Les vitraux hauts en couleur d’Adriana Bellamy, maitre verrier

Au travail à « L’Atelier d’Adriana » du 20 rue Severo (copyright Adriana Bellamy)

Adriana Bellamy se défend d’être une artiste, mais elle a tout d’une grande artiste : la maîtrise de la technique, l’inspiration et le goût de l’innovation. Elle a certes le privilège d’exercer son métier de maitre verrier comme d’autres pratiquent passionnément un hobby, sans autre souci que la satisfaction de créer des vitraux qui correspondent à ses goûts et ses intuitions. Mais elle fait toujours mouche en proposant ses créations à ses clients, ce qui est peut-être la définition du talent. Nous l’avons rencontrée à son atelier de la rue Severo dans le 14ème arrondissement de Paris pour essayer de nous familiariser avec un art qui reste encore réservé aux happy few.

Des techniques modernes appliquées à un savoir-faire ancestral

Lorsqu’Adriana arrive en France il y a trente-sept ans, c’est pour y étudier la photographie en complément du diplôme des beaux-arts qu’elle a obtenu dans sa Colombie natale. Elle ne maitrise malheureusement pas suffisamment bien la langue française pour prétendre passer avec succès l’examen d’entrée à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art, mais s’aperçoit en se promenant à l’ENSAAMA qu’on y forme également des vitraillistes. Elle ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec le travail de peinture à froid sur faux vitrail qu’elle a pris grand plaisir à réaliser en Colombie. Elle parvient à convaincre le directeur de l’ENSAAMA de sa très grande motivation pour devenir maitre verrier grâce à un dossier de candidature qui s’appuie sur une théorie de la couleur et réussit de cette façon à intégrer l’école en tant qu’étudiante étrangère. Elle en ressortira quatre ans plus tard avec le certificat nécessaire à l’exercice de son futur métier. Pourtant l’enseignement qu’elle y reçoit et qui repose exclusivement sur la reproduction de techniques anciennes ne la satisfait pas complètement : « J’apprécie bien sûr la peinture, mais je considère que nous vivons aujourd’hui une autre époque et que les vitraux ne doivent plus être faits comme au Moyen-Age », analyse-t-elle avec du reculPour s’ancrer dans une démarche plus moderne, elle s’équipe de nouveaux outils qu’elle se procure aux Etats-Unis et se familiarise en autodidacte à de nouvelles techniques comme le sablage, le fusing ou le thermoformage. L’approche américaine qui met à la disposition du tout-venant des outils et des machines qui permettent de réaliser des vitraux sans avoir suivi un apprentissage de plusieurs années tranche nettement avec l’acquisition du savoir-faire traditionnel français. C’est d’ailleurs un New Yorkais du nom de Tiffany qui, jugeant le procédé du plomb trop restrictif, a révolutionné vers la fin du XIXème siècle la technique du vitrail en travaillant directement les fragments de verres colorés et les chutes selon une méthode nouvelle à laquelle Adriana a bien sûr recours. Force est de constater que la France n’est pas restée hermétique à ces nouveaux outils et techniques puisqu’ils sont aujourd’hui largement diffusés dans les très nombreux ateliers de verrerie qui ont pris leur essor dans notre pays pour répondre à la demande toujours croissante des particuliers fortunés friands des effets de lumière.

Vitrail Marylin en poudre de verre (copyright Adriana Bellamy)

Des clients toujours bluffés par son audace créatrice

Car le vitrail a le vent en poupe chez ceux qui peuvent se le permettre. Adriana est souvent confrontée à des clients qui désirent ardemment décorer leur intérieur avec un vitrail mais sans vraiment savoir au fond ce qu’ils veulent. Tout son talent va consister à leur proposer une oeuvre qui s’insère parfaitement dans leur habitat mais à laquelle ils ne s’attendaient pas forcément au départ. « Je ne sais vraiment pas comment je m’y prends, mais le fait est que mes clients finissent par me faire confiance, nous confie-t-elle. C’est ainsi que je vends des vitraux que je n’ai jamais dessinés, simplement en discutant avec eux et bien sûr en regardant l’endroit où je vais travailler qui, même complètement nu, est la base de mon inspiration créatrice. Heureusement, jusqu’à présent, tous mes clients ont été pleinement satisfaits. J’ai par exemple réalisé des vitraux de couleur pour des gens qui avaient très peur de la couleur. J’ai aussi parfois des clients qui me demandent de réaliser certaines choses sans que je sache du tout comment je vais m’y prendre pour les satisfaire. Je me débrouille en faisant des recherches par moi-même et je m’en sors de cette manière. » Adriana l’aventurière autodidacte ne cache pas sa fierté de faire des choses que les autres ne font pas. Elle a ainsi réalisé une Marylin en poudre de verre alors que personne en France n’avait avant elle utilisé cette technique pour créer semblable ouvrageElle n’a pas pris pour autant la grosse tête et reconnais volontiers qu’elle ne cultive pas de don particulier pour le dessin d’art : « Je me débrouille pour faire des choses qui ont beaucoup de mouvements, qui sont harmonieuses et j’aime beaucoup la couleur », se contente d’elle de dire. Les clients d’Adriana habitent pour la plupart les quartiers aisés de Paris. Ils la contactent par internet pour décorer leur appartement haussmannien qui souvent ne laisse pas passer beaucoup de lumière. Le vitrail est aujourd’hui très à la mode mais ceux qui en sont amateurs et demandeurs continuent la plupart du temps à se référer à des styles anciens tels le style Art nouveau ou le style Art déco. Adriana se bat fermement contre cette tendance conservatrice car elle estime qu’on ne doit pas faire au XXIème siècle des vitraux comme on en faisait au début du XXème. C’est elle qui le plus souvent pallie le manque d’idées de ses clients et surmonte leurs inhibitions face à l’innovation en leur proposant avec succès des réalisations personnelles et souvent plus colorées que leurs projets initiaux. Les seuls échecs dont elle se souvient sont ceux où elle a été contrainte de se soumettre aux desiderata de ses commanditaires. Redoubler de créativité tout en continuant à se tenir au fait des innovations techniques est pour elle la meilleure garantie de succès. Ses récentes réalisations sont en tout cas la bien la preuve qu’elle est loin d’avoir épuisé toutes les potentialités du genre.

Cliquez ici pour accéder au site d’Adriana Bellamy.

Fenêtre vitrail (copyright Adriana Bellamy)

Claude Degoutte, fotograff des rues de Paris

Nous nous demandons toujours à quel type de personnage nous allons être confronté lorsque nous avons rendez-vous avec un artiste. Ce qui frappe chez Claude Degoutte, c’est sa très grande gentillesse. Loulou, son chat joueur et un peu turbulent, ne s’y est pas trompé, qui en use et abuse pendant que nous parlons street art autour d’un café dans l’appartement de la rue d’Alésia où Claude a élu domicile depuis aujourd’hui vingt ans.

Balades à Paris sur les pas de Brassaï

Claude Degoutte, qui ne court pas après la gloire, préfère nous fournir une série de tags plutôt qu’un portrait pour illustrer notre article. Il est F-O-T-O-G-R-A-F-F depuis 1977, l’année où il acquiert son premier appareil photo reflex après s’être intéressé à la peinture pendant son adolescence melunaise. A l’origine de sa passion jamais démentie pour l’art urbain, il y a sa rencontre avec Graffiti, le célèbre ouvrage de Brassaï paru en 1961 qui va décider de sa trajectoire artistique personnelle tandis qu’il exerce les métiers de journaliste critique de films publicitaires puis de réalisateur de films pour de très gros clients institutionnels. Dès 1984, il photographie les premiers métros tagués et se retrouve propulsé dans les pages de prestigieuses revues telles que StratégiesBàTPilote ou encore Photo Revue. Les années 80 sont créatives à foison, notamment en matière de musique et de publicité. C’est également le tout début de l’art urbain et l’éclosion artistique de ses plus grands maîtres dans de nombreux quartiers de Paris. Le 14ème arrondissement est loin d’être à la traîne du Marais et de Beaubourg puisqu’autant les palissades de la rue de l’Ouest au moment de la démolition de ses immeubles que les façades murées de plusieurs maisons du passage des Thermopyles vont être les supports des oeuvres éphémères des pionniers du genre que sont Ernest Pignon-Ernest ou Jef Aérosol. Depuis le temps qu’il photographie leurs oeuvres, Claude connait bien sûr très bien la production des street artists parisiens, des plus célèbres des années 80 (Miss Tic, Jef Aérosol, Speedy Graphito, Jérôme Mesnager, etc.) aux artistes contemporains qu’il affectionne tout particulièrement (Philippe Hérard, Ender, Seth, Murmure Street, Carole Collage, Ma rue par Achbé, etc.). Il immortalise systématiquement leur travail en en prenant plusieurs photos à l’occasion des balades qu’il aime effectuer aux quatre coins de la capitale. Depuis 2008 qui a marqué le début d’une baisse de la demande pour les films institutionnels, Claude est devenu un flâneur encore plus assidu. En 2012, il décide de faire partager à tous le fruit de ses déambulations quotidiennes sur ses pages Facebook et Instagram en créant le concept « 10000 pas / Paris Street Art » : chaque matin, il met en ligne au moins deux photos d’art urbain sur l’un et l’autre de ces deux supports internet. Ses 10000 pas le mènent à vrai dire le plus souvent à Montmartre, Belleville, Ménilmontant ou dans les Quartier du Marais-Beaubourg ou de la Butte aux Cailles qui sont aujourd’hui les endroits les plus propices à d’heureuses découvertes : « Comme j’y vais régulièrement, je vois ce qui est nouveau, nous précise le photographe. Cela représente quand même plusieurs centaines de photos par semaine. Il y a vraiment énormément de choses et d’ailleurs de plus en plus depuis quatre ans. C’est un peu le miroir aux alouettes car tous les artistes se disent : « Pourquoi pas moi? ». Ils commencent par bombarder tout Paris de leurs oeuvres, mais s’épuisent le plus souvent au bout de quelques semaines. Il y en a à vrai dire très peu qui ont vraiment un style, une force, et qui arrivent donc à durer dans le temps. »

