidarité entre natifs de Bretagne, elle les met à l’abri des dangers (exploitation, prostitution) qui guettent les déracinés à leur arrivée dans la capitale. En 1970, c’est le père Le Quemener qui prend la tête de la Mission Bretonne. Sous son ère et l’influence du mouvement de renaissance de la culture bretonne, l’association se transforme peu à peu en véritable centre culturel breton. Des cours de breton y sont organisés, la musique et la culture bretonne valorisées. Le 22 de la rue Delambre devient « La Maison des Bretons » et Ti ar Vretoned est accolé au nom de la Mission Bretonne pour symboliser son ouverture à toutes celles et à tous ceux, croyants ou non-croyants, bretons ou non, qui s’intéressent à la culture bretonne. L’association compte aujourd’hui 700 adhérents qui se réunissent autour de ses différents ateliers et activités (Kafe Istor, Evangile et Vie, etc.) et qui se retrouvent à l’occasion de la Fête de la Bretagne organisée chaque année en partenariat avec la Mairie du 14ème. Tous participent à l’esprit de la Mission, « une alchimie bizarre, nous dit Françoise Le Goaziou, qui doit être dans l’essence du lieu et qui fait qu’on y rencontre beaucoup de bienveillance et de tolérance. C’est la joie d’être ensemble qui fait se rassembler lors d’une veillée ou d’un repas des gens de tous horizons professionnels et de tous âges. La Mission ne laisse personne sur la touche et nous faisons notre maximum pour y faire venir du monde. C’est un joli lieu où l’on peut même trouver son partenaire car la Mission est aussi une agence matrimoniale… C’est vraiment un lieu marrant ! » Avis à toutes celles et à tous ceux qui sont curieux de découvrir les trésors et les richesses de l’âme celte !

Cliquez ici pour accéder au site de la Mission Bretonne et ici pour accéder à sa page Facebook.

MC Vybz : « C’est la misère qui trouve l’homme, personne ne cherche la misère »

Nous avons partagé de très bonnes ondes en cette fin octobre 2019 avec MC Vybz et Mr Teddy son imprésario qui ont accordé leur première interview en exclusivité à Pernety 14 au bar-restaurant Le Laurier. L’occasion pour nous de nous familiariser avec un genre musical qui n’a pas encore franchi les portes de tous les bars du quatorzième arrondissement de Paris où les rappeurs sont rarement invités à venir se produire.

Un rap conscient et autoproduit

L’envie de rapper est venue à Francis Doua (alias MC Vybz) il y a quelques années quand son colocataire réalisateur le persuade qu’il peut devenir le nouveau Tupac qui est considéré par beaucoup comme le plus grand rappeur de tous les temps. C’est cet ami réalisateur qui va lui suggérer de prendre le nom de MC Vybz et de se lancer dans la création musicale. Celui qui n’essaie pas ne se trompe qu’une seule fois. MC Vybz n’a pas encore 30 ans quand il écrit ses premiers textes. Mais ses premières tentatives ne le satisfont pas et il préfère faire une pause de trois ans avant de se remettre à l’ouvrage. Arrivé dans les Yvelines, il rencontre Teddy par l’intermédiaire d’un ami. Le courant passe si bien entre les deux futurs inséparables que Teddy lui propose de venir composer des textes chez lui. Entouré des ondes positives de son nouveau coach, MC Vybz retrouve rapidement ses sensations. Il crée son premier son, Positif, qui sera bientôt suivi de dix autres : « Encore un de ces jours/Où je pose mon regard sur cette terre/Voir mon peuple dans cette chimère/Se battre dans des situations de merde/Et merde tout cela me donne de la fièvre/[…] ». Le rap de MC Vybz est un rap conscient. D’après internet, le rap conscient est un style de rap qui se caractérise par la dimension politique de ses paroles. Il ne s’agit pas d’une musique partisane mais bien plutôt d’une pratique consciente, politisée et engagée, qui reflète la volonté d’exprimer une vision du monde par le romantisme du rap et qui cherche à porter la parole des plus faibles et moins écoutés dans la société. Internet précise que le rap conscient est particulièrement développé en France bien qu’il n’en soit pas originaire. Beaucoup le considèrent comme le « vrai » rap et certains estiment que les artistes français de rap conscient, même reconnus par le public, reçoivent moins de médiatisation que des artistes dits commerciaux. D’où la difficulté de se produire. Grâce à Teddy, qui a déjà aidé plusieurs artistes à s’auto-produire, MC Vybz va pouvoir diffuser ses propres clips sur YouTube pour les titres phares que sont PositifTrop tard attendraLa misèreEspoirIdéalisme et Fatigué. Teddy est également à la manœuvre pour la création de la page Facebook dédiée à son protégé. Tous les éléments sont donc en place pour assurer la promotion du rappeur qui, privilégiant pour l’instant l’enregistrement en studio à la performance publique, ne s’est pas encore produit en concert.

