Blog

Claude Degoutte, fotograff des rues de Paris

Nous nous demandons toujours à quel type de personnage nous allons être confronté lorsque nous avons rendez-vous avec un artiste. Ce qui frappe chez Claude Degoutte, c’est sa très grande gentillesse. Loulou, son chat joueur et un peu turbulent, ne s’y est pas trompé, qui en use et abuse pendant que nous parlons street art autour d’un café dans l’appartement de la rue d’Alésia où Claude a élu domicile depuis aujourd’hui vingt ans.

Balades à Paris sur les pas de Brassaï

Claude Degoutte, qui ne court pas après la gloire, préfère nous fournir une série de tags plutôt qu’un portrait pour illustrer notre article. Il est F-O-T-O-G-R-A-F-F depuis 1977, l’année où il acquiert son premier appareil photo reflex après s’être intéressé à la peinture pendant son adolescence melunaise. A l’origine de sa passion jamais démentie pour l’art urbain, il y a sa rencontre avec Graffiti, le célèbre ouvrage de Brassaï paru en 1961 qui va décider de sa trajectoire artistique personnelle tandis qu’il exerce les métiers de journaliste critique de films publicitaires puis de réalisateur de films pour de très gros clients institutionnels. Dès 1984, il photographie les premiers métros tagués et se retrouve propulsé dans les pages de prestigieuses revues telles que StratégiesBàTPilote ou encore Photo Revue. Les années 80 sont créatives à foison, notamment en matière de musique et de publicité. C’est également le tout début de l’art urbain et l’éclosion artistique de ses plus grands maîtres dans de nombreux quartiers de Paris. Le 14ème arrondissement est loin d’être à la traîne du Marais et de Beaubourg puisqu’autant les palissades de la rue de l’Ouest au moment de la démolition de ses immeubles que les façades murées de plusieurs maisons du passage des Thermopyles vont être les supports des oeuvres éphémères des pionniers du genre que sont Ernest Pignon-Ernest ou Jef Aérosol. Depuis le temps qu’il photographie leurs oeuvres, Claude connait bien sûr très bien la production des street artists parisiens, des plus célèbres des années 80 (Miss Tic, Jef Aérosol, Speedy Graphito, Jérôme Mesnager, etc.) aux artistes contemporains qu’il affectionne tout particulièrement (Philippe Hérard, Ender, Seth, Murmure Street, Carole Collage, Ma rue par Achbé, etc.). Il immortalise systématiquement leur travail en en prenant plusieurs photos à l’occasion des balades qu’il aime effectuer aux quatre coins de la capitale. Depuis 2008 qui a marqué le début d’une baisse de la demande pour les films institutionnels, Claude est devenu un flâneur encore plus assidu. En 2012, il décide de faire partager à tous le fruit de ses déambulations quotidiennes sur ses pages Facebook et Instagram en créant le concept « 10000 pas / Paris Street Art » : chaque matin, il met en ligne au moins deux photos d’art urbain sur l’un et l’autre de ces deux supports internet. Ses 10000 pas le mènent à vrai dire le plus souvent à Montmartre, Belleville, Ménilmontant ou dans les Quartier du Marais-Beaubourg ou de la Butte aux Cailles qui sont aujourd’hui les endroits les plus propices à d’heureuses découvertes : « Comme j’y vais régulièrement, je vois ce qui est nouveau, nous précise le photographe. Cela représente quand même plusieurs centaines de photos par semaine. Il y a vraiment énormément de choses et d’ailleurs de plus en plus depuis quatre ans. C’est un peu le miroir aux alouettes car tous les artistes se disent : « Pourquoi pas moi? ». Ils commencent par bombarder tout Paris de leurs oeuvres, mais s’épuisent le plus souvent au bout de quelques semaines. Il y en a à vrai dire très peu qui ont vraiment un style, une force, et qui arrivent donc à durer dans le temps. »

Spray Yarps : premier pochoir « Film in situ » en hommage à Belmondo dans « A bout de souffle » de Jean-Luc Godard (photo C. Degoutte)

Films et Paris in situ

Aujourd’hui, à l’heure de Facebook et d’Instagram, les centaines de street artists parisiens en quête de reconnaissance signent leurs oeuvres. Il est loin le temps où ils hésitaient à le faire de peur d’être interpelés pour cause de vandalisme et de dégradation du bien d’autrui car le street art a acquis ses lettres de noblesse et est aujourd’hui largement reconnu et accepté. Il existe bien sûr toujours une différence entre les oeuvres « sauvages » qui peuvent être effacées très rapidement par les services de la voirie et celles qui sont commandées par des particuliers ou mêmes les mairies pour égayer un immeuble, une rue ou un quartier et dont la durée de vie est évidemment plus longue. Claude s’intéresse à toutes les oeuvres sans exception et en garde une trace photographique dans le format carré qui a sa préférence pour les immortaliser. La superbe fresque de JBC dédiée à la cinéaste Agnès Varda et située rue Charles d’Ivry à proximité immédiate de la rue Daguerre dans le 14ème arrondissement de Paris ne l’a bien sûr pas laissé indifférent. Il a d’ailleurs lancé il y a quelques années avec son complice le pochoiriste Spray Yarps qui habite lui aussi le 14ème arrondissement rue des Artistes (!) l’opération Film in situ dont le but est de proposer le pochoir d’une séquence culte d’un film parisien à l’endroit même du tournage. C’est le pochoir de Jean-Paul Belmondo au carrefour de la rue Campagne-Première et du boulevard Raspail à l’endroit précis où il s’écroule dans la séquence finale du film A bout de souffle de Jean-Luc Godard qui a étrenné la série il y a trois ans. Cette année, de nouveaux pochoirs vont être réalisés dans le 13ème arrondissement à la gare du boulevard Massena pour illustrer une scène du film Le Samouraï dont Alain Delon est la tête d’affiche et rue Watt pour illustrer le début du film Le Doulos également réalisé par Jean-Pierre Melville. Mais ce n’est pas l’unique projet sur lequel Claude travaille actuellement puisqu’il s’active aussi beaucoup depuis un an et demi sur son quatrième livre à paraître, Paris vu par le street art (*), qui sera consacré à l’histoire de Paris illustrée par les  street artists. L’idée est de raconter l’histoire de Paris quartier par quartier à travers des oeuvres de street art reliées à des endroits précis et qui renvoient à des évènements historiques, des écrivains, des peintres, des films, etc. Le peintre franco-chinois Zao Wou-Ki rue Didot, le sculpteur Giacometti photographié rue d’Alésia par Cartier Bresson, la cinéaste Agnès Varda sur sa maison rue Daguerre auront bien sûr en autres les honneurs du chapitre consacré au 14ème arrondissement. De même que le célèbre accident ferroviaire survenu à la gare Montparnasse en 1895 actuellement illustré par une oeuvre de Brusk réalisée sur le chantier du Centre Gaité avenue du Maine. Le projet original de Claude n’a pas manqué de donner des idées à certains artistes urbains dont par exemple HeartCraft qui a recréé dans une oeuvre de street art la célèbre photo du Baiser de l’Hôtel de Ville à l’endroit même où elle a été prise par Robert Doisneau. Un exemple parmi d’autres de l’influence du fotograff Claude Degoutte sur la créativité de ses chers street artists dont il ne se lassera jamais d’immortaliser les réalisations !

Brusk, avenue du Maine, 14ème : évocation du célèbre accident ferroviaire du 22 octobre 1895 à la gare Montparnasse (photo C. Degoutte)

(*) Claude Degoutte a déjà publié aux éditions Omniscience Street Dogs (2017), Paris Street Art, Saison 1 (2ème édition 2018) et Paris Street Art, Saison 2 (2018).

Cliquer ici pour accéder au blog de Claude Degoutte et cliquer ici pour son travail avec Jean Yarps.

Autoportrait 2024 (photo C. Degoutte)

Annie Mako, productrice et metteuse en signes

C’est une gageure de résumer en un titre qui claque tous les aspects du parcours personnel et de la débordante créativité d’Annie Mako, la fondatrice de Bête à Bon Dieu Production. Son association aujourd’hui basée dans le 14ème arrondissement de Paris est en effet porteuse de plusieurs projets qui empruntent tout autant à la création artistique qu’à l’action sociale et culturelle en direction des enfants et des sourds et malentendants. Nous l’avons rencontrée quelques jours avant Noël pour qu’elle nous en dise un peu plus.

