Alissa Wenz, entre 16 heures et 16 heures 39

Photo Pierrick Bourgault

« Entre 16 heures et 16 heures 30,/Courant toujours après le temps/Je fais de ma vie impatiente/Un tourbillon de coups de vent », chante Alissa Wenz. Elle nous aura accordé 38 minutes et 50 secondes d’interview exactement. Autant dire que nous nous en sortons bien ! Car entre sa vie de famille, ses cours, ses concerts et ses livres, il ne lui reste en effet pas beaucoup de temps. Le résultat est à la hauteur de l’énergie déployée puisqu’elle a à nouveau fait salle comble samedi 8 février 2020 au Forum Léo Ferré d’Ivry-sur-Seine devant un public visiblement subjugué. Une artiste aux multiples talents à suivre absolument !

Une Bretonne de Plouër-sur-Rance happée par les arts

Elle est née en région parisienne mais n’y a fait que passer. C’est en fait en Bretagne, entre terre et mer, entre Dinan et Saint-Malo, à Plouër-sur-Rance très précisément, qu’Alissa Wenz a tous ses souvenirs d’enfance. Son père y dirige un centre de formation au travail social tandis que sa mère est responsable d’une association qui s’occupe de livres pour enfants. Elle baigne dans la culture et développe tout naturellement le goût des lettres, de la musique, du cinéma et du théâtre. Avoir une maman littéraire et un papa pianiste doté d’une solide culture classique aide bien évidemment beaucoup. Elle commence à apprendre à jouer du piano dès l’âge de cinq ans et suit des cours jusqu’à l’âge de dix-sept ans au conservatoire de Saint-Malo où elle est également formée au chant lyrique. Pour le cinéma, elle est en revanche complètement autodidacte. C’est au collège qu’elle devient cinéphile en regardant le Cinéma de Minuit de Patrick Brion et le Ciné-Club de Frédéric Mitterrand et en découvrant les chefs d’œuvre du cinéma hollywoodien grâce aux programmes de la BBC dont elle capte les ondes d’outre-Manche chez ses parents. Quant au théâtre, le déclic a lieu à l’âge de seize ou dix-sept ans lorsqu’elle monte avec des amies lycéennes une pièce qu’elles ont écrite et mise en scène et qui sera jouée à deux reprises dans un théâtre de Saint-Malo. Chopin, Schumann, Schubert, Liszt, Apollinaire, Vian, Duras, Zweig, Schnitzler, Brel, Brassens, Sylvestre, Welles, Ophüls, Lubitsch, Truffaut, Demy sont quelques uns des noms qui bercent sa jeunesse bretonne pour assouvir un appétit jamais rassasié pour les arts. Elle choisit tout naturellement la filière littéraire au lycée et obtient à 17 ans un bac L en se demandant ce qu’elle va bien pouvoir faire de sa vie. Certains qui l’ont vue brûler les planches au théâtre de Saint-Malo lui suggèrent d’embrasser la carrière de comédienne mais Alissa préfère continuer ses études. Son dossier de très bonne élève lui permet d’être admise en classe préparatoire au Lycée Henry IV de Paris. Elle saisit cette formidable opportunité en y voyant une chance d’enrichir sa connaissance de la littérature et également de profiter à plein de la vie culturelle parisienne, de ses théâtres, de ses cinémas et de ses salles de concerts. Ayant accompli ses trois années de classe prépa, elle intègre l’Ecole normale supérieure toujours moins par ambition personnelle que pour continuer à y assouvir sa passion pour les belles-lettres. Cela lui permettra d’y suivre une formation théâtrale dispensée par Lionel Parlier et Brigitte Jacques avant de clore sa période d’apprentissage artistique au département scénario de la Fémis.

La chanson, point de rencontre de l’amour des mots, des mélodies et de la scène

Au moment même où elle intègre la Fémis, Alissa décide de se lancer sur scène pour y interpréter les chansons dont elle écrit les textes et compose la musique. Le besoin de créer qu’elle ressent depuis toujours ne l’a jusqu’alors jamais amenée à se considérer comme une artiste, ce serait à ses yeux un peu prétentieux. C’est peut-être cette obsession de la perfection qui l’a poussée à accumuler les diplômes des meilleures et plus prestigieuses écoles pour s’en faire une armure contre la critique. Dans En route, la chanson d’ouverture de son spectacle, Alissa crache le morceau : « J’ai si peur des gens, les jugements/Comme je les redoute ». Elle va pourtant franchir le pas et se produire dans de nombreuses salles à Paris en s’accompagnant au piano pour interpréter ses chansons parfois humoristiques et fantaisistes, parfois mélancoliques et intimes, parfois franchement tragiques. La chanson présente pour Alissa l’avantage de se situer au point de rencontre entre l’amour des mots, l’amour des mélodies et l’amour de la scène et d’emprunter à toutes les passions qui sont les siennes depuis toujours : littérature, musique, théâtre et même – oui ! – cinéma. Car celle qui est devenue enseignante de la matière à l’Ecole normale supérieure après avoir passé l’agrégation de lettres modernes construit souvent ses chansons comme des petits récits invitant le spectateur à embarquer pour un voyage qui lui fait vivre des émotions puissantes. A partir de fin 2017, quand elle se produit tous les jeudis soirs seule sur scène pendant six mois aux Théâtre des Déchargeurs, la chanson prend soudain une place très importante dans sa vie : « Cette expérience a été un déclic, se souvient-elle. Je vivais pour mes jeudis soirs. Comme je rencontrais une forme de chaos dans ma vie personnelle, c’était ce qui me faisait tenir debout. C’est à partir de ce moment là que j’ai pris conscience que la chanson n’était pas quelque chose de périphérique dans ma vie mais qu’elle en était en réalité le centre ». La chanson devient pour elle une véritable nécessité, beaucoup plus forte qu’avant, qui lui permet de surmonter les épreuves personnelles qu’elle traverse, d’exprimer ses souffrances et de les dépasser : « Passé un point de violence en soi, il devient nécessaire d’extérioriser ce que l’on ressent et ce qu’on a accumulé : la création est une alternative à la noirceur », nous dit elle. L’entendre interpréter « Aimer quelqu’un » qui presque clôt son spectacle n’en laisse absolument aucun doute.

Un récit biographique qui retrace l’histoire de sa grand-mère

L’écriture d’un livre peut aussi être un exutoire à défaut d’une thérapie et Alissa publiera très bientôt son premier roman (*). Elle a déjà sorti en 2019 aux ateliers henry dougier dans la collection Une vie, une voix un récit biographique intitulé Lulu, fille de marin qui est une véritable déclaration d’amour à sa grand mère Lucienne Resmond, fille de marin et femme d’aviateur, née en 1928 à Plouër-sur-Rance, le village où Alissa a passé son enfance. « Je sais de ma grand-mère que c’est une femme du XXème siècle. Qu’elle a traversé des évènements, des coutumes, des relations, des chemins profondément ancrés dans leur époque. Qu’elle a vécu une féminité qui était la féminité de celles de sa génération, celles que l’on destinait d’abord à devenir des épouses et des mères, celles qui ont construit leur mariage, leur foyer, alors qu’elles n’étaient encore que des jeunes filles rêveuses, à peine sorties de l’enfance. […] », peut-on lire page 96. Sa grand-mère « Lulu » a encore aujourd’hui les larmes aux yeux lorsqu’elle se remémore le discours intimidant et glaçant qu’a prononcé le curé le jour de son mariage : « […] Je suis effrayé, disait quelqu’un, de penser que la vie dépend de deux ou trois « oui » ou de deux ou trois « non » prononcés de bonne heure. Oui ou non, veux-tu de ce travail, de cette position, de ce pays, de ce maître, de cette alliance, de cette vie ? Vous répondez, et tout est dit. Carrière fixée, peut-être insupportable. Travail fixé, peut-être impraticable. Foyer fixé, peut-être intolérable. C’est dit, c’est fait, ce sera jusqu’au dernier jour. »  Edifiant témoignage d’une époque où la liberté des femmes ne valait que roupie de sansonnet. Les temps ont bien changé, les enfants de Lulu auront vingt ans en 1968 qui balaiera ces conventions sociales d’un autre âge. Alissa est quant à elle résolument une femme moderne : « Je veux simplement être moi », proclame-t-elle dans sa chanson intitulée Les femmes des publicités. D’ailleurs il est bientôt 16 heures 40 et elle a à faire. Au revoir Alissa et merci pour les dix minutes de rab !

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Francesca Dal Chele, la photographe du coin de la rue

Elle a photographié pour nous « l’ennui épais » du confinement. Francesca Dal Chele, qui manie son appareil photo comme d’autres leur stylo pour exprimer ses émotions et ses idées, nous a très gentiment reçu chez elle rue Didot pour nous présenter son oeuvre tout en entre deux.