Spray Yarps : premier pochoir « Film in situ » en hommage à Belmondo dans « A bout de souffle » de Jean-Luc Godard (photo C. Degoutte)

Films et Paris in situ

Aujourd’hui, à l’heure de Facebook et d’Instagram, les centaines de street artists parisiens en quête de reconnaissance signent leurs oeuvres. Il est loin le temps où ils hésitaient à le faire de peur d’être interpelés pour cause de vandalisme et de dégradation du bien d’autrui car le street art a acquis ses lettres de noblesse et est aujourd’hui largement reconnu et accepté. Il existe bien sûr toujours une différence entre les oeuvres « sauvages » qui peuvent être effacées très rapidement par les services de la voirie et celles qui sont commandées par des particuliers ou mêmes les mairies pour égayer un immeuble, une rue ou un quartier et dont la durée de vie est évidemment plus longue. Claude s’intéresse à toutes les oeuvres sans exception et en garde une trace photographique dans le format carré qui a sa préférence pour les immortaliser. La superbe fresque de JBC dédiée à la cinéaste Agnès Varda et située rue Charles d’Ivry à proximité immédiate de la rue Daguerre dans le 14ème arrondissement de Paris ne l’a bien sûr pas laissé indifférent. Il a d’ailleurs lancé il y a quelques années avec son complice le pochoiriste Spray Yarps qui habite lui aussi le 14ème arrondissement rue des Artistes (!) l’opération Film in situ dont le but est de proposer le pochoir d’une séquence culte d’un film parisien à l’endroit même du tournage. C’est le pochoir de Jean-Paul Belmondo au carrefour de la rue Campagne-Première et du boulevard Raspail à l’endroit précis où il s’écroule dans la séquence finale du film A bout de souffle de Jean-Luc Godard qui a étrenné la série il y a trois ans. Cette année, de nouveaux pochoirs vont être réalisés dans le 13ème arrondissement à la gare du boulevard Massena pour illustrer une scène du film Le Samouraï dont Alain Delon est la tête d’affiche et rue Watt pour illustrer le début du film Le Doulos également réalisé par Jean-Pierre Melville. Mais ce n’est pas l’unique projet sur lequel Claude travaille actuellement puisqu’il s’active aussi beaucoup depuis un an et demi sur son quatrième livre à paraître, Paris vu par le street art (*), qui sera consacré à l’histoire de Paris illustrée par les  street artists. L’idée est de raconter l’histoire de Paris quartier par quartier à travers des oeuvres de street art reliées à des endroits précis et qui renvoient à des évènements historiques, des écrivains, des peintres, des films, etc. Le peintre franco-chinois Zao Wou-Ki rue Didot, le sculpteur Giacometti photographié rue d’Alésia par Cartier Bresson, la cinéaste Agnès Varda sur sa maison rue Daguerre auront bien sûr en autres les honneurs du chapitre consacré au 14ème arrondissement. De même que le célèbre accident ferroviaire survenu à la gare Montparnasse en 1895 actuellement illustré par une oeuvre de Brusk réalisée sur le chantier du Centre Gaité avenue du Maine. Le projet original de Claude n’a pas manqué de donner des idées à certains artistes urbains dont par exemple HeartCraft qui a recréé dans une oeuvre de street art la célèbre photo du Baiser de l’Hôtel de Ville à l’endroit même où elle a été prise par Robert Doisneau. Un exemple parmi d’autres de l’influence du fotograff Claude Degoutte sur la créativité de ses chers street artists dont il ne se lassera jamais d’immortaliser les réalisations !

Brusk, avenue du Maine, 14ème : évocation du célèbre accident ferroviaire du 22 octobre 1895 à la gare Montparnasse (photo C. Degoutte)

(*) Claude Degoutte a déjà publié aux éditions Omniscience Street Dogs (2017), Paris Street Art, Saison 1 (2ème édition 2018) et Paris Street Art, Saison 2 (2018).

Cliquer ici pour accéder au blog de Claude Degoutte et cliquer ici pour son travail avec Jean Yarps.

Autoportrait 2024 (photo C. Degoutte)

Le 14ème arrondissement au fil des Pages

 

Une du numéro 133 de janvier-mars 2022 de La Page

Nous nous posons des questions à Pernety 14. Après avoir changé de nom, allons-nous maintenant devoir changer de stratégie et totalement nous réinventer pour susciter l’intérêt et attirer de nouveaux lecteurs ? Une enquête s’imposait auprès de notre vénérable concurrent La Page du 14ème arrondissement dont nous avons rencontré la présidente, Françoise Salmon, et son trésorier, Arnaud Boland, pour tenter de percer les secrets de la réussite et de la longévité de la publication préférée des Quatorziens.

Du militantisme à l’information

La Page, qui a fêté ses 31 ans en 2020, n’est pas le premier journal local associatif du 14ème arrondissement de Paris. Il a succédé au 14ème Village fondé en 1977 par une bande de copains, amis de Pierre Juquin et communistes refondateurs, parmi lesquels Gérard Courtois, journaliste au Monde. L’aventure, dont le site de La Page a conservé dans ses archives les vestiges, va durer presque cinq ans jusqu’à l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981. Ce sont les nombreux projets urbains qui voient le jour un peu plus tard dans les années 80 et qui ne laissent ni passive ni indifférente la population du 14ème arrondissement qui seront à l’origine de la naissance d’un second journal local associatif porté en 1989 sous les fonds baptismaux sous le nom de La Page du 14ème arrondissement. Cette nouvelle publication lancée par des militants actifs dans d’autres structures associatives va elle-même connaître des hauts et des bas. « Au moment de la naissance du journal, la municipalité du 14ème était une municipalité de droite et La Page a souvent porté et soutenu les luttes des habitants visant à préserver ce qui pouvait être préservé dans certains quartiers », souligne Françoise Salmon. « D’autant plus que l’arrondissement a bien changé en quelques années », renchérit Arnaud Boland arrivé dans le 14ème en 1977 et témoin de la grouillante activité des boutiques de la rue d’Alésia à cette époque. Vont, entre autres dossiers, être couvertes par La Page la fermeture et la démolition de l’Hôpital Broussais et sa transformation ultérieure, la démolition de l’îlot de l’Eure et sa transformation en cité avec le sauvetage de la Place de la Garenne et du Château Ouvrier, ou plus récemment la Pension de Famille Bauer-Thermopyles et l’opération des Grands Voisins sur le site de l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul. « Aujourd’hui, nous sommes quand même nettement moins militants qu’au début », nous fait remarquer Arnaud qui est rentré dans l’équipe de la rédaction du journal plusieurs années avant Françoise. « Les choses sont en effet un peu différentes car un dialogue avec la population s’est noué depuis l’élection de la nouvelle municipalité, confirme la présidente. Mais La Page continue de se battre pour les choses qui mériteraient d’être améliorées, même si nous ne sommes bien sûr en aucun cas les porte-voix systématiques des collectifs de citoyens qui se forment pour contester les décisions municipales »La Page se veut bien plutôt un journal d’information locale généraliste dont l’objectif est de sensibiliser les habitants du 14ème à toutes les initiatives qui voient le jour dans l’arrondissement en matière d’urbanisme, de culture, de vie citoyenne et associative, de solidarité, etc. La publication se saisit de toutes les problématiques locales importantes dont la bonne compréhension par les habitants nécessite un travail d’investigation approfondi de la part de l’équipe de journalistes. Les grand thèmes tels que l’accès à l’école, l’accès à la santé, la sécurité font ainsi l’objet d’un travail collectif de tous lors de réunions hebdomadaires qui ont lieu dans les locaux du journal au Château Ouvrier. L’objectif poursuivi par l’équipe de la rédaction est toujours d’essayer d’équilibrer les points de vues, et les débats qui peuvent survenir en son sein sont reflétés par la publication d’articles divergents qui illustrent le pour et le contre d’une question.