L’envol de la coccinelle

Annie Mako a autant de cordes à son arc qu’il y a de tâches sur le dos d’une bête à bon Dieu (*). Cette Dinardaise n’est pourtant pas tombée dans la marmite du barde Assurancetourix étant petite. C’est tout au long d’un parcours personnel qu’elle a construit sa propre identité d’artiste et de créatrice. Elle monte à Paris à 22 ans après avoir suivi les cours d’une école de graphisme de Rennes. C’est la chanson qui à l’époque la motive et la pousse à s’inscrire au CIM, l’école de jazz et des musiques actuelles, où elle travaille sa technique vocale au contact de musiciens de très grand talent. Devenue attachée de presse d’évènements culturels, elle prend goût au travail en équipe tout en continuant à se produire dans différents groupes de jazz ou de chansons françaises sans toutefois jamais vraiment songer à embrasser une carrière musicale. Entre 2004 et 2008, elle travaille en tant qu’administratrice de la salle de spectacles de l’Espace Jemmapes, ce qui lui permet de rentrer en contact avec de très nombreux acteurs de la scène musicale et culturelle parisienne. C’est également à cette époque que lui vient l’idée d’essayer de voler de ses propres ailes en créant sa propre structure de production de spectacles vivants, Bête à bon Dieu Production, qu’elle va d’abord utiliser pour sa création personnelle, un tour de chant intitulé Chansons françaises presque argentines. Au centre d’animation de l’Espace Jemmapes, elle impulse des rencontres entre artistes sourds et entendants afin de pratiquer la langue des signes qu’elle a elle-même apprise en 2005 à l’International Visual Théâtre (IVT) dirigée par Emmanuelle Laborit après avoir été très frappée par la performance d’un comédien de théâtre sourd. La véritable passion qu’elle développe pour ce nouveau mode d’expression et de communication va être le point de départ d’un questionnement sur la citoyenneté et sur la place faite aux sourds dans la société. Elle y répondra en créant Clameur Public, une compagnie de théâtre dont elle devient la metteuse en scène de plusieurs spectacles interprétés en français et en langue des signes et en organisant dans le cadre de son association Bête à bon Dieu Production des évènements culturels et des débats citoyens qui donnent la parole aux personnes sourdes sur les sujets de société. Quelques petits soucis d’intendance vont malheureusement amener Annie à temporairement réduire la voilure de son association et de sa compagnie de théâtre dont le prochain spectacle Voyage d’un loup inspiré d’un précédent atelier d’accompagnement d’un jeune sourd à la pratique du théâtre est néanmoins plus que jamais en cours de réécriture et sera en résidence à l’IVT et l’espace d’Anis Gras d’Arcueil en 2021 (cliquer ici pour accéder au dossier de présentation du spectacle).

Premières répétitions de Voyage d’un Loup avec les comédiens Virginie Baudet et Martin Cros (copyright BàBDP 2020)

Des ateliers philo-théâtre et philo-art

Car c’est bien mal connaître cet infatigable touche-à-tout que penser qu’elle pourrait se laisser arrêter par les difficultés habituellement rencontrées par les producteurs de spectacles vivants. En poursuivant sa quête personnelle et son itinéraire de création, Annie rencontre la philosophie dont elle va suivre une formation à la pratique à partir de 2018 au sein de l’association Savoir Etre et Vivre Ensemble (SEVE) qui initie à l’animation d’ateliers de philosophie dans les écoles. Ce travail avec les enfants qui est pour elle une première va aiguiser son insatiable appétit de découvertes et l’amener à s’inscrire à la faculté de Nantes en vue de décrocher l’unique Diplôme Universitaire français de pratique de la philosophie qui sanctionne l’enseignement d’Edwige Chirouter inspiré des travaux réalisés par Matthew Lipman, Michel Tozzi et François Galichet, tous pionniers de la matière. La nouvelle passion qui l’habite va l’inciter à mettre en place en 2019 les ateliers Philoscène qui sont des ateliers philo-théâtre et philo-art qui s’adressent à tous les âges à partir de sept ans tandis qu’elle continue à approfondir sa connaissance des grands auteurs et des grands textes philosophiques. Elle cherche tout particulièrement à implanter son activité dans le 14ème en créant le Festival Philoscène qui associe tous les lieux sociaux, culturels et socio-culturels de l’arrondissement pour favoriser les rencontres entre habitants invités chaque année à réfléchir en commun à partir de différents supports à un thème philosophique donné. L’épidémie de Covid-19 aura eu raison de l’édition 2020 du festival qui avait vocation à s’articuler autour du thème du rêve. Ce n’est que partie remise pour 2021 car Annie a heureusement jusqu’à présent toujours pu compter sur le soutien indéfectible de la Mairie de Paris et de la Mairie du 14ème pour faire aboutir les projets de Bête à Bon Dieu Production dont le prochain sera sans doute la création d’une chaîne Philoscène sur YouTube destinée à approfondir la question de la méthodologie de la pratique de la philosophie et de son expression vers le théâtre et le spectacle vivant. Rien ne l’empêchera de toute façon de poursuivre son chemin toujours fidèle à sa devise : grandir pour donner le meilleur de soi-même et réaliser de belles choses avec le collectif !

Copyright Philoscène – BàBDP 2019 – Restitution philo/théâtre Annie Mako – Collège St Exupéry Paris 14

(*) Nom familier ou régional de la coccinelle

Cliquer ici pour accéder au site de Bête à Bon Dieu Production.

Le 14ème arrondissement au fil des Pages

 

Une du numéro 133 de janvier-mars 2022 de La Page

Nous nous posons des questions à Pernety 14. Après avoir changé de nom, allons-nous maintenant devoir changer de stratégie et totalement nous réinventer pour susciter l’intérêt et attirer de nouveaux lecteurs ? Une enquête s’imposait auprès de notre vénérable concurrent La Page du 14ème arrondissement dont nous avons rencontré la présidente, Françoise Salmon, et son trésorier, Arnaud Boland, pour tenter de percer les secrets de la réussite et de la longévité de la publication préférée des Quatorziens.

Du militantisme à l’information

La Page, qui a fêté ses 31 ans en 2020, n’est pas le premier journal local associatif du 14ème arrondissement de Paris. Il a succédé au 14ème Village fondé en 1977 par une bande de copains, amis de Pierre Juquin et communistes refondateurs, parmi lesquels Gérard Courtois, journaliste au Monde. L’aventure, dont le site de La Page a conservé dans ses archives les vestiges, va durer presque cinq ans jusqu’à l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981. Ce sont les nombreux projets urbains qui voient le jour un peu plus tard dans les années 80 et qui ne laissent ni passive ni indifférente la population du 14ème arrondissement qui seront à l’origine de la naissance d’un second journal local associatif porté en 1989 sous les fonds baptismaux sous le nom de La Page du 14ème arrondissement. Cette nouvelle publication lancée par des militants actifs dans d’autres structures associatives va elle-même connaître des hauts et des bas. « Au moment de la naissance du journal, la municipalité du 14ème était une municipalité de droite et La Page a souvent porté et soutenu les luttes des habitants visant à préserver ce qui pouvait être préservé dans certains quartiers », souligne Françoise Salmon. « D’autant plus que l’arrondissement a bien changé en quelques années », renchérit Arnaud Boland arrivé dans le 14ème en 1977 et témoin de la grouillante activité des boutiques de la rue d’Alésia à cette époque. Vont, entre autres dossiers, être couvertes par La Page la fermeture et la démolition de l’Hôpital Broussais et sa transformation ultérieure, la démolition de l’îlot de l’Eure et sa transformation en cité avec le sauvetage de la Place de la Garenne et du Château Ouvrier, ou plus récemment la Pension de Famille Bauer-Thermopyles et l’opération des Grands Voisins sur le site de l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul. « Aujourd’hui, nous sommes quand même nettement moins militants qu’au début », nous fait remarquer Arnaud qui est rentré dans l’équipe de la rédaction du journal plusieurs années avant Françoise. « Les choses sont en effet un peu différentes car un dialogue avec la population s’est noué depuis l’élection de la nouvelle municipalité, confirme la présidente. Mais La Page continue de se battre pour les choses qui mériteraient d’être améliorées, même si nous ne sommes bien sûr en aucun cas les porte-voix systématiques des collectifs de citoyens qui se forment pour contester les décisions municipales »La Page se veut bien plutôt un journal d’information locale généraliste dont l’objectif est de sensibiliser les habitants du 14ème à toutes les initiatives qui voient le jour dans l’arrondissement en matière d’urbanisme, de culture, de vie citoyenne et associative, de solidarité, etc. La publication se saisit de toutes les problématiques locales importantes dont la bonne compréhension par les habitants nécessite un travail d’investigation approfondi de la part de l’équipe de journalistes. Les grand thèmes tels que l’accès à l’école, l’accès à la santé, la sécurité font ainsi l’objet d’un travail collectif de tous lors de réunions hebdomadaires qui ont lieu dans les locaux du journal au Château Ouvrier. L’objectif poursuivi par l’équipe de la rédaction est toujours d’essayer d’équilibrer les points de vues, et les débats qui peuvent survenir en son sein sont reflétés par la publication d’articles divergents qui illustrent le pour et le contre d’une question.

L’équipe de la rédaction au travail (juin 2020)
Un journal totalement libre et réalisé par des bénévoles