Parisienne de nationalité

Francesca Dal Chele est née aux Etats-Unis mais ne cultive aucunement ses racines. Car si ses travaux photographiques questionnent la notion d’identité, l’appartenance à un pays n’est pas sa propre histoire. Dès sa petite enfance californienne, cette fille d’immigrés italiens a le sentiment d’être « étrangère » et, à l’adolescence, c’est vers la France que la guide son intuition. Elle décide d’étudier la langue et la littérature françaises à l’université pour se préparer à y vivre et fait à cette occasion un premier séjour à Aix-en-Provence. Arrivée à Paris fin 1978 pour y devenir assistante de direction bilingue, c’est aujourd’hui tout naturellement qu’elle se définit comme « parisienne de nationalité » après s’être fixée il y a 40 ans dans le 14ème arrondissement. Ce sont les hasards de sa vie qui vont être les déclencheurs de sa passion relativement tardive pour la photographie. L’idée lui trottait à vrai dire déjà dans la tête depuis une bonne dizaine d’années car elle pressentait qu’il y avait là un moyen adapté d’exprimer sa créativité en parallèle de son travail. Elle commence par se former avec Mira, un photographe-reporter iranien qui dispense des cours dans une MJC de la rue de Trévise, puis plus tard à l’EFET, une école de photographie parisienne où elle reste un an en cours du soir. Elle approfondit par la suite sa connaissance de la photo en la pratiquant très assidument et forme son regard en analysant les travaux d’autres artistes-photographes. Ses références sont alors Sebastiaõ Salgado et Raymond Depardon avec lequel elle aura l’honneur d’effectuer un stage à l’ENSP d’Arles. « Je voulais comprendre ce qui faisait qu’une image était forte et une autre pas », se souvient-elle. Je me suis rendu compte que j’avais tout à apprendre, mais cela m’intéressait énormément car, dés que j’ai commencé la photo, j’ai senti que j’avais trouvé là le canal pour exprimer mon désir de création ». Sa vocation est née : elle devient en 1986 à 36 ans photographe-auteure indépendante en travaillant dans un premier temps uniquement en noir et blanc et en réalisant elle-même ses propres tirages. 

Dans le chantier de Tarlabasi 360, Istambul 2015 in Quel est ce bruit à l’horizon

Tropisme turc

Elle commence par envisager la photographie comme un moyen de témoigner voire de dénoncer les injustices du monde au travers de ses reportages et s’intéresse tout particulièrement aux cultures traditionnelles mises à mal par la modernité. Ainsi Vies silencieuses, son premier sujet au long cours réalisé en N&B dans les années 90 traite-il de la vie des Touaregs qui sont des anciens nomades du Sahara contraints par les autorités algériennes à une sédentarisation forcée. Ainsi s’intéresse-t-elle également à la Turquie à partir de 2005 qui est l’année du début officiel des négociations pour l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne. « J’ai entendu toute une série de propos négatifs et racistes sur ce pays musulman perçu comme islamiste et finalement arriéré par rapport à l’Occident, se rappelle-t-elle. Comme j’ai grandi aux Etats-Unis où la lutte des Afro-américains pour leurs droits civiques et contre la discrimination a fortement marqué ma manière de penser et d’être, je suis devenue sensibilisée pour toujours aux questions de racisme et de xénophobie et j’étais donc très choquée par ces propos ». Ce qu’elle lit alors à propos de la Turquie ne correspond pas du tout à ce qu’elle a constaté à Istanbul où elle s’est rendue en 2004. Pour se faire une idée définitive de la question, elle décide de visiter la Turquie profonde et de se rendre en Anatolie. Dans le cadre de son travail de documentation préalable indispensable à la construction de son sujet, elle s’intéresse tout particulièrement aux villes de l’Anatolie en voie de modernisation très rapide et dépossédées de leur identité propre par la globalisation économique mondiale. Son objectif va être de témoigner des changements qu’elle pourra observer. « Ce que j’ai vu en Anatolie en 2005 était tout le contraire du pays arriéré peuplé de femmes voilées auxquelles il n’était fait aucune place, que décrivaient certains en France », se souvient-t-elle. Elle tombe en fait complètement sous le charme de ce pays en transition dont le tiraillement entre tradition et modernité, entre pauvreté extrême et gentrification, rentre en résonance avec sa personnalité duale. Elle en garde la trace dans plusieurs séries de photographies visibles sur son site internet, notamment Le Passé de l’AvenirD’où vient ce bruit à l’horizon et Du Loukoum au Béton« De voir combien ce pays formidable est devenu autoritaire et liberticide me désole complètement, ajoute Francesca en faisant référence à la récente actualité. Quand je relis les propos des jeunes Turcs que j’ai retranscrits dans mon livre Du Loukoum au Béton [publié aux éditions Trans Photographie Press], je suis pratiquement au bord des larmes. Que d’espoirs déçus ! »

Sédimentation n° 2, Didot-Eure, 2 avril 2020, Jour 17 (Copyright Francesca Dal Chele)

Photographier l’épaisseur du temps

La démarche de Francesca n’est toutefois pas seulement documentaire. Dès 1995, elle commence à explorer une photographie plus intime, plus distanciée du réel, qui s’appuie sur la richesse des flous pour le transcender. C’est l’idée qui guide sa série de photographies de visages intitulée Archaeus née d’un désir de revenir vers l’humain dans ce qu’il comporte d’universel. Dans Surfaces sensibles, Francesca utilise le flou pour essayer de traduire l’intangible sentiment d’appartenance et la notion de génie des lieux. Sa toute récente série intitulée Sédimentations est quant à elle à l’origine un travail plastique qui réutilise la technique du « palimpseste » déjà explorée à l’occasion de la réalisation de Le Passé de l’Avenir pour se faire cette fois le reflet de l’ennui et de la monotonie ressentis durant le confinement. Ses photos sont l’expression de l’épaisseur du temps s’écoulant sans réel relief et tout juste ponctué de micro-évènements à l’extérieur de son appartement. Afin de donner corps à cette sédimentation de la vie, Francesca a placé son objectif à sa fenêtre et a photographié chaque jour l’angle de la rue Didot et de la rue de l’Eure pour finir par superposer sous Photoshop au prix d’un très minutieux travail technique différentes strates de photographies. Chaque Sédimentation réalisée est le produit de quatre images choisies parmi toutes celles qu’elle a prises le même mâtin. S’il lui arrive parfois d’ajouter à sa construction des personnages prélevés dans d’autres images, la règle est que tous les éléments qui la constituent doivent provenir de scènes observées au cours de cette mâtinée. « Mon objectif est de faire ressentir à la personne qui regarde ces Sédimentations l’épaisseur du temps et le mouvement ralenti de la vie », nous indique Francesca. Le résultat très esthétique est tout à fait à la hauteur de ses ambitions. « Il est également important qu’une image soit esthétique, précise la photographe. Car si elle n’est pas esthétique, les gens n’ont pas envie de la regarder et passent à côté du « message » que l’artiste y a mis. Ce que je dis est tout aussi bien valable pour les images de documentaires subjectifs ou de reportages. Le tout est de se garder de réaliser des images esthétisantes dans lesquelles l’esthétique est plus important que le fond ». Francesca a toutefois naturellement bien conscience que l’interprétation de ses oeuvres peut être éminemment subjective. Ainsi Yann Stenven qui a commenté son tout récent travail pour la revue TK-21 y a vu la « glorification des petit métiers et des métiers de ceux qui malgré le confinement doivent travailler aux fins que tourne un système de plus en plus fou ». Comme si l’oeil critique toujours en éveil de Fransceca avait inconsciemment intégré une dimension politique à sa dernière oeuvre en date. Chassez le naturel…

La mer à Sutt’a a Rocca, Bonifacio (Corse) 2000 in Surfaces Sensibles

Cliquer ici pour accéder au site internet de Francesca Dal Chele et ici pour accéder à l’article de la revue TK-21 consacré à Sédimentations.

 

Lucile Denizot n’a pas peur du grand méchant loup

La liberté fait peur à beaucoup mais certainement pas à Lucile Denizot. Il n’y a guère qu’avant de monter sur scène qu’elle est saisie par le doute. Pour le reste, c’est toujours tout à trac ! C’est souvent d’un seul jet que cette artiste à la spontanéité désarmante créé les textes de ses chansons. Elle ne s’est pas non plus posé trop de questions avant de partir à l’âge de vingt ans comme volontaire sur un chantier de reboisement au Togo. « Just do it ! », telle semble être la devise de cette gauloise brune sans filtre. Une leçon pour tous les frileux de la vie !

