Soda Pop : “J’ai toujours été un touche-à-tout”

Guillaume derrière le bar du “Ton Air de Brest”

Il pétille, Guillaume Soda Pop ! Il pétule même – mais sans jamais se la péter, et c’est pourquoi il inspire d’emblée la sympathie. Il nous fallait quand même creuser davantage pour découvrir la personne qui se cache derrière le barman un peu déconneur du Ton air de Brest, le pub musical breton de la rue Maison Dieu dans le 14ème arrondissement de Paris. Et là, surprise ! Guillaume devient soudainement sérieux quand il parle de ce qui le motive profondément et qui a fini par donner sens à son existence tumultueuse : son livre dont il retravaille toujours l’épreuve finale, ses créations musicales reconnues par ses amis producteurs et DJs, et ses premières tentatives picturales. Rencontre avec un artiste-né qui n’a pas eu d’autre choix que de le devenir.

Tombé sur la tête après une “chute de 34 étages”

Guillaume nous reçoit dans son “antre” de la rue Labrouste entouré de ce qui compte le plus à ses yeux à l’heure actuelle : un synthé dans son coin piano ; un ordinateur, une groovebox et des platines dans son coin DJ ; et enfin des tableaux (réalisés à partir de photos) qu’il a placés au dessus de son divan. Il me fournira également sur la clef USB que j’ai apportée une copie de son projet de livre. “Je me consacre totalement à l’art, je me sens complètement happé par ça, nous dit le barman et programmateur musical du Ton Air de Brest. Pendant dix ans j’avais perdu le mojo et je ne voulais plus faire de musique car j’en avais été dégoutté après le burn out que j’ai fait à l’âge de 34 ans. C’est Patrick Foucteau, le patron du Ton Air, qui m’a remis le pied à l’étrier parce qu’il avait besoin d’un DJ pour un festival qu’il organisait en Bretagne. J’ai racheté des platines et c’est ça qui m’a redonné goût à la musique.” Guillaume raconte dans son livre en préparation intitulé La Guerre des Fous ce qu’a été sa vie chaotique avant son effondrement psychique : une vie de hauts et de bas ponctuée de violences pendant sa jeunesse mais également marquée par une fugitive réussite sociale quand, après un parcours scolaire plutôt moyen, le jeune haut-savoyard est devenu responsable informatique dans un grand groupe dont les bureaux sont basés dans une tour de la Défense. Excédé par sa hiérarchie et déstabilisé par la mort accidentelle d’un ami très cher, il finira par provoquer lui-même, après cinq ans de bons et loyaux services, sa “chute de 34 étages” dans les circonstances rocambolesques qu’il raconte dans son livre. “C’est le truc le plus insensé de ma vie, se souvient l’ex-informaticien. Je me suis définitivement grillé sur le marché de l’informatique”. Sorti des rails d’une existence toute tracée, Guillaume se met alors en tête de rénover un petit voilier de sept mètres tout en enchaînant courageusement les petits boulots (maçon, fromager, charpentier, aiguilleur de camions, bricoleur à domicile, dépanneur informatique, manutentionnaire à quai, etc.) jusqu’à connaître un burn-out alors qu’il atteint sa 34ème année. La Guerre des Fous signé sous un pseudonyme ironique n’est pourtant pas seulement le récit autobiographique d’un touche-à-tout poussé par la vie à certaines extrémités, c’est aussi un roman ésotérique qui raconte l’histoire d’une “épidémie de folie”. “L’écriture est quelque chose d’inné qui m’a toujours accompagné, nous révèle Guillaume. J’ai écrit mon premier livre à l’âge de huit ans et au lycée j’écrivais des nouvelles plutôt que prendre des notes pendant les cours. Jusqu’à ce qu’un jour j’entende un écrivain dire que pour écrire un bouquin il valait mieux avoir quelque chose à raconter, ce qui m’a amené à arrêter d’écrire pendant quinze ans… Mais quand j’ai fait mon burn-out qui m’a conduit au bord du suicide et de la misère, je me suis dit que cela pourrait faire une bonne histoire et je me suis remis à écrire.”

Rue de New York (d’après un tableau photo IKEA)

La revanche d’un “mauvais DJ” aujourd’hui compositeur reconnu par ses pairs 

Contrairement à beaucoup d’autres pour lesquels le sujet demeure tabou, Guillaume ne fait pas mystère de sa bipolarité qui est une pathologie psychique que partagent de très nombreux artistes et créateurs. Si cette “particularité” conduit parfois à prendre des décisions impulsives inconsidérées, elle a également souvent été à la source de la créativité des grands noms qui ont marqué l’histoire de l’art quand ce n’est pas l’Histoire tout court. Guillaume ne se prend ni pour Napoléon ni pour Van Gogh, mais a décidé de suivre son instinct et ses envies en écrivant, en peignant et en composant des créations musicales. “J’ai toujours été un touche-à-tout”, nous dit l’artiste en perpétuel devenir. La peinture, c’est tout neuf. J’ai récupéré dans la rue ce tableau IKEA qui symbolise une rue de New York et sur lequel je voyais plein de signes que je me suis finalement décidé à peindre. Car je me suis rendu compte qu’un peintre ne peint en fait jamais la réalité, mais plutôt ce qu’il perçoit de la réalité. Ca a été une révélation pour moi qui ne connaissais rien à la peinture. Ce tableau-là est mon premier tableau qui a le mérite d’exister et sur lequel je me suis complètement lâché un peu comme un bébé qui babille. J’ai maintenant plein de projets de peinture.” Mais le canal par lequel Guillaume exprime le plus volontiers son énergie créatrice reste la musique qu’il a pratiquée dès l’âge de 15 ans en faisant avec plus ou moins de succès la tournée des bars et des boites de nuits auxquels il a sans relâche proposé ses talents de DJ. “Les platines ont été mes instruments de prédilection pendant 20 ans et quand j’ai connu mes premiers troubles bipolaires à l’âge de 34 ans, j’étais en passe de devenir pro, se souvient-il. Mon burn-out a complètement rebattu les cartes. Mais j’étais au fond un très mauvais DJ quelque part, car j’étais déjà trop artiste et je voulais faire de l’expression musicale en tentant d’apporter un son que les gens ne connaissaient pas plutôt que faire danser sur Annie Cordy ou Patrick Sébastien.” Le besoin de création que Guillaume ressent depuis des années “jaillir en étoile” au travers de ses différentes activités littéraires, musicales et aujourd’hui picturales est maintenant arrivé à maturité et commence à porter ses fruits. “J’ai arrêté de faire de la merde”, nous lâche-t-il provocateur. Preuve en est la reconnaissance de ses pairs compositeurs (Yvon, Mashup Superstars) qui sont devenus ses alliés en musique. Guillaume me fait écouter quelques extraits de ses compositions créées sur Ableton Live avant de manipuler sa groovebox pour interpréter son premier titre live intitulé Roadgame inspiré d’un morceau de Kavinsky (2013). Je lui souhaite bonne chance sur les chemins épineux qui mènent au succès avant de prendre congé.

Cliquer ici pour écouter Roadgame, le premier titre version live de Soda Pop, et l’ensemble de ses derniers morceaux (dont notamment L’exclu, le choix de Pernety 14).
Guillaume devant ses platines

« La marginalité est ma matière de prédilection » (Marie Bataille)

« Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », disait Michel Audiard. Marie Bataille, auteure de littérature pour la jeunesse, partage cette tendresse particulière pour les marginaux et les êtres à part. Aziz, Nono, Mademoiselle Princesse Culotte ou bien encore Adolphe, le chien qui détestait son nom, sont les (anti-)héros atypiques de ses romans destinés aux 6-10 ans. Nous nous sommes rendus rue d’Alésia dans le quatorzième arrondissement de Paris pour rencontrer celle qui leur a donné vie.