C’est donc au Château Ouvrier, dans ce lieu symbolique de l’identité préservée du 14ème arrondissement, que se réunissent chaque semaine les bénévoles de l’Equip’Page pour débattre du contenu du numéro en préparation. Cette année, les contraintes liées aux confinements ont bien sûr très fortement compliqué la tâche des collaborateurs du journal, d’autant que la pandémie de Covid-19 a réduit à presque néant l’activité associative, culturelle et commerciale de l’arrondissement. Mais rien ne saurait venir à bout de la persévérance des membres de l’équipe de rédaction pour sortir chaque trimestre les 1000 exemplaires de La Page dont certains sont vendus à la criée sur les marchés du 14ème et d’autres dans différents points de vente de l’arrondissement. Le journal ne vit que de ses 180 abonnés et de ses acheteurs au numéro. Il ne bénéficie d’aucune ressource publicitaire ni d’aucune subvention de la Mairie ou d’un quelconque autre organisme, ce qui garantit son indépendance et la totale liberté de sa ligne éditoriale. « D’ailleurs, avons-nous une autre ligne éditoriale que celle de la défense des habitants du 14ème ? se demande Arnaud. Pas vraiment, finit-il pas répondre. Aucune ligne politique précise en tous cas puisque presque toutes les sensibilités politiques sont représentées à La Page. Nous essayons juste d’être aussi objectifs que possible ». Les collaborateurs du journal au nombre d’une douzaine sont exclusivement des bénévoles qui n’ont pas vraiment de rubrique attitrée et qui se répartissent les sujets selon leurs sensibilité et inclination propres. Certains fournissent des photos, d’autres des articles. Le seul rendez-vous récurrent est celui de Jean-Louis Bourgeon, professeur d’université aujourd’hui à la retraite, qui consacre un article à une particularité architecturale de l’arrondissement dans chaque numéro de La Page depuis bientôt quinze ans. Françoise Cochet s’occupe plus particulièrement de la vie associative. Marie-Lize Gall, la présidente de l’Association des Peintres et Sculpteurs Témoins du 14ème se charge quant à elle de faire découvrir les artistes locaux peu connus de l’arrondissement. D’autres liens existent encore avec par exemple la Société Historique et Archéologique du 14ème arrondissement de Paris. Chacun – et on ne citera pas ici les noms de tous les collaborateurs – apporte à vrai dire sa pierre à l’édifice fort de son expérience professionnelle passée : Françoise Salmon a été journaliste pendant 35 ans dans une revue économique et politique tandis qu’Arnaud Boland a lui fait sa vie dans le cinéma. « Cela ne m’empêche pas de m’intéresser à d’autres domaines de l’art », précise Arnaud qui consacrera un article à une artiste locale du collage dans le prochain numéro de La Page. Françoise, la présidente qui sans doute passera la main à la rentrée de 2021, souhaiterait aujourd’hui qu’un sang neuf vienne irriguer la rédaction de La Page après le décès du très regretté François Heintz qui y a collaboré pendant des années en contribuant notamment grandement à sa partie culturelle. La célébration en 2019 autour du célèbre journaliste de Radio France Jean Lebrun du 30ème anniversaire de la publication marque peut-être un nouveau point de départ pour l’équipe de la rédaction afin qu’une fois l’épidémie de Covid-19 oubliée, se tourne une toute nouvelle Page…

Cliquez ici pour accéder au site de La Page du 14ème arrondissement.

Alissa Wenz, entre 16 heures et 16 heures 39

Photo Pierrick Bourgault

« Entre 16 heures et 16 heures 30,/Courant toujours après le temps/Je fais de ma vie impatiente/Un tourbillon de coups de vent », chante Alissa Wenz. Elle nous aura accordé 38 minutes et 50 secondes d’interview exactement. Autant dire que nous nous en sortons bien ! Car entre sa vie de famille, ses cours, ses concerts et ses livres, il ne lui reste en effet pas beaucoup de temps. Le résultat est à la hauteur de l’énergie déployée puisqu’elle a à nouveau fait salle comble samedi 8 février 2020 au Forum Léo Ferré d’Ivry-sur-Seine devant un public visiblement subjugué. Une artiste aux multiples talents à suivre absolument !

Une Bretonne de Plouër-sur-Rance happée par les arts

Elle est née en région parisienne mais n’y a fait que passer. C’est en fait en Bretagne, entre terre et mer, entre Dinan et Saint-Malo, à Plouër-sur-Rance très précisément, qu’Alissa Wenz a tous ses souvenirs d’enfance. Son père y dirige un centre de formation au travail social tandis que sa mère est responsable d’une association qui s’occupe de livres pour enfants. Elle baigne dans la culture et développe tout naturellement le goût des lettres, de la musique, du cinéma et du théâtre. Avoir une maman littéraire et un papa pianiste doté d’une solide culture classique aide bien évidemment beaucoup. Elle commence à apprendre à jouer du piano dès l’âge de cinq ans et suit des cours jusqu’à l’âge de dix-sept ans au conservatoire de Saint-Malo où elle est également formée au chant lyrique. Pour le cinéma, elle est en revanche complètement autodidacte. C’est au collège qu’elle devient cinéphile en regardant le Cinéma de Minuit de Patrick Brion et le Ciné-Club de Frédéric Mitterrand et en découvrant les chefs d’œuvre du cinéma hollywoodien grâce aux programmes de la BBC dont elle capte les ondes d’outre-Manche chez ses parents. Quant au théâtre, le déclic a lieu à l’âge de seize ou dix-sept ans lorsqu’elle monte avec des amies lycéennes une pièce qu’elles ont écrite et mise en scène et qui sera jouée à deux reprises dans un théâtre de Saint-Malo. Chopin, Schumann, Schubert, Liszt, Apollinaire, Vian, Duras, Zweig, Schnitzler, Brel, Brassens, Sylvestre, Welles, Ophüls, Lubitsch, Truffaut, Demy sont quelques uns des noms qui bercent sa jeunesse bretonne pour assouvir un appétit jamais rassasié pour les arts. Elle choisit tout naturellement la filière littéraire au lycée et obtient à 17 ans un bac L en se demandant ce qu’elle va bien pouvoir faire de sa vie. Certains qui l’ont vue brûler les planches au théâtre de Saint-Malo lui suggèrent d’embrasser la carrière de comédienne mais Alissa préfère continuer ses études. Son dossier de très bonne élève lui permet d’être admise en classe préparatoire au Lycée Henry IV de Paris. Elle saisit cette formidable opportunité en y voyant une chance d’enrichir sa connaissance de la littérature et également de profiter à plein de la vie culturelle parisienne, de ses théâtres, de ses cinémas et de ses salles de concerts. Ayant accompli ses trois années de classe prépa, elle intègre l’Ecole normale supérieure toujours moins par ambition personnelle que pour continuer à y assouvir sa passion pour les belles-lettres. Cela lui permettra d’y suivre une formation théâtrale dispensée par Lionel Parlier et Brigitte Jacques avant de clore sa période d’apprentissage artistique au département scénario de la Fémis.

La chanson, point de rencontre de l’amour des mots, des mélodies et de la scène

Au moment même où elle intègre la Fémis, Alissa décide de se lancer sur scène pour y interpréter les chansons dont elle écrit les textes et compose la musique. Le besoin de créer qu’elle ressent depuis toujours ne l’a jusqu’alors jamais amenée à se considérer comme une artiste, ce serait à ses yeux un peu prétentieux. C’est peut-être cette obsession de la perfection qui l’a poussée à accumuler les diplômes des meilleures et plus prestigieuses écoles pour s’en faire une armure contre la critique. Dans En route, la chanson d’ouverture de son spectacle, Alissa crache le morceau : « J’ai si peur des gens, les jugements/Comme je les redoute ». Elle va pourtant franchir le pas et se produire dans de nombreuses salles à Paris en s’accompagnant au piano pour interpréter ses chansons parfois humoristiques et fantaisistes, parfois mélancoliques et intimes, parfois franchement tragiques. La chanson présente pour Alissa l’avantage de se situer au point de rencontre entre l’amour des mots, l’amour des mélodies et l’amour de la scène et d’emprunter à toutes les passions qui sont les siennes depuis toujours : littérature, musique, théâtre et même – oui ! – cinéma. Car celle qui est devenue enseignante de la matière à l’Ecole normale supérieure après avoir passé l’agrégation de lettres modernes construit souvent ses chansons comme des petits récits invitant le spectateur à embarquer pour un voyage qui lui fait vivre des émotions puissantes. A partir de fin 2017, quand elle se produit tous les jeudis soirs seule sur scène pendant six mois aux Théâtre des Déchargeurs, la chanson prend soudain une place très importante dans sa vie : « Cette expérience a été un déclic, se souvient-elle. Je vivais pour mes jeudis soirs. Comme je rencontrais une forme de chaos dans ma vie personnelle, c’était ce qui me faisait tenir debout. C’est à partir de ce moment là que j’ai pris conscience que la chanson n’était pas quelque chose de périphérique dans ma vie mais qu’elle en était en réalité le centre ». La chanson devient pour elle une véritable nécessité, beaucoup plus forte qu’avant, qui lui permet de surmonter les épreuves personnelles qu’elle traverse, d’exprimer ses souffrances et de les dépasser : « Passé un point de violence en soi, il devient nécessaire d’extérioriser ce que l’on ressent et ce qu’on a accumulé : la création est une alternative à la noirceur », nous dit elle. L’entendre interpréter « Aimer quelqu’un » qui presque clôt son spectacle n’en laisse absolument aucun doute.

Un récit biographique qui retrace l’histoire de sa grand-mère

L’écriture d’un livre peut aussi être un exutoire à défaut d’une thérapie et Alissa publiera très bientôt son premier roman (*). Elle a déjà sorti en 2019 aux ateliers henry dougier dans la collection Une vie, une voix un récit biographique intitulé Lulu, fille de marin qui est une véritable déclaration d’amour à sa grand mère Lucienne Resmond, fille de marin et femme d’aviateur, née en 1928 à Plouër-sur-Rance, le village où Alissa a passé son enfance. « Je sais de ma grand-mère que c’est une femme du XXème siècle. Qu’elle a traversé des évènements, des coutumes, des relations, des chemins profondément ancrés dans leur époque. Qu’elle a vécu une féminité qui était la féminité de celles de sa génération, celles que l’on destinait d’abord à devenir des épouses et des mères, celles qui ont construit leur mariage, leur foyer, alors qu’elles n’étaient encore que des jeunes filles rêveuses, à peine sorties de l’enfance. […] », peut-on lire page 96. Sa grand-mère « Lulu » a encore aujourd’hui les larmes aux yeux lorsqu’elle se remémore le discours intimidant et glaçant qu’a prononcé le curé le jour de son mariage : « […] Je suis effrayé, disait quelqu’un, de penser que la vie dépend de deux ou trois « oui » ou de deux ou trois « non » prononcés de bonne heure. Oui ou non, veux-tu de ce travail, de cette position, de ce pays, de ce maître, de cette alliance, de cette vie ? Vous répondez, et tout est dit. Carrière fixée, peut-être insupportable. Travail fixé, peut-être impraticable. Foyer fixé, peut-être intolérable. C’est dit, c’est fait, ce sera jusqu’au dernier jour. »  Edifiant témoignage d’une époque où la liberté des femmes ne valait que roupie de sansonnet. Les temps ont bien changé, les enfants de Lulu auront vingt ans en 1968 qui balaiera ces conventions sociales d’un autre âge. Alissa est quant à elle résolument une femme moderne : « Je veux simplement être moi », proclame-t-elle dans sa chanson intitulée Les femmes des publicités. D’ailleurs il est bientôt 16 heures 40 et elle a à faire. Au revoir Alissa et merci pour les dix minutes de rab !