Fibre altruiste et tropisme africain

L’enfance de Lucile qui est née à Sancerre dans le Berry fleure bon le terroir, le vin blanc et le fromage de chèvre. Ses grands parents du côté maternel sont des entrepreneurs qui se sont lancés avec succès dans l’affinage et la commercialisation industriels du crottin de Chavignol. Elle est élevée par sa mère, médecin scolaire, tandis que son père exerce la profession de psychiatre addictologue. Après son bac, Lucile s’envole pour le Togo puis le Bénin dans le cadre de missions de reboisement organisées par les Clubs UNESCO. C’est encore l’Afrique qui continue de susciter son intérêt pendant qu’elle étudie les relations internationales à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris. Elle enchainera avec un troisième cycle à la Sorbonne en consacrant son mémoire de DESS à l’allègement du travail domestique en milieu rural sahélien. Après son stage de fin d’études effectué au Burkina Fasso, elle devient chargée de mission au Sénégal pour mettre en place différents projets humanitaires. Le pli est pris : c’est aux autres qu’elle va consacrer sa vie plutôt que la perdre à courir après l’argent. C’est ce qui l’amènera par la suite à devenir animatrice socio-culturelle puis enseignante suppléante à l’issue d’un passage à l’IUFM d’Anthony. Nombreux sont les projets sur lesquels elle travaille, soit en direction des enfants, soit en direction des plus démunis. En 2014, dans le cadre de L’Enfance de l’Art, l’atelier d’arts plastiques pour enfants-adolescents qu’elle a fondé en 2009, elle anime Les Enseignes des enfants où trente six enseignes sont créés par des enfants pour trente six boutiques de la rue Raymond Losserand dans le XIVème arrondissement de Paris. Entre 2016 et 2018, elle devient responsable de l’animation et du bénévolat du centre d’hébergement d’urgence de l’Ordre de Malte abrité par la péniche Le Fleuron Saint-Jean dans le XVème et organise des activités sportives et artistiques ainsi que des sorties et des soirées culturelles à destination d’hommes sans domicile accompagnés de leur chien. Toutes ces expériences souvent effectuées aux confins des activités artistiques ne sont en réalité que le versant professionnel d’une créativité qu’elle exprime par ailleurs par la confection d’œuvres d’art ou l’écriture de chansons.

Reboisement en Afrique à 20 ans

Des bouquets-sculptures aux concerts solo

Car Lucile a en réalité toujours mené une double vie et cultivé le goût des arts. Le goût des objets d’art en premier lieu qui la fait tomber en pâmoison devant la collection de masques africains de sa mère pendant son enfance et qui la fait se transformer en brocanteuse de poche dès l’âge de huit ou neuf ans. Ses premières sculptures datent de 1996-1997 et témoignent de sa passion pour les fleurs en plastique ainsi que de son goût pour la déco des années 50. C’est le début de la série Plastiflores et Florifères, des assemblages ludiques et hétéroclites aux couleurs acidulées qui ont été exposés dans plusieurs galeries et bars parisiens, notamment du XIVème arrondissement. Ces bouquets-sculptures ainsi que d’autres œuvres bois et textile vont lui valoir un certains succès puisqu’elles seront le sujet d’un numéro de l’émission Talents de vie diffusée sur France 2 et de plusieurs articles de magazines de décoration.  Mais Lucile, peut-être saisie par la peur de réussir, préfère arrêter la production et laisser d’autres s’inspirer de ses créations originales. Elle stocke aujourd’hui toutes les œuvres qu’elle a conservées de cette période faste dans son atelier de la rue du Moulin Vert situé à quelques pas de celui où Alberto Giacometti a habité toute sa vie. Lucile n’est pourtant pas seulement une artiste plasticienne. Elle a également écrit plusieurs contes pour enfants toujours à l’heure actuelle inédits et surtout des textes de chansons dont certains ont été mis en musique par Rémi Bienvenu. C’est lui qui le premier a repéré son talent de compositrice de chansons qu’elle n’a de cesse de perfectionner aujourd’hui avec Claude Lemesle qui fut parolier de Jo Dassin. Elle a déjà eu l’occasion de se produire à l’occasion d’une quinzaine de concerts et s’active maintenant à la réalisation de vidéos sur YouTube pour diffuser ses créations le plus largement possible. Méchant Loup dont elle a écrit les paroles et la musique n’est sans doute que la première d’une longue série !

Dans la série Plastiflores et Florifères

Vous pouvez trouver un autre portrait de Lucile Denizot dans Visages du XIVe de Béatrice Giudicelli et France Dumas.

France Dumas croque la vie du 14ème arrondissement

Vous l’avez peut-être croisée le Rotring à la main dans le coin d’un bistrot du 14ème arrondissement occupée à croquer une scène sur le vif. Telle la petite souris des dessins de Plantu, France Dumas aime observer et être le témoin bienveillant de ce qui se passe autour d’elle. Ses dessins et gravures sont la trace de moments précieux, de visages connus ou inconnus ou d’émotions fugaces. Nous l’avons rencontrée entre deux rayons de soleil à la terrasse du bar-restaurant La Place, place Flora Tristan, pour qu’elle nous présente son travail de graveur et d’illustratrice.

Des reportages dessinés inspirés par les spectacles vivants

« C’est ma première terrasse depuis deux mois et demi ! ». Enfin déconfinée, France est visiblement contente de pouvoir s’asseoir à une terrasse de café. Elle a apporté dans son sac un nombre impressionnant de livres et d’éditions rassemblant ses oeuvres dont son Calendrier Perpétuel, Bistrots du XIVe arrt que nous lui avions commandé. Pour illustrer le mois de juillet, on y trouve le dessin d’une terrasse animée du café L’Imprévu qui jouxte le bar-restaurant où nous sommes assis. Voilà une très bonne idée-cadeau pour tous les Quatorziens qui aiment les bistrots dont France a donné une preuve supplémentaire d’amour en publiant aux Editions Autrement un recueil de dessins intitulé Bistrots et Cafés, Paris.

Cette Bretonne de coeur qui est née en région parisienne connait Paris comme sa poche. Elle habite depuis aujourd’hui plus de vingt ans dans le XIVème arrondissement dont elle est un visage si familier qu’elle aurait très bien pu figurer dans l’un des recueils de portraits que Béatrice Giudicelli a consacrés à ses illustres et moins illustres habitants. Au lieu de quoi, c’est elle qui a illustré de son coup de crayon reconnaissable entre tous Visages du XVIe sorti en 2011 aux Editions Carnets-Livres et Figures du XIVe arr. publié en 2017 à Riveneuve Editions. La route a en réalité été longue, qui a mené France vers le dessin et la gravure. « J’ai toujours aimé dessiner, mais je me suis jamais autorisée à en faire un métier sans doute par peur de ne pas être à la hauteur », se rappelle-t-elle. Rien ni personne dans son environnement familial ne la prédestine à devenir artiste. Et dans le lycée élitiste qui est le sien, on prépare les élèves aux écoles de commerce bien plutôt qu’aux études artistiques. Elle commence donc par étudier l’économie à Nanterre jusqu’au niveau maitrise avant de réaliser qu’elle s’est trompé de chemin. Elle bifurque alors vers l’art en passant un troisième cycle de gestion d’arts à la suite duquel elle effectue un stage chez Drouot où elle reste travailler une dizaine d’annéesElle s’y fait l’oeil en visitant tous les jours les salles des ventes. Elle y travaille par ailleurs beaucoup avec un expert en bandes dessinées qui organise régulièrement les ventes aux enchères d’originaux d’illustrateurs connus. C’est le déclic qui va la décider à se lancer elle-même dans l’illustration pour assouvir un désir de dessiner devenu à cette époque quasi-obsessionnel. Tout en travaillant à Drouot, elle suit les cours du soir de l’Ecole Duperré où elle apprend la gravure. « Mais en réalité, j’ai surtout appris à travailler dans les bistrots, précise-t-elle. Parce qu’il n’y avait pas encore l’Internet quand j’ai commencé à démarcher les directeurs artistiques que je devais rencontrer en rendez-vous. Entre deux rendez-vous, j’allais me poser dans un bistrot et je dessinais les gens que j’observais. » De là vient sans doute son goût pour les spectacles vivants (les cirques, les théâtres, les concerts, etc.) qui principalement nourrissent son inspiration.

 

Le Bourgeois Gentilhomme de Jérôme Deschamps (Les Editions du Balcon, copyright France Dumas).