Mr Teddy et MC Vybz au “Laurier”

Pour créer ses paroles, MC Vybz s’inspire de son vécu et de ses expériences personnelles. Il a beaucoup voyagé sur le continent africain pendant sa jeunesse parce que le travail de son père l’a amené à le faire. Il connait bien la Côte d’Ivoire, l’Angola, l’Afrique du Sud et le Gabon. Arrivé en France à dix sept ans, il navigue entre Asnières-sur-Seine, Courbevoie et Garge les Gonesse pour finalement atterrir dans les Yvelines. Quel message veut-il faire passer ? Que la vie est difficile mais qu’elle vaut la peine d’être vécue. « Mes paroles sont destinées à encourager les gens et à les aider à tenir et à s’en sortir. Elles peuvent être mélancoliques mais elle restent toujours positives. Je ne suis jamais prisonnier de ma mélancolie. Mon but est aussi que les gens réfléchissent à ma musique. Savoir pourquoi je cherche ma voie et où je veux en venir. » Parfois l’envie lui prend de dépasser son cas personnel et de s’engager pour une cause humanitaire, celle des migrants par exemple. Ce sera l’objet d’une chanson à venir. Ce sont toutes ses colères et ses révoltes qui au final nourrissent son inspiration. MC Vybz a produit onze titres pour l’instant. Il récupère ses « instrus » sur internet avec l’aide de son ami Teddy. Mais le plus important reste de travailler le flow. Le flow, c’est le rythme et les rimes des paroles d’une chanson de rap. Car une même phrase peut bien sûr être rappée d’un nombre infini de manières. Le flow peut se concentrer sur le rythme, se rapprocher de la parole ou plus rarement d’une mélodie. C’est l’âme et ce qui fait vivre une chanson de rap. D’où le travail incessant d’affinage et de réinvention du flow. Des heures et des heures de répétition sont nécessaire pour enfin capter le flow définitif d’une chanson. Mais pas question pour MC Vybz d’adopter le flow « dangereux » des Bone Thugs-N-Harmony qui restent malgré tout pour lui des références. Le rap conscient bannit la violence et les excès en tout genre du rap hard de même qu’il répugne au n’importe quoi du rap délire qui peut être à l’occasion soutenu par un bon flow. Résolument positifs et constructifs, MC Vybz et son ami Teddy se consacrent aujourd’hui à leurs projets futurs et travaillent à la réalisation de plusieurs nouvelles maquettes (mixtapes) pour 2020.

Cliquez ici pour accéder à la page Facebook de MC Vybz.

Romuald Provost, le luthier en guitare qui décoiffe

Franck et Romuald Provost n’ont que le nom et le département de naissance en commun. Tous les deux sont d’origine sarthoise, mais si l’un a opté pour la coiffure, l’autre a choisi les guitares. Au bar de L’Osmoz Café à l’heure du déjeuner, on reconnait facilement Romuald à sa barbiche et à ses cheveux ramenés en chignon au dessus de la tête. Il est luthier en guitare depuis maintenant presque vingt ans dans le quatorzième arrondissement de Paris. Rencontre à son atelier de la rue du Texel.

Le déclic devant un beau livre de lutherie à la FNAC du Mans

Romuald Provost est né en 1976 dans la ville du Mans où il passe toute sa jeunesse. Après une première tentative en école d’architecture, il poursuit sans conviction des études d’histoire moderne et de géologie tout en cultivant un goût pour les activités manuelles en sculptant sur bois et en bricolant les guitares de ses copains. Il passe régulièrement dans le Vieux Mans devant l’atelier de Frank Ravatin, luthier du quatuor (*), et il est déjà fasciné par l’atmosphère qui s’en dégage. Mais ce qui véritablement suscite sa vocation, c’est le beau livre d’art intitulé Luthiers et guitares d’en France sur lequel il tombe en arrêt à la FNAC du Mans : « Comme je n’avais pas de ronds je ne l’ai pas pris, mais je suis resté scotché dessus l’après-midi entière à la FNAC. Je suis rentré chez moi pour demander un peu d’argent à ma mère qui m’a permis de l’acheter. Et là, tous les jours, tous les soirs, je regardais les guitares. Je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de ça ». Romuald n’a plus que ça en tête et veut absolument tenter sa chance dans la lutherie. Il finit son année à la fac tout en se mettant à la recherche d’une école ou d’une possibilité d’apprentissage. Coup de chance, l’ITEMM, l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique, une des rares écoles de lutherie de France, est justement basée au Mans. Il se lance dans une formation en alternance de trois ans dans le cadre de laquelle il travaille chez un ébéniste d’art et il décroche à la sortie un CAP de facteur de guitares. Il continue en parallèle à jouer de cet instrument. Comme musicien il s’imaginait plutôt batteur (de jazz) mais il va dès ses quatorze ans sagement se replier sur la guitare pour épargner les tympans de ses parents. « De toute façon, ce n’est pas le même rapport à l’instrument et même si je pratique un peu je ne suis pas moi-même un excellent guitariste. Certains luthiers en guitare n’en jouent d’ailleurs pas du tout ». A l’issue de sa formation, Romuald cherche pendant un an en vain du travail dans les ateliers de lutherie en France et en Belgique, puis monte à Paris pour suivre sa compagne. Sans réseau aucun, il décide à l’âge de vingt trois ans de se mettre à son compte : « Je ne voulais pas avoir fait tout ça pour rien. Aujourd’hui, cela fait presque vingt ans je suis installé comme luthier à Paris ».