Cliquez ici pour accéder au site internet d’Alissa Wenz.

Continue reading Alissa Wenz, entre 16 heures et 16 heures 39

Francesca Dal Chele, la photographe du coin de la rue

Elle a photographié pour nous « l’ennui épais » du confinement. Francesca Dal Chele, qui manie son appareil photo comme d’autres leur stylo pour exprimer ses émotions et ses idées, nous a très gentiment reçu chez elle rue Didot pour nous présenter son oeuvre tout en entre deux.

Parisienne de nationalité

Francesca Dal Chele est née aux Etats-Unis mais ne cultive aucunement ses racines. Car si ses travaux photographiques questionnent la notion d’identité, l’appartenance à un pays n’est pas sa propre histoire. Dès sa petite enfance californienne, cette fille d’immigrés italiens a le sentiment d’être « étrangère » et, à l’adolescence, c’est vers la France que la guide son intuition. Elle décide d’étudier la langue et la littérature françaises à l’université pour se préparer à y vivre et fait à cette occasion un premier séjour à Aix-en-Provence. Arrivée à Paris fin 1978 pour y devenir assistante de direction bilingue, c’est aujourd’hui tout naturellement qu’elle se définit comme « parisienne de nationalité » après s’être fixée il y a 40 ans dans le 14ème arrondissement. Ce sont les hasards de sa vie qui vont être les déclencheurs de sa passion relativement tardive pour la photographie. L’idée lui trottait à vrai dire déjà dans la tête depuis une bonne dizaine d’années car elle pressentait qu’il y avait là un moyen adapté d’exprimer sa créativité en parallèle de son travail. Elle commence par se former avec Mira, un photographe-reporter iranien qui dispense des cours dans une MJC de la rue de Trévise, puis plus tard à l’EFET, une école de photographie parisienne où elle reste un an en cours du soir. Elle approfondit par la suite sa connaissance de la photo en la pratiquant très assidument et forme son regard en analysant les travaux d’autres artistes-photographes. Ses références sont alors Sebastiaõ Salgado et Raymond Depardon avec lequel elle aura l’honneur d’effectuer un stage à l’ENSP d’Arles. « Je voulais comprendre ce qui faisait qu’une image était forte et une autre pas », se souvient-elle. Je me suis rendu compte que j’avais tout à apprendre, mais cela m’intéressait énormément car, dés que j’ai commencé la photo, j’ai senti que j’avais trouvé là le canal pour exprimer mon désir de création ». Sa vocation est née : elle devient en 1986 à 36 ans photographe-auteure indépendante en travaillant dans un premier temps uniquement en noir et blanc et en réalisant elle-même ses propres tirages. 

Dans le chantier de Tarlabasi 360, Istambul 2015 in Quel est ce bruit à l’horizon

Tropisme turc

Elle commence par envisager la photographie comme un moyen de témoigner voire de dénoncer les injustices du monde au travers de ses reportages et s’intéresse tout particulièrement aux cultures traditionnelles mises à mal par la modernité. Ainsi Vies silencieuses, son premier sujet au long cours réalisé en N&B dans les années 90 traite-il de la vie des Touaregs qui sont des anciens nomades du Sahara contraints par les autorités algériennes à une sédentarisation forcée. Ainsi s’intéresse-t-elle également à la Turquie à partir de 2005 qui est l’année du début officiel des négociations pour l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne. « J’ai entendu toute une série de propos négatifs et racistes sur ce pays musulman perçu comme islamiste et finalement arriéré par rapport à l’Occident, se rappelle-t-elle. Comme j’ai grandi aux Etats-Unis où la lutte des Afro-américains pour leurs droits civiques et contre la discrimination a fortement marqué ma manière de penser et d’être, je suis devenue sensibilisée pour toujours aux questions de racisme et de xénophobie et j’étais donc très choquée par ces propos ». Ce qu’elle lit alors à propos de la Turquie ne correspond pas du tout à ce qu’elle a constaté à Istanbul où elle s’est rendue en 2004. Pour se faire une idée définitive de la question, elle décide de visiter la Turquie profonde et de se rendre en Anatolie. Dans le cadre de son travail de documentation préalable indispensable à la construction de son sujet, elle s’intéresse tout particulièrement aux villes de l’Anatolie en voie de modernisation très rapide et dépossédées de leur identité propre par la globalisation économique mondiale. Son objectif va être de témoigner des changements qu’elle pourra observer. « Ce que j’ai vu en Anatolie en 2005 était tout le contraire du pays arriéré peuplé de femmes voilées auxquelles il n’était fait aucune place, que décrivaient certains en France », se souvient-t-elle. Elle tombe en fait complètement sous le charme de ce pays en transition dont le tiraillement entre tradition et modernité, entre pauvreté extrême et gentrification, rentre en résonance avec sa personnalité duale. Elle en garde la trace dans plusieurs séries de photographies visibles sur son site internet, notamment Le Passé de l’AvenirD’où vient ce bruit à l’horizon et Du Loukoum au Béton« De voir combien ce pays formidable est devenu autoritaire et liberticide me désole complètement, ajoute Francesca en faisant référence à la récente actualité. Quand je relis les propos des jeunes Turcs que j’ai retranscrits dans mon livre Du Loukoum au Béton [publié aux éditions Trans Photographie Press], je suis pratiquement au bord des larmes. Que d’espoirs déçus ! »

Sédimentation n° 2, Didot-Eure, 2 avril 2020, Jour 17 (Copyright Francesca Dal Chele)

Photographier l’épaisseur du temps

La démarche de Francesca n’est toutefois pas seulement documentaire. Dès 1995, elle commence à explorer une photographie plus intime, plus distanciée du réel, qui s’appuie sur la richesse des flous pour le transcender. C’est l’idée qui guide sa série de photographies de visages intitulée Archaeus née d’un désir de revenir vers l’humain dans ce qu’il comporte d’universel. Dans Surfaces sensibles, Francesca utilise le flou pour essayer de traduire l’intangible sentiment d’appartenance et la notion de génie des lieux. Sa toute récente série intitulée Sédimentations est quant à elle à l’origine un travail plastique qui réutilise la technique du « palimpseste » déjà explorée à l’occasion de la réalisation de Le Passé de l’Avenir pour se faire cette fois le reflet de l’ennui et de la monotonie ressentis durant le confinement. Ses photos sont l’expression de l’épaisseur du temps s’écoulant sans réel relief et tout juste ponctué de micro-évènements à l’extérieur de son appartement. Afin de donner corps à cette sédimentation de la vie, Francesca a placé son objectif à sa fenêtre et a photographié chaque jour l’angle de la rue Didot et de la rue de l’Eure pour finir par superposer sous Photoshop au prix d’un très minutieux travail technique différentes strates de photographies. Chaque Sédimentation réalisée est le produit de quatre images choisies parmi toutes celles qu’elle a prises le même mâtin. S’il lui arrive parfois d’ajouter à sa construction des personnages prélevés dans d’autres images, la règle est que tous les éléments qui la constituent doivent provenir de scènes observées au cours de cette mâtinée. « Mon objectif est de faire ressentir à la personne qui regarde ces Sédimentations l’épaisseur du temps et le mouvement ralenti de la vie », nous indique Francesca. Le résultat très esthétique est tout à fait à la hauteur de ses ambitions. « Il est également important qu’une image soit esthétique, précise la photographe. Car si elle n’est pas esthétique, les gens n’ont pas envie de la regarder et passent à côté du « message » que l’artiste y a mis. Ce que je dis est tout aussi bien valable pour les images de documentaires subjectifs ou de reportages. Le tout est de se garder de réaliser des images esthétisantes dans lesquelles l’esthétique est plus important que le fond ». Francesca a toutefois naturellement bien conscience que l’interprétation de ses oeuvres peut être éminemment subjective. Ainsi Yann Stenven qui a commenté son tout récent travail pour la revue TK-21 y a vu la « glorification des petit métiers et des métiers de ceux qui malgré le confinement doivent travailler aux fins que tourne un système de plus en plus fou ». Comme si l’oeil critique toujours en éveil de Fransceca avait inconsciemment intégré une dimension politique à sa dernière oeuvre en date. Chassez le naturel…

La mer à Sutt’a a Rocca, Bonifacio (Corse) 2000 in Surfaces Sensibles

Cliquer ici pour accéder au site internet de Francesca Dal Chele et ici pour accéder à l’article de la revue TK-21 consacré à Sédimentations.

 

Lucile Denizot n’a pas peur du grand méchant loup

La liberté fait peur à beaucoup mais certainement pas à Lucile Denizot. Il n’y a guère qu’avant de monter sur scène qu’elle est saisie par le doute. Pour le reste, c’est toujours tout à trac ! C’est souvent d’un seul jet que cette artiste à la spontanéité désarmante créé les textes de ses chansons. Elle ne s’est pas non plus posé trop de questions avant de partir à l’âge de vingt ans comme volontaire sur un chantier de reboisement au Togo. « Just do it ! », telle semble être la devise de cette gauloise brune sans filtre. Une leçon pour tous les frileux de la vie !