Des textes courts réalisés au contact de professionnels

La rencontre de Marie Bataille avec la littérature jeunesse doit plus au hasard qu’à un projet délibérément réfléchi. L’évènement déclencheur se situe au début des années 90 quand elle est sollicitée pour s’occuper des pages Jeux du magazine J’aime lire destiné aux 7-10 ans et édité par le groupe Bayard Presse. Depuis ses études poussées de littérature à Toulouse, l’institutrice a toujours manifesté un goût certain pour l’écriture qu’elle va enfin se décider à exprimer publiquement en proposant à son éditeur un premier ouvrage intitulé Adolphe, aux pieds !. L’histoire du chien fugueur Adolphe qui déteste son nom et qui décide de faire le sourd pour ne plus l’entendre hurler de la bouche de son maître sera finalement éditée chez Milan et rééditée en poche quelques années plus tard avec des illustrations de Michel Tarride. Marie va bientôt prendre goût au travail d’écriture des romans jeunesse réalisés avec le concours des rédacteurs et des chefs de rubriques des différentes maisons d’éditions avec lesquelles elle collabore. « Si l’écriture de l’histoire se fait elle-même très rapidement après que l’idée a longtemps mûri, le travail de correction est extrêmement intéressant car on travaille avec des gens qui poussent au maximum pour que le livre soit le plus réussi possible », témoigne-t-elle. Les romans pour les 6-10 ans sont en règle générale des textes assez courts qui tiennent en cinq petits chapitres illustrés par un dessinateur. Marie va en réaliser une quinzaine qui seront publiés chez Milan, Bayard et Nathan et dont certains seront traduits en italien, danois ou coréen. La peur bleue d’Albertine, Nono et le tableau volé, Mère Rugueuse et les enfants perdus, Mademoiselle Princesse Culotte en sont quelques exemples qui empruntent tant au registre comique qu’au registre tragique. Où l’auteure puise-t-elle donc son inspiration ? « Je pense que c’est une part d’enfant qu’on a en soi car, en fait, ce sont des histoires qu’on se raconte à soi-même », nous dit Marie. Il parait qu’il n’y a de livres qu’autobiographiques. C’est, semble-t-il, également vrai pour les romans jeunesse car l’auteure d’Adolphe, aux pieds ! nous confie qu’il ne faut pas chercher bien loin pour découvrir l’origine de ce premier ouvrage : Marie qui s’appelle en réalité Marie-Louise détestait tout autant qu’Adolphe son véritable prénom pendant ses jeunes années, à une époque où il était perçu comme un peu désuet…

La révélation d’Aziz

Si la littérature jeunesse peut parfois être l’exutoire de conflits psychiques, elle peut également être l’expression d’un vécu personnel. « Ecrire ça guérit de beaucoup de choses, ça soulage le coeur… », peut-on lire au début d’Aziz, escalier D, appartement 27 publié en 2009 chez Milan Poche Junior. Cet ouvrage puise certainement beaucoup dans l’expérience d’institutrice de Marie qui a exercé son métier dans certaines banlieues difficiles d’Ile-de-France, à Bagneux ou à Nanterre. S’adressant aux 9-10 ans, il ne compte pas moins de 18 chapitres et est à ce jour le roman le plus long publié par notre auteure en plus d’être le seul qui soit écrit à la première personne du singulier. Comme tous les héros de Marie, Aziz a « quelque chose de travers » qui le rend unique et attachant. « Je me suis progressivement rendu compte que ce qui m’intéressait particulièrement dans l’enfance, c’étaient les êtres à part et un petit peu monstrueux, les enfants qui n’arrivaient pas à s’intégrer, nous dit l’écrivaine. Ils vont devenir les personnages récurrents de mes livres car j’ai toujours aimé travaillé sur ces enfants qui ne sont pas « comme les autres ». La marginalité est vraiment ma matière de prédilection ». De fait, l’ouvrage qui devait au départ s’intituler Les carnets de Mehmed n’a pas laissé indifférent et a été très bien accueilli notamment dans les écoles dont les élèves des classes primaires ont pu s’identifier au jeune héros qui connait une révélation à la fin du récit. Mais la véritable révélation du livre est bien celle de la qualité de romancière de Marie Bataille qui réussit vraiment à nous émouvoir en nous contant les aventures d’Aziz et de ses copains, les amours de sa soeur Samia et leur combat pour la réinsertion sociale et professionnelle de leur Mère Aïcha. « La littérature pour la jeunesse a été pour moi en quelque sorte une solution de facilité », affirme pourtant l’auteure qui n’a plus publié dans ce registre depuis maintenant cinq ans. L’histoire d’Aziz est à coup sûr un passeport convaincant pour d’autres projets littéraires qui, nous l’espérons, ne manqueront pas d’aboutir dans les années à venir.

Cliquez ici pour une visite sur le blog de Marie Bataille.

Michel Bühler (*) ne met pas d’eau dans son vin (Rouge) !

Crédit photo Anne Crété

Nous nous sommes trouvés un peu démunis lorsque nous avons décidé de consacrer un article de notre modeste blog de Quatorzien à Michel Bühler que nous croisons régulièrement au bistrot Le Laurier à l’angle de la rue Didot et de la rue Pernety où il a son pied-à-terre parisien. Car tout ou presque a déjà été dit sur « Bubu » qui a notamment déjà eu les honneurs de la télévision suisse (cliquer ici pour la belle émission de Manuella Maury sur la RTS Un). Pour autant, l’auteur-compositeur-interprète helvète n’est toujours pas à court d’inspiration et revient aujourd’hui à la charge avec Rouge, un nouvel album de chansons françaises à texte qui affiche clairement la couleur. L’occasion pour nous de lever un verre à sa santé !

« Un connard qu’a jamais dû ramer »

Etre Suisse, cela ne veut pas forcément dire être neutre. Né aux pays des banques, Michel Bühler est un artiste engagé qui n’a jamais mis son drapeau (rouge) dans sa poche. Plusieurs de ses chansons sont de virulentes charges contre le système capitaliste et la course au profit qui saccage la planète, exploite les humbles et laisse les plus fragiles sur le carreau. D’entrée de jeu ou presque, Pour se payer des yachts donne le ton : « Pour se payer des yachts / Et les pétasses qui vont avec / Pour se remplir les poches / De billets verts puant la mort / Pour être les plus gros / Pour être les plus forts / Ils ont violé sans vergogne la terre / […] Ils ont tué la mer et les coraux / […] Ils ont laissé sur le chemin / Terrassés par la faim / Dix millions de gamins ». Plus loin encore en milieu d’album, Ils étaient huit Polonais raconte l’histoire malheureusement tristement banale de travailleurs immigrés exploités puis remerciés par un patron indélicat. Plus de cinquante ans de chansons n’ont pas calmé Michel Bühler – bien au contraire. On a même l’impression qu’il est de plus en plus rouge (de colère), et qu’aucune argutie politique ne saurait venir à bout de la révolte face aux gâchis et aux injustices qui gronde en lui. Tous aux abris quand il tacle notre bon Président Macron dans Papillon de nuit ! : « Un connard qu’à jamais dû ramer / S’ met à dire que de l’autr’ côté d’ la rue / Y a tout l’ taf qu’on veut, qu’ y a qu’à s’ baisser / Moi pauv’ pomme pauv’ con, ben je l’ai cru / Tous les boulots d’ merde m’ les suis tapés / Laveur de vitres frotteur de trottoirs / Par téléphone vendeur de volets / Livreur à vélo dans la nuit noire (au noir!) / Bizarre j’ai pas fait mon beurre / J’ai dû rater l’ascenseur / Mais j’ai pu mesurer la tendresse / Des p’tits chefs qu’ aboient derrière tes fesses ». L’espoir (titre de l’une de ses précédentes chansons) semble vivre loin de ce monde puisque, chante-il dans Sapiens, « Nous n’avons rien appris » : « Pour un Villon, pour un Mozart / Pour un Van Gogh au désespoir / Combien de salauds dans l’histoire / De bourreaux d’ordures notoires / […] Passent les siècles, les empires / Passent les fils passent les pères / A chaque fois pareille et pire / Comme un ressac revient la guerre / A chaque génération / Les cimetières sur l’horizon / Les champs de ruines à l’infini ». Qui va réconcilier Michel Bühler avec la vie ? Les femmes, les copains de bistrots ou bien la poésie ?