Elle est la fondatrice des Editions du Balcon dont l’ambition va être de publier chaque année une série d’une dizaine de livres illustrant les pièces emblématiques de la saison théâtrale. Le temps d’une représentation, France dessine au Rotring ce qui se joue sur scène sans presque jamais relever la main. Elle capte les attitudes, les mouvements et les expressions des comédiens tout en notant quelques bribes de texte. Ses dessins de théâtre qui constituent la mémoire sensible de moments évanouis sont bien sûr un formidable souvenir pour qui a assisté à une pièce. Elle est également l’auteure de concerts dessinés et de très nombreux reportages dessinés (carnets de voyages ou autres) rassemblés dans des éditions qu’elle fabrique, relie et diffuse elle-même. Elle a aussi illustré plusieurs livres de portraits et d’interviews (dont Aimez-vous l’art ? publié chez Magellan et Cie et réalisé en collaboration avec Frédéric Elkaïm, un ancien collègue de Drouot) et tout récemment J’ai plus d’un vieux dans mon sac, si tu veux je te les prête, un ouvrage publié à Riveneuve Editions qui est le support de la future création théâtrale de Marie-Do Fréval, la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche. Ce sont principalement ses rencontres personnelles qui déterminent ses choix de création et d’illustration même si elle est aussi bien sûr amenée à travailler pour des clients institutionnels : La Poste dont elle a réalisé un certain nombre de timbres, Hermès et Orange à l’occasion d’animations portraits, ou bien encore, parmi d’autres, Nestlé dont elle a récemment beaucoup aimé croqué sur le vif les ouvriers des usines de pizzas. En sus du livre d’interviews illustrées réalisées à Montmartre sur lequel elle travaille actuellement, sa marotte du moment, ce sont les puces de Vanves dont elle interroge assidument les brocanteurs. « Comme je m’auto-édite, je peux alimenter mon livre à chaque réédition », se réjouit-elle. Car France, qui est malheureusement toujours en mal de pouvoir occuper un véritable atelier d’artiste, réussit bon an mal an à caser dans son appartement parisien tout le matériel nécessaire à l’édition de ses livres de dessins et même une presse qu’on lui a prêtée pour réaliser ses gravures.

Saint-Malo. Plage du bon secours. Panorama (copyright France Dumas)

Eloge de la gravure

France ne se souvient pas comment est née sa passion pour la gravure. Peut-être parce qu’elle a un cousin éloigné qui en faisait, peut-être parce qu’elle a vu quelques expositions qui l’ont marquée. Elle est en tout cas une ardente défenseuse de cet art qu’un non-initié pourrait trouver un peu suranné : « La gravure permet d’obtenir des matières extraordinaires et d’imprimer en multiples mais aussi de créer des ambiances inédites et d’expérimenter pleins de choses qui peuvent emmener vers des hasards créatifs intéressants. On ne sait jamais à l’avance ce que cela va donner et c’est justement cela qui est passionnant ». France qui enseigne la gravure à l’Académie d’Art de Meudon et au Cesan, une école de bande dessinée & d’illustration du XIème arrondissement de Paris, constate d’ailleurs le regain d’intérêt des jeunes illustrateurs et dessinateurs de BD pour cette technique d’impression artisanale. Son prochain livre intitulé Impressions d’ateliers qui sortira en octobre prochain chez Riveneuve Editions et sera le coeur d’un évènement organisé à la Fondation Taylor évoque justement les ateliers d’impression dont les métiers artisanaux résistent encore au tout numérique en utilisant des machines qui ont plus de deux cent ans d’existence. France est donc intimement persuadée que la gravure a toujours de beaux jours devant elle quel que soit le matériau utilisé : bois, lino, zinc, cuivre et même gomme comme en attestent les couvertures de livres qu’elle a récemment réalisées pour la collection « Pépites » de Riveneuve Editions, la maison d’édition de la rue de Gergovie de plus en plus dynamique au niveau local. D’autant que gravure et dessin peuvent être allègrement mélangés pour insuffler la vie et la couleur du second dans le noir et blanc de la première. France me le prouve en me tendant le leporello, mix de gravure et d’aquarelle, qu’elle a préparé pour le festival Philoscène organisé pour la deuxième année consécutive par Bête à Bon Dieu Production, l’association d’Annie Mako. Les gravures de France sont à ce point suggestives qu’elles ont inspiré à Patrick Navaï, un artiste du 14ème arrondissement, de nombreux poèmes qui ont été publiés aux Editions Carnets-Livres. Elle garde également de merveilleux souvenirs de l’exposition Les Traces de l’Ephèmere organisée au Centre Européen de Poésie d’Avignon à l’occasion de laquelle elle a pu dévoiler au public du festival ses gravures de théâtre. En Attendant Godot de Beckett, Hamlet et Macbeth de Shakespeare, Le soulier de satin de Claudel sont autant de chefs-d’oeuvre dont elle pris un immense plaisir à graver sur un grand zinc les moments les plus forts pour en faire le panorama. France continue à exposer ses gravures tous les ans à la Galerie de l’Echiquier dans le Xème arrondissement de Paris. Courez-y si vous voulez conforter de visu la très bonne première impression que vous ne manquerez pas d’avoir en consultant son site internet (ici) et son compte Instagram (ici) !

Gravure couleur (copyright France Dumas)

MC Vybz : « C’est la misère qui trouve l’homme, personne ne cherche la misère »

Nous avons partagé de très bonnes ondes en cette fin octobre 2019 avec MC Vybz et Mr Teddy son imprésario qui ont accordé leur première interview en exclusivité à Pernety 14 au bar-restaurant Le Laurier. L’occasion pour nous de nous familiariser avec un genre musical qui n’a pas encore franchi les portes de tous les bars du quatorzième arrondissement de Paris où les rappeurs sont rarement invités à venir se produire.

Un rap conscient et autoproduit

L’envie de rapper est venue à Francis Doua (alias MC Vybz) il y a quelques années quand son colocataire réalisateur le persuade qu’il peut devenir le nouveau Tupac qui est considéré par beaucoup comme le plus grand rappeur de tous les temps. C’est cet ami réalisateur qui va lui suggérer de prendre le nom de MC Vybz et de se lancer dans la création musicale. Celui qui n’essaie pas ne se trompe qu’une seule fois. MC Vybz n’a pas encore 30 ans quand il écrit ses premiers textes. Mais ses premières tentatives ne le satisfont pas et il préfère faire une pause de trois ans avant de se remettre à l’ouvrage. Arrivé dans les Yvelines, il rencontre Teddy par l’intermédiaire d’un ami. Le courant passe si bien entre les deux futurs inséparables que Teddy lui propose de venir composer des textes chez lui. Entouré des ondes positives de son nouveau coach, MC Vybz retrouve rapidement ses sensations. Il crée son premier son, Positif, qui sera bientôt suivi de dix autres : « Encore un de ces jours/Où je pose mon regard sur cette terre/Voir mon peuple dans cette chimère/Se battre dans des situations de merde/Et merde tout cela me donne de la fièvre/[…] ». Le rap de MC Vybz est un rap conscient. D’après internet, le rap conscient est un style de rap qui se caractérise par la dimension politique de ses paroles. Il ne s’agit pas d’une musique partisane mais bien plutôt d’une pratique consciente, politisée et engagée, qui reflète la volonté d’exprimer une vision du monde par le romantisme du rap et qui cherche à porter la parole des plus faibles et moins écoutés dans la société. Internet précise que le rap conscient est particulièrement développé en France bien qu’il n’en soit pas originaire. Beaucoup le considèrent comme le « vrai » rap et certains estiment que les artistes français de rap conscient, même reconnus par le public, reçoivent moins de médiatisation que des artistes dits commerciaux. D’où la difficulté de se produire. Grâce à Teddy, qui a déjà aidé plusieurs artistes à s’auto-produire, MC Vybz va pouvoir diffuser ses propres clips sur YouTube pour les titres phares que sont PositifTrop tard attendraLa misèreEspoirIdéalisme et Fatigué. Teddy est également à la manœuvre pour la création de la page Facebook dédiée à son protégé. Tous les éléments sont donc en place pour assurer la promotion du rappeur qui, privilégiant pour l’instant l’enregistrement en studio à la performance publique, ne s’est pas encore produit en concert.