Fibre altruiste et tropisme africain

L’enfance de Lucile qui est née à Sancerre dans le Berry fleure bon le terroir, le vin blanc et le fromage de chèvre. Ses grands parents du côté maternel sont des entrepreneurs qui se sont lancés avec succès dans l’affinage et la commercialisation industriels du crottin de Chavignol. Elle est élevée par sa mère, médecin scolaire, tandis que son père exerce la profession de psychiatre addictologue. Après son bac, Lucile s’envole pour le Togo puis le Bénin dans le cadre de missions de reboisement organisées par les Clubs UNESCO. C’est encore l’Afrique qui continue de susciter son intérêt pendant qu’elle étudie les relations internationales à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris. Elle enchainera avec un troisième cycle à la Sorbonne en consacrant son mémoire de DESS à l’allègement du travail domestique en milieu rural sahélien. Après son stage de fin d’études effectué au Burkina Fasso, elle devient chargée de mission au Sénégal pour mettre en place différents projets humanitaires. Le pli est pris : c’est aux autres qu’elle va consacrer sa vie plutôt que la perdre à courir après l’argent. C’est ce qui l’amènera par la suite à devenir animatrice socio-culturelle puis enseignante suppléante à l’issue d’un passage à l’IUFM d’Anthony. Nombreux sont les projets sur lesquels elle travaille, soit en direction des enfants, soit en direction des plus démunis. En 2014, dans le cadre de L’Enfance de l’Art, l’atelier d’arts plastiques pour enfants-adolescents qu’elle a fondé en 2009, elle anime Les Enseignes des enfants où trente six enseignes sont créés par des enfants pour trente six boutiques de la rue Raymond Losserand dans le XIVème arrondissement de Paris. Entre 2016 et 2018, elle devient responsable de l’animation et du bénévolat du centre d’hébergement d’urgence de l’Ordre de Malte abrité par la péniche Le Fleuron Saint-Jean dans le XVème et organise des activités sportives et artistiques ainsi que des sorties et des soirées culturelles à destination d’hommes sans domicile accompagnés de leur chien. Toutes ces expériences souvent effectuées aux confins des activités artistiques ne sont en réalité que le versant professionnel d’une créativité qu’elle exprime par ailleurs par la confection d’œuvres d’art ou l’écriture de chansons.

Reboisement en Afrique à 20 ans

Des bouquets-sculptures aux concerts solo

Car Lucile a en réalité toujours mené une double vie et cultivé le goût des arts. Le goût des objets d’art en premier lieu qui la fait tomber en pâmoison devant la collection de masques africains de sa mère pendant son enfance et qui la fait se transformer en brocanteuse de poche dès l’âge de huit ou neuf ans. Ses premières sculptures datent de 1996-1997 et témoignent de sa passion pour les fleurs en plastique ainsi que de son goût pour la déco des années 50. C’est le début de la série Plastiflores et Florifères, des assemblages ludiques et hétéroclites aux couleurs acidulées qui ont été exposés dans plusieurs galeries et bars parisiens, notamment du XIVème arrondissement. Ces bouquets-sculptures ainsi que d’autres œuvres bois et textile vont lui valoir un certains succès puisqu’elles seront le sujet d’un numéro de l’émission Talents de vie diffusée sur France 2 et de plusieurs articles de magazines de décoration.  Mais Lucile, peut-être saisie par la peur de réussir, préfère arrêter la production et laisser d’autres s’inspirer de ses créations originales. Elle stocke aujourd’hui toutes les œuvres qu’elle a conservées de cette période faste dans son atelier de la rue du Moulin Vert situé à quelques pas de celui où Alberto Giacometti a habité toute sa vie. Lucile n’est pourtant pas seulement une artiste plasticienne. Elle a également écrit plusieurs contes pour enfants toujours à l’heure actuelle inédits et surtout des textes de chansons dont certains ont été mis en musique par Rémi Bienvenu. C’est lui qui le premier a repéré son talent de compositrice de chansons qu’elle n’a de cesse de perfectionner aujourd’hui avec Claude Lemesle qui fut parolier de Jo Dassin. Elle a déjà eu l’occasion de se produire à l’occasion d’une quinzaine de concerts et s’active maintenant à la réalisation de vidéos sur YouTube pour diffuser ses créations le plus largement possible. Méchant Loup dont elle a écrit les paroles et la musique n’est sans doute que la première d’une longue série !

Dans la série Plastiflores et Florifères

Vous pouvez trouver un autre portrait de Lucile Denizot dans Visages du XIVe de Béatrice Giudicelli et France Dumas.

Les tempêtes traversées de Gilles Kraemer, capitaine de Riveneuve Editions

Faut-il nécessairement sortir du cadre pour devenir éditeur ? Gilles Kraemer qui plus jeune rêvait de devenir archéologue s’est tour à tour essayé au journalisme, à l’enseignement et à la diplomatie culturelle avant de reprendre il y a quatre ans les éditions Riveneuve dont les locaux sont aujourd’hui situés au 85 rue de Gergovie dans le 14ème arrondissement de Paris. Il a fait de sa maison d’édition un véritable petit centre culturel au coeur du 14ème avec pour ambition de « raconter le monde aux Français et les Français au monde ». Retour sur le très riche parcours d’un homme impliqué et exigeant.

Les très difficiles heures du journalisme

L’ouverture au monde de Gilles Kraemer date très certainement de son enfance voyageuse. Son père qui travaille pour Renault et qui est resté plus de dix ans en poste à l’étranger s’installe au Koweït alors qu’il a cinq ans. « Je me suis retrouvé à l’Alliance Française au milieu de petits libanais et d’autres jeunes ressortissants de pays étrangers qui parlaient français comme moi et qui d’un seul coup se mettaient à parler une langue que je ne comprenais pas – sans que je comprenne pourquoi je ne comprenais pas », se souvient Gilles. Il découvre l’Egypte au même âge. Plus que les pyramides, c’est le Sphinx qui l’impressionne et le fascine au point de susciter chez lui l’envie de devenir archéologue. Le besoin d’ailleurs et de découverte du monde s’instille déjà en lui, qui déterminera la suite de son parcours et deviendra sa marque de fabrique. Au collège et lycée, sa préférence va aux lettres et au dessin, mais comme beaucoup de bons élèves il poursuit des études scientifiques avant de se réorienter en filière littéraire en s’inscrivant dans les classes préparatoires d’hypokhâgne et de khâgne. Il dit adieu à l’archéologie quand il prend conscience qu’écrire des enquêtes archéologiques ne pourra lui faire bénéficier que d’un lectorat très restreint. Le journalisme lui semble être une bien meilleure option et il décide d’intégrer le Centre de formation des journalistes (CFJ) et de consacrer sa thèse d’étudiant à la presse francophone en Méditerranée. Son service militaire effectué en tant que coopérant en Egypte lui donne une image passionnante de ce métier : tout en assurant des cours à la faculté, il est un collaborateur du journal de langue française Le Progrès Egyptien et négocie la création du nouvel hebdomadaire Al-Ahram Hebdo qui sera promis à un très bel avenir. A son retour en France, il trouve son pays et le secteur de la presse plongés dans une crise noire. Il travaille en tant que pigiste et garde un très amer souvenir de cette expérience : « A cette époque, les journaux dés-embauchaient et j’ai très nettement assisté à la dégradation matérielle et morale de la condition de journaliste. J’ai travaillé pour une quinzaine de journaux et ça a été véritablement quinze problèmes différents : il fallait sans cesse batailler avec ceux qui ne voulaient pas payer, ceux qui revenaient sur leur parole et ceux qui essayaient de mégoter en tirant prétexte que je n’avais pas ma carte de presse pour ne pas me payer en tant que journaliste. Tous des grands journaux pourtant ! ». Gilles rentre alors comme formateur au CFJ où il a étudié et devient l’adjoint puis le responsable des relations internationales de l’école. A ce titre, il donne des cours à l’étranger (à Moscou, au Caire et au Liban notamment), accueille des étrangers en France et monte différents programmes sous financement du Ministère des Affaires étrangères dans le cadre d’une mission générale visant à assurer le rayonnement de la pensée française dans le monde. Il quitte le CFJ au bout de neuf ans alors que l’école connait une profonde restructuration : « A ce moment là, l’école était en train de couler. Elle venait d’être rachetée après avoir fait faillite deux fois. Son mode de gestion paritaire issu de la Résistance ne fonctionnait plus et elle a malheureusement fini par être rachetée par des marchands de soupe ». Gilles qui n’aime pas du tout le nouvel environnement de travail dans lequel il doit évoluer accueille avec soulagement la proposition que lui fait le Ministère des Affaires étrangères : prendre la tête du centre culturel de Ramallah en tant que chargé de coopération à l’ambassade de France, un poste qui requiert une solide connaissance du monde arabe en plus d’une bonne maitrise de la langue allemande dans la perspective d’une collaboration avec le Goethe-Institut.