L’équipe de la rédaction au travail (juin 2020)
Un journal totalement libre et réalisé par des bénévoles

C’est donc au Château Ouvrier, dans ce lieu symbolique de l’identité préservée du 14ème arrondissement, que se réunissent chaque semaine les bénévoles de l’Equip’Page pour débattre du contenu du numéro en préparation. Cette année, les contraintes liées aux confinements ont bien sûr très fortement compliqué la tâche des collaborateurs du journal, d’autant que la pandémie de Covid-19 a réduit à presque néant l’activité associative, culturelle et commerciale de l’arrondissement. Mais rien ne saurait venir à bout de la persévérance des membres de l’équipe de rédaction pour sortir chaque trimestre les 1000 exemplaires de La Page dont certains sont vendus à la criée sur les marchés du 14ème et d’autres dans différents points de vente de l’arrondissement. Le journal ne vit que de ses 180 abonnés et de ses acheteurs au numéro. Il ne bénéficie d’aucune ressource publicitaire ni d’aucune subvention de la Mairie ou d’un quelconque autre organisme, ce qui garantit son indépendance et la totale liberté de sa ligne éditoriale. « D’ailleurs, avons-nous une autre ligne éditoriale que celle de la défense des habitants du 14ème ? se demande Arnaud. Pas vraiment, finit-il pas répondre. Aucune ligne politique précise en tous cas puisque presque toutes les sensibilités politiques sont représentées à La Page. Nous essayons juste d’être aussi objectifs que possible ». Les collaborateurs du journal au nombre d’une douzaine sont exclusivement des bénévoles qui n’ont pas vraiment de rubrique attitrée et qui se répartissent les sujets selon leurs sensibilité et inclination propres. Certains fournissent des photos, d’autres des articles. Le seul rendez-vous récurrent est celui de Jean-Louis Bourgeon, professeur d’université aujourd’hui à la retraite, qui consacre un article à une particularité architecturale de l’arrondissement dans chaque numéro de La Page depuis bientôt quinze ans. Françoise Cochet s’occupe plus particulièrement de la vie associative. Marie-Lize Gall, la présidente de l’Association des Peintres et Sculpteurs Témoins du 14ème se charge quant à elle de faire découvrir les artistes locaux peu connus de l’arrondissement. D’autres liens existent encore avec par exemple la Société Historique et Archéologique du 14ème arrondissement de Paris. Chacun – et on ne citera pas ici les noms de tous les collaborateurs – apporte à vrai dire sa pierre à l’édifice fort de son expérience professionnelle passée : Françoise Salmon a été journaliste pendant 35 ans dans une revue économique et politique tandis qu’Arnaud Boland a lui fait sa vie dans le cinéma. « Cela ne m’empêche pas de m’intéresser à d’autres domaines de l’art », précise Arnaud qui consacrera un article à une artiste locale du collage dans le prochain numéro de La Page. Françoise, la présidente qui sans doute passera la main à la rentrée de 2021, souhaiterait aujourd’hui qu’un sang neuf vienne irriguer la rédaction de La Page après le décès du très regretté François Heintz qui y a collaboré pendant des années en contribuant notamment grandement à sa partie culturelle. La célébration en 2019 autour du célèbre journaliste de Radio France Jean Lebrun du 30ème anniversaire de la publication marque peut-être un nouveau point de départ pour l’équipe de la rédaction afin qu’une fois l’épidémie de Covid-19 oubliée, se tourne une toute nouvelle Page…

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Les tempêtes traversées de Gilles Kraemer, capitaine de Riveneuve Editions

Faut-il nécessairement sortir du cadre pour devenir éditeur ? Gilles Kraemer qui plus jeune rêvait de devenir archéologue s’est tour à tour essayé au journalisme, à l’enseignement et à la diplomatie culturelle avant de reprendre il y a quatre ans les éditions Riveneuve dont les locaux sont aujourd’hui situés au 85 rue de Gergovie dans le 14ème arrondissement de Paris. Il a fait de sa maison d’édition un véritable petit centre culturel au coeur du 14ème avec pour ambition de « raconter le monde aux Français et les Français au monde ». Retour sur le très riche parcours d’un homme impliqué et exigeant.

Les très difficiles heures du journalisme

L’ouverture au monde de Gilles Kraemer date très certainement de son enfance voyageuse. Son père qui travaille pour Renault et qui est resté plus de dix ans en poste à l’étranger s’installe au Koweït alors qu’il a cinq ans. « Je me suis retrouvé à l’Alliance Française au milieu de petits libanais et d’autres jeunes ressortissants de pays étrangers qui parlaient français comme moi et qui d’un seul coup se mettaient à parler une langue que je ne comprenais pas – sans que je comprenne pourquoi je ne comprenais pas », se souvient Gilles. Il découvre l’Egypte au même âge. Plus que les pyramides, c’est le Sphinx qui l’impressionne et le fascine au point de susciter chez lui l’envie de devenir archéologue. Le besoin d’ailleurs et de découverte du monde s’instille déjà en lui, qui déterminera la suite de son parcours et deviendra sa marque de fabrique. Au collège et lycée, sa préférence va aux lettres et au dessin, mais comme beaucoup de bons élèves il poursuit des études scientifiques avant de se réorienter en filière littéraire en s’inscrivant dans les classes préparatoires d’hypokhâgne et de khâgne. Il dit adieu à l’archéologie quand il prend conscience qu’écrire des enquêtes archéologiques ne pourra lui faire bénéficier que d’un lectorat très restreint. Le journalisme lui semble être une bien meilleure option et il décide d’intégrer le Centre de formation des journalistes (CFJ) et de consacrer sa thèse d’étudiant à la presse francophone en Méditerranée. Son service militaire effectué en tant que coopérant en Egypte lui donne une image passionnante de ce métier : tout en assurant des cours à la faculté, il est un collaborateur du journal de langue française Le Progrès Egyptien et négocie la création du nouvel hebdomadaire Al-Ahram Hebdo qui sera promis à un très bel avenir. A son retour en France, il trouve son pays et le secteur de la presse plongés dans une crise noire. Il travaille en tant que pigiste et garde un très amer souvenir de cette expérience : « A cette époque, les journaux dés-embauchaient et j’ai très nettement assisté à la dégradation matérielle et morale de la condition de journaliste. J’ai travaillé pour une quinzaine de journaux et ça a été véritablement quinze problèmes différents : il fallait sans cesse batailler avec ceux qui ne voulaient pas payer, ceux qui revenaient sur leur parole et ceux qui essayaient de mégoter en tirant prétexte que je n’avais pas ma carte de presse pour ne pas me payer en tant que journaliste. Tous des grands journaux pourtant ! ». Gilles rentre alors comme formateur au CFJ où il a étudié et devient l’adjoint puis le responsable des relations internationales de l’école. A ce titre, il donne des cours à l’étranger (à Moscou, au Caire et au Liban notamment), accueille des étrangers en France et monte différents programmes sous financement du Ministère des Affaires étrangères dans le cadre d’une mission générale visant à assurer le rayonnement de la pensée française dans le monde. Il quitte le CFJ au bout de neuf ans alors que l’école connait une profonde restructuration : « A ce moment là, l’école était en train de couler. Elle venait d’être rachetée après avoir fait faillite deux fois. Son mode de gestion paritaire issu de la Résistance ne fonctionnait plus et elle a malheureusement fini par être rachetée par des marchands de soupe ». Gilles qui n’aime pas du tout le nouvel environnement de travail dans lequel il doit évoluer accueille avec soulagement la proposition que lui fait le Ministère des Affaires étrangères : prendre la tête du centre culturel de Ramallah en tant que chargé de coopération à l’ambassade de France, un poste qui requiert une solide connaissance du monde arabe en plus d’une bonne maitrise de la langue allemande dans la perspective d’une collaboration avec le Goethe-Institut.

La petite gestion de la diplomatie culturelle française

Gilles envisage sa nouvelle fonction de chargé de coopération à l’ambassade avec autant d’enthousiasme qu’il avait envisagé auparavant le journalisme et l’enseignement. S’il a enseigné au CFJ, il n’a pourtant jamais pu réussir à se faire coopter au sein du système universitaire français quand bien même sa thèse a été reçue avec les félicitations du jury. Qu’à cela ne tienne, la diplomatie culturelle l’agrée tout autant. Il est à l’époque bardé de certitudes quant à l’utilité du soft power. A Ramallah, la capitale administrative de fait de l’Autorité palestinienne, il va tenter de coordonner autant que possible l’action du centre culturel français dont il est à la tête avec le Goethe-Institut allemand. La mission dont il est chargé le motive d’autant plus qu’elle lui est confiée au moment même où les Français et les Allemands s’associent pour essayer de s’opposer à la Guerre en Irak. Il s’agit, par la culture et les bonnes pratiques, d’aider et d’encourager l’Etat palestinien à se structurer de façon indépendante, démocratique et vivant en paix avec son voisin israélien. Même s’il se souvient de formidables réalisations culturelles, force lui est aujourd’hui de constater l’échec total de la démarche. Sa mission suivante en tant que de chargé de coopération à l’ambassade de Sarajevo n’est guère plus concluante. Il s’agit ni plus ni moins d’aider la Bosnie-Herzégovine à se structurer pour rentrer dans l’Union européenne . « A chaque fois, il y avait de beaux enjeux. A chaque fois, j’y croyais. Et à chaque fois, j’ai vu l’étendue du désastre politique », se souvient-il un brin désabusé. Il est également frappé par la lourdeur administrative française, le manque de vision du ministère qui l’emploie et la petite gestion sans ambition des carrières de ses employés. Travailler avec des gens qui ne croient pas vraiment en ce qu’ils font et qui ne vivent que pour leur statut social et leur salaire de fin de mois ne l’enthousiasme guère. C’est le directeur des éditions Riveneuve qui va finalement l’aider à surmonter sa déception en lui proposant de diriger une collection.