Mr Teddy et MC Vybz au “Laurier”

Pour créer ses paroles, MC Vybz s’inspire de son vécu et de ses expériences personnelles. Il a beaucoup voyagé sur le continent africain pendant sa jeunesse parce que le travail de son père l’a amené à le faire. Il connait bien la Côte d’Ivoire, l’Angola, l’Afrique du Sud et le Gabon. Arrivé en France à dix sept ans, il navigue entre Asnières-sur-Seine, Courbevoie et Garge les Gonesse pour finalement atterrir dans les Yvelines. Quel message veut-il faire passer ? Que la vie est difficile mais qu’elle vaut la peine d’être vécue. « Mes paroles sont destinées à encourager les gens et à les aider à tenir et à s’en sortir. Elles peuvent être mélancoliques mais elle restent toujours positives. Je ne suis jamais prisonnier de ma mélancolie. Mon but est aussi que les gens réfléchissent à ma musique. Savoir pourquoi je cherche ma voie et où je veux en venir. » Parfois l’envie lui prend de dépasser son cas personnel et de s’engager pour une cause humanitaire, celle des migrants par exemple. Ce sera l’objet d’une chanson à venir. Ce sont toutes ses colères et ses révoltes qui au final nourrissent son inspiration. MC Vybz a produit onze titres pour l’instant. Il récupère ses « instrus » sur internet avec l’aide de son ami Teddy. Mais le plus important reste de travailler le flow. Le flow, c’est le rythme et les rimes des paroles d’une chanson de rap. Car une même phrase peut bien sûr être rappée d’un nombre infini de manières. Le flow peut se concentrer sur le rythme, se rapprocher de la parole ou plus rarement d’une mélodie. C’est l’âme et ce qui fait vivre une chanson de rap. D’où le travail incessant d’affinage et de réinvention du flow. Des heures et des heures de répétition sont nécessaire pour enfin capter le flow définitif d’une chanson. Mais pas question pour MC Vybz d’adopter le flow « dangereux » des Bone Thugs-N-Harmony qui restent malgré tout pour lui des références. Le rap conscient bannit la violence et les excès en tout genre du rap hard de même qu’il répugne au n’importe quoi du rap délire qui peut être à l’occasion soutenu par un bon flow. Résolument positifs et constructifs, MC Vybz et son ami Teddy se consacrent aujourd’hui à leurs projets futurs et travaillent à la réalisation de plusieurs nouvelles maquettes (mixtapes) pour 2020.

Cliquez ici pour accéder à la page Facebook de MC Vybz.

Marc Havet, « plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie »

Comme « les nouveaux vieux » de sa chanson et de son spectacle musical éponyme (*), Marc Havet pète toujours le feu. Difficile d’interrompre l’auteur-compositeur-interprète quand il est lancé ! Il nous a reçu à son domicile de la rue de la Sablière pour nous parler pendant plus d’une heure de musique et de politique en oubliant presque de mentionner son actualité artistique pourtant très chargée. En plus des concerts habituels, Marc prépare en effet la sortie d’un nouveau disque de chansons inédites intitulé « Tais-toi et chante » et la publication d’un livre aux Editions de La Lucarne des Ecrivains qui reprendra les textes de deux cent de ses chansons.

Tombé dans la marmite des musiciens

Marc Havet ne s’en cache pas, il est tombé dans la marmite du barde Assurancetourix quand il était petit : « La musique, j’en fais depuis que je suis né. Ce n’est pas prétentieux de dire ça, c’est vrai ! Je ne sais pas si dans le ventre de ma mère j’en faisais, mais au moins depuis que j’en suis sorti, parce que ma mère jouait du violon en amateur, ma tante jouait du piano, ma sœur ainée également qui a fait le conservatoire et qui a chanté très jeune. Donc, dans ma famille, on faisait de la musique ». En plus d’être musicienne, la famille de Marc s’écarte également volontiers du dogme et des conventions : « Je suis né dans une famille communautaire, je n’aime pas trop ce mot là, mais enfin si, c’était des chrétiens dissidents héritiers de Pascal et des jansénistes qui ne reconnaissaient pas l’autorité de l’Eglise ». Marc se souvient notamment de noces extraordinaires célébrées en région parisienne qui était encore la campagne à cette époque. A seize ans, il fait déjà partie d’orchestres de jazz qui accompagnent de célèbres musiciens américains et français. Quand vient le moment de choisir ses études, Marc opte pourtant pour l’architecture pour rassurer ses parents. Mais pas question pour lui de faire de hiérarchie entre les arts soit disant « majeurs » (architecture, peinture, etc.) et les arts dits « mineurs » dont ferait partie la chanson (« Gainsbourg a dit une belle connerie ce jour-là », nous assure Marc). Bien au contraire, ces différentes disciplines artistiques vont interagir l’une avec l’autre pour nourrir et canaliser l’inspiration du chanteur qui « compose ses maisons et construit ses chansons »« La seule différence, poursuit Marc, c’est que pour construire une maison il faut du pognon, alors que pour faire une chanson il ne faut rien du tout. Pas besoin d’un piano ni d’une guitare, il suffit de se mettre sur un coin de table. Même pas besoin d’un stylo, tu peux la penser dans ta tête ou presque. »

« Le cri primal de la chanson »

Encore faut-il avoir ce talent ou plutôt ce don. Dans un souci pédagogique, Marc s’est essayé à l’organisation d’ateliers de chansons sans que cette expérience soit vraiment concluante. Car si l’on peut apprendre à écrire dans le cadre d’atelier d’écriture voire de poésie, la chanson requiert un talent différent : celui de trouver les tonalités parmi mille différentes sur lesquelles seront chantés les mots. « C’est le cri primal de la musique et c’est ça la chanson. Quand tu as trouvé le truc, les deux notes qui font l’affaire pour prononcer et chanter un mot, il n’y en a rien à faire du piano, de la guitare et du reste. Après tu peux mettre quinze violons, deux guitares, ça c’est autre chose. Juste de l’habillage. » Pour autant, ce talent particulier n’est pas tout et, s’agissant des textes, Marc n’écrit jamais ses chansons au fil de la plume. Tout comme Brassens, il ne se sent pas poète et se méfie des fulgurances de l’inspiration : « Des fois, j’ai une idée sur un mot ou une phrase mais ça dort longtemps dans un tiroir et pour faire une chanson, la finaliser, il y a du boulot ! C’est comme pour une tapisserie, j’ai recommencé dix fois la même chanson. » Bien loin donc les « Illuminations » de Rimbaud et les vers de Verlaine créés sous l’emprise de l’absinthe : si l’inspiration reste première, le travail est là pour la structurer.

 Trenet, l’inspirateur

Les chanteurs qui restent ses références de base sont bien sûr les géants de la chanson française que sont Brassens et Ferré mais peut-être aussi surtout Trenet dont il admire l’œuvre foisonnante et l’humour mordant. Il lui consacre un récital par an tant il est fan de sa poésie familière aux antipodes de celle des poètes classiques. Parce qu’il connait par cœur les répertoires de ses illustres prédécesseurs, Marc s’est pendant des années senti empêché de composer ses propres chansons avant de connaître le déclic vers quarante ans. Au moins quatre raisons à cela : la création du « Magique », le bar-cabaret de la rue de Gergovie qu’il a ouvert avec sa femme Martine suite à la fermeture du « Piano Bar » de la rue Mouffetard où il allait se produire lors d’apéros-concerts en compagnie de pianistes de jazz ; la mort ou le repli artistique des grands ainés qui ne sont pas véritablement remplacés par la jeune génération dans laquelle Marc se reconnait moins ; l’affirmation de sa propre identité artistique qui s’affranchit progressivement des influences passées et se détache nettement de celle des autres chanteurs qui émergent sur la nouvelle scène artistique française ; la politique enfin qui après la victoire socialiste de 1981 aiguise son regard « gauche critique » et lui inspire de nombreux textes. Mais, comme de très nombreux autres artistes français, Marc admet que c’est l’incontournable Trenet qui lui a donné l’envie d’écrire des chansons. Une envie toujours présente chez lui aujourd’hui même si, comme nombre d’artistes également, il a toujours peur de tarir la source et s’il est souvent saisi par l’angoisse ne pas réussir à se renouveler.

Influences d’aujourd’hui

En octobre 1992, une sympathique bande de jeunes fréquentant assidument « Le Magique » témoignent de leur admiration pour Marc en publiant aux Editions Du Pousse Au Cul soixante à quatre-vingt de ses textes. « N’attendez pas qu’il soit crevé pour l’admirer, nous enjoignent-ils en préface. Depuis que Gainsbourg est mort, Marc Havet reste le plus grand chanteur buveur compositeur encore en vie. » Peut-être l’un des deux meilleurs, rectifie Marc avec humour. Il n’est en réalité jamais satisfait de lui même et n’a pour seule ambition qu’aboutir à « quelque chose d’intéressant ». Il reste pour ce faire à l’écoute de tout ce que produit la scène musicale francophone : les classiques contemporains bien sûr (Lavilliers, Thiéfaine, Souchon, etc.) mais également le rap et même les chansons « un peu con con ». Car il fait sa sauce personnelle et son miel de tout : « Souvent on me demande par qui je suis influencé. La vérité c’est que je me laisse influencer par plein de choses et que je le restitue à ma façon ! ». Pour autant, Marc n’a toujours pas trouver parmi les chanteurs du moment sa nouvelle idole. Il reste bien plutôt fidèle aux grands auteurs qu’il continue à interpréter avec bonheur. Sans oublier bien sûr son propre répertoire d’hier et d’aujourd’hui. Ne manquez surtout pas « Marc Havet chante Marc Havet » au Forum Léo Ferré les 30 novembre et 1er décembre 2019 !