La petite gestion de la diplomatie culturelle française

Gilles envisage sa nouvelle fonction de chargé de coopération à l’ambassade avec autant d’enthousiasme qu’il avait envisagé auparavant le journalisme et l’enseignement. S’il a enseigné au CFJ, il n’a pourtant jamais pu réussir à se faire coopter au sein du système universitaire français quand bien même sa thèse a été reçue avec les félicitations du jury. Qu’à cela ne tienne, la diplomatie culturelle l’agrée tout autant. Il est à l’époque bardé de certitudes quant à l’utilité du soft power. A Ramallah, la capitale administrative de fait de l’Autorité palestinienne, il va tenter de coordonner autant que possible l’action du centre culturel français dont il est à la tête avec le Goethe-Institut allemand. La mission dont il est chargé le motive d’autant plus qu’elle lui est confiée au moment même où les Français et les Allemands s’associent pour essayer de s’opposer à la Guerre en Irak. Il s’agit, par la culture et les bonnes pratiques, d’aider et d’encourager l’Etat palestinien à se structurer de façon indépendante, démocratique et vivant en paix avec son voisin israélien. Même s’il se souvient de formidables réalisations culturelles, force lui est aujourd’hui de constater l’échec total de la démarche. Sa mission suivante en tant que de chargé de coopération à l’ambassade de Sarajevo n’est guère plus concluante. Il s’agit ni plus ni moins d’aider la Bosnie-Herzégovine à se structurer pour rentrer dans l’Union européenne . « A chaque fois, il y avait de beaux enjeux. A chaque fois, j’y croyais. Et à chaque fois, j’ai vu l’étendue du désastre politique », se souvient-il un brin désabusé. Il est également frappé par la lourdeur administrative française, le manque de vision du ministère qui l’emploie et la petite gestion sans ambition des carrières de ses employés. Travailler avec des gens qui ne croient pas vraiment en ce qu’ils font et qui ne vivent que pour leur statut social et leur salaire de fin de mois ne l’enthousiasme guère. C’est le directeur des éditions Riveneuve qui va finalement l’aider à surmonter sa déception en lui proposant de diriger une collection.

Le 85 rue de Gergovie

Un éditeur introuvable

A l’origine de cette rencontre se trouve une autre frustration : celle qu’il éprouve quand, à l’instigation de quelques amis, il se met en tête de publier les chroniques qu’il écrivait au fil de l’eau lorsqu’il était en poste à Ramallah. Une fois rentré en France, il se met à la recherche d’un éditeur en activant son réseau personnel afin de rentrer en contact avec les meilleurs d’entre eux. Il se rend compte à cette occasion qu’écrire sur la Palestine est en France un peu tabou et que personne n’ose prendre de risque sur ce sujet précis. « J’ai bien sûr trouvé cela absolument scandaleux dans la mesure où je me trouvais complètement légitime à exprimer mon point de vue sur ce que j’avais vécu, s’insurge-t-il encore aujourd’hui. Mon témoignage était d’autant plus intéressant qu’il reflétait un point de vue franco-allemand et qu’il avait été écrit pendant une période marquée par la mort d’Arafat et qui s’achevait avec la négociation d’Annapolis censée être la négociation de la dernière chance. Il y avait donc beaucoup de choses à raconter. » Une réponse convenue de refus sanctionne chaque envoi de manuscrit. Seule une éditrice, qui avait publié par le passé un ouvrage de témoignage sur la Palestine, lui confie que cela lui a valu de nombreuses insultes et qu’elle ne tient pas à renouveler l’expérience. Il n’y a au final que le patron des éditions Riveneuve qui s’engage à le publier si sa recherche d’un éditeur n’aboutit pas. Ainsi naît la collection Jours tranquilles à … dont il va lui être confiée la direction après la publication de Jours tranquilles à Ramallah. Elle raconte la vie quotidienne dans des endroits dont on pourrait croire en écoutant les média mainstream qu’ils ont été désertés de toute vie et de toute animation. Ce concept original séduit de nombreux journalistes, diplomates et humanitaires et Gilles n’a aucun mal à recruter des candidats pour cet exercice de journalisme d’auteur. A Jours tranquilles à Ramallah succèderont ainsi Jours tranquilles à Kaboul, Jours tranquilles à Gaza, Jours tranquilles à Alger, Jours tranquilles à Tunis, etc., qui sont les chroniques de villes dans lesquelles la situation s’est dégradée et dont justement il importe de raconter l’évolution des jours les moins tranquilles. Gilles se prend si bien au jeu de l’animation de cette collection que son éditeur lui propose de prendre la relève de la maison d’édition. Il saisit cette occasion pour aller enfin au bout de ses envies et intuitions en restructurant, en rajeunissant et en féminisant les éditions Riveneuve et en les dotant de nouveaux locaux, d’un nouveau logo et d’un nouveau site internet qui actent du changement de cap de la maison. Quel meilleur atout que son remarquable parcours pour remplir la mission qu’il s’est donnée « d’aider modestement au rapprochement et à la compréhension des peuples » ?

Cliquez ici pour accéder au site de Riveneuve Editions et découvrir son catalogue.

France Dumas croque la vie du 14ème arrondissement

Vous l’avez peut-être croisée le Rotring à la main dans le coin d’un bistrot du 14ème arrondissement occupée à croquer une scène sur le vif. Telle la petite souris des dessins de Plantu, France Dumas aime observer et être le témoin bienveillant de ce qui se passe autour d’elle. Ses dessins et gravures sont la trace de moments précieux, de visages connus ou inconnus ou d’émotions fugaces. Nous l’avons rencontrée entre deux rayons de soleil à la terrasse du bar-restaurant La Place, place Flora Tristan, pour qu’elle nous présente son travail de graveur et d’illustratrice.

Des reportages dessinés inspirés par les spectacles vivants

« C’est ma première terrasse depuis deux mois et demi ! ». Enfin déconfinée, France est visiblement contente de pouvoir s’asseoir à une terrasse de café. Elle a apporté dans son sac un nombre impressionnant de livres et d’éditions rassemblant ses oeuvres dont son Calendrier Perpétuel, Bistrots du XIVe arrt que nous lui avions commandé. Pour illustrer le mois de juillet, on y trouve le dessin d’une terrasse animée du café L’Imprévu qui jouxte le bar-restaurant où nous sommes assis. Voilà une très bonne idée-cadeau pour tous les Quatorziens qui aiment les bistrots dont France a donné une preuve supplémentaire d’amour en publiant aux Editions Autrement un recueil de dessins intitulé Bistrots et Cafés, Paris.

Cette Bretonne de coeur qui est née en région parisienne connait Paris comme sa poche. Elle habite depuis aujourd’hui plus de vingt ans dans le XIVème arrondissement dont elle est un visage si familier qu’elle aurait très bien pu figurer dans l’un des recueils de portraits que Béatrice Giudicelli a consacrés à ses illustres et moins illustres habitants. Au lieu de quoi, c’est elle qui a illustré de son coup de crayon reconnaissable entre tous Visages du XVIe sorti en 2011 aux Editions Carnets-Livres et Figures du XIVe arr. publié en 2017 à Riveneuve Editions. La route a en réalité été longue, qui a mené France vers le dessin et la gravure. « J’ai toujours aimé dessiner, mais je me suis jamais autorisée à en faire un métier sans doute par peur de ne pas être à la hauteur », se rappelle-t-elle. Rien ni personne dans son environnement familial ne la prédestine à devenir artiste. Et dans le lycée élitiste qui est le sien, on prépare les élèves aux écoles de commerce bien plutôt qu’aux études artistiques. Elle commence donc par étudier l’économie à Nanterre jusqu’au niveau maitrise avant de réaliser qu’elle s’est trompé de chemin. Elle bifurque alors vers l’art en passant un troisième cycle de gestion d’arts à la suite duquel elle effectue un stage chez Drouot où elle reste travailler une dizaine d’annéesElle s’y fait l’oeil en visitant tous les jours les salles des ventes. Elle y travaille par ailleurs beaucoup avec un expert en bandes dessinées qui organise régulièrement les ventes aux enchères d’originaux d’illustrateurs connus. C’est le déclic qui va la décider à se lancer elle-même dans l’illustration pour assouvir un désir de dessiner devenu à cette époque quasi-obsessionnel. Tout en travaillant à Drouot, elle suit les cours du soir de l’Ecole Duperré où elle apprend la gravure. « Mais en réalité, j’ai surtout appris à travailler dans les bistrots, précise-t-elle. Parce qu’il n’y avait pas encore l’Internet quand j’ai commencé à démarcher les directeurs artistiques que je devais rencontrer en rendez-vous. Entre deux rendez-vous, j’allais me poser dans un bistrot et je dessinais les gens que j’observais. » De là vient sans doute son goût pour les spectacles vivants (les cirques, les théâtres, les concerts, etc.) qui principalement nourrissent son inspiration.

 

Le Bourgeois Gentilhomme de Jérôme Deschamps (Les Editions du Balcon, copyright France Dumas).

Elle est la fondatrice des Editions du Balcon dont l’ambition va être de publier chaque année une série d’une dizaine de livres illustrant les pièces emblématiques de la saison théâtrale. Le temps d’une représentation, France dessine au Rotring ce qui se joue sur scène sans presque jamais relever la main. Elle capte les attitudes, les mouvements et les expressions des comédiens tout en notant quelques bribes de texte. Ses dessins de théâtre qui constituent la mémoire sensible de moments évanouis sont bien sûr un formidable souvenir pour qui a assisté à une pièce. Elle est également l’auteure de concerts dessinés et de très nombreux reportages dessinés (carnets de voyages ou autres) rassemblés dans des éditions qu’elle fabrique, relie et diffuse elle-même. Elle a aussi illustré plusieurs livres de portraits et d’interviews (dont Aimez-vous l’art ? publié chez Magellan et Cie et réalisé en collaboration avec Frédéric Elkaïm, un ancien collègue de Drouot) et tout récemment J’ai plus d’un vieux dans mon sac, si tu veux je te les prête, un ouvrage publié à Riveneuve Editions qui est le support de la future création théâtrale de Marie-Do Fréval, la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche. Ce sont principalement ses rencontres personnelles qui déterminent ses choix de création et d’illustration même si elle est aussi bien sûr amenée à travailler pour des clients institutionnels : La Poste dont elle a réalisé un certain nombre de timbres, Hermès et Orange à l’occasion d’animations portraits, ou bien encore, parmi d’autres, Nestlé dont elle a récemment beaucoup aimé croqué sur le vif les ouvriers des usines de pizzas. En sus du livre d’interviews illustrées réalisées à Montmartre sur lequel elle travaille actuellement, sa marotte du moment, ce sont les puces de Vanves dont elle interroge assidument les brocanteurs. « Comme je m’auto-édite, je peux alimenter mon livre à chaque réédition », se réjouit-elle. Car France, qui est malheureusement toujours en mal de pouvoir occuper un véritable atelier d’artiste, réussit bon an mal an à caser dans son appartement parisien tout le matériel nécessaire à l’édition de ses livres de dessins et même une presse qu’on lui a prêtée pour réaliser ses gravures.

