Du « vite fait bien fait » des débuts au méticuleux travail artisanal d’aujourd’hui
Lorsqu’il débarque à Paris à la fin des années 80, Jean Yarps reste scotché devant de superbes graffitis dans les escaliers de Radio Nova. C’est le point de départ de sa vocation de street artist. Il jette son dévolu sur la technique du pochoir qui permet d’intervenir « vite fait bien fait » dans la rue sans encourir les foudres de la maréchaussée et avec un résultat souvent bluffant. C’est l’époque des pochoirs monolayer, transgressifs et clandestins, la belle jeunesse de l’art urbain… Yarps assume et revendique complètement le côté punk et underground qui est l’âme du street art. Il trouve également dans la provoc et les images choc un exutoire à sa timidité naturelle. Dans les squats parisiens qui accueillent ses oeuvres, il fait la connaissance d’artistes qui partagent la même sensibilité (SP38, Pedrô!, Momo, Mick, Eduardo, Basalt, Le Bateleur, etc.) et avec lesquels il va former le collectif de la Zen Copyright dont la devise « Besoin de personne en art laid ! » annonce la couleur à tous ceux qui se réclament du Beau… Expulsion après expulsion, les membres de la joyeuse bande de vandales vont ouvrir de très nombreux espaces dans différents arrondissements de Paris tout en couvrant les rues de la capitale de leurs productions avant de finalement décider de dissoudre le collectif à la fin des années 90. Sous ses dehors rebelles et malgré le nom d’artiste qu’il s’est choisi, Spray Yarps n’aime pas faire les choses à l’envers – dans la vie comme dans sa pratique du street art. Il ne manque jamais de rendre hommage à ceux qui ont été les déclencheurs de sa vocation d’artiste (Jérôme Mesnager, Blek, Speedy Graphito, Kriki, Epsylon, les VLP, etc.) et à ceux qui l’ont accompagné dès ses débuts dans sa démarche personnelle. Le très talentueux photographe Gérard Lavalette, qui est une véritable mémoire vivante des pochoiristes parisiens, a tout particulièrement compté. Yarps est également resté un pochoiriste old school, un artisan qui fabrique ses matrices de pochoir à la main et à son rythme et qui répugne à les faire réaliser au laser de façon industrielle comme tant d’autres le font aujourd’hui. En témoignent les cinq énormes photos-portraits de Gainsbourg qui tapissent le sol de son salon ce mercredi 20 janvier 2021 et qui serviront à la réalisation des cinq matrices multi-layer nécessaires à la production de son prochain pochoir. « J’en ai pour au moins trois semaines de travail à les préparer », nous dit Jean. Sur chaque photo, je découpe la couleur qui m’intéresse. Il faut savoir anticiper ce qui va recouvrir quoi, et cela exige une certaine gymnastique d’esprit. Ce pochoir-ci va être très compliqué à réaliser parce qu’il y a énormément de détails. Si je découpais mes matrices au laser, ça serait différent car ça ne rendrait pas un résultat aussi fin ». Ce nouveau travail effectué à partir d’une photo très connue de Pierre Terrasson, le célèbre photographe de la scène rock française et internationale, aura bien sûr toute sa place parmi les oeuvres qui seront présentées lors de l’exposition organisée en mars 2021 au Marché Dauphine des Puces de Saint-Ouen pour célébrer les trente ans de la mort de Serge Gainsbourg.
Cliquez ici pour visionner « Aux armes ! Etc. », la vidéo de Claude Degoutte présentant la collaboration Terrasson + Yarps et pour assister au moment magique du dévoilement du pochoir.
Gainsbourg, Eastwood, Bowie, etc.
Le génial Gainsbourg est avec quelques autres figures mythiques de la musique et du cinéma une source inépuisable d’inspiration pour Jean Yarps. A tel point qu’il est aujourd’hui devenu l’une de ses marques de fabrique. En bon aficionado du géant de la chanson française, Yarps n’a pas manqué d’aller régulièrement honorer de ses pochoirs le mur Gainsbourg du 5 bis rue de Verneuil dans le 7ème arrondissement de Paris. A la fin des années 80, il y a réalisé l’une de ses toutes premières oeuvres, un portrait de l’artiste qui est rapidement devenu populaire. Clint Eastwood dans le rôle de l’Inspecteur Harry, Marilyn et David Bowie font également partie de son Panthéon personnel. Il flotte à vrai dire dans l’appartement de la rue des Artistes de notre pochoiriste une très réjouissante atmosphère « cigarettes, whisky et petites pépées » propre à faire défaillir une néo-féministe. Les pin-ups des années 50 y côtoient joyeusement les gangsters de la mafia. Son sens de l’humour (qu’il a forcément noir…) l’a amené à customiser avec des pochoirs représentants les plus célèbres bandits et braqueurs de banques toute une série d’anciens coffres numérotés de la Banque de France qu’il a récupérés auprès d’un ami ferrailleur (*). Et en vrai fondu de polars, Yarps n’a pas résisté à l’envie de découper les célèbres couvertures de Michel Gourdon illustrant les romans des éditions Fleuve Noir pour les mettre en relief de façon assez saisissante (cliquer ici). Il récupère d’ailleurs volontiers toutes sortes de vieux papiers (livres et journaux) pour en faire les supports de ses pochoirs qui redonnent également vie à des disques vinyles ou des coques de téléphones portables (*). Notre street-artist n’a pourtant pas tout à fait déserté la rue puisqu’il continue avec son complice Claude Degoutte à animer l’opération Film in situ dont le but est de proposer le pochoir d’une séquence culte d’un film parisien à l’endroit même où le tournage a eu lieu. Au programme des réjouissances de ces prochains mois (si toutefois les Mairies l’autorisent) : Delon dans le film Le Samouraï de Jean-Pierre Melville à la gare du boulevard Massena dans le 13ème arrondissement et Bourvil dans le film le Corniaud de Gérard Oury à la place du Panthéon dans le 5ème arrondissement. Yarps reste également fidèle à son pote Eric Maréchal, un passionné et véritable fou furieux de l’art urbain, qui continue à voyager à travers le monde pour faire connaitre les oeuvres de nombreux street-artists français et étrangers en les collant lui même aux endroits les plus appropriés partout sur la planète (cliquez ici). De quoi rendre Gainsbourg définitivement immortel !