(*) « Les Nouveaux Vieux » au Théâtre du Nord Ouest les dimanches 20 et 27 octobre à 14h30 et le mardi 29 octobre à 20h15.

Cliquez ici pour accéder au site de Marc Havet.

Nelly Pouget, dernier dinosaure du jazz contemporain

Nelly Pouget est une véritable star et un personnage incontournable du 14ème arrondissement de Paris. Elle nous a fait l’honneur d’une visite au 25 rue de Plaisance, le siège de Pernety 14, pour évoquer son parcours de musicienne quelques jours avant la projection de Spirale Danse, le film retraçant sa vie, le 14 mars 2018 au cinéma L’Entrepôt.

Le choix instinctif du saxo

La vie en spirale de Nelly Pouget n’a plus de secret pour personne depuis que Jérémie Lenoir y a consacré un film tourné en 2014 et sorti en 2017. Nelly est née à Dijon en Bourgogne le 19 mai 1955 et passe une enfance heureuse au bord de Saône au sein d’une famille de sept enfants. « C’est une période de ma vie que j’ai adorée. Quand j’avais dix ans, on partait tous ensemble en vacances pour de grandes parties de camping sauvage et l’on avait pas moins de six toiles de tentes pour y abriter toute la famille. » Sur ses photos souvenirs, en famille ou à l’école, Nelly occupe déjà le centre de la scène. Son éveil musical date du jour où son frère ainé décide de l’emmener au conservatoire de Dijon où il joue du trombone, plutôt que la laisser s’ennuyer à la maison le mercredi. Elle s’inscrit à la classe de solfège dont le professeur est un joueur de basson, et progresse très rapidement au point d’avaler en une seule année les deux ans d’apprentissage. A quatorze ans, lorsque son professeur lui demande de quel instrument elle souhaite jouer, son choix se porte spontanément sur le saxophone. Il suffit de traverser la cour du conservatoire pour rejoindre la classe de Jean-Marie Londeix, l’auteur d’ « Un siècle de saxophone » et qui est à l’époque la référence française à l’étranger pour cet instrument. Parallèlement à la musique, Nelly suit sans enthousiasme des cours de comptabilité-mécanographie. Sa professeur de dessin qui détecte en elle des talents artistiques lui suggère de s’inscrire à l’école des beaux arts de Beaune. Nelly parvient à obtenir l’accord de ses parents pour le faire et se débrouille pour suivre les cours de cette seconde école d’art malgré les problèmes d’intendance et un différent qui l’oppose à ses enseignants en fin d’année. Nelly s’éprend en effet d’un homme qui n’a l’heur de plaire ni à ses professeurs ni à sa famille et avec lequel elle décide de partir pour l’Afrique. C’est de cette époque que date son amour pour le continent noir qu’elle va atteindre « par la route » en traversant le Sahara espagnol et en embarquant sur un bateau dont elle se souvient encore aujourd’hui des grincements. Les deux tourtereaux s’installent finalement à Ouagadougou où Nelly acquiert une mallette de peinture dont elle va se servir pour peindre les scènes de la vie quotidienne des familles africaines.

Le choix viscéral de la liberté

A son retour d’Afrique, Nelly retrouve le saxo qu’elle a laissé en France chez ses parents. Elle vit quelques temps à la campagne puis monte à Paris suite à sa rupture avec son compagnon avec pour seul bagage son instrument et sa mallette de peinture. Nous sommes en 1981 et elle a tout juste vingt cinq ans. Pour se loger, elle habite une chambre de bonne rue Notre Dame des Champs puis squatte rue Saint Martin et derrière l’Hôtel de Ville. Les anecdotes sur ses années de galère à Paris se bousculent dans sa tête. Elle trouve des petits boulots dont un emploi a mi-temps chez Henri Dessin rue de Rennes. Au marché aux puces de Montreuil et de Saint Ouen, elle vend des chaussures et des vêtements pour les rockers. Elle donne également quelques cours sans accepter de poste officiel de professeure pour conserver sa liberté. Surtout elle commence à composer et en 1982 elle dirige son premier orchestre pour l’Institut Pierre et Marie Curie à l’Université de Jussieu. Elle enchaine tant bien que mal les expériences de conduction d’orchestre, continue à jouer du saxo et à composer mais souffre du sexisme du milieu : « Quand tu es femme, instrumentiste avec un saxophone, compositrice et leader, tu as tout faux car tu as tout ce qu’il ne faut pas dans nos sociétés. J’ai surmonté beaucoup de choses mais ça je ne le savais pas car je suis arrivée avec ma naïveté ». Après avoir bien galéré, elle est sur le point de faire son premier disque en 1987, mais son producteur qui est en pleine période de succession se fait inopinément interner en psychiatrie par ses proches qui veulent l’éloigner de l’héritage familial. Ses amis lui proposent alors de créer un label propre, Minuit Regards, sous lequel elle va produire sa musique, six disques au total. Difficile toutefois d’en vivre avec l’arrivée d’internet qui a fait beaucoup de mal aux musiciens. Car produire un beau disque sous label officiel a un coût. « On est passé à un système dématérialisé où l’on ne maitrise plus rien, où l’on doit avancer de l’argent et où c’est devenu très compliqué car les trois quart des gens téléchargent gratuitement ou quasi et l’on touche que dalle », témoigne Nelly qui pourtant produit une vidéo musicale en 1992 et qui n’a pas dit son dernier mot avec la sortie de l’album « Spirale danse » et d’un film éponyme réalisé par Jérémie Lenoir disponible aujourd’hui en DVD. L’occasion d’y retrouver Nelly au milieu de ses souvenirs et de ses amis d’hier et d’aujourd’hui : sur des documents d’archives avec entre autres Micheline Pelzer, Siegfried Kessler, Sunny Murray et Makoto Sato ; et sur la route entre Paris, la Drôme, la Camargue et la plage de Piémanson.

Cliquez ici pour accéder à la page Wikipédia de Nelly Pouget.

Florence Thépault, la voix des chansons à textes de FIP TA ZIK

C’est au « Chat alors ! », un très sympathique bar-brasserie de la rue Baudouin dans le 13ème arrondissement de Paris que le groupe FIP TA ZIK a démarré sa rentrée musicale 2018/2019. Florence Thépault a irradié de sa présence et de son talent d’interprète le concert du trio qu’elle forme avec Isabelle Le Gouic et Philipe Fegey. Nous lui avons donné rendez-vous au bistrot « Le Laurier » dès le lendemain de sa performance pour qu’elle nous fasse partager sa passion pour les chansons à texte.

Naissance de FIP TA ZIK et baptême des concerts en public

Toujours impeccable et la voix claire malgré ses vingt-quatre interprétations de la veille, Florence, qui préfère se faire appeler Flo, examine les clichés d’amateur que nous avons pris lors du concert. Son choix se porte finalement sur une photo où elle apparait radieuse et souriante : « Oui, elle est bien celle-là parce que je suis souriante et naturelle. Enfin c’est moi, quoi ! Et puis c’est joli avec le mur en briques derrière ». Mais pas question pour Flo (F) d’oublier ses partenaires de scène Isabelle (I) et Philippe (P). Pour nous aider à illustrer notre article, elle nous fournira elle-même une photo du trio FIP TA ZIK prise dans le cadre moins confiné du parc Montsouris. Une telle sollicitude nous oblige à redoubler d’attention pour l’interview et l’enquête commence sans que nous prenions même le temps de commander un café. Voilà maintenant trois ans, nous apprend Flo, que le groupe se produit en concert. Tout a commencé une poignée d’années auparavant lorsqu’elle rencontre Isabelle qui est déjà la compositrice de nombreuses chansons qu’elle interprète à la guitare. Flo a le coup de foudre pour l’une d’entre elles intitulée « Une nuit à Paris ».  « C’est exactement le genre de chansons que j’adorerais chanter », lui confie-t-elle. Isabelle lui offre sans hésiter la possibilité de l’interpréter à sa guise. Les deux amies constatent que leur voix se mélangent harmonieusement et prennent l’habitude de s’exercer sur d’autres chansons en caressant l’espoir de pouvoir un jour se produire ensemble en public. Elles se mettent alors à la recherche d’un guitariste qui pourra les accompagner lors de concerts une fois qu’elles se sentiront suffisamment au point. Elles sollicitent en 2014 le concours de Philippe, un musicien de rock et de country, que Flo a rencontré il y a déjà quelques années par l’intermédiaire de son ami musicien Jean-Pierre Torlois. Après avoir écouté les enregistrements qu’elles lui soumettent, Philippe se déclare intéressé par le projet des deux femmes. Les trois partenaires commencent à répéter en se distribuant les rôles au sein du groupe. Philippe se charge de transposer, modifier et enrichir certaines mélodies des compositions musicales d’Isabelle que son auteur trouve parfois trop simplistes. Et il compose lui-même à l’occasion les musiques des textes nus produits par Isabelle. Flo, l’interprète du trio, se propose quant à elle d’ajouter au répertoire du groupe de nouvelles chansons auxquelles elle ajoute une touche personnelle. En plus de leur passion commune pour les chansons à textes, les membres du trio partagent la même fibre humaine faite de tolérance et de respect mutuel. Les oublis et les étourderies des uns et des autres sont plus le prétexte à un fou rire qu’à une fâcherie et aucune guerre d’égo ne vient altérer la bonne humeur qui préside aux répétitions. Des conditions idéales pour se lancer dans le grand bain des concerts en public auxquels Flo se prépare en pensant très fort à Yvette Guilbert, la célèbre chanteuse et diseuse dont elle admire depuis toujours le talent.