Une clientèle constituée grâce au bouche à oreille

« C’est un bon, lui. Et il a une clientèle terrible ! ». Elle court, elle court la rumeur dans le Quartier Pernety. Romuald a parcouru bien du chemin depuis son interview en 2006 pour laguitare.com (cliquez ici pour lire l’interview). Il s’est créé son réseau absolument seul alors qu’il est arrivé à Paris il y a dix-neuf ans sans aucune relation et sans aucun ami ou aucune famille pour l’appuyer. Le bouche-à-oreille a fonctionné à plein pour asseoir sa réputation de grande maîtrise et de professionnalisme. Il a également un peu fréquenté les salons, mais sans plus. « J’ai été longtemps sans avoir de site, nous confesse-t-il. Tout se fait en réalité petit à petit. On te ramène un jour une guitare et ça marche à la confiance. Si le boulot est bien fait, ça parle et de fil en aiguille on se fait une clientèle. Il y a le coup de chance aussi : un instrument précieux qu’un collectionneur te met entre les mainsEt puis, on n’est pas non plus extrêmement nombreux en restauration sur Paris. Or les techniques un peu anciennes que j’ai apprises se prêtent bien à la restauration. » Romuald, dont le savoir faire est aujourd’hui reconnu au plan national où il compte plus de quatre cent concurrents, ne nous cache que le niveau dans notre pays est extrêmement élevé. Certains collectionneurs traversent l’Europe pour lui confier une guitare : « Après ça marche aussi par l’activité, nuance-t-il. Nous sommes une dizaine de luthiers en guitare sur Paris, ce qui n’est pas non plus délirant. Et puis le feeling est également très important. Je sais que certaines personnes que je rencontre sur des salons ou lors de concerts ne viendront pas chez moi parce que le courant ne passe pas. » La restauration de guitares lui prend aujourd’hui bien plus de temps que la fabrication à laquelle il a également été formé. Le rapport à la matière est pourtant ce qui fondamentalement l’intéresse. Il peut lui arriver pour fabriquer une guitare de s’inspirer des modèles qu’il a restaurés dont il reprend les épaisseurs et copie la structure. Mais il propose en général un modèle unique quoique toujours renouvelé dont l’esthétique s’inscrit dans celle de l’école française de la première moitié du vingtième siècle. Son site internet précise qu’il fabrique cinq à six guitares par an de façon entièrement artisanale, que les bois utilisés sont rigoureusement sélectionnés par ses soins (épicéa ou cèdre rouge) et que sa facture reste traditionnelle, tout bois, avec un montage dit « à l’espagnol » et un vernis au tampon. « Rien n’est plus beau qu’une guitare, sauf peut-être deux », disait Chopin. Romuald qui est entouré d’instruments dans son atelier de la rue du Texel est sans nul doute un homme comblé.

(*) C’est-à-dire un luthier spécialiste des violons, altos, violoncelles et contrebasses.

Cliquez ici sur accéder au site internet de Romuald Provost.

 

Philippe Jolly, le génial facteur et restaurateur de pianos de la rue Boulard

Philippe dans son “atelier-boutique-foutoir” de la rue Boulard à la Noël 2021

Philippe Jolly ne laisse personne indifférent comme en témoignent les nombreux articles de presse et les vidéos consultables sur son site internet.  Il nous a reçu plus d’une heure dans ses ateliers du 25 rue Boulard dans le 14ème arrondissement de Paris et nous avons eu grand peine à le quitter tant sa conversation est passionnante et sa personnalité attachante. On pourrait rester la journée à l’écouter parler de tout, y compris de Dieu. Et le piano dans tout ça ?