Crédit photo Anne Crété

« Chanter c’est vivre un peu plus »

On aurait en effet tort de ne voir en « Bubu » qu’un contestataire dépité de constater que le monde tel qu’il est n’est pas à la hauteur de celui qu’il devrait être. Rouge s’ouvre d’ailleurs sur une chanson de l’attente (et du confinement…) qui n’est rien d’autre qu’une déclaration d’amour à une mystérieuse Nanou… Comme souvent les idéalistes, Michel Bühler est en réalité un sentimental qui cultive un monde intérieur un peu mieux fréquenté que celui qu’il nous est habituellement donné de côtoyer. Une fois éloignés les fâcheux restent l’être aimé et les amis, toutes celles et tous ceux à qui il aime consacrer du temps. Ainsi en va-t-il dans Chanson pour Manuella de la bonne amie qui s’est fait cruellement larguer : « C’est pas parc’ qu’un mec s’est tiré / Manuella / Qu’il faut t’effondrer / Plus bouger rester là / T’as piqué du nez / T’as le cœur en gravats / Ça laiss’ rien debout un amour qu’est plus là / Pourtant cascades et falaises / Soleil couchant sur tes glaciers / L’automne aux branches des mélèzes / A mis de l’or pour te fêter / Bientôt viendra le blanc silence / La neige froid duvet de coton / Ç’ a toujours un vieux goût d’enfance / L’hiver qui nous garde aux maisons ». Quelle meilleure consolation en effet que la contemplation de la nature – ou de ce qu’il en reste encore… ? Pour les citadins, la poésie peut aussi se nicher dans les troquets de quartier avec bien sûr à boire et à manger comme à prendre et à laisser : « […] Voilà qu’verre en main, toujours gaillard / J’ me mets à zoner de bar en bar / J’y croise Dugland Machin Cézigues / L’Informé c’lui qu’ en sait long sur tout / Le Bavard qu’on fuit vu qu’il fatigue / Et Patou le p’tit qu’a les yeux doux / D’accord ça fait peu de Prix Nobel / Peu de « winners » au mètre carré / Et ça s’ contredit ça s’interpelle / N’empêch’ que c’est du monde du vrai / Comme ça rigole aux éclats / Je m’y plonge jusque là / Nuits enfumées jusqu’au matin clair / Je m’ sens comme un poisson dans la mer » (Papillon de nuit). Les années qui passent auront pourtant raison des plus beaux et vigoureux lépidoptères en quête de chaleur humaine et d’authenticité (« Bientôt viendra la fin du voyage / M’en irai sur la pointe des pieds »). Et la nostalgie affleure quand Michel Bühler évoque les souvenirs du grand voyageur qu’il a été (Je me souviens, Jérusalem) et des copains aujourd’hui disparus (Chanson pour Kim). Mais pas question de baisser la garde ou de mettre de l’eau dans son vin (rouge) car le rosâtre ne lui sied guère : « Rouge est la couleur du sang / Qui tant a nourri la terre / Sang d’esclaves de pauvres gens / Sang de femmes ordinaires / A travers la nuit des temps / Combien de larmes amères / Rouge est la couleur du sang / Sur nos drapeaux de misère » (Rouge). Bubu préfère chanter le monde quand bien même il lui fait très souvent voir rouge, car « Chanter c’est vivre un peu plus / C’est respirer à plein ciel bleu […] / Chanter c’est la main tendue / Le coeur qui s’offre généreux […] / Chanter c’est libre et têtu / Veiller, entretenir le feu / C’est espérer que jamais plus / Un enfant n’sera malheureux » (Chanter). Alors chantons et buvons également ! Qui a bu boira, mais avec Bubu point de gros rouge qui tache, plutôt du Rouge auquel on s’attache…

Rouge, Les Editions du Crêt Papillon, 2021, 20 euros.

Pour acquérir Rouge, le dernier album de Michel Bühler, rendez-vous sur son site en cliquant ici. Vous y retrouverez également en libre accès l’intégralité des paroles de ses 236 chansons dont celles de Rouge ici reproduites avec l’aimable autorisation de l’auteur.

(*) Michel Bülher s’est éteint le 7 novembre 2022. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

Jean Yarps, entrevue entre pochoirs et polars

Jean Yarps à la « Galerie One Toutou » des Puces de Saint-Ouen (photo C. Degoutte)
L’univers de Jean Yarps est peuplé de gros pétards – ceux des pin-ups et des gangsters. En bon gainsbourien, ce pochoiriste des premières heures aime jouer avec la dynamite et (ex-)poser ses « bombshells » un peu partout sur les murs de Paris. Il nous a reçu dans son « antre » de la bien nommée rue des Artistes dans le 14ème arrondissement de Paris pour nous faire partager son monde et ses projets.

Du « vite fait bien fait » des débuts au méticuleux travail artisanal d’aujourd’hui

Lorsqu’il débarque à Paris à la fin des années 80, Jean Yarps reste scotché devant de superbes graffitis dans les escaliers de Radio Nova. C’est le point de départ de sa vocation de street artist. Il jette son dévolu sur la technique du pochoir qui permet d’intervenir « vite fait bien fait » dans la rue sans encourir les foudres de la maréchaussée et avec un résultat souvent bluffant. C’est l’époque des pochoirs monolayer, transgressifs et clandestins, la belle jeunesse de l’art urbain… Yarps assume et revendique complètement le côté punk et underground qui est l’âme du street art. Il trouve également dans la provoc et les images choc un exutoire à sa timidité naturelle. Dans les squats parisiens qui accueillent ses oeuvres, il fait la connaissance d’artistes qui partagent la même sensibilité (SP38, Pedrô!, Momo, Mick, Eduardo, Basalt, Le Bateleur, etc.) et avec lesquels il va former le collectif de la Zen Copyright dont la devise « Besoin de personne en art laid ! » annonce la couleur à tous ceux qui se réclament du Beau… Expulsion après expulsion, les membres de la joyeuse bande de vandales vont ouvrir de très nombreux espaces dans différents arrondissements de Paris tout en couvrant les rues de la capitale de leurs productions avant de finalement décider de dissoudre le collectif à la fin des années 90. Sous ses dehors rebelles et malgré le nom d’artiste qu’il s’est choisi, Spray Yarps n’aime pas faire les choses à l’envers – dans la vie comme dans sa pratique du street art. Il ne manque jamais de rendre hommage à ceux qui ont été les déclencheurs de sa vocation d’artiste (Jérôme Mesnager, Blek, Speedy Graphito, Kriki, Epsylon, les VLP, etc.) et à ceux qui l’ont accompagné dès ses débuts dans sa démarche personnelle. Le très talentueux photographe Gérard Lavalette, qui est une véritable mémoire vivante des pochoiristes parisiens, a tout particulièrement compté. Yarps est également resté un pochoiriste old school, un artisan qui fabrique ses matrices de pochoir à la main et à son rythme et qui répugne à les faire réaliser au laser de façon industrielle comme tant d’autres le font aujourd’hui. En témoignent les cinq énormes photos-portraits de Gainsbourg qui tapissent le sol de son salon ce mercredi 20 janvier 2021 et qui serviront à la réalisation des cinq matrices multi-layer nécessaires à la production de son prochain pochoir. « J’en ai pour au moins trois semaines de travail à les préparer », nous dit Jean. Sur chaque photo, je découpe la couleur qui m’intéresse. Il faut savoir anticiper ce qui va recouvrir quoi, et cela exige une certaine gymnastique d’esprit. Ce pochoir-ci va être très compliqué à réaliser parce qu’il y a énormément de détails. Si je découpais mes matrices au laser, ça serait différent car ça ne rendrait pas un résultat aussi fin ». Ce nouveau travail effectué à partir d’une photo très connue de Pierre Terrasson, le célèbre photographe de la scène rock française et internationale, aura bien sûr toute sa place parmi les oeuvres qui seront présentées lors de l’exposition organisée en mars 2021 au Marché Dauphine des Puces de Saint-Ouen pour célébrer les trente ans de la mort de Serge Gainsbourg.

Cliquez ici pour visionner « Aux armes ! Etc. », la vidéo de Claude Degoutte présentant la collaboration Terrasson + Yarps et pour assister au moment magique du dévoilement du pochoir.

Photo Jean Yarps

Gainsbourg, Eastwood, Bowie, etc.

Le génial Gainsbourg est avec quelques autres figures mythiques de la musique et du cinéma une source inépuisable d’inspiration pour Jean Yarps. A tel point qu’il est aujourd’hui devenu l’une de ses marques de fabrique. En bon aficionado du géant de la chanson française, Yarps n’a pas manqué d’aller régulièrement honorer de ses pochoirs le mur Gainsbourg du 5 bis rue de Verneuil dans le 7ème arrondissement de Paris. A la fin des années 80, il y a réalisé l’une de ses toutes premières oeuvres, un portrait de l’artiste qui est rapidement devenu populaire. Clint Eastwood dans le rôle de l’Inspecteur Harry, Marilyn et David Bowie font également partie de son Panthéon personnel. Il flotte à vrai dire dans l’appartement de la rue des Artistes de notre pochoiriste une très réjouissante atmosphère « cigarettes, whisky et petites pépées » propre à faire défaillir une néo-féministe. Les pin-ups des années 50 y côtoient joyeusement les gangsters de la mafia. Son sens de l’humour (qu’il a forcément noir…) l’a amené à customiser avec des pochoirs représentants les plus célèbres bandits et braqueurs de banques toute une série d’anciens coffres numérotés de la Banque de France qu’il a récupérés auprès d’un ami ferrailleur (*). Et en vrai fondu de polars, Yarps n’a pas résisté à l’envie de découper les célèbres couvertures de Michel Gourdon illustrant les romans des éditions Fleuve Noir pour les mettre en relief de façon assez saisissante (cliquer ici). Il récupère d’ailleurs volontiers toutes sortes de vieux papiers (livres et journaux) pour en faire les supports de ses pochoirs qui redonnent également vie à des disques vinyles ou des coques de téléphones portables (*). Notre street-artist n’a pourtant pas tout à fait déserté la rue puisqu’il continue avec son complice Claude Degoutte à animer l’opération Film in situ dont le but est de proposer le pochoir d’une séquence culte d’un film parisien à l’endroit même où le tournage a eu lieu. Au programme des réjouissances de ces prochains mois (si toutefois les Mairies l’autorisent) : Delon dans le film Le Samouraï de Jean-Pierre Melville à la gare du boulevard Massena dans le 13ème arrondissement et Bourvil dans le film le Corniaud de Gérard Oury à la place du Panthéon dans le 5ème arrondissement. Yarps reste également fidèle à son pote Eric Maréchal, un passionné et véritable fou furieux de l’art urbain, qui continue à voyager à travers le monde pour faire connaitre les oeuvres de nombreux street-artists français et étrangers en les collant lui même aux endroits les plus appropriés partout sur la planète (cliquez ici). De quoi rendre Gainsbourg définitivement immortel !

