Meksa Yadadene entre le 3ème art et “Le 7ème Art”

Meksa, derrière le bar du “7ème Art”

A Pernety 14, nous avons un flair infaillible pour repérer les plus sympathiques habitants et usagers du Quartier. Meksa Yadadene en fait définitivement partie. Il nous accueille toujours avec le sourire au café Le 7ème Art qui fait l’angle de la rue Raymond Losserand et de la rue Francis de Pressensé où se situe L’Entrepôt bien connu des cinéphiles du 14ème. Un matin, entre deux cafés, le jeune kabyle à peine trentenaire nous a appris qu’il était en réalité bien plus branché peinture que cinéma.

Une formation à la peinture totalement algérienne

A une centaine de mètres à vol d’oiseau du kiosque-atelier de Sedigheh Farhrat se cache donc sous les apparences les plus ordinaires d’un serveur de bar un autre spécimen d’artiste qui fait honneur à la tradition artistique centenaire de Montparnasse. Meksa Yadadene a rencontré le 3ème art (la peinture) dans sa Kabylie natale en peignant sur les tables du collège au grand désespoir de ses profs. Son désir de création s’est également exprimé en sculptant des figurines animalières sur les bouts de bois qu’il ramasse au hasard de ses promenades. Meksa est à cette époque complètement autodidacte car il ne peut bénéficier d’aucune structure d’éveil à l’art dans son village d’Azeffoun en Kabylie, une région artistiquement beaucoup plus volontiers tournée vers la musique. Ses rêves de jeunesse le poussent de toute façon plutôt vers le football et Meksa n’hésite pas à faire deux heures de route à pied pour se rendre aux entrainements de son club jusqu’au jour où une blessure ne vienne malheureusement faire le deuil de ses ambitions sportives. Après le bac, il s’inscrit à la fois à la faculté de sciences et technologies de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou et à l’école régionale des beaux-arts d’Azazga qu’il fréquente pendant un an en devenant major de promo. Puis il s’ouvre à d’autres horizons artistiques à l’école supérieure des beaux-arts d’Alger dont il suivra les cours pendant cinq années supplémentaires. Il y entretient de très bonnes relations avec ses professeurs qui sont pour la plupart tous des artistes qui repèrent rapidement son talent de peintre. Certains d’entre eux deviennent des amis comme Karim Sergoua ou encore Smaïl Ouchène qui sera par la suite son directeur de recherches. A Alger, il s’initie par ailleurs avec beaucoup d’enthousiasme aux différentes techniques de gravure. S’il connait bien sûr les oeuvres de M’hamed Issiakhem, le célèbre peintre algérien également originaire de Kabylie, Meksa développe une vision universaliste de l’art qui va le conduire à s’intéresser tout particulièrement aux peintres expressionnistes allemands. Il finira par décrocher son diplôme de Master 1 en présentant un projet artistique comprenant plus de cinquante tableaux sur la thématique de l’expression du cri contemporain.

Phosphoresé, 120x100cm, huile sur toile (photo MY)

En quête d’un second souffle parisien

Arrivé en France en 2022 avec le statut d’étudiant, Meksa s’inscrit en Master Art contemporain et sciences humaines à l’Université de Paris 8. Pour financer ses études, il travaille d’abord comme garçon de café à La Brouette, le bar de l’avenue du Maine, puis au 7ème Art grâce à l’aimable entremise de Mourad qui travaille au Losserand Café. Les obstacles rencontrés sur sa route pour s’installer et se stabiliser à Paris ont un peu brisé son allant et sa créativité alors qu’il était devenu un peintre très prolifique en Algérie. Il continue néanmoins à dessiner et à fixer certaines de ses nouvelles idées en réalisant des petits croquis. Cette rupture dans son parcours artistique lui a fait prendre du recul par rapport à l’enseignement qu’il a reçu et qu’il continue de recevoir à Paris 8. Il ne trouve en effet plus aujourd’hui son inspiration dans les peintres classiques et académiques qui étaient les références de sa jeunesse et est maintenant bien plus sensible aux travaux des expressionnistes qu’il avait commencé à découvrir avant de quitter l’Algérie pour la France. “Ce sont des peintres qui utilisent des couleurs violentes et des lignes acérées pour soumettre la réalité aux états d’âme de l’artiste, analyse Meksa. Ils travaillent dans la spontanéité et la fulgurance des idées, mais leur geste est à la fois spontané et réfléchi, ce qui peut paraître contradictoire à première vue. En réalité, ils réussissent à force de travail à acquérir une maîtrise de la gestuelle qui leur permet d’exprimer leurs émotions sur leurs toiles et qui m’impressionne personnellement beaucoup”. Quand je lui demande quels sont ses peintres favoris, le nom du peintre autodidacte britannique Francis Bacon est celui qui lui vient le premier à l’esprit : “J’aime beaucoup la violence et la colère qu’expriment les toiles de Bacon qu’on pourrait qualifier de néo-expressionniste puisqu’il en est en réalité le dernier représentant de ce courant de peinture. J’apprécie aussi le norvégien Edvar Munch et l’allemand Otto Dix”. Meksa en vient aujourd’hui à douter de l’utilité d’entreprendre des études d’art avant de se jeter à corps perdu dans la création picturale : “Je suis maintenant convaincu qu’il n’est pas nécessaire d’avoir étudié pour se mettre à peindre. Il faut juste en avoir la volonté, travailler très dur, et guetter le moment propice à la création”. Ce moment privilégié reviendra-t-il à Paris pour Meksa ? Il est en tout cas émerveillé de constater à quel point les nombreuses structures présentes dans notre pays (écoles d’art, galeries d’exposition, etc.) favorisent l’éclosion des talents artistiques. Lui, qui n’a pour l’instant jamais exposé en France, aimerait retrouver sa pleine motivation pour également pouvoir en profiter. Puisse ce cri du coeur aider à faire évoluer les choses en sa faveur !

Nefiste, 170x120cm, huile sur bois (photo MY)
Inconnu 01, Eau-forte sur plaque de cuivre (Epreuve d’artiste), 20x30cm (Photo MY)

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