Antonin Giverne, alias Katre, est un artiste reconnu, qui voyage aujourd’hui en France et dans le monde entier pour faire partager sa fascination pour les friches industrielles et les endroits abandonnés qu’il fait revivre en les transformant en oeuvres d’art. Il n’en est pas moins resté très attaché au 14ème arrondissement de Paris où il a toujours vécu pendant que s’affirmait son identité artistique située au point de rencontre du graffiti, de la photographie et de l’art contemporain. Il nous en a dit quelques mots autour d’un café au Verre Siffleur, le bistrot de la rue d’Alésia.
Baigné dans la contre-culture graffiti du 14ème
Avant de devenir Katre, Antonin Giverne a grandi dans un atelier d’artistes de la rue de Ridder dans le 14ème arrondissement de Paris. Ses parents qui sont professeurs d’arts plastiques l’emmènent très tôt visiter des squats parisiens dont les murs recouverts de tags et de fresques multicolores l’impressionnent beaucoup. Il ne manque pas d’en garder une trace sur l’appareil photo que lui a offert sa mère photographe. Dès l’âge de 13 ans, il s’exerce lui-même à graffer sur la Petite Ceinture à la porte de Vanves. “Cet endroit non-autorisé que j’ai découvert grâce à mes parents et où l’on croisait parfois des bandes de skinheads était à l’époque un repère important pour les graffeurs français, se rappelle Antonin. Il fait partie intégrante de la contre-culture graffiti du 14ème qui constitue une identité artistique à part entière de notre arrondissement même si elle est bien sûr bien loin d’être aussi connue du grand public que celle du Montparnasse du début du XXème siècle”. Antonin évoque avec enthousiasme et nostalgie les murs et les rames de métro tagués de la ligne 13 qui éveillent son regard d’artiste ainsi que plusieurs autres lieux “magiques” situés à proximité de chez lui et qu’il a bien connus adolescent : “J’ai eu la chance de découvrir des endroits où sont venus s’exprimer les plus célèbres graffeurs du microcosme underground français (Fab, Bando, les PCP, etc.) dont j’ai pu photographier certaines fresques extraordinaires et emblématiques de la culture hip-hop dans laquelle je baignais à l’époque”. Ainsi fréquente-il assidument en sus de la Petite Ceinture le parking abandonné de Mouton-Duvernet qui était situé près de l’emplacement de l’actuel Monoprix et l’énorme “trou” du boulevard Brune dont l’entrée était située près de l’actuel bureau de poste. S’ajoutait à ces endroits très connus et très courus des graffeurs parisiens le terrain vague du Château Ouvrier à Pernety qui était à l’époque complètement vide et abandonné. Antonin ne se contente pas d’y graffer, il inscrit sa démarche dans le collectif en créant avec des copains une association qui organise toutes sortes d’évènements autour de la peinture et de la musique : “L’idée était de faire des choses ensemble tout en restant le plus autonome possible, dans l’esprit du hip- hop”, témoigne-t-il. C’est dans ce cadre et pour essayer de gagner un peu d’argent que la bande de potes va démarcher les commerçants du quartier en vue de décorer à la bombe les devantures métalliques de leurs magasins de la rue d’Alésia et de la rue Losserand…
Friches du 14ème
Le regard du futur Katre continue à s’aiguiser tout au long de ces années d’apprentissage. Il est d’ailleurs très possible que sa passion pour les friches industrielles et les lieux abandonnés qui est devenue sa marque de fabrique et qui a déjà fait l’objet d’articles dans de nombreuses revues d’arts (Art Magazine, Graffiti Art, etc.) soit en partie née de sa fréquentation assidue des terrains vagues du 14ème arrondissement de Paris pendant son adolescence. Ses parents (sa mère qui est photographe et son père qui travaille beaucoup sur l’architecture) ont certes également joué un rôle déterminant dans cette orientation artistique qui va l’amener à prêter attention au contenant (les friches) autant – voire plus – qu’au contenu (les graffs). “J’ai réalisé que si je voulais trouver un univers et une touche qui se démarque un peu des autres, il fallait entamer une réflexion sur ma création et y intégrer de nouveaux éléments”, se souvient-il. Le déclic a lieu quand il réalise son mémoire de fac d’arts plastiques sur la piscine Molitor et l’architecture très particulière de ce lieu abandonné. Antonin se plonge alors dans la lecture de livres d’art contemporain qui rendent compte du travail de certains pionniers de l’exploitation artistique des friches et qui l’amènent à lui-même tester des dessins et des retouches photo sur Photoshop pour affirmer et affiner un style aujourd’hui reconnaissable entre tous qui utilise des photographies d’usines abandonnées et d’endroits désertés, imprimées en grand format noir et blanc avant d’être recouvertes de calligraphies de couleur. Le 14ème arrondissement n’a pas manqué de lui offrir matière à créations. L’histoire a commencé sur le site autogéré des Grands Voisins établi sur l’emplacement de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul dont Madame la Maire Carine Petit autorise l’artiste à explorer les lieux abandonnés dès 2015. Katre est par la suite l’un des tous premiers à pouvoir y bénéficier d’un atelier. Il colle à l’entrée du site une immense photo peinte représentant l’intérieur d’un bâtiment qui n’avait pas été réhabilité ni encore débarrassé de son matériel hospitalier. La série intitulée Souvenir de Paris se poursuit pendant le confinement avec des photos inscrites dans des cercles qui permettent de redécouvrir d’incroyables architectures du passé. Sont ainsi immortalisés une structure éclatée du cinéma Gaumont pendant les travaux de restructuration de 2015 (oeuvre collée rue Ernest Cresson) et le dépôt de bus de la porte d’Orléans (oeuvre collée rue Olivier Noyer). Katre a d’autres idées en tête et entend bien continuer cette série en parallèle de ses autres projets en France et à l’étranger. Il est de fait toujours à l’affut de nouvelles friches dans le 14ème qu’il aimerait pouvoir faire revivre grâce à une fresque pérenne sur un mur de notre arrondissement qui viendrait couronner la mise à l’honneur de certains de ses graffs qui a déjà eu lieu dans le cadre de différentes éditions du festival des 14’Arts. L’univers de Katre est certes un peu particulier, qui nécessite d’y regarder à plusieurs fois pour comprendre et apprécier la démarche de l’artiste. “Je vois bien que c’est plus compliqué qu’autre chose car j’ai choisi un angle différent de celui de la plupart des artistes urbains, reconnait le créateur qui n’en pense pas moins que son public a besoin d’être secoué et “perturbé”. Mes oeuvres qui mêlent graffiti, photographie et art contemporain sont moins accessibles car plus abstraites que les fleurs et les visages qui ornent habituellement les murs de Paris. Mais je ne lâche pas l’affaire parce que c’est ce qui me correspond et ce qui me fait plaisir. Et tant pis si je loupe des trucs !”. Sortir du cadre toujours, mais sans jamais sortir de Katre !
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