Elle n’a pas froid aux yeux, Claudia Tavares ! Quatre ans après la publication de L’exclue qui retrace la première partie de sa vie qui l’a menée du Brésil à Paris et à la prison de la Santé, elle récidive en sortant aux Editions Sydney Laurent un nouveau récit autobiographique très pertinemment intitulé La Volonté d’exister (*) dans lequel elle n’hésite pas à « allumer » son ancien patron qui est aujourd’hui un membre influent de l’oligarchie française. L’écrivaine franco-brésilienne nous a gentiment reçu au O Corcovado, le restaurant qu’elle tient avec Seb son mari dans le 14ème arrondissement de Paris, pour nous exhorter au courage qui est la condition de la liberté et de la dignité de toutes et de tous.
Le bonheur de dire non
« Ce n’est pas ordinaire d’être comme moi ! C’est un poids, et il est lourd! ». D’évidence nous ne sommes pas tous du même bois. Celui dans lequel Claudia Tavares a été taillée est à la fois tendre et dur, qui la rend capable d’aimer éperdument les hommes qui le méritent et de tenir durablement tête à tous ceux (et à toutes celles) qui s’avisent de lui manquer de respect – quitte à envoyer tout balader et à se retrouver en fâcheuse posture. Ses origines du Nordeste brésilien de même que son ascendance dont elle ignorait tout jusqu’à il y a quelques années expliquent sans doute pour beaucoup son caractère bien trempé. Claudia raconte dans L’exclue son enfance mouvementée à Garanhuns au Brésil et son arrivée à Paris en 1979 où elle devra se débattre pour échapper au milieu de la prostitution. Il fallait nécessairement une suite à ce récit parfois très dur qui a marqué de nombreux lecteurs. La Volonté d’exister est cette suite des aventures de Claudia écrite dans le même style alerte et enjoué malgré les vicissitudes de la fortune. On y croise Régine Deforges et son fils Franck Spengler, les éditeurs de La femme inachevée qui sera le premier ouvrage que Claudia signera de son nom, lui apportant une fugace renommée. On y découvre également l’envers du décor du monde du minitel rose dans lequel notre héroïne va travailler pendant dix ans entourée de Farid, le premier homme de sa vie, et d’Iza, sa fidèle amie, et au contact très rapproché d’ « El Satanas », homme d’affaire avisé dont il est révélé dans quelles conditions il a fait fortune avant de devenir un grand patron très en vue. C’est sans trop de scrupules que ce dernier se débarrassera comme d’un kleenex de sa très (trop !) dévouée collaboratrice au moment où il décidera de transférer les locaux de sa société dans le 16ème arrondissement de Paris. Il en fallait toutefois bien plus pour anéantir la solide et courageuse Claudia désormais réduite à enchainer les petits boulots, mais également résolue à ne plus tout accepter en échange d’un travail et d’un salaire. Au chapitre intitulé « Le bonheur de dire NON », elle écrit : « J’ai décidé de marcher, d’aller plus loin, comme l’ont fait mes ancêtres. Si beaucoup d’hommes sur Terre ne cherchent que le Pouvoir de Puissance, avec pour seule fin d’écraser leurs semblables, ma quête est d’une autre nature. Mon désir a toujours été de comprendre le Monde, pas celui d’avoir, de posséder, d’accumuler des choses que je n’emporterai pas dans ma tombe. » (page 272).
Une Brésilienne amoureuse de la France et de la vie
Les rêves de Claudia Tavares ne se monnayent pas. Ceux qui l’ont poussé à fuir la dictature brésilienne s’appellent Liberté et Démocratie. Pendant les sept années qu’elle a passé en prison, elle a appris le français et s’est nourrie de culture et de littérature françaises en lisant trois à quatre livres par jour ! Incollable sur Flaubert dont elle a lu l’oeuvre complète, elle porte haut les valeurs du pays dont elle est tombée amoureuse mais dont elle déplore qu’il n’y règne plus la même liberté d’expression. « Les Français (et les étrangers de France) ne mesurent pas la chance qu’ils ont de vivre dans ce pays formidable », nous dit-elle. Les discours victimaires et les jérémiades font horreur à celle qui a traversé les plus difficiles épreuves de la vie en gardant intacts sa joie de vivre, son humour et également une certaine forme d’ingénuité qui transparaissent dans son style très fleuri et qui rendent extrêmement plaisante la lecture de La Volonté d’exister. Toujours plus combative et « gonflée à bloc » au moment de négocier chaque nouveau tournant de sa vie, Claudia est une personne remplie d’énergie positive à qui on ne la fait plus. Celle qui rêvait depuis ses plus jeunes années de littérature française est ainsi revenue extrêmement déçue de ses cours à la Sorbonne : « C’est mou, c’est décousu… Ca parle de la mort, mais ça ne sait même pas ce que c’est ; ça parle d’amour… sans avoir jamais aimé ; ça parle de dignité sans en connaître le sens ; ça parle de la faim… Mais merde ! Comment on peut parler de choses que l’on ne connaît pas ? […] Bye-bye la Sorbonne ! Avoir un diplôme ne fait pas de nous le plus merveilleux des savants, car les rues sont pleines de gens simples, mais qui ont plus de sagesse et de savoir vivre que beaucoup de philosophes autoproclamés ! » (page 277). Rien de plus éloigné d’un polycopié de fac que La volonté d’exister de Claudia Tavarez ! On en sort bien plus heureux et revigoré, avec la certitude qu’on a beaucoup plus de chance de croiser la vraie vie au O Corcovado que sur les bancs de la Sorbonne ou dans les bureaux du nouveau siège social du groupe dirigé par « El Satanas »…
(*) La volonté d’exister, Les éditions Sydney Laurent, 2020 (367 pages, 19,50 euros).