Photo Jean Yarps

Claudia Tavares : « Ce que je veux transmettre aux gens, c’est le courage ! »

Elle n’a pas froid aux yeux, Claudia Tavares ! Quatre ans après la publication de L’exclue qui retrace la première partie de sa vie qui l’a menée du Brésil à Paris et à la prison de la Santé, elle récidive en sortant aux Editions Sydney Laurent un nouveau récit autobiographique très pertinemment intitulé La Volonté d’exister (*) dans lequel elle n’hésite pas à « allumer » son ancien patron qui est aujourd’hui un membre influent de l’oligarchie française. L’écrivaine franco-brésilienne nous a gentiment reçu au O Corcovado, le restaurant qu’elle tient avec Seb son mari dans le 14ème arrondissement de Paris, pour nous exhorter au courage qui est la condition de la liberté et de la dignité de toutes et de tous.

Le bonheur de dire non

« Ce n’est pas ordinaire d’être comme moi ! C’est un poids, et il est lourd! ». D’évidence nous ne sommes pas tous du même bois. Celui dans lequel Claudia Tavares a été taillée est à la fois tendre et dur, qui la rend capable d’aimer éperdument les hommes qui le méritent et de tenir durablement tête à tous ceux (et à toutes celles) qui s’avisent de lui manquer de respect – quitte à envoyer tout balader et à se retrouver en fâcheuse posture. Ses origines du Nordeste brésilien de même que son ascendance dont elle ignorait tout jusqu’à il y a quelques années expliquent sans doute pour beaucoup son caractère bien trempé. Claudia raconte dans L’exclue son enfance mouvementée à Garanhuns au Brésil et son arrivée à Paris en 1979 où elle devra se débattre pour échapper au milieu de la prostitution. Il fallait nécessairement une suite à ce récit parfois très dur qui a marqué de nombreux lecteurs. La Volonté d’exister est cette suite des aventures de Claudia écrite dans le même style alerte et enjoué malgré les vicissitudes de la fortune. On y croise Régine Deforges et son fils Franck Spengler, les éditeurs de La femme inachevée qui sera le premier ouvrage que Claudia signera de son nom, lui apportant une fugace renommée. On y découvre également l’envers du décor du monde du minitel rose dans lequel notre héroïne va travailler pendant dix ans entourée de Farid, le premier homme de sa vie, et d’Iza, sa fidèle amie, et au contact très rapproché d’ « El Satanas », homme d’affaire avisé dont il est révélé dans quelles conditions il a fait fortune avant de devenir un grand patron très en vue. C’est sans trop de scrupules que ce dernier se débarrassera comme d’un kleenex de sa très (trop !) dévouée collaboratrice au moment où il décidera de transférer les locaux de sa société dans le 16ème arrondissement de Paris. Il en fallait toutefois bien plus pour anéantir la solide et courageuse Claudia désormais réduite à enchainer les petits boulots, mais également résolue à ne plus tout accepter en échange d’un travail et d’un salaire. Au chapitre intitulé « Le bonheur de dire NON », elle écrit : « J’ai décidé de marcher, d’aller plus loin, comme l’ont fait mes ancêtres. Si beaucoup d’hommes sur Terre ne cherchent que le Pouvoir de Puissance, avec pour seule fin d’écraser leurs semblables, ma quête est d’une autre nature. Mon désir a toujours été de comprendre le Monde, pas celui d’avoir, de posséder, d’accumuler des choses que je n’emporterai pas dans ma tombe. » (page 272).

Une Brésilienne amoureuse de la France et de la vie

Les rêves de Claudia Tavares ne se monnayent pas. Ceux qui l’ont poussé à fuir la dictature brésilienne s’appellent Liberté et Démocratie. Pendant les sept années qu’elle a passé en prison, elle a appris le français et s’est nourrie de culture et de littérature françaises en lisant trois à quatre livres par jour ! Incollable sur Flaubert dont elle a lu l’oeuvre complète, elle porte haut les valeurs du pays dont elle est tombée amoureuse mais dont elle déplore qu’il n’y règne plus la même liberté d’expression. « Les Français (et les étrangers de France) ne mesurent pas la chance qu’ils ont de vivre dans ce pays formidable », nous dit-elle. Les discours victimaires et les jérémiades font horreur à celle qui a traversé les plus difficiles épreuves de la vie en gardant intacts sa joie de vivre, son humour et également une certaine forme d’ingénuité qui transparaissent dans son style très fleuri et qui rendent extrêmement plaisante la lecture de La Volonté d’exister. Toujours plus combative et « gonflée à bloc » au moment de négocier chaque nouveau tournant de sa vie, Claudia est une personne remplie d’énergie positive à qui on ne la fait plus. Celle qui rêvait depuis ses plus jeunes années de littérature française est ainsi revenue extrêmement déçue de ses cours à la Sorbonne : « C’est mou, c’est décousu… Ca parle de la mort, mais ça ne sait même pas ce que c’est ; ça parle d’amour… sans avoir jamais aimé ; ça parle de dignité sans en connaître le sens ; ça parle de la faim… Mais merde ! Comment on peut parler de choses que l’on ne connaît pas ? […] Bye-bye la Sorbonne ! Avoir un diplôme ne fait pas de nous le plus merveilleux des savants, car les rues sont pleines de gens simples, mais qui ont plus de sagesse et de savoir vivre que beaucoup de philosophes autoproclamés ! » (page 277)Rien de plus éloigné d’un polycopié de fac que La volonté d’exister de Claudia Tavarez ! On en sort bien plus heureux et revigoré, avec la certitude qu’on a beaucoup plus de chance de croiser la vraie vie au O Corcovado que sur les bancs de la Sorbonne ou dans les bureaux du nouveau siège social du groupe dirigé par « El Satanas »…

(*) La volonté d’exister, Les éditions Sydney Laurent, 2020 (367 pages, 19,50 euros).

Alissa Wenz, entre 16 heures et 16 heures 39

Photo Pierrick Bourgault

« Entre 16 heures et 16 heures 30,/Courant toujours après le temps/Je fais de ma vie impatiente/Un tourbillon de coups de vent », chante Alissa Wenz. Elle nous aura accordé 38 minutes et 50 secondes d’interview exactement. Autant dire que nous nous en sortons bien ! Car entre sa vie de famille, ses cours, ses concerts et ses livres, il ne lui reste en effet pas beaucoup de temps. Le résultat est à la hauteur de l’énergie déployée puisqu’elle a à nouveau fait salle comble samedi 8 février 2020 au Forum Léo Ferré d’Ivry-sur-Seine devant un public visiblement subjugué. Une artiste aux multiples talents à suivre absolument !