Saint-Malo. Plage du bon secours. Panorama (copyright France Dumas)

Eloge de la gravure

France ne se souvient pas comment est née sa passion pour la gravure. Peut-être parce qu’elle a un cousin éloigné qui en faisait, peut-être parce qu’elle a vu quelques expositions qui l’ont marquée. Elle est en tout cas une ardente défenseuse de cet art qu’un non-initié pourrait trouver un peu suranné : « La gravure permet d’obtenir des matières extraordinaires et d’imprimer en multiples mais aussi de créer des ambiances inédites et d’expérimenter pleins de choses qui peuvent emmener vers des hasards créatifs intéressants. On ne sait jamais à l’avance ce que cela va donner et c’est justement cela qui est passionnant ». France qui enseigne la gravure à l’Académie d’Art de Meudon et au Cesan, une école de bande dessinée & d’illustration du XIème arrondissement de Paris, constate d’ailleurs le regain d’intérêt des jeunes illustrateurs et dessinateurs de BD pour cette technique d’impression artisanale. Son prochain livre intitulé Impressions d’ateliers qui sortira en octobre prochain chez Riveneuve Editions et sera le coeur d’un évènement organisé à la Fondation Taylor évoque justement les ateliers d’impression dont les métiers artisanaux résistent encore au tout numérique en utilisant des machines qui ont plus de deux cent ans d’existence. France est donc intimement persuadée que la gravure a toujours de beaux jours devant elle quel que soit le matériau utilisé : bois, lino, zinc, cuivre et même gomme comme en attestent les couvertures de livres qu’elle a récemment réalisées pour la collection « Pépites » de Riveneuve Editions, la maison d’édition de la rue de Gergovie de plus en plus dynamique au niveau local. D’autant que gravure et dessin peuvent être allègrement mélangés pour insuffler la vie et la couleur du second dans le noir et blanc de la première. France me le prouve en me tendant le leporello, mix de gravure et d’aquarelle, qu’elle a préparé pour le festival Philoscène organisé pour la deuxième année consécutive par Bête à Bon Dieu Production, l’association d’Annie Mako. Les gravures de France sont à ce point suggestives qu’elles ont inspiré à Patrick Navaï, un artiste du 14ème arrondissement, de nombreux poèmes qui ont été publiés aux Editions Carnets-Livres. Elle garde également de merveilleux souvenirs de l’exposition Les Traces de l’Ephèmere organisée au Centre Européen de Poésie d’Avignon à l’occasion de laquelle elle a pu dévoiler au public du festival ses gravures de théâtre. En Attendant Godot de Beckett, Hamlet et Macbeth de Shakespeare, Le soulier de satin de Claudel sont autant de chefs-d’oeuvre dont elle pris un immense plaisir à graver sur un grand zinc les moments les plus forts pour en faire le panorama. France continue à exposer ses gravures tous les ans à la Galerie de l’Echiquier dans le Xème arrondissement de Paris. Courez-y si vous voulez conforter de visu la très bonne première impression que vous ne manquerez pas d’avoir en consultant son site internet (ici) et son compte Instagram (ici) !

Gravure couleur (copyright France Dumas)

Vincent Luccarini (*), le parrain corse du Quartier Pernety

Crédit photo : Yann Boutouiller

« Attends, bouge pas ! », c’est l’expression favorite de Vincent Luccarini quand il vous raconte une anecdote ou se lance dans une explication. Mais aujourd’hui c’est à lui de prendre la pause pour Pernety 14 qui se fait un plaisir de vous faire découvrir cet homme chaleureux et sympathique qui hante le Quartier Pernety et ses bars depuis vingt ans au point d’en être devenu le véritable parrain respecté par toutes et tous. C’est le chouchou de ces dames à qui il sait parler et offre régulièrement des roses (il connait tous les vendeurs de roses de Pernety) et le pote de tous les fidèles du Quartier avec lesquels il trinque au comptoir des bistrots. Vincent « le coco » qui toujours porte beau habillé d’un élégant costume-cravate n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. On l’aime pour ses excès et ses colères homériques. Hommage à un sacré personnage du Quartier Pernety.

Une carrière de conseiller technique dans le papier

Au départ, il voulait être marin. Mais cela n’eut pas l’heur de plaire à son père qui refusa de lui donner l’autorisation de s’inscrire à l’Ecole Navale. C’est donc un peu par accident, et après un essai non-concluant en mécanique, qu’il devient apprenti lithographe, dès l’âge de quatorze ans, grâce à une relation de sa mère dont il assure par ailleurs les fonctions de concierge à Paris. Muni de son certificat d’études obtenu trois semaines après avoir commencé à travailler, il prend immédiatement goût à son travail à l’imprimerie Courbet située rue de Charonne dans le 11ème arrondissement de Paris. Il apprend le métier de receveur puis de margeur pendant deux ans dans des conditions de sécurité parfois extrêmement limite. Le sparadrap coûtant trop cher, c’est en les couvrant de papier collant qu’il se protège les mains (!). « Au début j’avais peur, se rappelle-t-il. Comme tous les grouillots, j’étais bousculé et je prenais des coups de pied au cul. Les temps ont bien changé. » Mais Vincent veut progresser rapidement et toucher à tout pour connaître à fond le métier d’imprimeur. Il devient offsettiste pour suivre l’évolution technologique. Afin de s’aguerrir et évoluer plus rapidement, il change d’entreprise et rejoint la Photolith, une société très réputée pour la qualité de son travail et qui imprime les cartes géographiques pour l’Institut Géographique National (IGN) et pour Michelin de même que les couvertures de Reader’s Digest. L’ambiance de travail y est très bonne. Les machines offset lui paraissent énormes et bruyantes mais les ateliers sont spacieux : « Ce n’était pas de l’esclavage mais on ne rigolait pas. Il n’y avait pas de vraie tension sociale et nous n’étions pas mal payés. J’étais jeune et insouciant mais surtout je voulais apprendre et faire mon trou. Alors je bossais dur. » Puis il entre aux Encres Lorilleux à Puteaux où il est affecté au service technique chargé de tester les diverses qualités des encres, c’est-à-dire d’en évaluer l’aspect, la viscosité, l’imprimabilité, le poisseux, la colorimétrie et la siccativité en fonction des différents supports papier. C’est aussi là qu’il découvre et teste d’autres procédés d’impression comme la typographie, l’héliogravure, la flexographie, l’aniline, etc. Après avoir accompli son service militaire en tant que pompier de Paris entre dix-huit et vingt ans, il entre comme cadre à Aviaplans à Suresnes, une entreprise qui s’occupe de photo aérienne pour Dassault. Il initie les ouvriers de cette imprimerie typographique à l’offset dont il est chargé du développement du service : « Je leur ai fait acheter des machines en leur faisant faire de la couleur plutôt que du noir. J’ai fait du sacré boulot là-bas, qui était reconnu par les clients de mon employeur ». Il rencontre par la suite Jacques Dambry, un copain d’école qui travaille chez Desgrandchamps, une imprimerie située boulevard Brune dans le 14ème arrondissement de Paris qui cherche un responsable pour son service offset. Il saute sur l’occasion et en six ans transforme totalement le service en achetant de nombreuses machines et au point de faire passer sa part dans le chiffre d’affaires de l’imprimerie de 5% à 95%. Son tempérament accrocheur le fait repérer par Jean Granet qui travaille aux Papèteries de l’Aa et qui lui propose de lui céder sa place pour lequel il ne trouve aucun remplaçant à la hauteur : « C’est un métier pour vous », lui assure-t-il. C’est le début de sa carrière de conseiller technique indépendant dans le papier qui va le mener à des postes bien rémunérés de groupe industriel en groupe industriel et de pays en pays (du Japon aux Etats-Unis et Canada en passant par tous les pays d’Europe y compris l’URSS). « En février 1971, l’année de tous mes records, je suis monté 28 fois dans un avion en 20 jours ouvrables. Et j’ai fait 117.000 km en voiture dans l’année  sans compter les locations de véhicules dans les aéroports. Là, je bougeais mon cul », se rappelle-t-il. Il finira son parcours professionnel comme directeur général de la Papèterie d’Essonnes de Corbeil dont il achèvera la liquidation après y avoir été le Directeur Recherche & Développement, le Directeur Technique et le Directeur Commercial. Avant de rebondir pendant sa retraite comme chargé de mission pour la Commission Européenne chargé du redressement de la situation économique d’entreprises en difficultés notamment dans les pays du Maghreb. (**)