Un autodidacte en (presque) tout

Rien ne prédestinait cet ancien étudiant et professeur de philosophie à devenir facteur et restaurateur de piano si ce n’est un goût certain pour la déconstruction… et donc la (re-)construction. S’il baigne dans le monde de la culture et des arts depuis sa petite enfance grâce à ses parents qui formaient un couple extraordinaire, il est également rapidement attiré par la mécanique automobile et cultive un vrai don pour le bricolage. Philippe Jolly est un intellectuel et un artiste mais également un manuel qui aime comprendre comment ça marche. Rentrer dans le ventre des pianos et en devenir le plus méticuleux des chirurgiens va constituer un défi à sa mesure qui puise également dans sa passion pour la musique. Il n’avait pas touché à un piano avant l’âge de vingt ans. Aujourd’hui, il les restaure, les règle et les accorde dans son grand « atelier-boutique-foutoir » de la rue Boulard où sont également organisés des cours et des concerts. Il en construit aussi et c’est sans doute cela sa plus grande originalité. Il a d’ailleurs bien plus de plaisir à créer et à ramener à la vie les pianos qu’à s’éterniser à les accorder pour le compte de musiciens en mal de perfection musicale inatteignable. Car Philippe ne fait jamais semblant. Il a depuis longtemps identifié les faux postulats et les finasseries commerciales de nombreux de ses confrères marchands de pianos : « Dans les livres concernant les pianos il y a beaucoup de choses fausses et également idéologiques, ce qui est encore plus grave. C’est là que la philo m’a été utile car elle m’a obligé à penser ce que je faisais. Or en pensant, je me suis aperçu que presque tout ce qu’on disait sur les vieux pianos était faux, erroné ou tout simplement intéressé, que ça participait d’une démarche commerciale. C’est ce qui m’amené à m’intéresser aux vieux pianos ». Aux piano-forte tout particulièrement. Les piano-forte sont les ancêtres du piano, des instruments intermédiaires entre le clavicorde et le piano du XIXème siècle. En 2004, Philippe s’est attelé à la création de son premier piano-forte qui est proche dans sa forme et ses dimensions de l’Erard de Beethoven et de Haydn. L’instrument dont la caisse est en merisier massif mesure à peu près 2,20 mètres de longueur sur 1,10 mètre de largeur. « Un piano de l’époque de Mozart, c’était introuvable et donc la seule solution c’était de le fabriquer. Un de mes copains qui a fait des études là-dessus m’a suggéré de le faire. Sur le moment, je me suis dit qu’il était fou et que j’en serais bien incapable. Et puis je me suis piqué au jeu et je l’ai fait. » Philippe a construit son piano-forte sans respecter de plan particulier, juste l’esprit qui a présidé à la création de l’instrument. Ce qui l’intéressait c’était de s’approcher de l’univers sonore de Mozart. « J’aimerais ne faire que ça, mais le marché est ultra-réduit malheureusement. […] Construire des pianos, ça correspond à un rêve d’enfant : quand j’étais petit je fabriquais des jouets, maintenant je fabrique de grands jouets ». En témoigne le piano-girafe sur lequel il travaille actuellement et qu’il me fait découvrir bien sagement rangé dans un coin de ses ateliers.

Devant le piano-girafe finalisé (Noël 2021).

Parler au cosmos les mains dans le cambouis

L’histoire personnelle et familiale de Philippe est la clef de nombreux aspects de sa personnalité. Son père, qui tenait une librairie en face de l’église Saint-Pierre-de-Chaillot dans le seizième arrondissement de Paris, était un vrai personnage de roman qui le fascinait complètement et dont il va hériter de l’anti-conformisme et du goût des paradoxes. Sa mère, « ultra-cultivée et qui connaissait tout de la musique et de la littérature » était tout aussi extraordinaire. C’est elle qui va lui transmettre une certaine dimension mystique et spirituelle à l’origine de sa grande sensibilité à la transcendance. Philippe a été profondément marqué par la rupture de ses parents ainsi que par la trajectoire de son frère musicien et également par la maladie qu’il va devoir affronter à l’adolescence. C’est ce cocktail d’ingrédients allié à un rapport intime à la matière qui expliquent l’extraordinaire richesse de son parcours et de ses talents. Philippe ne se contente pas de créer et réparer des pianos, il collectionne également des voitures anciennes dont il sait changer les boites de vitesse et refaire la carrosserie, de même qu’il retape de A à Z des maisons entières en Aveyron : « Je ne peux pas m’en empêcher et m’en passer, c’est comme une drogue, mais une bonne drogue. Je lis Simone Weil le soir, après avoir charrié des pierres dans la journée et réglé en début de soirée une Austin-Healy 1955 que je viens d’acheter et dont je commande les pièces en Angleterre ». Et si, après avoir succombé aux charmes du marxisme dans sa jeunesse, la véritable vocation de Philippe était celle de théologien ? Il se sent aujourd’hui happé par la transcendance dont la musique peut être une des formes de l’expression. « Mais également la matière, poursuit-il. Car la matière, c’est le cosmos et le cosmos c’est l’œuvre du Créateur quel que soit le nom qu’on Lui donne ». Voilà Philippe parti dans une nouvelle digression sur la religion avant qu’il ne nous parle de Bernanos, de Léon Bloy, de ses compositeurs préférés et de bien d’autres choses encore. Nous le quittons au bout d’une heure un peu sonnés… Car Philippe doit maintenant recevoir un de ses anciens professeurs, ethno-musicologue à la retraite, qui a fait le déplacement du Sud de La France pour peut-être lui acheter un piano.

Concert de « Ô Duo » du dimanche 6 octobre 2019 aux Ateliers Jolly

« Il faut sauver les bistrots! », le cri d’amour de Pierrick Bourgault, « bistrologue »

Photo Christophe Henry

On a déjà la tête qui tourne à la vue de son c.v. et de la liste des ouvrages dont il est l’auteur. Le « bistrologue » Pierrick Bourgault qui nous accueille chez lui rue Pernety est écrivain, journaliste, photographe, enseignant, organisateur de concerts, compagnon d’une très talentueuse artiste… et papa du petit Jules qui a tout juste deux mois et qui tient à nous le faire savoir à pleins poumons dans notre magnétophone numérique de poche. Son prochain livre, le « petit dernier » qui devra attendre le 8 novembre 2019 pour pousser son premier cri, s’appellera Bistroscope, l’histoire de France racontée de cafés en bistrots et sera publié aux Editions Chronique/La Martinière. Présentation de l’auteur et de son livre en avant-première pour Pernety 14.