Une Bretonne de Plouër-sur-Rance happée par les arts

Elle est née en région parisienne mais n’y a fait que passer. C’est en fait en Bretagne, entre terre et mer, entre Dinan et Saint-Malo, à Plouër-sur-Rance très précisément, qu’Alissa Wenz a tous ses souvenirs d’enfance. Son père y dirige un centre de formation au travail social tandis que sa mère est responsable d’une association qui s’occupe de livres pour enfants. Elle baigne dans la culture et développe tout naturellement le goût des lettres, de la musique, du cinéma et du théâtre. Avoir une maman littéraire et un papa pianiste doté d’une solide culture classique aide bien évidemment beaucoup. Elle commence à apprendre à jouer du piano dès l’âge de cinq ans et suit des cours jusqu’à l’âge de dix-sept ans au conservatoire de Saint-Malo où elle est également formée au chant lyrique. Pour le cinéma, elle est en revanche complètement autodidacte. C’est au collège qu’elle devient cinéphile en regardant le Cinéma de Minuit de Patrick Brion et le Ciné-Club de Frédéric Mitterrand et en découvrant les chefs d’œuvre du cinéma hollywoodien grâce aux programmes de la BBC dont elle capte les ondes d’outre-Manche chez ses parents. Quant au théâtre, le déclic a lieu à l’âge de seize ou dix-sept ans lorsqu’elle monte avec des amies lycéennes une pièce qu’elles ont écrite et mise en scène et qui sera jouée à deux reprises dans un théâtre de Saint-Malo. Chopin, Schumann, Schubert, Liszt, Apollinaire, Vian, Duras, Zweig, Schnitzler, Brel, Brassens, Sylvestre, Welles, Ophüls, Lubitsch, Truffaut, Demy sont quelques uns des noms qui bercent sa jeunesse bretonne pour assouvir un appétit jamais rassasié pour les arts. Elle choisit tout naturellement la filière littéraire au lycée et obtient à 17 ans un bac L en se demandant ce qu’elle va bien pouvoir faire de sa vie. Certains qui l’ont vue brûler les planches au théâtre de Saint-Malo lui suggèrent d’embrasser la carrière de comédienne mais Alissa préfère continuer ses études. Son dossier de très bonne élève lui permet d’être admise en classe préparatoire au Lycée Henry IV de Paris. Elle saisit cette formidable opportunité en y voyant une chance d’enrichir sa connaissance de la littérature et également de profiter à plein de la vie culturelle parisienne, de ses théâtres, de ses cinémas et de ses salles de concerts. Ayant accompli ses trois années de classe prépa, elle intègre l’Ecole normale supérieure toujours moins par ambition personnelle que pour continuer à y assouvir sa passion pour les belles-lettres. Cela lui permettra d’y suivre une formation théâtrale dispensée par Lionel Parlier et Brigitte Jacques avant de clore sa période d’apprentissage artistique au département scénario de la Fémis.

La chanson, point de rencontre de l’amour des mots, des mélodies et de la scène

Au moment même où elle intègre la Fémis, Alissa décide de se lancer sur scène pour y interpréter les chansons dont elle écrit les textes et compose la musique. Le besoin de créer qu’elle ressent depuis toujours ne l’a jusqu’alors jamais amenée à se considérer comme une artiste, ce serait à ses yeux un peu prétentieux. C’est peut-être cette obsession de la perfection qui l’a poussée à accumuler les diplômes des meilleures et plus prestigieuses écoles pour s’en faire une armure contre la critique. Dans En route, la chanson d’ouverture de son spectacle, Alissa crache le morceau : « J’ai si peur des gens, les jugements/Comme je les redoute ». Elle va pourtant franchir le pas et se produire dans de nombreuses salles à Paris en s’accompagnant au piano pour interpréter ses chansons parfois humoristiques et fantaisistes, parfois mélancoliques et intimes, parfois franchement tragiques. La chanson présente pour Alissa l’avantage de se situer au point de rencontre entre l’amour des mots, l’amour des mélodies et l’amour de la scène et d’emprunter à toutes les passions qui sont les siennes depuis toujours : littérature, musique, théâtre et même – oui ! – cinéma. Car celle qui est devenue enseignante de la matière à l’Ecole normale supérieure après avoir passé l’agrégation de lettres modernes construit souvent ses chansons comme des petits récits invitant le spectateur à embarquer pour un voyage qui lui fait vivre des émotions puissantes. A partir de fin 2017, quand elle se produit tous les jeudis soirs seule sur scène pendant six mois aux Théâtre des Déchargeurs, la chanson prend soudain une place très importante dans sa vie : « Cette expérience a été un déclic, se souvient-elle. Je vivais pour mes jeudis soirs. Comme je rencontrais une forme de chaos dans ma vie personnelle, c’était ce qui me faisait tenir debout. C’est à partir de ce moment là que j’ai pris conscience que la chanson n’était pas quelque chose de périphérique dans ma vie mais qu’elle en était en réalité le centre ». La chanson devient pour elle une véritable nécessité, beaucoup plus forte qu’avant, qui lui permet de surmonter les épreuves personnelles qu’elle traverse, d’exprimer ses souffrances et de les dépasser : « Passé un point de violence en soi, il devient nécessaire d’extérioriser ce que l’on ressent et ce qu’on a accumulé : la création est une alternative à la noirceur », nous dit elle. L’entendre interpréter « Aimer quelqu’un » qui presque clôt son spectacle n’en laisse absolument aucun doute.

Un récit biographique qui retrace l’histoire de sa grand-mère

L’écriture d’un livre peut aussi être un exutoire à défaut d’une thérapie et Alissa publiera très bientôt son premier roman (*). Elle a déjà sorti en 2019 aux ateliers henry dougier dans la collection Une vie, une voix un récit biographique intitulé Lulu, fille de marin qui est une véritable déclaration d’amour à sa grand mère Lucienne Resmond, fille de marin et femme d’aviateur, née en 1928 à Plouër-sur-Rance, le village où Alissa a passé son enfance. « Je sais de ma grand-mère que c’est une femme du XXème siècle. Qu’elle a traversé des évènements, des coutumes, des relations, des chemins profondément ancrés dans leur époque. Qu’elle a vécu une féminité qui était la féminité de celles de sa génération, celles que l’on destinait d’abord à devenir des épouses et des mères, celles qui ont construit leur mariage, leur foyer, alors qu’elles n’étaient encore que des jeunes filles rêveuses, à peine sorties de l’enfance. […] », peut-on lire page 96. Sa grand-mère « Lulu » a encore aujourd’hui les larmes aux yeux lorsqu’elle se remémore le discours intimidant et glaçant qu’a prononcé le curé le jour de son mariage : « […] Je suis effrayé, disait quelqu’un, de penser que la vie dépend de deux ou trois « oui » ou de deux ou trois « non » prononcés de bonne heure. Oui ou non, veux-tu de ce travail, de cette position, de ce pays, de ce maître, de cette alliance, de cette vie ? Vous répondez, et tout est dit. Carrière fixée, peut-être insupportable. Travail fixé, peut-être impraticable. Foyer fixé, peut-être intolérable. C’est dit, c’est fait, ce sera jusqu’au dernier jour. »  Edifiant témoignage d’une époque où la liberté des femmes ne valait que roupie de sansonnet. Les temps ont bien changé, les enfants de Lulu auront vingt ans en 1968 qui balaiera ces conventions sociales d’un autre âge. Alissa est quant à elle résolument une femme moderne : « Je veux simplement être moi », proclame-t-elle dans sa chanson intitulée Les femmes des publicités. D’ailleurs il est bientôt 16 heures 40 et elle a à faire. Au revoir Alissa et merci pour les dix minutes de rab !

Cliquez ici pour accéder au site internet d’Alissa Wenz.

Continue reading Alissa Wenz, entre 16 heures et 16 heures 39

Francesca Dal Chele, la photographe du coin de la rue

Elle a photographié pour nous « l’ennui épais » du confinement. Francesca Dal Chele, qui manie son appareil photo comme d’autres leur stylo pour exprimer ses émotions et ses idées, nous a très gentiment reçu chez elle rue Didot pour nous présenter son oeuvre tout en entre deux.

Parisienne de nationalité

Francesca Dal Chele est née aux Etats-Unis mais ne cultive aucunement ses racines. Car si ses travaux photographiques questionnent la notion d’identité, l’appartenance à un pays n’est pas sa propre histoire. Dès sa petite enfance californienne, cette fille d’immigrés italiens a le sentiment d’être « étrangère » et, à l’adolescence, c’est vers la France que la guide son intuition. Elle décide d’étudier la langue et la littérature françaises à l’université pour se préparer à y vivre et fait à cette occasion un premier séjour à Aix-en-Provence. Arrivée à Paris fin 1978 pour y devenir assistante de direction bilingue, c’est aujourd’hui tout naturellement qu’elle se définit comme « parisienne de nationalité » après s’être fixée il y a 40 ans dans le 14ème arrondissement. Ce sont les hasards de sa vie qui vont être les déclencheurs de sa passion relativement tardive pour la photographie. L’idée lui trottait à vrai dire déjà dans la tête depuis une bonne dizaine d’années car elle pressentait qu’il y avait là un moyen adapté d’exprimer sa créativité en parallèle de son travail. Elle commence par se former avec Mira, un photographe-reporter iranien qui dispense des cours dans une MJC de la rue de Trévise, puis plus tard à l’EFET, une école de photographie parisienne où elle reste un an en cours du soir. Elle approfondit par la suite sa connaissance de la photo en la pratiquant très assidument et forme son regard en analysant les travaux d’autres artistes-photographes. Ses références sont alors Sebastiaõ Salgado et Raymond Depardon avec lequel elle aura l’honneur d’effectuer un stage à l’ENSP d’Arles. « Je voulais comprendre ce qui faisait qu’une image était forte et une autre pas », se souvient-elle. Je me suis rendu compte que j’avais tout à apprendre, mais cela m’intéressait énormément car, dés que j’ai commencé la photo, j’ai senti que j’avais trouvé là le canal pour exprimer mon désir de création ». Sa vocation est née : elle devient en 1986 à 36 ans photographe-auteure indépendante en travaillant dans un premier temps uniquement en noir et blanc et en réalisant elle-même ses propres tirages. 