Crédit photo : Yann Boutouiller

Un communiste historique

« Je suis communiste depuis toujours. Je suis né communiste parce que mon père était communiste, que ma mère était communiste, et que tout le monde était communiste chez moi. Lorsque j’ai rencontré ma femme, elle faisait un discours aux Cavalcades de la Jeunesse à Ivry-sur-Seine. Elle était présidente des Jeunes Filles Communistes de France », se remémore Vincent. L’un de ses plus notables faits d’armes reste de s’être occupé de la campagne de la députée Marie-Claude Vaillant-Couturier lors de sa réélection à l’Assemblée Nationale en 1967 : elle est réélue avec 3.600 voix d’avance après une invalidation au premier tour pour 300 voix. Dès l’âge de 23 ans, Vincent devient conseiller municipal communiste de Malakoff. Il se fait remarquer à l’époque par des articles dans Le RéveilFrance Nouvelle et L’Aube Nouvelle, qui condamnent fermement le recours à l’arme atomiqueA Malakoff, il tracte assidument en dirigeant la cellule Gabriel Crié et est responsable de la diffusion de la presse communiste dans la ville. Il organise à ce titre la vente de L’Humanité quotidienne par des équipes de volontaires très tôt le matin dans toutes les cités. Il organise également tous les ans Les Deux Jours de la Presse en louant des barnums dans lesquels toute la presse militante était convoquée. « Léo Ferré est venu sur le site, se souvient Vincent. Jean Ferrat et Marc Ogeret également. De même qu’Armand Lanoux, lauréat du Prix Goncourt 1963, qui est venu dédicacer ses livres. Ainsi que Pierre Juquin. » Il couvre environ deux mandats du règne du maire communiste Léon Salagnac qui décèdera en 1964 au moment même où il organise sa manifestation annuelle. Les bénéfices tirés de la fête sont bien évidemment immédiatement reversés au parti de même qu’à l’époque une part de sa rémunération. Il arrête de militer au parti parce qu’il finit par estimer qu’on abuse un peu trop de son dévouement sans limites et suite à un différent avec un camarade qui lui signifie son rejet du groupe parce qu’il est devenu cadre dans la société qui l’emploie. Il gardera malgré tout sa carte de communiste jusqu’en 1974. Mais, pour garder son indépendance d’esprit, jamais il ne se syndiquera à la CGT .« Je suis profondément un communiste français mais jamais je n’ai été stalinien », nous assure Vincent qui ne s’est pour cette raison jamais vraiment senti affecté par les révélations sur l’envers du décor des régimes communistes des pays de l’est. On le croit volontiers en le voyant naviguer dans le Quartier Pernety et faire montre avec toutes et tous de gentillesse et d’élégance émaillées d’éclats et de coups de gueule toujours bien sentis. Cet anti-apparatchik a visiblement bien trop d’épaisseur humaine pour faire aujourd’hui carrière en politique.

(*) Vincent Luccarini s’est éteint le 25 janvier 2024. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

(**) Pour plus de détails sur les aspects techniques du métier d’imprimeur de Vincent, lire l’article que lui a consacré Pierre Cixous dans le n° 33 du journal Monts 14 de février-avril 2009 (page 5).

Marie-Do Fréval : « Le théâtre doit être une sorte de tempête »

Elle a créé la Compagnie Bouche à Bouche et la dirige depuis aujourd’hui plus de dix ans. Marie-Do Fréval, présente sur tous les fronts du théâtre engagé en tant qu’autrice, metteuse en scène et comédienne, nous a reçu à la Boutik, le siège de l’association sis 2/4 rue du Général Humbert à la Porte de Vanves dans le 14ème arrondissement de Paris, pour nous faire partager son urgence à écrire le monde et à le recréer par le théâtre. Tentative(S) de Résonance(S).

Secouer le public

Le théâtre de Marie-Do Fréval se situe à mi-chemin entre la commedia dell’arte et le théâtre contemporain. Initiée au jeu théâtral par des italiens, elle va les suivre en tournée et se produire en tant que comédienne dans plusieurs langues un peu partout en Europe. Le théâtre de tréteaux qu’elle pratique alors est un théâtre physique et rythmé, basé sur l’adresse du public et en prise directe avec lui. Il mélange allégrement les arts de la scène, de la musique et de la danse et n’a pas grand chose à voir avec le théâtre classique français. Ce sont plutôt les auteurs contemporains qu’elle rencontre dans le cadre de son activité de comédienne qui vont être sa seconde source d’inspiration au moment où elle va décider de s’inscrire dans une démarche personnelle aussi bien en tant qu’interprète qu’en tant qu’autrice. On trouve au départ de cette démarche la prise de conscience personnelle et politique liée à l’élection présidentielle de 2002 qui oppose au second tour Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen : « Je me suis sentie coincée dans quelque chose qui était pourtant de l’ordre de la démocratie, et le fait de voir mon choix contraint m’a beaucoup troublée. Je me suis alors un peu radicalisée et j’ai ressenti le besoin de poser des actes plus forts, d’aller à la rencontre de tout le monde et de déranger le théâtre dans ses habitudes et dans son embourgeoisement. » Marie-Do qui est havraise d’origine choisit le 14ème arrondissement de Paris qu’elle connait très bien comme territoire d’élection. Elle y développe petit à petit son langage en y créant des spectacles de rue qu’elle fait par la suite voyager en dehors de l’arrondissement. En 2009, elle crée la Compagnie Bouche à Bouche avec le concours de partenaires extérieurs puisque, comme elle ne manque pas de le déplorer, le 14ème consacre relativement peu d’argent à la culture. Elle monte un certain nombre de spectacles impliquant à la fois des amateurs et des professionnels : « Ces spectacles m’ont énormément touchée parce qu’il n’y avait plus de frontières et que j’arrivais à raconter des histoires un peu folles avec de grands groupes et de grands chœurs de façon complètement spontanée. » Le défi qu’elle relève avec succès était d’autant plus risqué que la rue est un espace difficile à investir et que, même s’il est un arrondissement de théâtre, le 14ème est très peu familier des Arts de la rue. Mais Marie-Do reste motivée par l’envie de toucher tous les publics et va même aller à leur rencontre dans les cafés et les PMU.  L’état d’esprit qui l’anime est très différent de celui d’une metteuse en scène de théâtre classique. « On ne fait pas tout à fait le même métier, souligne Marie-Do. Car moi je raconte des histoires au travers de textes auxquels je peux associer de la musique ou de la danse selon les cas, mais aussi et surtout parce que j’interagis plus fortement avec le public que j’ai envie de secouer. Il faut se poser la question du pourquoi de la création artistique, de ce qu’on veut qu’il se passe. Personnellement, j’attends du théâtre et de l’art en général quelque chose de fort qui nous fait dépasser notre quotidien et qui nous fait voir la vie autrement. Il faut qu’on se souvienne d’une création théâtrale comme on se souvient d’avoir traversé ensemble une tempête. Le théâtre doit être cette sorte de tempête. » Il n’est toutefois pour Marie-Do nullement question de prosélytisme : « Je ne dis pas aux gens comment ils doivent se comporter ou bien quel est le monde idéal de demain. Je pose la question de notre liberté. Je crois que c’est essentiellement ça que je fais avec différents langages. » 

Des vieux non-apprêtés plein son sac

Pour toucher à ce but, la Compagnie Bouche à Bouche a déjà créé plusieurs spectacles dont récemment Tentative(S) de Résistance(S) (2016), Tentative(S) d’Utopie Vitale (2018) et Paillarde(S) (2019) qui ensemble forment une trilogie autour de la résistance, de l’utopie et de la virilité et qui font toujours l’objet de tournées. Le dernier opus de Marie-Do en cours de création s’intitule J’ai un vieux dans mon sac, si tu veux je te le prête. Marie-Do a écrit son texte en un mois à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon, le centre national des écritures du spectacle, après avoir passé trois ans dans des Ehpad du 14ème arrondissement et accueilli à la Boutik de la compagnie une population de personnes âgées souvent isolée, fragile et bancale et qui décrit tout un pan de l’humanité qui la touche profondément. Elle aura rencontré pendant ces trois années pas moins de trois cents « vieux » ou « vieilles » et monté avec eux des spectacles en Ehpad pendant que France Dumas qui est graveur et illustratrice pour la presse et l’édition croquait ces précieux instants. Le texte dont Marie-Do a accouché a été publié en janvier dernier et la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche réfléchit aujourd’hui à la façon d’en poser les premiers actes de création au théâtre en 2021 ou en 2022 en partenariat avec les centres des Arts de la rue de Brest, de Lyon et de Saint-Omer. L’épidémie de coronavirus rend bien sûr le thème d’une brûlante actualité et lui donne une acuité toute particulière : « J’ai eu l’impression de parler au monde, donc ça m’a un peu rassuré », déclare celle dont le souci constant est de veiller à garder une parole vivante et authentique. « Peut-être, rajoute-elle, faut-il d’ailleurs prendre au pied de la lettre cette crise de notre santé car mon métier lui aussi est en crise. Nous sommes certes dans un pays privilégié qui alloue des budgets aux spectacles vivants et à différentes formes artistiques mais cela se fait surtout au bénéfice d’une culture d’Etat qui étouffe les vrais cris et qui ébranle la notion même de création. » Les Tentative(S) de Résistance(S) de Marie-Do Fréval suffiront-elles à sauvegarder l’essentiel ? Pratiquer assidument le bouche-à-bouche et souffler violemment sur les braises du pouvoir créateur sont sans doute les meilleures façons de ranimer la flamme d’un théâtre moribond et d’une toujours vivante et vitale utopie.

Cliquer ici pour accéder au site de la Compagnie Bouche à Bouche.