Une passion pour les bistrots

Difficile de trouver par quel bout commencer l’interview car Pierrick Bourgault est un touche-à-tout qui se mêle aussi bien de vins et de bistrots que d’histoire, d’agriculture, de nourritures, de photo, de vidéo, d’informatique et de mécanique céleste. Il a également écrit un recueil de nouvelles érotiques intitulé D’amour et de vins nouveaux publié en 2007 aux Editions L’iroli. Pierrick a réuni sur le sofa du salon en une pile impressionnante tous les ouvrages dont il est l’auteur : pas moins d’une cinquantaine au total dont presque la moitié est consacrée aux bars, buvettes, estaminets et brasseries, notamment son Paris 200 bars-concerts, guide des bons plans réédité tous les deux ans chez Bonneton. D’où lui vient cette passion jamais démentie pour les bistrots ? Sans aucun doute de sa petite enfance mayennaise à Saint-Fraimbault-de-Prières, le village de sept cent habitants où il est né et où son grand père tenait un café. Un jour, sans crier gare et alors qu’il n’a que trois ans, il absorbe le philtre d’amour en sifflant des fonds de verre. Et il tombe bien sûr instantanément amoureux des troquets sans qu’il existe de remède connu… Cela ne va pourtant pas l’empêcher, bien au contraire, de décrocher un diplôme d’ingénieur agronome à Beauvais en 1985 et deux ans plus tard un DEA d’anthropologie visuelle à Nanterre-Sorbonne tout en assouvissant sa passion pour les voyages qui va le mener sur les cinq continents et qui sera à l’origine de son premier ouvrage sur les bars intitulé Bars du monde, un magnifique portfolio photographique publié en 2005 aux Editions de l’Epure, un éditeur local situé rue de la Sablière à deux pas de chez lui.  On ne saura pas trop pourquoi Pierrick a choisi la profession de journaliste-photographe plutôt que celle d’ingénieur agronome. On sent chez lui comme une certaine réserve qui entretient le mystère sur sa personne pourtant si riche et diverse. C’est sans doute ce goût du secret qui le pousse à se retrancher derrière la masse impressionnante de ses livres plutôt que se dévoiler entièrement, et à nous fournir en guise de photographie personnelle celle, certes magnifique, où il se cache derrière un verre de vin. « J’ai davantage l’habitude d’écouter que de parler de moi », aime-t-il à dire. Pierrick se définit volontiers comme un « artisan en écriture et photographie » : « J’aime écouter, observer et décrire en réalisant des livres, des reportages et des expositions. Pour les photos, je travaille avec la lumière du lieu et de l’instant afin de montrer l’univers d’une personne ou d’une société. A l’écrit, j’adopte la même approche inspirée de l’ethnologie : tenter de comprendre et témoigner ». Pour savoir ce qui, profondément, a motivé sa démarche, il faudra repasser… On ne peut pourtant qu’être fasciné par l’extraordinaire diversité de ses multiples centres d’intérêt et activités qui se reflète à nouveau dans son prochain livre à paraître, à la croisée de ceux qu’il a déjà consacrés aux bistrots et à l’histoire.

L’histoire de France racontée de cafés en bistrots

Le Bourgault nouveau est donc annoncé cette année pour le 8 novembre prochain, soit deux semaines avant le Beaujolais nouveau. La cuvée 2019 est en tous points exceptionnelle, qui marie parfaitement l’histoire, les arts, la religion, la politique et bien d’autres choses encore. Comme son nom ne l’indique pas, le Bistroscope est en fait une histoire de France d’un genre particulier : « Loin des palais royaux ou présidentiels, elle se déroule, plus intime, dans les auberges, bistrots, brasseries et cafés, ces bouillons de culture qui révèlent leur monde, leur époque, qui apportent boissons et idées nouvelles », nous dit l’éditeur. Et en effet, c’est une formidable balade « des cavernes aux tavernes », de l’Antiquité à nos jours, au cours de laquelle on croise nos ancêtres les Gallo-romains, Jésus-Christ, les moines du Moyen-Age, François Villon, Rabelais, Voltaire, Louis XVI, les révolutionnaires français, les artistes impressionnistes, les aubergistes auvergnats, Jaurès, les résistants de la Seconde Guerre Mondiale et bien d’autres encore. Cette entreprise complètement originale, magnifiquement illustrée et richement documentée ravira tous les amateurs de beaux livres. Pas moins de quatre années d’efforts auront été nécessaires pour collecter toutes les informations nécessaires à la production de ce très grand cru du domaine (de prédilection) de Pierrick ! Car son cœur de compétence reste les bistrots dont il vante sans relâche l’utilité sociale et dont il s’inquiète de la disparition progressive : « Il faut sauver, les bistrots !, s’enflamme-t-il soudain. Ce sont des endroits magnifiques et d’authentiques lieux d’expression et de création qui sont fragiles et donc menacés. Surtout les bars les plus insolites qui donnent des concerts et des spectacles et qui sont très précieux, mais dont le nombre malheureusement diminue ». Pierrick met la main à la pâte, qui s’est vu confier l’organisation des « Lundis Chansons », les concerts de chansons à texte du nouveau « Jazz Café Montparnasse » (anciennement « Petit Journal Montparnasse »). Il fait également partie du Comité Scientifique de l’Association pour l’Inscription au Patrimoine Immatériel de l’Unesco des Bistrots et Terrasses de Paris pour leur Art de Vivre. Il est donc à la fois présent sur le terrain et à la pointe du combat en publiant ses livres. Bistroscope n’est peut-être pas celui qui va clore la série. Allez Pierrick, un petit dernier pour la route ? (*) (**)