Dans le chantier de Tarlabasi 360, Istambul 2015 in Quel est ce bruit à l’horizon

Tropisme turc

Elle commence par envisager la photographie comme un moyen de témoigner voire de dénoncer les injustices du monde au travers de ses reportages et s’intéresse tout particulièrement aux cultures traditionnelles mises à mal par la modernité. Ainsi Vies silencieuses, son premier sujet au long cours réalisé en N&B dans les années 90 traite-il de la vie des Touaregs qui sont des anciens nomades du Sahara contraints par les autorités algériennes à une sédentarisation forcée. Ainsi s’intéresse-t-elle également à la Turquie à partir de 2005 qui est l’année du début officiel des négociations pour l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne. « J’ai entendu toute une série de propos négatifs et racistes sur ce pays musulman perçu comme islamiste et finalement arriéré par rapport à l’Occident, se rappelle-t-elle. Comme j’ai grandi aux Etats-Unis où la lutte des Afro-américains pour leurs droits civiques et contre la discrimination a fortement marqué ma manière de penser et d’être, je suis devenue sensibilisée pour toujours aux questions de racisme et de xénophobie et j’étais donc très choquée par ces propos ». Ce qu’elle lit alors à propos de la Turquie ne correspond pas du tout à ce qu’elle a constaté à Istanbul où elle s’est rendue en 2004. Pour se faire une idée définitive de la question, elle décide de visiter la Turquie profonde et de se rendre en Anatolie. Dans le cadre de son travail de documentation préalable indispensable à la construction de son sujet, elle s’intéresse tout particulièrement aux villes de l’Anatolie en voie de modernisation très rapide et dépossédées de leur identité propre par la globalisation économique mondiale. Son objectif va être de témoigner des changements qu’elle pourra observer. « Ce que j’ai vu en Anatolie en 2005 était tout le contraire du pays arriéré peuplé de femmes voilées auxquelles il n’était fait aucune place, que décrivaient certains en France », se souvient-t-elle. Elle tombe en fait complètement sous le charme de ce pays en transition dont le tiraillement entre tradition et modernité, entre pauvreté extrême et gentrification, rentre en résonance avec sa personnalité duale. Elle en garde la trace dans plusieurs séries de photographies visibles sur son site internet, notamment Le Passé de l’AvenirD’où vient ce bruit à l’horizon et Du Loukoum au Béton« De voir combien ce pays formidable est devenu autoritaire et liberticide me désole complètement, ajoute Francesca en faisant référence à la récente actualité. Quand je relis les propos des jeunes Turcs que j’ai retranscrits dans mon livre Du Loukoum au Béton [publié aux éditions Trans Photographie Press], je suis pratiquement au bord des larmes. Que d’espoirs déçus ! »

Sédimentation n° 2, Didot-Eure, 2 avril 2020, Jour 17 (Copyright Francesca Dal Chele)

Photographier l’épaisseur du temps

La démarche de Francesca n’est toutefois pas seulement documentaire. Dès 1995, elle commence à explorer une photographie plus intime, plus distanciée du réel, qui s’appuie sur la richesse des flous pour le transcender. C’est l’idée qui guide sa série de photographies de visages intitulée Archaeus née d’un désir de revenir vers l’humain dans ce qu’il comporte d’universel. Dans Surfaces sensibles, Francesca utilise le flou pour essayer de traduire l’intangible sentiment d’appartenance et la notion de génie des lieux. Sa toute récente série intitulée Sédimentations est quant à elle à l’origine un travail plastique qui réutilise la technique du « palimpseste » déjà explorée à l’occasion de la réalisation de Le Passé de l’Avenir pour se faire cette fois le reflet de l’ennui et de la monotonie ressentis durant le confinement. Ses photos sont l’expression de l’épaisseur du temps s’écoulant sans réel relief et tout juste ponctué de micro-évènements à l’extérieur de son appartement. Afin de donner corps à cette sédimentation de la vie, Francesca a placé son objectif à sa fenêtre et a photographié chaque jour l’angle de la rue Didot et de la rue de l’Eure pour finir par superposer sous Photoshop au prix d’un très minutieux travail technique différentes strates de photographies. Chaque Sédimentation réalisée est le produit de quatre images choisies parmi toutes celles qu’elle a prises le même mâtin. S’il lui arrive parfois d’ajouter à sa construction des personnages prélevés dans d’autres images, la règle est que tous les éléments qui la constituent doivent provenir de scènes observées au cours de cette mâtinée. « Mon objectif est de faire ressentir à la personne qui regarde ces Sédimentations l’épaisseur du temps et le mouvement ralenti de la vie », nous indique Francesca. Le résultat très esthétique est tout à fait à la hauteur de ses ambitions. « Il est également important qu’une image soit esthétique, précise la photographe. Car si elle n’est pas esthétique, les gens n’ont pas envie de la regarder et passent à côté du « message » que l’artiste y a mis. Ce que je dis est tout aussi bien valable pour les images de documentaires subjectifs ou de reportages. Le tout est de se garder de réaliser des images esthétisantes dans lesquelles l’esthétique est plus important que le fond ». Francesca a toutefois naturellement bien conscience que l’interprétation de ses oeuvres peut être éminemment subjective. Ainsi Yann Stenven qui a commenté son tout récent travail pour la revue TK-21 y a vu la « glorification des petit métiers et des métiers de ceux qui malgré le confinement doivent travailler aux fins que tourne un système de plus en plus fou ». Comme si l’oeil critique toujours en éveil de Fransceca avait inconsciemment intégré une dimension politique à sa dernière oeuvre en date. Chassez le naturel…

La mer à Sutt’a a Rocca, Bonifacio (Corse) 2000 in Surfaces Sensibles

Cliquer ici pour accéder au site internet de Francesca Dal Chele et ici pour accéder à l’article de la revue TK-21 consacré à Sédimentations.

 

Lucile Denizot n’a pas peur du grand méchant loup

La liberté fait peur à beaucoup mais certainement pas à Lucile Denizot. Il n’y a guère qu’avant de monter sur scène qu’elle est saisie par le doute. Pour le reste, c’est toujours tout à trac ! C’est souvent d’un seul jet que cette artiste à la spontanéité désarmante créé les textes de ses chansons. Elle ne s’est pas non plus posé trop de questions avant de partir à l’âge de vingt ans comme volontaire sur un chantier de reboisement au Togo. « Just do it ! », telle semble être la devise de cette gauloise brune sans filtre. Une leçon pour tous les frileux de la vie !

Fibre altruiste et tropisme africain

L’enfance de Lucile qui est née à Sancerre dans le Berry fleure bon le terroir, le vin blanc et le fromage de chèvre. Ses grands parents du côté maternel sont des entrepreneurs qui se sont lancés avec succès dans l’affinage et la commercialisation industriels du crottin de Chavignol. Elle est élevée par sa mère, médecin scolaire, tandis que son père exerce la profession de psychiatre addictologue. Après son bac, Lucile s’envole pour le Togo puis le Bénin dans le cadre de missions de reboisement organisées par les Clubs UNESCO. C’est encore l’Afrique qui continue de susciter son intérêt pendant qu’elle étudie les relations internationales à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de Paris. Elle enchainera avec un troisième cycle à la Sorbonne en consacrant son mémoire de DESS à l’allègement du travail domestique en milieu rural sahélien. Après son stage de fin d’études effectué au Burkina Fasso, elle devient chargée de mission au Sénégal pour mettre en place différents projets humanitaires. Le pli est pris : c’est aux autres qu’elle va consacrer sa vie plutôt que la perdre à courir après l’argent. C’est ce qui l’amènera par la suite à devenir animatrice socio-culturelle puis enseignante suppléante à l’issue d’un passage à l’IUFM d’Anthony. Nombreux sont les projets sur lesquels elle travaille, soit en direction des enfants, soit en direction des plus démunis. En 2014, dans le cadre de L’Enfance de l’Art, l’atelier d’arts plastiques pour enfants-adolescents qu’elle a fondé en 2009, elle anime Les Enseignes des enfants où trente six enseignes sont créés par des enfants pour trente six boutiques de la rue Raymond Losserand dans le XIVème arrondissement de Paris. Entre 2016 et 2018, elle devient responsable de l’animation et du bénévolat du centre d’hébergement d’urgence de l’Ordre de Malte abrité par la péniche Le Fleuron Saint-Jean dans le XVème et organise des activités sportives et artistiques ainsi que des sorties et des soirées culturelles à destination d’hommes sans domicile accompagnés de leur chien. Toutes ces expériences souvent effectuées aux confins des activités artistiques ne sont en réalité que le versant professionnel d’une créativité qu’elle exprime par ailleurs par la confection d’œuvres d’art ou l’écriture de chansons.