Un répertoire éclectique de chansons à textes

A l’instar d’Yvette Guilbert, Flo aime faire face à son public pour lui raconter des histoires, lui faire ressentir des ambiances ou lui transmettre des images. « J’essaie d’y mettre de ma personne et j’y consacre tout mon cœur. Et je regarde les gens pendant le concert parce que je leur raconte et je leur transmets quelque chose. » D’où sa grande prédilection pour les chansons à textes qui l’inspirent tout particulièrement et dont elle parle en experte : « Dans « Une nuit à Paris » qu’a écrit Isabelle, on imagine très bien sa déambulation dans les différents quartiers de la capitale. Et il faut par exemple bien écouter les paroles du « Mariage secret de la mer et du vent », la chanson d’Yves Simon, pour comprendre l’allusion aux vagues. Il en est de même pour l’histoire de « La fille du geôlier de Nantes » de Romain Didier. » Flo serait bien en peine de fournir la liste des chansons qu’elle prend plaisir à interpréter tant sont nombreuses celles qui se bousculent dans sa tête. Elle aime tout autant faire rire en chantant « Tel qu’il est » qu’émouvoir et voir son public fondre en larmes lorsqu’elle interprète « Göttingen » de Barbara. Toutes les chansons de son répertoire la touchent et elle n’imagine de toute façon pas interpréter une chanson qui ne lui plait pas. Barbara, Brassens, Brel, Nougaro, Aznavour, Yves Simon, Souchon et d’autres grands noms de la chanson française peuplent bien sûr le panthéon très éclectique de ses auteurs de prédilection. Mais elle fonctionne aussi par coups de cœur et peut tout aussi bien craquer sur « J’envoie valser » de Zazie parce que la chanson lui donne envie de danser. Elle n’oublie bien sûr pas non plus son ami Jean-Pierre Torlois dont elle chante plusieurs titres lors de ses concerts. Flo a bien conscience que ce n’est pas parce qu’on aime une chanson qu’on est forcément à même d’en recréer l’interprétation et d’en apporter une nouvelle dimension en se la réappropriant. Elle veille d’ailleurs elle-même toujours à choisir pour les concerts les chansons qui correspondent le mieux à sa façon de chanter. Les chansons anciennes, nostalgiques et mélodieuses d’Emile Carrara (« On danse à la Villette ») ou d’Emmanuel Pariselle  (« La Nonchalante ») rentrent tout à fait dans cette catégorie. Mais elle aime également faire goûter à son public des chansons plus légères comme « Plus je t’embrasse plus j’aime t’embrasser » ou bien encore « Le Tourbillon de la vie » et « J’ai la mémoire qui flanche » immortalisées par Jeanne Moreau. Des succès que le public conquis aime à reprendre en chœur avec elle. Et c’est bien là la plus belle récompense pour celle qui n’est motivée que par le partage du plaisir de chanter.

Cliquez ici pour entendre « Une nuit à Paris », ici pour entendre « Quelque chose qui dénote » et lancer la vidéo ci-dessous pour des extraits du concert donné en novembre 2019 au Jazz Café Montparnasse.

Quand l’énergie devient art (Roland Erguy (*), professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur)

Pernety 14 creuse résolument son sillon dans le Village Pernety et le site de l’association reçoit aujourd’hui les visites de plus en plus nombreuses des habitants du Quartier tout à la fois curieux et émus d’en découvrir ou redécouvrir les acteurs et les lieux les plus pittoresques. Cette semaine, c’est Colette qui nous a contactés après avoir lu quelques-uns des articles publiés sur notre blog pour nous mettre sur la piste de Roland Erguy, professeur de Tai-Chi et artiste sculpteur.

« Technique de boxe du faîte suprême » : le Tai-Chi, entre art martial et gymnastique de santé

Roland Erguy est né à Paris en 1952 d’un père basque et d’une mère d’origine italienne. A l’issue de ses études secondaires au lycée Chaptal, il décroche un diplome d’imprimeur avant de partir faire son service militaire. Il rentre ensuite par concours à la Mairie de Paris au sein de laquelle il va faire toute sa carrière dans l’imprimerie et la décoration florale. En parallèle de ses activités professionnelles, Roland pratique dès le plus jeune âge différents sports dont notamment le judo qui le sensibilise à l’importance de la maitrise de l’équilibre du corps et de son centre de gravité. Il découvre le Tai-Chi avant même de partir à l’armée mais lui préfère pendant plusieurs années d’autres activités plus « dynamiques » comme la voile, la danse, le théâtre, etc. Son partenaire de théâtre l’amène à reconsidérer son appréciation de départ et le remet sur la voie du Tai-Chi en l’initiant à ses principes de base. C’est le déclic qui le poussera à se rendre à la fédération de la rue de Babylone pour y pratiquer pendant quatre ans cet art martial chinois « interne » et obtenir un diplôme de formateur grâce auquel il pourra enseigner la discipline dans plusieurs centres de quartier. Roland transmet la forme yang du Tai-Chi qui est sa forme la plus courante en Chine. Tai-Chi signifie textuellement « technique de boxe du faîte suprême ».  C’est un art martial autant qu’une gymnastique de santé et un travail psychique et spirituel autant que corporel puisqu’il fait fonctionner en même temps le corps et l’esprit. Le Tai-Chi a pour objet le travail de l’énergie appelée chi et consiste en un enchainement de mouvements circulaires et réalisés à la même vitesse qui ont été codifiés dans les années vingt. Ceux qui le pratiquent se concentrent sur le maintien du corps, du souffle, du centre de gravité du corps et sur l’enracinement du poids du corps vers le sol. Roland est intarissable sur les bienfaits physiques, psychiques et spirituels de la discipline qu’il enseigne et il pourrait également disserter pendant des heures sur les origines de cette pratique chinoise ancestrale et les principes du Tao qui la fondent. Il insiste sur le fait que tout le monde, quel que soit son âge, peut pratiquer le Tai-Chi pour son plus grand bénéfice. Il réunit actuellement tous les jeudis dans le cadre d’un cours d’une heure trente délivré dans la salle municipale polyvalente du 12 rue du Moulin des Lapins à Paris 14ème une dizaine de personnes très motivées dont Colette et quelques autres habituées constituent le noyau dur. Le cours est divisé en plusieurs séquences complémentaires : le travail du plexus et de la respiration qui se fait essentiellement au sol ; ensuite, les mouvements de yoga tibétain et les exercices d’étirement du corps ; enfin, le Tai-Chi proprement dit qui n’est ni plus ni moins qu’une méditation en mouvements. Roland nous en fait une démonstration d’un quart d’heure à l’issue de notre entretien dans le petit jardin public de la ZAC Didot qui jouxte la Place de la Garenne. Il enchaine devant nous sur fond de musique chinoise une série de mouvements aux noms très évocateurs (« caresser la queue de l’oiseau », « le simple fouet », « coup de pied en diagonal », « comme un éventail », « la grue blanche déploie ses ailes », « mouvoir les mains comme les nuages », « la fille de Jade tisse et lance ses navettes aux quatre coins de l’horizon », etc., etc.). Le dépaysement est garanti !