« Jam Session » à « L’Imprévu », rue Didot (photo Pierrick Bourgault)

Cliquez ici pour accéder à monbar.net, le site internet très complet de Pierrick Bourgault.

(*) Mise à jour au 7 février 2020 : Le petit dernier intitulé La Mère Lapipe dans son bistrot vient tout juste de sortir aux ateliers henry dougier dans la collection « Une vie, une voix » (cliquez ici pour le lien vers le site des ateliers henry dougier).

(**) Mise à jour novembre 2021 : Pierrick n’en peut plus d’enfanter ! Un autre petit dernier intitulé Voyage dans les bistrots de l’Ouest est sorti ce mois-ci aux Editions Ouest-France.

Marc Havet, « plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie »

Comme « les nouveaux vieux » de sa chanson et de son spectacle musical éponyme (*), Marc Havet pète toujours le feu. Difficile d’interrompre l’auteur-compositeur-interprète quand il est lancé ! Il nous a reçu à son domicile de la rue de la Sablière pour nous parler pendant plus d’une heure de musique et de politique en oubliant presque de mentionner son actualité artistique pourtant très chargée. En plus des concerts habituels, Marc prépare en effet la sortie d’un nouveau disque de chansons inédites intitulé « Tais-toi et chante » et la publication d’un livre aux Editions de La Lucarne des Ecrivains qui reprendra les textes de deux cent de ses chansons.

Tombé dans la marmite des musiciens

Marc Havet ne s’en cache pas, il est tombé dans la marmite du barde Assurancetourix quand il était petit : « La musique, j’en fais depuis que je suis né. Ce n’est pas prétentieux de dire ça, c’est vrai ! Je ne sais pas si dans le ventre de ma mère j’en faisais, mais au moins depuis que j’en suis sorti, parce que ma mère jouait du violon en amateur, ma tante jouait du piano, ma sœur ainée également qui a fait le conservatoire et qui a chanté très jeune. Donc, dans ma famille, on faisait de la musique ». En plus d’être musicienne, la famille de Marc s’écarte également volontiers du dogme et des conventions : « Je suis né dans une famille communautaire, je n’aime pas trop ce mot là, mais enfin si, c’était des chrétiens dissidents héritiers de Pascal et des jansénistes qui ne reconnaissaient pas l’autorité de l’Eglise ». Marc se souvient notamment de noces extraordinaires célébrées en région parisienne qui était encore la campagne à cette époque. A seize ans, il fait déjà partie d’orchestres de jazz qui accompagnent de célèbres musiciens américains et français. Quand vient le moment de choisir ses études, Marc opte pourtant pour l’architecture pour rassurer ses parents. Mais pas question pour lui de faire de hiérarchie entre les arts soit disant « majeurs » (architecture, peinture, etc.) et les arts dits « mineurs » dont ferait partie la chanson (« Gainsbourg a dit une belle connerie ce jour-là », nous assure Marc). Bien au contraire, ces différentes disciplines artistiques vont interagir l’une avec l’autre pour nourrir et canaliser l’inspiration du chanteur qui « compose ses maisons et construit ses chansons »« La seule différence, poursuit Marc, c’est que pour construire une maison il faut du pognon, alors que pour faire une chanson il ne faut rien du tout. Pas besoin d’un piano ni d’une guitare, il suffit de se mettre sur un coin de table. Même pas besoin d’un stylo, tu peux la penser dans ta tête ou presque. »

« Le cri primal de la chanson »

Encore faut-il avoir ce talent ou plutôt ce don. Dans un souci pédagogique, Marc s’est essayé à l’organisation d’ateliers de chansons sans que cette expérience soit vraiment concluante. Car si l’on peut apprendre à écrire dans le cadre d’atelier d’écriture voire de poésie, la chanson requiert un talent différent : celui de trouver les tonalités parmi mille différentes sur lesquelles seront chantés les mots. « C’est le cri primal de la musique et c’est ça la chanson. Quand tu as trouvé le truc, les deux notes qui font l’affaire pour prononcer et chanter un mot, il n’y en a rien à faire du piano, de la guitare et du reste. Après tu peux mettre quinze violons, deux guitares, ça c’est autre chose. Juste de l’habillage. » Pour autant, ce talent particulier n’est pas tout et, s’agissant des textes, Marc n’écrit jamais ses chansons au fil de la plume. Tout comme Brassens, il ne se sent pas poète et se méfie des fulgurances de l’inspiration : « Des fois, j’ai une idée sur un mot ou une phrase mais ça dort longtemps dans un tiroir et pour faire une chanson, la finaliser, il y a du boulot ! C’est comme pour une tapisserie, j’ai recommencé dix fois la même chanson. » Bien loin donc les « Illuminations » de Rimbaud et les vers de Verlaine créés sous l’emprise de l’absinthe : si l’inspiration reste première, le travail est là pour la structurer.