Reboisement en Afrique à 20 ans

Des bouquets-sculptures aux concerts solo

Car Lucile a en réalité toujours mené une double vie et cultivé le goût des arts. Le goût des objets d’art en premier lieu qui la fait tomber en pâmoison devant la collection de masques africains de sa mère pendant son enfance et qui la fait se transformer en brocanteuse de poche dès l’âge de huit ou neuf ans. Ses premières sculptures datent de 1996-1997 et témoignent de sa passion pour les fleurs en plastique ainsi que de son goût pour la déco des années 50. C’est le début de la série Plastiflores et Florifères, des assemblages ludiques et hétéroclites aux couleurs acidulées qui ont été exposés dans plusieurs galeries et bars parisiens, notamment du XIVème arrondissement. Ces bouquets-sculptures ainsi que d’autres œuvres bois et textile vont lui valoir un certains succès puisqu’elles seront le sujet d’un numéro de l’émission Talents de vie diffusée sur France 2 et de plusieurs articles de magazines de décoration.  Mais Lucile, peut-être saisie par la peur de réussir, préfère arrêter la production et laisser d’autres s’inspirer de ses créations originales. Elle stocke aujourd’hui toutes les œuvres qu’elle a conservées de cette période faste dans son atelier de la rue du Moulin Vert situé à quelques pas de celui où Alberto Giacometti a habité toute sa vie. Lucile n’est pourtant pas seulement une artiste plasticienne. Elle a également écrit plusieurs contes pour enfants toujours à l’heure actuelle inédits et surtout des textes de chansons dont certains ont été mis en musique par Rémi Bienvenu. C’est lui qui le premier a repéré son talent de compositrice de chansons qu’elle n’a de cesse de perfectionner aujourd’hui avec Claude Lemesle qui fut parolier de Jo Dassin. Elle a déjà eu l’occasion de se produire à l’occasion d’une quinzaine de concerts et s’active maintenant à la réalisation de vidéos sur YouTube pour diffuser ses créations le plus largement possible. Méchant Loup dont elle a écrit les paroles et la musique n’est sans doute que la première d’une longue série !

Dans la série Plastiflores et Florifères

Vous pouvez trouver un autre portrait de Lucile Denizot dans Visages du XIVe de Béatrice Giudicelli et France Dumas.

France Dumas croque la vie du 14ème arrondissement

Vous l’avez peut-être croisée le Rotring à la main dans le coin d’un bistrot du 14ème arrondissement occupée à croquer une scène sur le vif. Telle la petite souris des dessins de Plantu, France Dumas aime observer et être le témoin bienveillant de ce qui se passe autour d’elle. Ses dessins et gravures sont la trace de moments précieux, de visages connus ou inconnus ou d’émotions fugaces. Nous l’avons rencontrée entre deux rayons de soleil à la terrasse du bar-restaurant La Place, place Flora Tristan, pour qu’elle nous présente son travail de graveur et d’illustratrice.

Des reportages dessinés inspirés par les spectacles vivants

« C’est ma première terrasse depuis deux mois et demi ! ». Enfin déconfinée, France est visiblement contente de pouvoir s’asseoir à une terrasse de café. Elle a apporté dans son sac un nombre impressionnant de livres et d’éditions rassemblant ses oeuvres dont son Calendrier Perpétuel, Bistrots du XIVe arrt que nous lui avions commandé. Pour illustrer le mois de juillet, on y trouve le dessin d’une terrasse animée du café L’Imprévu qui jouxte le bar-restaurant où nous sommes assis. Voilà une très bonne idée-cadeau pour tous les Quatorziens qui aiment les bistrots dont France a donné une preuve supplémentaire d’amour en publiant aux Editions Autrement un recueil de dessins intitulé Bistrots et Cafés, Paris.

Cette Bretonne de coeur qui est née en région parisienne connait Paris comme sa poche. Elle habite depuis aujourd’hui plus de vingt ans dans le XIVème arrondissement dont elle est un visage si familier qu’elle aurait très bien pu figurer dans l’un des recueils de portraits que Béatrice Giudicelli a consacrés à ses illustres et moins illustres habitants. Au lieu de quoi, c’est elle qui a illustré de son coup de crayon reconnaissable entre tous Visages du XVIe sorti en 2011 aux Editions Carnets-Livres et Figures du XIVe arr. publié en 2017 à Riveneuve Editions. La route a en réalité été longue, qui a mené France vers le dessin et la gravure. « J’ai toujours aimé dessiner, mais je me suis jamais autorisée à en faire un métier sans doute par peur de ne pas être à la hauteur », se rappelle-t-elle. Rien ni personne dans son environnement familial ne la prédestine à devenir artiste. Et dans le lycée élitiste qui est le sien, on prépare les élèves aux écoles de commerce bien plutôt qu’aux études artistiques. Elle commence donc par étudier l’économie à Nanterre jusqu’au niveau maitrise avant de réaliser qu’elle s’est trompé de chemin. Elle bifurque alors vers l’art en passant un troisième cycle de gestion d’arts à la suite duquel elle effectue un stage chez Drouot où elle reste travailler une dizaine d’annéesElle s’y fait l’oeil en visitant tous les jours les salles des ventes. Elle y travaille par ailleurs beaucoup avec un expert en bandes dessinées qui organise régulièrement les ventes aux enchères d’originaux d’illustrateurs connus. C’est le déclic qui va la décider à se lancer elle-même dans l’illustration pour assouvir un désir de dessiner devenu à cette époque quasi-obsessionnel. Tout en travaillant à Drouot, elle suit les cours du soir de l’Ecole Duperré où elle apprend la gravure. « Mais en réalité, j’ai surtout appris à travailler dans les bistrots, précise-t-elle. Parce qu’il n’y avait pas encore l’Internet quand j’ai commencé à démarcher les directeurs artistiques que je devais rencontrer en rendez-vous. Entre deux rendez-vous, j’allais me poser dans un bistrot et je dessinais les gens que j’observais. » De là vient sans doute son goût pour les spectacles vivants (les cirques, les théâtres, les concerts, etc.) qui principalement nourrissent son inspiration.

 

Le Bourgeois Gentilhomme de Jérôme Deschamps (Les Editions du Balcon, copyright France Dumas).

Elle est la fondatrice des Editions du Balcon dont l’ambition va être de publier chaque année une série d’une dizaine de livres illustrant les pièces emblématiques de la saison théâtrale. Le temps d’une représentation, France dessine au Rotring ce qui se joue sur scène sans presque jamais relever la main. Elle capte les attitudes, les mouvements et les expressions des comédiens tout en notant quelques bribes de texte. Ses dessins de théâtre qui constituent la mémoire sensible de moments évanouis sont bien sûr un formidable souvenir pour qui a assisté à une pièce. Elle est également l’auteure de concerts dessinés et de très nombreux reportages dessinés (carnets de voyages ou autres) rassemblés dans des éditions qu’elle fabrique, relie et diffuse elle-même. Elle a aussi illustré plusieurs livres de portraits et d’interviews (dont Aimez-vous l’art ? publié chez Magellan et Cie et réalisé en collaboration avec Frédéric Elkaïm, un ancien collègue de Drouot) et tout récemment J’ai plus d’un vieux dans mon sac, si tu veux je te les prête, un ouvrage publié à Riveneuve Editions qui est le support de la future création théâtrale de Marie-Do Fréval, la directrice de la Compagnie Bouche à Bouche. Ce sont principalement ses rencontres personnelles qui déterminent ses choix de création et d’illustration même si elle est aussi bien sûr amenée à travailler pour des clients institutionnels : La Poste dont elle a réalisé un certain nombre de timbres, Hermès et Orange à l’occasion d’animations portraits, ou bien encore, parmi d’autres, Nestlé dont elle a récemment beaucoup aimé croqué sur le vif les ouvriers des usines de pizzas. En sus du livre d’interviews illustrées réalisées à Montmartre sur lequel elle travaille actuellement, sa marotte du moment, ce sont les puces de Vanves dont elle interroge assidument les brocanteurs. « Comme je m’auto-édite, je peux alimenter mon livre à chaque réédition », se réjouit-elle. Car France, qui est malheureusement toujours en mal de pouvoir occuper un véritable atelier d’artiste, réussit bon an mal an à caser dans son appartement parisien tout le matériel nécessaire à l’édition de ses livres de dessins et même une presse qu’on lui a prêtée pour réaliser ses gravures.