Le 85 rue de Gergovie

Un éditeur introuvable

A l’origine de cette rencontre se trouve une autre frustration : celle qu’il éprouve quand, à l’instigation de quelques amis, il se met en tête de publier les chroniques qu’il écrivait au fil de l’eau lorsqu’il était en poste à Ramallah. Une fois rentré en France, il se met à la recherche d’un éditeur en activant son réseau personnel afin de rentrer en contact avec les meilleurs d’entre eux. Il se rend compte à cette occasion qu’écrire sur la Palestine est en France un peu tabou et que personne n’ose prendre de risque sur ce sujet précis. « J’ai bien sûr trouvé cela absolument scandaleux dans la mesure où je me trouvais complètement légitime à exprimer mon point de vue sur ce que j’avais vécu, s’insurge-t-il encore aujourd’hui. Mon témoignage était d’autant plus intéressant qu’il reflétait un point de vue franco-allemand et qu’il avait été écrit pendant une période marquée par la mort d’Arafat et qui s’achevait avec la négociation d’Annapolis censée être la négociation de la dernière chance. Il y avait donc beaucoup de choses à raconter. » Une réponse convenue de refus sanctionne chaque envoi de manuscrit. Seule une éditrice, qui avait publié par le passé un ouvrage de témoignage sur la Palestine, lui confie que cela lui a valu de nombreuses insultes et qu’elle ne tient pas à renouveler l’expérience. Il n’y a au final que le patron des éditions Riveneuve qui s’engage à le publier si sa recherche d’un éditeur n’aboutit pas. Ainsi naît la collection Jours tranquilles à … dont il va lui être confiée la direction après la publication de Jours tranquilles à Ramallah. Elle raconte la vie quotidienne dans des endroits dont on pourrait croire en écoutant les média mainstream qu’ils ont été désertés de toute vie et de toute animation. Ce concept original séduit de nombreux journalistes, diplomates et humanitaires et Gilles n’a aucun mal à recruter des candidats pour cet exercice de journalisme d’auteur. A Jours tranquilles à Ramallah succèderont ainsi Jours tranquilles à Kaboul, Jours tranquilles à Gaza, Jours tranquilles à Alger, Jours tranquilles à Tunis, etc., qui sont les chroniques de villes dans lesquelles la situation s’est dégradée et dont justement il importe de raconter l’évolution des jours les moins tranquilles. Gilles se prend si bien au jeu de l’animation de cette collection que son éditeur lui propose de prendre la relève de la maison d’édition. Il saisit cette occasion pour aller enfin au bout de ses envies et intuitions en restructurant, en rajeunissant et en féminisant les éditions Riveneuve et en les dotant de nouveaux locaux, d’un nouveau logo et d’un nouveau site internet qui actent du changement de cap de la maison. Quel meilleur atout que son remarquable parcours pour remplir la mission qu’il s’est donnée « d’aider modestement au rapprochement et à la compréhension des peuples » ?

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Vincent Luccarini (*), le parrain corse du Quartier Pernety

Crédit photo : Yann Boutouiller

« Attends, bouge pas ! », c’est l’expression favorite de Vincent Luccarini quand il vous raconte une anecdote ou se lance dans une explication. Mais aujourd’hui c’est à lui de prendre la pause pour Pernety 14 qui se fait un plaisir de vous faire découvrir cet homme chaleureux et sympathique qui hante le Quartier Pernety et ses bars depuis vingt ans au point d’en être devenu le véritable parrain respecté par toutes et tous. C’est le chouchou de ces dames à qui il sait parler et offre régulièrement des roses (il connait tous les vendeurs de roses de Pernety) et le pote de tous les fidèles du Quartier avec lesquels il trinque au comptoir des bistrots. Vincent « le coco » qui toujours porte beau habillé d’un élégant costume-cravate n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. On l’aime pour ses excès et ses colères homériques. Hommage à un sacré personnage du Quartier Pernety.

Une carrière de conseiller technique dans le papier

Au départ, il voulait être marin. Mais cela n’eut pas l’heur de plaire à son père qui refusa de lui donner l’autorisation de s’inscrire à l’Ecole Navale. C’est donc un peu par accident, et après un essai non-concluant en mécanique, qu’il devient apprenti lithographe, dès l’âge de quatorze ans, grâce à une relation de sa mère dont il assure par ailleurs les fonctions de concierge à Paris. Muni de son certificat d’études obtenu trois semaines après avoir commencé à travailler, il prend immédiatement goût à son travail à l’imprimerie Courbet située rue de Charonne dans le 11ème arrondissement de Paris. Il apprend le métier de receveur puis de margeur pendant deux ans dans des conditions de sécurité parfois extrêmement limite. Le sparadrap coûtant trop cher, c’est en les couvrant de papier collant qu’il se protège les mains (!). « Au début j’avais peur, se rappelle-t-il. Comme tous les grouillots, j’étais bousculé et je prenais des coups de pied au cul. Les temps ont bien changé. » Mais Vincent veut progresser rapidement et toucher à tout pour connaître à fond le métier d’imprimeur. Il devient offsettiste pour suivre l’évolution technologique. Afin de s’aguerrir et évoluer plus rapidement, il change d’entreprise et rejoint la Photolith, une société très réputée pour la qualité de son travail et qui imprime les cartes géographiques pour l’Institut Géographique National (IGN) et pour Michelin de même que les couvertures de Reader’s Digest. L’ambiance de travail y est très bonne. Les machines offset lui paraissent énormes et bruyantes mais les ateliers sont spacieux : « Ce n’était pas de l’esclavage mais on ne rigolait pas. Il n’y avait pas de vraie tension sociale et nous n’étions pas mal payés. J’étais jeune et insouciant mais surtout je voulais apprendre et faire mon trou. Alors je bossais dur. » Puis il entre aux Encres Lorilleux à Puteaux où il est affecté au service technique chargé de tester les diverses qualités des encres, c’est-à-dire d’en évaluer l’aspect, la viscosité, l’imprimabilité, le poisseux, la colorimétrie et la siccativité en fonction des différents supports papier. C’est aussi là qu’il découvre et teste d’autres procédés d’impression comme la typographie, l’héliogravure, la flexographie, l’aniline, etc. Après avoir accompli son service militaire en tant que pompier de Paris entre dix-huit et vingt ans, il entre comme cadre à Aviaplans à Suresnes, une entreprise qui s’occupe de photo aérienne pour Dassault. Il initie les ouvriers de cette imprimerie typographique à l’offset dont il est chargé du développement du service : « Je leur ai fait acheter des machines en leur faisant faire de la couleur plutôt que du noir. J’ai fait du sacré boulot là-bas, qui était reconnu par les clients de mon employeur ». Il rencontre par la suite Jacques Dambry, un copain d’école qui travaille chez Desgrandchamps, une imprimerie située boulevard Brune dans le 14ème arrondissement de Paris qui cherche un responsable pour son service offset. Il saute sur l’occasion et en six ans transforme totalement le service en achetant de nombreuses machines et au point de faire passer sa part dans le chiffre d’affaires de l’imprimerie de 5% à 95%. Son tempérament accrocheur le fait repérer par Jean Granet qui travaille aux Papèteries de l’Aa et qui lui propose de lui céder sa place pour lequel il ne trouve aucun remplaçant à la hauteur : « C’est un métier pour vous », lui assure-t-il. C’est le début de sa carrière de conseiller technique indépendant dans le papier qui va le mener à des postes bien rémunérés de groupe industriel en groupe industriel et de pays en pays (du Japon aux Etats-Unis et Canada en passant par tous les pays d’Europe y compris l’URSS). « En février 1971, l’année de tous mes records, je suis monté 28 fois dans un avion en 20 jours ouvrables. Et j’ai fait 117.000 km en voiture dans l’année  sans compter les locations de véhicules dans les aéroports. Là, je bougeais mon cul », se rappelle-t-il. Il finira son parcours professionnel comme directeur général de la Papèterie d’Essonnes de Corbeil dont il achèvera la liquidation après y avoir été le Directeur Recherche & Développement, le Directeur Technique et le Directeur Commercial. Avant de rebondir pendant sa retraite comme chargé de mission pour la Commission Européenne chargé du redressement de la situation économique d’entreprises en difficultés notamment dans les pays du Maghreb. (**)

Crédit photo : Yann Boutouiller

Un communiste historique

« Je suis communiste depuis toujours. Je suis né communiste parce que mon père était communiste, que ma mère était communiste, et que tout le monde était communiste chez moi. Lorsque j’ai rencontré ma femme, elle faisait un discours aux Cavalcades de la Jeunesse à Ivry-sur-Seine. Elle était présidente des Jeunes Filles Communistes de France », se remémore Vincent. L’un de ses plus notables faits d’armes reste de s’être occupé de la campagne de la députée Marie-Claude Vaillant-Couturier lors de sa réélection à l’Assemblée Nationale en 1967 : elle est réélue avec 3.600 voix d’avance après une invalidation au premier tour pour 300 voix. Dès l’âge de 23 ans, Vincent devient conseiller municipal communiste de Malakoff. Il se fait remarquer à l’époque par des articles dans Le RéveilFrance Nouvelle et L’Aube Nouvelle, qui condamnent fermement le recours à l’arme atomiqueA Malakoff, il tracte assidument en dirigeant la cellule Gabriel Crié et est responsable de la diffusion de la presse communiste dans la ville. Il organise à ce titre la vente de L’Humanité quotidienne par des équipes de volontaires très tôt le matin dans toutes les cités. Il organise également tous les ans Les Deux Jours de la Presse en louant des barnums dans lesquels toute la presse militante était convoquée. « Léo Ferré est venu sur le site, se souvient Vincent. Jean Ferrat et Marc Ogeret également. De même qu’Armand Lanoux, lauréat du Prix Goncourt 1963, qui est venu dédicacer ses livres. Ainsi que Pierre Juquin. » Il couvre environ deux mandats du règne du maire communiste Léon Salagnac qui décèdera en 1964 au moment même où il organise sa manifestation annuelle. Les bénéfices tirés de la fête sont bien évidemment immédiatement reversés au parti de même qu’à l’époque une part de sa rémunération. Il arrête de militer au parti parce qu’il finit par estimer qu’on abuse un peu trop de son dévouement sans limites et suite à un différent avec un camarade qui lui signifie son rejet du groupe parce qu’il est devenu cadre dans la société qui l’emploie. Il gardera malgré tout sa carte de communiste jusqu’en 1974. Mais, pour garder son indépendance d’esprit, jamais il ne se syndiquera à la CGT .« Je suis profondément un communiste français mais jamais je n’ai été stalinien », nous assure Vincent qui ne s’est pour cette raison jamais vraiment senti affecté par les révélations sur l’envers du décor des régimes communistes des pays de l’est. On le croit volontiers en le voyant naviguer dans le Quartier Pernety et faire montre avec toutes et tous de gentillesse et d’élégance émaillées d’éclats et de coups de gueule toujours bien sentis. Cet anti-apparatchik a visiblement bien trop d’épaisseur humaine pour faire aujourd’hui carrière en politique.