La sculpture conçue comme projection du centre de gravité du corps sur les matériaux

« Chercher l’assise et le centre de gravité dans une sculpture », tel est le projet de Roland, professeur de Tai-Chi côté cour(s) et artiste-sculpteur côté jardin. Roland ne puise pourtant pas uniquement son inspiration dans la discipline qu’il enseigne à titre bénévole. Il capitalise également sur son expérience professionnelle à la Mairie de Paris dans les secteurs de l’imprimerie et de la décoration florale. Car tandis que l’imprimerie le familiarise avec la calligraphie et la gravure, la décoration florale lui ouvre les portes de la création artistique ainsi que celles de l’Opéra Garnier, du Palais des Congrès, du Musée Galliera et de mille autres lieux plus somptueux encore. Ses premières sculptures sont celles toutes végétales qu’il conçoit dans le cadre de son métier d’horticulteur. On retrouve dans celles qu’il réalise aujourd’hui (en métal ou en pierre) les arrondis du Tai-Chi et les traces d’une véritable réflexion sur l’équilibre du corps. Qu’il est loin le temps où son professeur lui reprochait d’être « un homme du siècle passé » au regard du caractère un peu figé de ses premières tentatives dans l’art figuratif ! Sa production actuelle est à ce point diverse que Roland a intitulé sa récente exposition « Abstractions » pour englober toutes ses œuvres sous un concept unique. Certaines cultivent le contraste entre le lisse (métal) et le brut (pierre) ; d’autres (comme, par exemple, « Le touareg ») sont réalisées avec du chiffon enduit de plâtre. Roland a bien sûr exposé à la Galerie du Montparnasse qui dépend de la Mairie de Paris dont il a longtemps été l’employé mais également à la Galerie Everarts de la rue d’Argenson après qu’il a été remarqué par certains amateurs d’art. Il y a d’ailleurs laissé un des seuls grands formats qu’il a réalisés dans sa vie faute de place pour le stocker personnellement… Mais pour Roland, l’inspiration est toujours là, qu’il puise dans le Tai-Chi mais aussi ailleurs, pour produire des œuvres originales qui expriment la sérénité et l’équilibre qu’il veut faire partager chaque jeudi à celles et ceux qui le souhaitent dans le cadre de son enseignement.

(*) Roland Erguy s’est malheureusement éteint le 14 janvier 2023. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

Dominique Cros : « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture »

Dominique dans son atelier d’artiste de la rue des Mariniers

Comme tous les artistes authentiques, Dominique Cros n’est jamais où on l’attend car elle ne trouve sa place nulle part. Sa vie est une remise en cause permanente et son parcours une quête perpétuelle d’autres mondes et d’autres réalités. Elle a pourtant connu la célébrité aux Etats-Unis au début des années 90 avec ses planches de dessins de tatouages et un grand succès en France au cours des années 2000-2010 avec sa peinture. Elle se verrait bien aujourd’hui créer et administrer une école ou un centre d’accueil dans un coin perdu de France. Pour l’heure, c’est toujours Paris qui est la source de son inspiration. Elle a bien voulu nous recevoir dans son atelier du 14ème arrondissement où elle a depuis peu élu domicile.

Pionnière du tatouage en France

Dominique Cros est une artiste autodidacte qui ne se souvient pas avoir jamais cessé de peindre : « J’ai peint depuis toute petite, toute gosse, et c’est toujours resté ». De l’école d’art de Cergy-Pontoise où elle passe deux ans après avoir obtenu son Bac ne lui restent que quelques notions sur l’utilisation des couleurs et quelques bases de psychologie et de communication. Mais l’approche très contemporaine de l’art qui est celle de l’école ne lui convient pas du tout. Dès l’âge de vingt-et-un an, elle préfère voler de ses propres ailes en filant avec son ami bassiste à New York où elle commence par réaliser des affiches et des logos pour les groupes de rock de Manhattan. A son retour en France un an plus tard, elle devient illustratrice de revues et de manuels scolaires pour les éditions Belin, puis peintre décoratrice pour les studios de télévision d’Antenne 2. « J’étais archi-timide à l’époque et j’ai voulu travailler dans la restauration pour me débloquer un peu. Au contact de mes clients étudiants, je me suis rendu compte que les études c’était pas mal. Alors j’ai passé un DUT de gestion. Je voulais comprendre ce qu’il se passait autour de moi car je planais complet. » Entre 1983 et 1986, Dominique est assistante de gestion chez Bull et profite de son temps libre pour dessiner. Elle se spécialise dans les planches de tatouages et acquiert une grande notoriété outre-Atlantique pour son travail qui sera primé plusieurs fois aux Etats-Unis : « J’étais super connue à l’époque et j’étais dans tous les magazines de tatouage internationaux au début des années 90 », se rappelle-t-elle. En France, c’est une pionnière dans ce domaine. Elle ouvre plusieurs studios de tatouage à Castelnaudary, la ville dont elle est originaire, ainsi qu’à Nîmes et à Marseille. Le 4ème RE, le régiment de formation de la Légion étrangère stationné à Castelnaudary, lui fournit une bonne partie de sa clientèle. Mais elle reçoit également la visite de personnes venues de tous les pays dont notamment des japonais qui ont vent de son savoir-faire. Elle aime ces rencontres avec des gens venus de tous les horizons qui lui racontent leur vie et lui ouvrent l’esprit. Elle aime également pratiquer cet art primitif qu’elle contribue à revaloriser et dont elle apprécie la difficulté puisqu’il s’agit de réaliser des dessins en trois dimensions sur des supports mouvants. Elle en fait son quotidien de 28 à 56 ans avant de décrocher complètement. « Au bout d’un moment, la boutique ça devient l’industrie. J’avais besoin de passer plus de temps avec chaque client. Et puis, on sature un peu car on fait tout pour les autres qui viennent avec leurs idées. On a envie de faire des trucs à soi, d’exprimer ce qu’on a dans la tête. » Elle prend donc progressivement du champ avec le monde du tatouage et se retire quelque temps à la campagne pour peindre les moulages de corps qu’elle a réalisés. Elle commence à se mettre sérieusement à la peinture au début des années 2000 tandis qu’elle tient « L’Ancre Bleue », une boutique de tatouage qu’elle a ouverte à Marseille. Elle prend l’habitude de se lever très  tôt le matin et de grignoter quelques heures sur ses heures de travail pour se consacrer à la peinture à l’huile qui a sa préférence depuis toujours. Elle commence par peindre des paysages en faisant une série de tableaux sur Marseille. Puis elle monte à Paris en 2009 bien décidée à ne plus faire les choses à moitié et à peindre à plein temps pour améliorer sa technique.

« Renaitre chaque jour », 2014

Des reflets qui offrent une image déformée de la réalité

En délaissant le tatouage pour la peinture, Dominique se sent enfin libre. Même si elle a connu la gloire en tant que dessinatrice de planches de tatouages, pour elle la peinture coule plus de source que le dessin. « Ce n’est pas la même approche, nous explique-t-elle. Parce que la peinture c’est des surfaces alors que le dessin c’est des contours. » C’est pour le tatouage qu’elle s’est mise à dessiner mais sa vocation profonde est celle de peintre, qu’elle va maintenant pouvoir exprimer à temps complet.  Elle emprunte les circuits classiques de la reconnaissance artistique en exposant notamment au Grand Palais au Salon des Artistes Français et en devenant sociétaire de la Société des Artistes Français. De nombreux prix lui sont attribués à l’occasion des différentes expositions auxquelles elle participe à Paris et en région parisienne. Elle expose également quelques années au « Marché de la Création Paris Montparnasse » qui se tient tous les dimanches de l’année boulevard Edgard Quinet. Le succès est au rendez-vous et Dominique peut facilement vivre de sa peinture. Certaines toiles marchent très bien notamment celles qui représentent des aéroports, des gares et certains quartiers de Paris car Dominique excelle à jouer des effets fugitifs de la lumière mis en exergue par de puissants contrejours. Le public est également particulièrement friand des reflets qui offrent une image déformée de la réalité. En poursuivant dans cette voie, elle aurait pu rapidement faire fortune. Mais refaire encore et toujours la même chose ne l’intéresse pas du tout. « Je ne fais jamais ce qu’on attend de moi en peinture, nous confie-t-elle. Je veux rester moi-même. » La vérité c’est qu’elle ne se sent pas très à l’aise et pas vraiment à sa place en compagnie de ses pairs qui l’ont pourtant distinguée à plusieurs reprises. Elle a envie de peindre mais différemment en exprimant ses idées et ses opinions propres tout en restant résolument attachée aux techniques traditionnelles de la peinture auxquelles les peintres contemporains ont justement tourné le dos. Vouloir faire des toiles hyper-contemporaines avec une technique hyperclassique fait d’elle une rebelle dans le petit monde de la peinture d’aujourd’hui. Elle considère que toute une technique ancestrale s’est aujourd’hui perdue, qu’elle n’a jamais pour sa part cessé d’appliquer. « Je me demande si je ne m’engage pas dans une voie de garage en soutenant ces idées car il faut vivre avec son temps ; la peinture c’est peut-être complètement dépassé », nous glisse-t-ellePas de quoi pourtant désespérer celle qui reste convaincue que les vraies choses perdureront toujours et qui n’a pas la peinture comme unique passion. Dominique se réjouit au contraire de vivre cette période d’incertitude : « On ne sait pas trop où on va et c’est ça qui est bien. »  L’aventure ne lui a jamais fait peur et elle compte bien explorer à l’avenir les nouveaux chemins artistiques et professionnels qu’elle aura elle-même choisis d’emprunter.

« La louve du Louvre », 97x162cm, huile sur toile

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