Saint-Malo. Plage du bon secours. Panorama (copyright France Dumas)

Eloge de la gravure

France ne se souvient pas comment est née sa passion pour la gravure. Peut-être parce qu’elle a un cousin éloigné qui en faisait, peut-être parce qu’elle a vu quelques expositions qui l’ont marquée. Elle est en tout cas une ardente défenseuse de cet art qu’un non-initié pourrait trouver un peu suranné : « La gravure permet d’obtenir des matières extraordinaires et d’imprimer en multiples mais aussi de créer des ambiances inédites et d’expérimenter pleins de choses qui peuvent emmener vers des hasards créatifs intéressants. On ne sait jamais à l’avance ce que cela va donner et c’est justement cela qui est passionnant ». France qui enseigne la gravure à l’Académie d’Art de Meudon et au Cesan, une école de bande dessinée & d’illustration du XIème arrondissement de Paris, constate d’ailleurs le regain d’intérêt des jeunes illustrateurs et dessinateurs de BD pour cette technique d’impression artisanale. Son prochain livre intitulé Impressions d’ateliers qui sortira en octobre prochain chez Riveneuve Editions et sera le coeur d’un évènement organisé à la Fondation Taylor évoque justement les ateliers d’impression dont les métiers artisanaux résistent encore au tout numérique en utilisant des machines qui ont plus de deux cent ans d’existence. France est donc intimement persuadée que la gravure a toujours de beaux jours devant elle quel que soit le matériau utilisé : bois, lino, zinc, cuivre et même gomme comme en attestent les couvertures de livres qu’elle a récemment réalisées pour la collection « Pépites » de Riveneuve Editions, la maison d’édition de la rue de Gergovie de plus en plus dynamique au niveau local. D’autant que gravure et dessin peuvent être allègrement mélangés pour insuffler la vie et la couleur du second dans le noir et blanc de la première. France me le prouve en me tendant le leporello, mix de gravure et d’aquarelle, qu’elle a préparé pour le festival Philoscène organisé pour la deuxième année consécutive par Bête à Bon Dieu Production, l’association d’Annie Mako. Les gravures de France sont à ce point suggestives qu’elles ont inspiré à Patrick Navaï, un artiste du 14ème arrondissement, de nombreux poèmes qui ont été publiés aux Editions Carnets-Livres. Elle garde également de merveilleux souvenirs de l’exposition Les Traces de l’Ephèmere organisée au Centre Européen de Poésie d’Avignon à l’occasion de laquelle elle a pu dévoiler au public du festival ses gravures de théâtre. En Attendant Godot de Beckett, Hamlet et Macbeth de Shakespeare, Le soulier de satin de Claudel sont autant de chefs-d’oeuvre dont elle pris un immense plaisir à graver sur un grand zinc les moments les plus forts pour en faire le panorama. France continue à exposer ses gravures tous les ans à la Galerie de l’Echiquier dans le Xème arrondissement de Paris. Courez-y si vous voulez conforter de visu la très bonne première impression que vous ne manquerez pas d’avoir en consultant son site internet (ici) et son compte Instagram (ici) !

Gravure couleur (copyright France Dumas)

MC Vybz : « C’est la misère qui trouve l’homme, personne ne cherche la misère »

Nous avons partagé de très bonnes ondes en cette fin octobre 2019 avec MC Vybz et Mr Teddy son imprésario qui ont accordé leur première interview en exclusivité à Pernety 14 au bar-restaurant Le Laurier. L’occasion pour nous de nous familiariser avec un genre musical qui n’a pas encore franchi les portes de tous les bars du quatorzième arrondissement de Paris où les rappeurs sont rarement invités à venir se produire.

Un rap conscient et autoproduit

L’envie de rapper est venue à Francis Doua (alias MC Vybz) il y a quelques années quand son colocataire réalisateur le persuade qu’il peut devenir le nouveau Tupac qui est considéré par beaucoup comme le plus grand rappeur de tous les temps. C’est cet ami réalisateur qui va lui suggérer de prendre le nom de MC Vybz et de se lancer dans la création musicale. Celui qui n’essaie pas ne se trompe qu’une seule fois. MC Vybz n’a pas encore 30 ans quand il écrit ses premiers textes. Mais ses premières tentatives ne le satisfont pas et il préfère faire une pause de trois ans avant de se remettre à l’ouvrage. Arrivé dans les Yvelines, il rencontre Teddy par l’intermédiaire d’un ami. Le courant passe si bien entre les deux futurs inséparables que Teddy lui propose de venir composer des textes chez lui. Entouré des ondes positives de son nouveau coach, MC Vybz retrouve rapidement ses sensations. Il crée son premier son, Positif, qui sera bientôt suivi de dix autres : « Encore un de ces jours/Où je pose mon regard sur cette terre/Voir mon peuple dans cette chimère/Se battre dans des situations de merde/Et merde tout cela me donne de la fièvre/[…] ». Le rap de MC Vybz est un rap conscient. D’après internet, le rap conscient est un style de rap qui se caractérise par la dimension politique de ses paroles. Il ne s’agit pas d’une musique partisane mais bien plutôt d’une pratique consciente, politisée et engagée, qui reflète la volonté d’exprimer une vision du monde par le romantisme du rap et qui cherche à porter la parole des plus faibles et moins écoutés dans la société. Internet précise que le rap conscient est particulièrement développé en France bien qu’il n’en soit pas originaire. Beaucoup le considèrent comme le « vrai » rap et certains estiment que les artistes français de rap conscient, même reconnus par le public, reçoivent moins de médiatisation que des artistes dits commerciaux. D’où la difficulté de se produire. Grâce à Teddy, qui a déjà aidé plusieurs artistes à s’auto-produire, MC Vybz va pouvoir diffuser ses propres clips sur YouTube pour les titres phares que sont PositifTrop tard attendraLa misèreEspoirIdéalisme et Fatigué. Teddy est également à la manœuvre pour la création de la page Facebook dédiée à son protégé. Tous les éléments sont donc en place pour assurer la promotion du rappeur qui, privilégiant pour l’instant l’enregistrement en studio à la performance publique, ne s’est pas encore produit en concert.

Mr Teddy et MC Vybz au “Laurier”

Pour créer ses paroles, MC Vybz s’inspire de son vécu et de ses expériences personnelles. Il a beaucoup voyagé sur le continent africain pendant sa jeunesse parce que le travail de son père l’a amené à le faire. Il connait bien la Côte d’Ivoire, l’Angola, l’Afrique du Sud et le Gabon. Arrivé en France à dix sept ans, il navigue entre Asnières-sur-Seine, Courbevoie et Garge les Gonesse pour finalement atterrir dans les Yvelines. Quel message veut-il faire passer ? Que la vie est difficile mais qu’elle vaut la peine d’être vécue. « Mes paroles sont destinées à encourager les gens et à les aider à tenir et à s’en sortir. Elles peuvent être mélancoliques mais elle restent toujours positives. Je ne suis jamais prisonnier de ma mélancolie. Mon but est aussi que les gens réfléchissent à ma musique. Savoir pourquoi je cherche ma voie et où je veux en venir. » Parfois l’envie lui prend de dépasser son cas personnel et de s’engager pour une cause humanitaire, celle des migrants par exemple. Ce sera l’objet d’une chanson à venir. Ce sont toutes ses colères et ses révoltes qui au final nourrissent son inspiration. MC Vybz a produit onze titres pour l’instant. Il récupère ses « instrus » sur internet avec l’aide de son ami Teddy. Mais le plus important reste de travailler le flow. Le flow, c’est le rythme et les rimes des paroles d’une chanson de rap. Car une même phrase peut bien sûr être rappée d’un nombre infini de manières. Le flow peut se concentrer sur le rythme, se rapprocher de la parole ou plus rarement d’une mélodie. C’est l’âme et ce qui fait vivre une chanson de rap. D’où le travail incessant d’affinage et de réinvention du flow. Des heures et des heures de répétition sont nécessaire pour enfin capter le flow définitif d’une chanson. Mais pas question pour MC Vybz d’adopter le flow « dangereux » des Bone Thugs-N-Harmony qui restent malgré tout pour lui des références. Le rap conscient bannit la violence et les excès en tout genre du rap hard de même qu’il répugne au n’importe quoi du rap délire qui peut être à l’occasion soutenu par un bon flow. Résolument positifs et constructifs, MC Vybz et son ami Teddy se consacrent aujourd’hui à leurs projets futurs et travaillent à la réalisation de plusieurs nouvelles maquettes (mixtapes) pour 2020.

Cliquez ici pour accéder à la page Facebook de MC Vybz.