(*) Vincent Luccarini s’est éteint le 25 janvier 2024. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille.

(**) Pour plus de détails sur les aspects techniques du métier d’imprimeur de Vincent, lire l’article que lui a consacré Pierre Cixous dans le n° 33 du journal Monts 14 de février-avril 2009 (page 5).

Dany Dan Debeix ou la thérapie par l’hypnose et l’autohypnose

Paralysé à vingt ans à la suite d’un grave accident de voiture, Dany Dan Debeix est parvenu en quelques années à retrouver l’usage de ses jambes grâce à l’autohypnose. Il n’a depuis eu de cesse d’approfondir sa connaissance des techniques hypnotiques qu’il enseigne aujourd’hui au 34 rue Jules Guesde dans le 14ème arrondissement de Paris où il a fondé son propre centre d’apprentissage : l’Ecole Centrale d’Hypnose (ECH). C’est là que nous l’avons rencontré pour qu’il nous explique les tenants et aboutissants de cette pratique qui reste encore à la frontière de la médecine traditionnelle malgré toutes les découvertes scientifiques sur le fonctionnement du cerveau. Entretien les yeux dans les yeux.

Définition et techniques de l’hypnose

En bons sceptiques et d’autant plus sur nos gardes que nous nous apprêtions à rencontrer un professionnel de la suggestion et de l’influence, c’est par étapes que nous avons décidé d’approcher Dany Dan Debeix. Car l’hypnose présente encore aujourd’hui une part de mystère. D’après Wikipédia, « l’hypnose est un état psychologique particulier encore mal défini qui revêt certains attributs physiologiques et marqué par le fonctionnement de l’individu à un niveau d’attention autre que l’état de conscience ordinaire. Il peut, sous certaines conditions, donner l’apparence du sommeil ou du somnambulisme sans en partager toutes les caractéristiques ». Comme celle de tout le monde dans le grand public, notre image de l’hypnose est liée à ce que nous en avons vu sur scène ou à la télévision où l’on en montre régulièrement certains de ses effets les plus spectaculaires. Dany Dan Debeix ne se prive d’ailleurs pas d’y avoir recours lors des conférences publiques qu’il organise à l’ECH. Nous avons assisté à l’une d’entre elles qui était tellement saisissante qu’elle n’a pas manqué de piquer notre curiosité et que nous n’avons pas résisté à la tentation de nous inscrire au premier stage dit « d’épanouissement personnel » intitulé « Auto-hypnose/Niveau 1/Techniques de base ». Nous apprenons grâce au support de cours de ce stage que Dany Dan Debeix a forgé au début des années 70 sa propre définition de l’hypnose qui est aujourd’hui adoptée par la majorité des experts : il s’agit d’« un Etat Elargi de la Conscience (« EEC ») permettant une plus grande suggestibilité dans le but de faciliter des changements psychiques, physiques, comportementaux et même neurobiologiques ». Certes. Mais comment parvient-on à cet état ? C’est là qu’intervient toute une série de techniques ou astuces hypnotiques dont les plus spectaculaires peuvent être observées en matière d’hypno-anesthésie dont Dany Dan Debeix est un grand spécialiste puisqu’il a inventé en 1973 sa propre méthode d’hypno-anesthésie rapide, pure et sans ajout de produit. Elles reposent tantôt sur la saturation tantôt sur la dissociation des canaux sensoriels sur lesquels nous fonctionnons tous mais à des degrés divers. Car chacun d’entre nous privilégie un ou deux canaux sensoriels (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) sur les autres qui nous font rentrer selon le cas dans la catégorie des Visuels, des Auditifs, des Kinesthésiques, des Olfactifs ou des Gustatifs. Dans le cas de la saturation, l’hypnotiseur arrive à transformer la pensée d’une personne en bombardant véritablement ses canaux sensoriels d’informations orientées. Il lui fera ainsi croire qu’une banane a un goût de citron ou qu’une poignée de porte lui brûle la main. Aucun miracle là-dedans, juste l’effet de la pensée. Car comme le disait Emile Coué dont les découvertes en matière de suggestion ont été essentielles pour le développement de l’hypnose : « Lorsque la volonté est confrontée à l’imagination, c’est toujours l’imagination qui l’emporte, sans aucune exception ». Dans le cas de la dissociation, on va dans un premier temps sursaturer un des canaux sensoriels (le kinesthésique par exemple) pour tout à coup basculer sur les quatre autres canaux en les saturant à leur tour pour par contraste éliminer la douleur. Les techniques d’induction à l’hypnose sont en réalité fort nombreuses. Dany Dan Debeix en enseigne un vingtaine à l’ECH, qui vont de la plus douce et progressive qui s’apparente à de la relaxation à la plus rapide grâce à laquelle on peut hypnotiser quelqu’un par une simple poignée de main (!).

En formation au 34 rue Jules Guesde

Du bon usage de la suggestibilité

La puissance et le pouvoir sur autrui que confère l’hypnose sont à maints égards fascinants, ce qui explique sans doute son caractère sulfureux et la méfiance qu’elle a toujours inspirée et qu’elle inspire d’ailleurs toujours aux autorités publiques, notamment celles en charge du contrôle de la médecine et de la pharmacie. « On n’a rien inventé en hypnose depuis 50 ans, constate Dany Dan Debeix qui, en bon passionné de sa matière, déplore cette stagnation de l’état de la connaissance. C’est comme si on avait voulu occulter certaines techniques qui existaient. On faisait des anesthésies hypnotiques sans le moindre produit avant 1843. Sous Napoléon, on effectuait des amputations sous hypnose qu’on a bizarrement complètement occultées. On ne fait plus non plus aujourd’hui sur internet aucune référence à Mc Douglas qui pratiquait les mêmes amputations sous hypnose pendant la guerre 14-18. » L’industrie pharmaceutique veille sur ses intérêts. Gare aux chirurgiens et/ou dentistes qui n’utiliseraient pas les produits officiellement prescrits, tel ce chirurgien plasticien du visage que Dany Dan Debeix a formé à l’hypno-anesthésie dans les années 2000 et qui, pour éviter tout problème avec le conseil de l’ordre, continuait à facturer à ses patients les ampoules d’anesthésiants alors même qu’il en faisait rarement usage ! « Je suis moi-aussi régulièrement embêté », nous confie Dany Dan. Mais ça ne me dérange pas, ça m’excite au contraire. Car chaque fois qu’on m’attaque, je suis encore plus virulent après ». De fait, les techniques hypnotiques sont également utilisées par les gourous des sectes (et mêmes les hommes politiques !) pour manipuler les populations à leur profit. D’où l’absolue obligation d’en faire un bon usage pour influencer et soigner à bon escient et avec intégrité. La première formation qu’a dispensée Dany Dan Debeix date de 1971 et s’adressait principalement aux personnels médicaux (médecins, infirmières, psychiatres, dentistes, etc.). Il a progressivement élargi son audience aux commerciaux, aux journalistes, aux avocats, aux politiciens, aux cadres supérieurs, aux dirigeants de société, etc., qui voulaient assister à ses cours pour apprendre les techniques de persuasion par l’hypno-communication (ou comment communiquer avec des formes hypnotiques).  En 2012, il a sorti un livre intitulé Codes et techniques secrète de l’hypnose dans la communication – Stratégies pour influencer avec intégrité. Il a également formé de nombreux sportifs à une autohypnose ciblée sur leur spécialité sportive. Il existe en réalité autant de déclinaisons de l’hypnose que de genres musicaux : l’hypnose Ericksonienne très connue en France mais qui ne permet pas de pratiquer l’anesthésie, l’hypnose Elmanienne plus connue aux Etats-Unis et dont Dany Dan Debeix apprécie la plus grande rapidité, l’hypnose du russe Kashpirovskiy qui a des méthodes instantanées, profondes et rapides mais dont ne fait pas mention en France, sans parler des techniques chinoises d’hypnose qui font l’objet d’un black-out total dans notre pays. Car l’hypnose a toujours mauvaise presse auprès des instances officielles qui sont promptes à dénoncer leurs dérives sectaires. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. C’est sans doute d’autant plus dommage qu’à chaque individu correspond une méthode particulière. « Certaines fois, témoigne Dany Dan, des gens viennent me voir en prétendant qu’ils ne sont pas hypnotisables car l’hypnose n’a pas fonctionné sur eux après consultation de deux spécialistes différents. Ce n’est bien évidement pas de la faute du patient ou du client, mais celle de l’hypnothérapeute qui manque de compétences car il ne connait souvent malheureusement qu’une seule méthode. » Dany Dan Debeix prétend pour sa part avoir découvert comment hypnotiser 100% des clients/patients qu’il n’entend influencer qu’à des fins positives comme peut le faire dans la vie n’importe quel parent, instituteur, professeur ou même manager.