 Trenet, l’inspirateur

Les chanteurs qui restent ses références de base sont bien sûr les géants de la chanson française que sont Brassens et Ferré mais peut-être aussi surtout Trenet dont il admire l’œuvre foisonnante et l’humour mordant. Il lui consacre un récital par an tant il est fan de sa poésie familière aux antipodes de celle des poètes classiques. Parce qu’il connait par cœur les répertoires de ses illustres prédécesseurs, Marc s’est pendant des années senti empêché de composer ses propres chansons avant de connaître le déclic vers quarante ans. Au moins quatre raisons à cela : la création du « Magique », le bar-cabaret de la rue de Gergovie qu’il a ouvert avec sa femme Martine suite à la fermeture du « Piano Bar » de la rue Mouffetard où il allait se produire lors d’apéros-concerts en compagnie de pianistes de jazz ; la mort ou le repli artistique des grands ainés qui ne sont pas véritablement remplacés par la jeune génération dans laquelle Marc se reconnait moins ; l’affirmation de sa propre identité artistique qui s’affranchit progressivement des influences passées et se détache nettement de celle des autres chanteurs qui émergent sur la nouvelle scène artistique française ; la politique enfin qui après la victoire socialiste de 1981 aiguise son regard « gauche critique » et lui inspire de nombreux textes. Mais, comme de très nombreux autres artistes français, Marc admet que c’est l’incontournable Trenet qui lui a donné l’envie d’écrire des chansons. Une envie toujours présente chez lui aujourd’hui même si, comme nombre d’artistes également, il a toujours peur de tarir la source et s’il est souvent saisi par l’angoisse ne pas réussir à se renouveler.

Influences d’aujourd’hui

En octobre 1992, une sympathique bande de jeunes fréquentant assidument « Le Magique » témoignent de leur admiration pour Marc en publiant aux Editions Du Pousse Au Cul soixante à quatre-vingt de ses textes. « N’attendez pas qu’il soit crevé pour l’admirer, nous enjoignent-ils en préface. Depuis que Gainsbourg est mort, Marc Havet reste le plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie. » Peut-être l’un des deux meilleurs, rectifie Marc avec humour. Il n’est en réalité jamais satisfait de lui même et n’a pour seule ambition qu’aboutir à « quelque chose d’intéressant ». Il reste pour ce faire à l’écoute de tout ce que produit la scène musicale francophone : les classiques contemporains bien sûr (Lavilliers, Thiéfaine, Souchon, etc.) mais également le rap et même les chansons « un peu con con ». Car il fait sa sauce personnelle et son miel de tout : « Souvent on me demande par qui je suis influencé. La vérité c’est que je me laisse influencer par plein de choses et que je le restitue à ma façon ! ». Pour autant, Marc n’a toujours pas trouver parmi les chanteurs du moment sa nouvelle idole. Il reste bien plutôt fidèle aux grands auteurs qu’il continue à interpréter avec bonheur. Sans oublier bien sûr son propre répertoire d’hier et d’aujourd’hui. Ne manquez surtout pas « Marc Havet chante Marc Havet » au Forum Léo Ferré les 30 novembre et 1er décembre 2019 !

(*) « Les Nouveaux Vieux » au Théâtre du Nord Ouest les dimanches 20 et 27 octobre à 14h30 et le mardi 29 octobre à 20h15.

Cliquez ici pour accéder au site de Marc Havet.

« L’Osmoz », le Café Arty Show qui a du coeur

Smail aux commandes de « L’Osmoz Café »

Des artichauts en guise d’appâts pour les Bretons de passage, des spectacles comiques le mardi, des concerts de jazz le vendredi, des expositions temporaires de peinture, des récitals de poésie, des soirées américaines par ci, des soirées bretonnes par là, Smail Ait Saadi regorge d’idées pour faire vivre et animer L’Osmoz Café, le bar-restaurant situé au 33 rue de l’Ouest dans le 14ème arrondissement de Paris. Ce très sympathique et dynamique patron de bar a su fidéliser une clientèle de quartier en conjuguant ouverture d’esprit et sociabilité au quotidien.