L’autohypnose, un puissant outil thérapeutique

D’ailleurs, nous sommes tout à fait libres d’utiliser pour nous-même les techniques de l’hypnose qui sont à la portée de tous. « S’auto-hypnotiser, c’est obtenir, par un entraînement régulier, une manière d’être permettant de réagir positivement, de s’assumer en toutes circonstances et d’arrêter de subir. En cela, elle peut être un formidable outil thérapeutique », nous assure Dany Dan Debeix qui a notamment familiarisé à l’autohypnose de nombreux sportifs qui utilisent aujourd’hui couramment cette technique dans le cadre de leur spécialité sportive. Les liens de sa discipline avec la sophrologie ont conduit notre expert ès hypnose à s’associer avec le sophrologue Alain Lancelot pour sortir un nouveau livre en 2018 intitulé Allégez votre mental ! et sous-titré : « Libérez-vous des pensées parasites grâce à la sophrologie et à l’autohypnose ». Ce livre facile d’accès est une bonne introduction à l’autohypnose et au lâcher-prise qui en est le centre et la base de la réussite. Il peut, pour celles et ceux qui souhaitent approfondir la question, être utilement complété par un stage à l’ECH au cours duquel seront proposés des exercices pratiques d’autohypnose (induction par la respiration, lévitation de la main et du bras, etc.) qui sont autant de premiers pas vers la découverte de ce qui reste une terra incognita pour beaucoup d’entre nous !

Cliquez ici pour accéder au site internet de l’ECH.

Les ateliers henry dougier, le monde tel qu’il est et pas autrement !

Nous étions un peu émus ce jeudi 20 février 2020 à l’idée de rencontrer Henry Dougier, le fondateur des Editions Autrement. Pour nous qui rêvons depuis toujours de livres mais qui en avons au final lu si peu, rencontrer un éditeur représentait une forme d’aboutissement. Il a bien voulu nous recevoir aux ateliers henry dougier, rue du Pré-aux-Clercs dans le 7ème arrondissement de Paris, pour nous parler de son parcours et nous présenter les différentes collections qu’il a développées depuis la création de sa nouvelle petite boutique d’édition.

Rêver et agir

La vie d’Henry Dougier est un aller-retour permanent entre le rêve et l’action. Ni son milieu d’origine ni son début de parcours professionnel ne le prédestinait pourtant à devenir une grande figure de l’édition. Diplômé de l’ESSEC puis de l’INSEAD, il travaille six années à la Shell Internationale puis cinq autres années au Groupe Expansion. Mais ce cadre quelque peu indocile qui se sent à l’époque frustré d’avoir vécu de loin Mai 68 va quitter les rails d’une carrière classique et toute tracée pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Ce qui l’intéresse au premier chef, ce sont les mouvements de la société auxquels il veut lui-même participer avec un projet personnel dont il veut contrôler le contenu et l’esprit sans dépendre d’une hiérarchie ou d’investisseurs. Il prend donc le risque de créer sans trop de budget de départ une toute petit maison d’édition en sortant un titre, puis deux, puis trois, et ainsi de suite. Chaque livre est censé équilibrer ses comptes et financer un peu le suivant. L’idée qui préside à ses choix d’éditeur est de raconter la société française en mélangeant les disciplines des sciences humaines : sociologie, ethnologie, philosophie, histoire, etc. Henry Dougier se situe délibérément à mi-chemin entre la spéculation et l’action en donnant la parole aussi bien à des hommes et des femmes de terrain qu’à des intellectuel(le)s : « Notre contenu était plutôt de gauche, mais de gauche entrepreneuriale et rocardienne, se souvient-il. C’était un contenu résolument positif dont le but était de proposer quelque chose et d’inciter à l’action. Rêver et agir, comme je dis souvent. Rêver parce que tout n’est pas carré au départ et que l’on improvise beaucoup. Mais aussi agir en produisant des livres et en organisant des débats autour de ces livres pour encourager les gens à bouger ». Son projet est en phase avec l’air du temps et la revue Autrement qu’il lance en 1975 rencontre sans difficulté ses abonnés en plus de très bien se vendre en librairie : « La chance que j’ai eue, c’est l’époque !, admet Henry Dougier. Le fait aussi que le mot Autrement ait bien plu aux gens parce que c’était une façon de faire assez nouvelle. De même que notre liberté de ton parce que nous n’étions ni revanchards ni méchants mais plutôt dans la tendresse […]. Je ne pourrais certainement pas le refaire aujourd’hui car je serais bien incapable de trouver des abonnés et des ventes en librairies au niveau d’il y a trente ou quarante ans ». Pas question pour autant de lâcher le morceau et même s’il décide en 2011 de céder les Editions Autrement à Flammarion, Henry Dougier revient à la charge en 2014 en créant à bientôt 80 ans les ateliers henry dougier qui se définissent comme un laboratoire d’innovation sociale et d’actions de terrain prenant la forme de collections de livres. Son fil rouge : la curiosité de l’autre. Son secret : donner la parole aux invisibles et aux inaudibles. Son objectif : briser les murs et les clichés !

Quête d’authenticité

A côté de la collection « Métamorphoses d’une nation » et de la collection « 10+100 » avec lesquelles elle entre en résonance, la collection « Lignes de vie d’un peuple » est sans aucun doute la collection phare de la boutique d’Henry Dougier. Elle compte aujourd’hui une cinquantaine de titres dont toutes les couvertures représentent une main réelle photographiée sur laquelle a été imprimée la carte d’un territoire. « Le socle des ateliers il y a quatre cinq ans, c’était les peuples, nous explique l’éditeur. Quand on a fait Autrement, on a publié des quantités de livres sur les pays, les régions et les sociétés du monde entier, des livres historiques de même que des livres contemporains. Mais bizarrement on n’avait pas centré l’attention sur les peuples aussi bien au niveau régional qu’au niveau national ». Les auteurs de la collection « Lignes de vie d’un peuple » sont des journalistes francophones qui connaissent très bien un territoire et dont la mission est d’essayer de donner la parole aux gens qui y vivent, visibles ou pas visibles, riches ou pauvres, mais dans tous les cas emblématiques de la société. Il s’agit au travers de leur prise de parole de comprendre leurs conflits, leurs passions partagées, leur mémoire politique ou autre, leur imaginaire, etc. C’est la quête d’authenticité qui fondamentalement guide cette collection. « On ressent bien évidemment des choses plus ou moins dures ou tragiques selon les contextes, nous fait remarquer Henry Dougier. Il est certain qu’un livre sur les Lettons, les Lituaniens ou les Cambodgiens ne ressemble pas du tout à ce qu’on va faire sur les Napolitains ou les Siciliens. Ce n’est pas le même vécu ni la même histoire ni la même mémoire. Mais ce qui différencie nos livres de ce que j’ai fait avant et surtout de ce que font d’autres, c’est qu’il n’y a pas de dominante de l’auteur français ou francophone. L’auteur n’est là que pour accompagner, choisir et interroger les gens. Il prend très peu la parole mais plutôt la leur donne ce qui fait qu’on entend leur voix. » Henry Dougier veut éditer des livres qui sonnent vrai pour les visiteurs des pays, certainement pas des discours élaborés ou des analyses produites par des français donneurs de leçons.

Vies ordinaires, voix singulières

La même recherche du vrai et de l’authentique inspire la collection « Une vie, une voix » . Elle consiste en des récits de vie qui traversent des moments d’histoire de notre pays et racontent l’évolution de la France, de ses mœurs, de ses environnements urbains. Cette collection à la superbe maquette rayée est visiblement le petit chouchou de l’éditeur. Elle est née un peu par hasard il y a tout juste quelques mois suite à la réception d’un manuscrit écrit par un vieil ami, Philippe Gaboriau, qui a recueilli le témoignage de sa tante Mireille, ouvrière de la chaussure en Vendée. « Cette femme parle avec énormément de fraicheur et de vérité de son travail, de son mari, de ses enfants, de ses loisirs, de la cuisine, etc, s’enthousiasme encore a posteriori Henry Dougier. Elle raconte une France profonde qu’on ne voit pas toujours et que je connais personnellement peu. En lisant ce texte qui est très bien écrit par le narrateur et très vrai puisqu’il donne la parole à cette femme, ce qui m’a frappé c’est le partage des émotions que l’on ressentait. Je participais à la vie de cette femme et pourtant elle n’est pas du même endroit, du même milieu et n’a pas la même histoire que moi. » L’éditeur recevra quelques jours après un deuxième texte écrit par un scénariste, Jean-Frédéric Vernier, qui raconte sa rencontre avec Arthur un  handicapé mental qu’il va accompagner jusqu’à ces derniers jours en tant que bénévole pour les petits frères des Pauvres. C’est le début d’ « Une vie, une voix » (*), une collection dont la vocation est de raconter des vies ordinaires en laissant s’exprimer des voix singulières qui dessinent notre patrimoine sensible et notre mémoire commune, proclame le catalogue des ateliers henry dougier. Une nouvelle collection pour une nouvelle aventure littéraire et humaine… A 84 ans, Hennry Dougier n’a décidément rien perdu de son insatiable curiosité et de sa capacité d’émerveillement !

(*) La collection accueille déjà également Lulu, fille de Marin d’Alissa Wenz et La Mère Lapipe dans son bistrot de Pierrick Bourgault.

Cliquez ici pour accéder au site des ateliers henry dougier.

Pierre Josse : «Le 14ème est une extraordinaire terre d’aventure»

Il a été rédacteur en chef des Guide du Routard pendant quarante ans et en est toujours conseiller à la rédaction. Pierre Josse, l’éternel grand voyageur pas du tout rangé des pataugas, nous a gentiment accordé plus d’une heure de son temps au bar-restaurant Le Laurier pour nous faire partager son goût des autres, sa soif de découvertes qui l’a mené sur les cinq continents et sa passion pour le quatorzième arrondissement où il a élu domicile.

Prédestiné aux grands voyages

Dans Chroniques Vagabondes, un livre de souvenirs sorti il y a deux ans, Pierre Josse évoque les nombreux moments de bonheur que lui a procurés la découverte de plus de cent pays pendant sa vie de routard. Il revient aussi dans les premières pages sur les différentes périodes de son existence qui ont précédé son arrivée à la tête de la rédaction du fameux guide. Car ce sont sans doute ses expériences de jeunesse qui ont été les plus déterminantes pour lui ouvrir les yeux sur sa vocation de grand voyageur. « J’ai la chance d’être né coupé en deux, nous explique Pierre. Il y a en moi une partie ouvrière que je tiens de mon père et une partie petite bourgeoisie militaire coloniale que je tiens de ma mère. J’ai vécu cette déchirure qui est aussi une grande richesse pendant toute ma vie. » Toute sa jeunesse a été bercée par les récits de voyages parfois très impressionnants de sa mère dont le propre père était un officier de l’artillerie coloniale qui a notamment participé à la conquête de Madagascar en 1898 ainsi qu’aux fameux Cinquante-cinq Jours de Pékin en 1900 et qui a échappé de justesse et bien malgré lui à l’enfer de Verdun en 1916 pour aller mater la révolte des Annamites en Indochine. En adhérant aux Auberges de Jeunesse en 1936, sa mère devient également une des premières routardes de France. Le caractère rebelle de Pierre et l’esprit critique qu’il développe très tôt vont achever d’en faire un adepte des voyages. A dix-sept ans, il se fait en effet renvoyer de la Paroisse Saint-Laurent à Paris, ce qui conduit sa mère à l’inscrire chez les Eclaireurs, une association de scoutisme laïque grâce à laquelle il va pouvoir s’embarquer pour les Etats-Unis comme « camp counselor ». Exceptionnel pour l’époque ! Arrivé en Amérique au moment de la lutte pour l’émancipation des Noirs, il garde de cette expérience une multitude de fabuleux souvenirs (dont notamment le voyage de 14 jours en bateau Le Havre-New-York et une virée en Californie en bus Greyhound comme Kérouac) et bien sûr une vocation à vie pour l’aventure à l’étranger.

Changer le monde avec des guides

Son éducation et ses expériences de jeunesse vont nourrir son imaginaire et quand plus tard il partira pour le Vietnam pour réaliser son guide, il aura l’impression d’y être déjà allé par la grâce de sa mère et de ses grands-parents maternels qui y vécurent de nombreuses années. Même ressenti quand il réalisera le guide Bretagne sur les traces des origines bretonnes de la famille de son père: il s’y reconnaitra dans les paysages, la nature, la musique, la langue et les traditions. Les rencontres seront elles aussi bien sûr déterminantes. Pierre les racontent dans toute leur diversité et leur richesse dans Chroniques Vagabondes. Des rencontres avec des gens de peu comme avec d’illustres représentants des pays visités. Car renverser les valeurs et bousculer l’ordre établi n’a jamais fait peur à ce révolutionnaire dans l’âme qui a longtemps milité à la LCR, la bande d’Alain Krivine. Cette « boule de révolte » toujours engagée pour la défense des plus faibles admet pourtant volontiers n’avoir pas toujours fait preuve de courage pour prendre les décisions importantes qui concernaient sa propre vie, notamment sa vie professionnelle :« J’avance plutôt au coup de pied au cul et je mets en œuvre des stratégies inconscientes qui aboutissent à me faire virer ». C’est ainsi qu’il enchaine les métiers et les occupations – tour à tour décorateur-étalagiste, étudiant à l’université de Vincennes-Paris VIII, inspecteur commercial dans une grosse boîte allemande, instituteur en prison, bobinier-rotativiste et militant syndical à l’imprimerie Draeger et enfin correcteur de presse et en édition au sein des célèbres Guides Bleus – avant de s’assagir au Routard où il fait ses premiers pas en 1978 comme correcteur et préparateur de copie. Le courant passe très bien entre Pierre et Philippe Gloaguen qui dirige la collection et qui apprécie à sa juste valeur l’extraordinaire richesse de son parcours. Il lui offre bientôt l’occasion de partir en voyage et l’investit du rôle de rédacteur en chef du guide en 1980. Pierre signe son premier gros coup éditorial en 1985 avec le guide de Paris : 100.000 exemplaires vendus ! Le guide est de fait un véritable OVNI, un objet hors normes qui, à rebours des guides classiques, consacre de longs développements aux quartiers populaires de Paris et juste le nécessaire aux quartiers les plus touristiques. « Ce guide, tout le monde l’attendait ! », se souvient-il en se félicitant d’avoir bien senti l’air du temps. Le Routard peut dès lors commencer à recruter de nouveaux collaborateurs qui viendront étoffer l’équipe dans laquelle travaillent aujourd’hui 75 personnes qui contribuent à changer la façon de voyager de millions de touristes à travers le monde.

Viscéralement attaché au 14ème arrondissement

Grand voyageur devant l’éternel, Pierre Josse n’en est pas moins viscéralement attaché à Paris et tout particulièrement à son 14ème arrondissement. Il s’est bien sûr beaucoup promené dans la capitale où il réside depuis 1948. Il a passé toute son adolescence au bord du Canal Saint Martin avant de passer cinq ans rue Saint Denis dans le Quartier des Halles. Puis il a vécu dix-neuf ans rue des Saint-Pères en plein Saint-Germain-des-Près pour finalement se fixer dans le 14ème, un arrondissement dont il est littéralement tombé amoureux : « Je mourrai dans le 14ème. J’ai tellement bourlingué que j’ai besoin aujourd’hui d’un port d’attache. Et l’empathie suintent toujours des murs de cet arrondissement populaire qui n’a pas encore été complètement normalisé et boboïsé même s’il évolue tout doucement dans ce sens ». Son territoire est le quartier de la rue Hallé où il réside : « Ma culture, c’est la rue Daguerre, la rue Boulard, la rue Mouton-Duvernet, la rue Hallé, l’avenue Coty, la Tombe Issoire ». Il y fréquente bien sûr les bistrots auxquels il a consacré un magnifique album photo avec Bernard Pouchèle en 1996 (La nostalgie est derrière le comptoir). Certains sont même devenus ses « cantines » comme par exemples Le Daudet rue Alphonse Daudet, Au Bistrot rue Lalande, Le Vaudésir rue Dareau ou L’Os Minothos rue Pernety. Autant d’endroits authentiques et chaleureux pour lesquels il se bat en militant pour la reconnaissance au Patrimoine Immatériel de l’UNESCO des Bistrots et Terrasses de Paris Pour leur Art de Vivre. « Le 14ème arrondissement est une extraordinaire terre d’aventure et peut-être mon île Marquise ! », dit-il pour conclure notre entretien et se préparer à se rendre à l’autre bout de Paris pour célébrer les 30 ans de Là-bas si j’y suis, une grande fête organisée par son pote Daniel Mermet. Je lui souhaite bonne route – bien évidemment !

Le 14ème en portraits de Béatrice Giudicelli

Alienis pedibus ambulamus. Nous marchons tous dans les pas des autres et Pernety 14 n’échappe pas à la règle, qui n’a rien inventé en réalisant les portraits des personnalités marquantes du 14ème arrondissement de Paris. Béatrice Giudicelli avait ouvert la voie bien avant nous en publiant dès 2011 aux éditions Carnets-Livres Visages du XIVe suivi en 2017 à Riveneuve Editions de Figures du XIVe arr.. La moindre des politesses à l’égard de notre remarquable prédécesseur était donc de la solliciter pour une interview. Béatrice a fini par céder à nos supplications et nous nous sommes rencontrés en ce début d’année 2020 au café Les Artistes de la rue Didot pour qu’elle nous fournisse la matière d’un portrait de la portraitiste.

Le goût des autres puissance 14

Béatrice n’est pas née dans le quatorzième arrondissement de Paris. Cette Cannettane d’origine ne se souvient pas non plus avoir toujours voulu écrire. Après son baccalauréat, elle s’inscrit en prépa HEC puis se rabat sur des études d’économie. Elle commence par travailler dans les télécoms en tant que chargée d’études économiques mais s’y « ennuie à cent sous de l’heure ».  Les métiers de la communication correspondent plus à sa fibre personnelle. Après avoir rongé son frein pendant plusieurs années, elle finit par obtenir un poste au service de communication de l’Autorité de Régulation des Télécoms (ART devenue ARCEP). Elle y devient rédactrice en chef de la lettre d’information externe qu’elle transforme complètement. C’est de cette époque que naît le projet d’écrire un livre. Elle perd son emploi à la suite d’une restructuration et devient pigiste avant de collaborer à France Active où elle prend grand plaisir à réaliser les portraits d’entrepreneurs de la vie sociale et solidaire : « Cette expérience a été une révélation. Je me suis sentie en osmose et en empathie complète avec mes interlocuteurs. Leur parcours semé d’embûches m’a vraiment interpelée et inspirée. J’étais soudain portée par une veine créative et mes articles ont tous été très bien accueillis. C’est ça qui a lancé le livre Visages du XIVe car je sentais que j’avais des choses à exprimer ». C’est en effet cette énergie positive qui transparaît quand on lit ce premier opus de Béatrice magnifiquement illustré par les dessins de France Dumas. Une énergie soutenue par une belle générosité puisqu’on y retrouve au milieu des stars que sont Cabu, Jean Lebrun ou Armand Gatti, des gens moins illustres mais qui dans leur grande diversité ont en commun d’ajouter un supplément d’âme à l’arrondissement de Paris qu’elle a choisi d’habiter depuis aujourd’hui plus de vingt ans. Des artistes bien sûr mais également des responsables associatifs, un jardinier, un libraire, une gardienne d’immeuble, un réparateur de cycles et bien d’autres encore qui sont autant de pittoresques et attachants personnages du 14ème. Tous sont porteurs d’un univers qui leur est propre, chargés d’une histoire personnelle plus ou moins chaotique, marqués par des combats et des blessures qui ont forgé leur caractère, et soutenus par des espoirs qui les font tenir et avancer. « En écrivant ce livre, j’ai tout à coup essayé de comprendre les autres de l’intérieur alors que jusque là ils étaient très lointains. Il y a tellement de choses à explorer chez les gens. J’ai cherché à capter la magie de chacun », témoigne Béatrice. Son goût des autres et de l’écriture va l’amener à renouveler l’expérience et sortir en 2017 un second livre intitulé Figures du XIVe arr. toujours illustré par France Dumas et réalisé avec le précieux concours de François Heintz, un collaborateur du journal de quartier associatif La Page du 14è arrondissement aujourd’hui décédé. Une réception est organisée à cette occasion à la Mairie du 14ème, qui vient saluer le travail effectué par Béatrice et ses amis (*). De quoi l’encourager à voir grand et à nourrir de nouveaux projets.