Le patron donne le ton

Voilà enfin un patron de bar qui sait marier commerce et convivialité et pour qui solidarité n’est pas un vain mot ! Smail, qui est d’origine kabyle et qui est arrivé en France à l’âge de 23 ans, s’inscrit en cela sur les traces de son père, un enseignant qui en plus de mener de nombreuses actions bénévoles donnait des cours gratuits aux élèves en difficultés après la classe. La tradition familiale dont il a hérité et les valeurs qui s’y rattachent expliquent sans doute pourquoi Smail détonne un peu dans l’univers impitoyable des bistrotiers. Il se démarque en prenant des risques et en osant la différence. Pour preuve, l’artichaut breton qu’il propose à ses clients. Au départ, une idée toute simple : « La dernière fois que je suis allé en Bretagne, on m’a proposé ça en hors-d’œuvre, et je me suis dit : « Pourquoi je ne ferais pas ça dans mon restaurant ? ». Le succès est immédiat et ne se dément pas. Pas tant parce que c’est un vrai plat de pauvres comme dit Coluche (« le seul plat que quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand t’as commencé »), mais parce que « ça plait et ça fait plaisir aux clients », constate Smail. Sur sa carte figure également bien évidemment en bonne place le couscous (« C’est ma culture », nous dit Smail) et toutes sortes d’autres plats d’origines diverses et variées (français, italiens, etc.) : « C’est ce qui fait le bonheur des gens, ils aiment bien trouver un peu de tout », croit-il avoir remarqué. Cette année, la nouvelle carte de l’établissement propose un plus grand choix de vins : les différentes régions viticoles françaises (Bourgogne, Bordeaux, Pays de Loire, etc..) y sont représentées ainsi que plusieurs pays étrangers. S’ajoutent à cela quelques nouveaux plats (steak de thon, tartare de bœuf, salade au saumon, etc.). Smail ne s’en cache pas, il est « heureux comme un roi en France » aux commandes de « L’Osmoz Café ». Il est arrivé à Paris en 2003 après des études d’hôtellerie effectuées en Tunisie : « J’ai travaillé un peu partout comme cuisinier. J’ai fait Ladurée aux Champs-Elysées, j’ai fait Le Louvre, Le Méridien, les grands hôtels, etc.  J’ai également travaillé comme serveur dans des cafés, des boites de nuit et des cafés-concert. Et puis je me suis décidé à m’installer à mon compte pour faire quelque chose de plus personnel et mettre à profit mon bon contact avec les gens ». Car Smail a conscience d’avoir un don pour le contact humain : « J’ai une cote avec tout le monde », nous assure-t-il crânement. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa peine pour attirer et divertir sa clientèle.

Ines, derrière le bar

Le pari de la culture et de la bonne humeur

Car s’il aime les gens, Smail est également un amoureux de la culture française : « J’adore tout ce qui est culture, littérature et poésie. En plus le Quartier Montparnasse a une très forte identité culturelle et artistique. Les touristes viennent des Etats-Unis et d’ailleurs pour voir ça ». C’est son père enseignant qui lui a injecté le virus pendant son enfance kabyle. Et Smail a bien conscience que Paris est une capitale culturelle mondiale courue par tous les artistes en quête de reconnaissance internationale. Paris fait rêver tout le monde, son petit bistrot parisien également : « Il y a un savoir vivre parisien. Quand à l’étranger je dis que je viens de Paris et que j’y tiens un bistrot, les gens sont émerveillés. Paris c’est romantique et la capitale française continue de fasciner. Boire l’apéro sur une terrasse parisienne, ça fait rêver ! », témoigne Smail. Surfant sur cette image de capitale culturelle, le dynamique patron de bar n’a de cesse d’organiser des animations dans son établissement. Des expositions temporaires de peinture s’y succèdent tous les mois ou presque : « Les artistes de Paris et d’ailleurs viennent eux-mêmes me voir pour me proposer d’exposer. Le bouche à oreille joue à plein, exactement de la même façon que pour les musiciens qui viennent se produire dans mon bar. Je reçois chaque jour trois ou quatre emails. C’est moi qui fais mon choix ». Chaque mardi soir à partir de ce mois de septembre ce sont de jeunes acteurs comiques auxquels Smail veut donner leur chance qui viendront se produire à L’Osmoz Café dans le cadre d’une scène ouverte. Les vendredis soir sont quant à eux consacrés aux concerts de jazz qui attirent de nombreux habitués de l’endroit. La cerise sur l’artichaut, ce sont les Nuits d’Abîmes de l’Osmoz Café. Rémy-Pierre Pêtre, dit le Grand Rémi, est à la manœuvre pour organiser des escales de poésie ou des évènements conçus autour d’écrivains célèbres qui font intervenir des acteurs professionnels aussi bien que des complets amateurs. L’été dernier, Jean-Jacques le Vessier déclamait des vers de Robert Desnos. Il se produira à nouveau très bientôt pour célébrer et faire découvrir ou redécouvrir le génie d’Apollinaire. Et ce troisième jeudi de novembre sera organisé un second évènement autour de Boris Vian qui coïncidera avec la fête du Beaujolais Nouveau. « Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! ». Avec Smail, Beaudelaire prêche un convaincu : vin, poésie et vertu, il n’a pas choisi !

Concerts 2024

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