Créer un lieu de rencontres avec les artistes

Car Béatrice qui s’occupe au quotidien d’accompagner des élèves en situation de handicap n’est jamais rassasiée de rencontres dont elle s’attache à faire profiter les autres. De dîners entre amis en soirées musicales qu’elle accueille régulièrement à son domicile de la rue des Suisses, elle s’est constitué un réseau d’amis et de connaissances qui ont en commun d’aimer animer et faire vivre le Quartier Pernety. Son projet serait aujourd’hui de créer un espace similaire à celui qu’a animé Jean Lebrun au Café El Sur sur le boulevard Saint Germain il y a maintenant vingt cinq ans. Le célèbre journaliste et producteur de France Culture y avait coutume de recevoir des invités pour parler de leur univers personnel, de leur carrière et de leur actualité. Ce salon des temps modernes pourrait très bien se tenir au Poinçon, l’ancienne gare de la Petite Ceinture, qui dispose déjà de toute la logistique nécessaire. Béatrice se voit bien en animatrice de débats entourée de chroniqueurs intervenants sur le thème et autour de l’invité de la soirée. Le 14ème arrondissement a toujours été un territoire d’élection pour les artistes et nombre d’entre eux y sont restés très attachés comme par exemple Renaud à qui Béatrice a fait parvenir Visages du XIVe et qu’elle rêve depuis toujours d’interviewer. L’avenir nous dira si ce beau projet pourra un jour se concrétiser. En attendant de le faire progresser, Béatrice, qui a gardé intacte sa curiosité pour les autres, continue l’aventure de Figures du 14ème arr. en réalisant avec France Dumas et le journaliste-vidéaste Alain Goric’h une série de films courts et fort instructifs sur les personnalités remarquables et inspirantes du 14ème arrondissement. Presque vingt vidéos ont à ce jour été produites, qui sont disponibles sur la chaîne YouTube ad hoc créée par Béatrice (cliquer ici) ou accessibles à partir de la page Facebook de Figures du 14ème arr. (cliquer ici). Elles ont également été réunies sous la forme d’une série de quatre CD que tous les amoureux du 14ème se doivent absolument de détenir dans leur vidéothèque personnelle !

Béatrice, Alain et France au Petit Bazaar de Noël 2021 organisé par “Urbanisme et Démocratie”

(*) A également été projeté lors de cet évènement le premier opus de la série de films Figures du 14ème arr. consacré à Margaret Skinner, figure des combats urbanistiques du quartier Pernety-Plaisance (visionner la vidéo ci-dessous).

Romuald Provost, le luthier en guitare qui décoiffe

Franck et Romuald Provost n’ont que le nom et le département de naissance en commun. Tous les deux sont d’origine sarthoise, mais si l’un a opté pour la coiffure, l’autre a choisi les guitares. Au bar de L’Osmoz Café à l’heure du déjeuner, on reconnait facilement Romuald à sa barbiche et à ses cheveux ramenés en chignon au dessus de la tête. Il est luthier en guitare depuis maintenant presque vingt ans dans le quatorzième arrondissement de Paris. Rencontre à son atelier de la rue du Texel.

Le déclic devant un beau livre de lutherie à la FNAC du Mans

Romuald Provost est né en 1976 dans la ville du Mans où il passe toute sa jeunesse. Après une première tentative en école d’architecture, il poursuit sans conviction des études d’histoire moderne et de géologie tout en cultivant un goût pour les activités manuelles en sculptant sur bois et en bricolant les guitares de ses copains. Il passe régulièrement dans le Vieux Mans devant l’atelier de Frank Ravatin, luthier du quatuor (*), et il est déjà fasciné par l’atmosphère qui s’en dégage. Mais ce qui véritablement suscite sa vocation, c’est le beau livre d’art intitulé Luthiers et guitares d’en France sur lequel il tombe en arrêt à la FNAC du Mans : « Comme je n’avais pas de ronds je ne l’ai pas pris, mais je suis resté scotché dessus l’après-midi entière à la FNAC. Je suis rentré chez moi pour demander un peu d’argent à ma mère qui m’a permis de l’acheter. Et là, tous les jours, tous les soirs, je regardais les guitares. Je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de ça ». Romuald n’a plus que ça en tête et veut absolument tenter sa chance dans la lutherie. Il finit son année à la fac tout en se mettant à la recherche d’une école ou d’une possibilité d’apprentissage. Coup de chance, l’ITEMM, l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique, une des rares écoles de lutherie de France, est justement basée au Mans. Il se lance dans une formation en alternance de trois ans dans le cadre de laquelle il travaille chez un ébéniste d’art et il décroche à la sortie un CAP de facteur de guitares. Il continue en parallèle à jouer de cet instrument. Comme musicien il s’imaginait plutôt batteur (de jazz) mais il va dès ses quatorze ans sagement se replier sur la guitare pour épargner les tympans de ses parents. « De toute façon, ce n’est pas le même rapport à l’instrument et même si je pratique un peu je ne suis pas moi-même un excellent guitariste. Certains luthiers en guitare n’en jouent d’ailleurs pas du tout ». A l’issue de sa formation, Romuald cherche pendant un an en vain du travail dans les ateliers de lutherie en France et en Belgique, puis monte à Paris pour suivre sa compagne. Sans réseau aucun, il décide à l’âge de vingt trois ans de se mettre à son compte : « Je ne voulais pas avoir fait tout ça pour rien. Aujourd’hui, cela fait presque vingt ans je suis installé comme luthier à Paris ».

Une clientèle constituée grâce au bouche à oreille

« C’est un bon, lui. Et il a une clientèle terrible ! ». Elle court, elle court la rumeur dans le Quartier Pernety. Romuald a parcouru bien du chemin depuis son interview en 2006 pour laguitare.com (cliquez ici pour lire l’interview). Il s’est créé son réseau absolument seul alors qu’il est arrivé à Paris il y a dix-neuf ans sans aucune relation et sans aucun ami ou aucune famille pour l’appuyer. Le bouche-à-oreille a fonctionné à plein pour asseoir sa réputation de grande maîtrise et de professionnalisme. Il a également un peu fréquenté les salons, mais sans plus. « J’ai été longtemps sans avoir de site, nous confesse-t-il. Tout se fait en réalité petit à petit. On te ramène un jour une guitare et ça marche à la confiance. Si le boulot est bien fait, ça parle et de fil en aiguille on se fait une clientèle. Il y a le coup de chance aussi : un instrument précieux qu’un collectionneur te met entre les mainsEt puis, on n’est pas non plus extrêmement nombreux en restauration sur Paris. Or les techniques un peu anciennes que j’ai apprises se prêtent bien à la restauration. » Romuald, dont le savoir faire est aujourd’hui reconnu au plan national où il compte plus de quatre cent concurrents, ne nous cache que le niveau dans notre pays est extrêmement élevé. Certains collectionneurs traversent l’Europe pour lui confier une guitare : « Après ça marche aussi par l’activité, nuance-t-il. Nous sommes une dizaine de luthiers en guitare sur Paris, ce qui n’est pas non plus délirant. Et puis le feeling est également très important. Je sais que certaines personnes que je rencontre sur des salons ou lors de concerts ne viendront pas chez moi parce que le courant ne passe pas. » La restauration de guitares lui prend aujourd’hui bien plus de temps que la fabrication à laquelle il a également été formé. Le rapport à la matière est pourtant ce qui fondamentalement l’intéresse. Il peut lui arriver pour fabriquer une guitare de s’inspirer des modèles qu’il a restaurés dont il reprend les épaisseurs et copie la structure. Mais il propose en général un modèle unique quoique toujours renouvelé dont l’esthétique s’inscrit dans celle de l’école française de la première moitié du vingtième siècle. Son site internet précise qu’il fabrique cinq à six guitares par an de façon entièrement artisanale, que les bois utilisés sont rigoureusement sélectionnés par ses soins (épicéa ou cèdre rouge) et que sa facture reste traditionnelle, tout bois, avec un montage dit « à l’espagnol » et un vernis au tampon. « Rien n’est plus beau qu’une guitare, sauf peut-être deux », disait Chopin. Romuald qui est entouré d’instruments dans son atelier de la rue du Texel est sans nul doute un homme comblé.

(*) C’est-à-dire un luthier spécialiste des violons, altos, violoncelles et contrebasses.

Cliquez ici sur accéder au site internet de Romuald Provost.