Il a été rédacteur en chef des Guide du Routard pendant quarante ans et en est toujours conseiller à la rédaction. Pierre Josse, l’éternel grand voyageur pas du tout rangé des pataugas, nous a gentiment accordé plus d’une heure de son temps au bar-restaurant Le Laurier pour nous faire partager son goût des autres, sa soif de découvertes qui l’a mené sur les cinq continents et sa passion pour le quatorzième arrondissement où il a élu domicile.
Prédestiné aux grands voyages
Dans Chroniques Vagabondes, un livre de souvenirs sorti il y a deux ans, Pierre Josse évoque les nombreux moments de bonheur que lui a procurés la découverte de plus de cent pays pendant sa vie de routard. Il revient aussi dans les premières pages sur les différentes périodes de son existence qui ont précédé son arrivée à la tête de la rédaction du fameux guide. Car ce sont sans doute ses expériences de jeunesse qui ont été les plus déterminantes pour lui ouvrir les yeux sur sa vocation de grand voyageur. « J’ai la chance d’être né coupé en deux, nous explique Pierre. Il y a en moi une partie ouvrière que je tiens de mon père et une partie petite bourgeoisie militaire coloniale que je tiens de ma mère. J’ai vécu cette déchirure qui est aussi une grande richesse pendant toute ma vie. » Toute sa jeunesse a été bercée par les récits de voyages parfois très impressionnants de sa mère dont le propre père était un officier de l’artillerie coloniale qui a notamment participé à la conquête de Madagascar en 1898 ainsi qu’aux fameux Cinquante-cinq Jours de Pékin en 1900 et qui a échappé de justesse et bien malgré lui à l’enfer de Verdun en 1916 pour aller mater la révolte des Annamites en Indochine. En adhérant aux Auberges de Jeunesse en 1936, sa mère devient également une des premières routardes de France. Le caractère rebelle de Pierre et l’esprit critique qu’il développe très tôt vont achever d’en faire un adepte des voyages. A dix-sept ans, il se fait en effet renvoyer de la Paroisse Saint-Laurent à Paris, ce qui conduit sa mère à l’inscrire chez les Eclaireurs, une association de scoutisme laïque grâce à laquelle il va pouvoir s’embarquer pour les Etats-Unis comme « camp counselor ». Exceptionnel pour l’époque ! Arrivé en Amérique au moment de la lutte pour l’émancipation des Noirs, il garde de cette expérience une multitude de fabuleux souvenirs (dont notamment le voyage de 14 jours en bateau Le Havre-New-York et une virée en Californie en bus Greyhound comme Kérouac) et bien sûr une vocation à vie pour l’aventure à l’étranger.
Changer le monde avec des guides
Son éducation et ses expériences de jeunesse vont nourrir son imaginaire et quand plus tard il partira pour le Vietnam pour réaliser son guide, il aura l’impression d’y être déjà allé par la grâce de sa mère et de ses grands-parents maternels qui y vécurent de nombreuses années. Même ressenti quand il réalisera le guide Bretagne sur les traces des origines bretonnes de la famille de son père: il s’y reconnaitra dans les paysages, la nature, la musique, la langue et les traditions. Les rencontres seront elles aussi bien sûr déterminantes. Pierre les racontent dans toute leur diversité et leur richesse dans Chroniques Vagabondes. Des rencontres avec des gens de peu comme avec d’illustres représentants des pays visités. Car renverser les valeurs et bousculer l’ordre établi n’a jamais fait peur à ce révolutionnaire dans l’âme qui a longtemps milité à la LCR, la bande d’Alain Krivine. Cette « boule de révolte » toujours engagée pour la défense des plus faibles admet pourtant volontiers n’avoir pas toujours fait preuve de courage pour prendre les décisions importantes qui concernaient sa propre vie, notamment sa vie professionnelle :« J’avance plutôt au coup de pied au cul et je mets en œuvre des stratégies inconscientes qui aboutissent à me faire virer ». C’est ainsi qu’il enchaine les métiers et les occupations – tour à tour décorateur-étalagiste, étudiant à l’université de Vincennes-Paris VIII, inspecteur commercial dans une grosse boîte allemande, instituteur en prison, bobinier-rotativiste et militant syndical à l’imprimerie Draeger et enfin correcteur de presse et en édition au sein des célèbres Guides Bleus – avant de s’assagir au Routard où il fait ses premiers pas en 1978 comme correcteur et préparateur de copie. Le courant passe très bien entre Pierre et Philippe Gloaguen qui dirige la collection et qui apprécie à sa juste valeur l’extraordinaire richesse de son parcours. Il lui offre bientôt l’occasion de partir en voyage et l’investit du rôle de rédacteur en chef du guide en 1980. Pierre signe son premier gros coup éditorial en 1985 avec le guide de Paris : 100.000 exemplaires vendus ! Le guide est de fait un véritable OVNI, un objet hors normes qui, à rebours des guides classiques, consacre de longs développements aux quartiers populaires de Paris et juste le nécessaire aux quartiers les plus touristiques. « Ce guide, tout le monde l’attendait ! », se souvient-il en se félicitant d’avoir bien senti l’air du temps. Le Routard peut dès lors commencer à recruter de nouveaux collaborateurs qui viendront étoffer l’équipe dans laquelle travaillent aujourd’hui 75 personnes qui contribuent à changer la façon de voyager de millions de touristes à travers le monde.
Viscéralement attaché au 14ème arrondissement
Grand voyageur devant l’éternel, Pierre Josse n’en est pas moins viscéralement attaché à Paris et tout particulièrement à son 14ème arrondissement. Il s’est bien sûr beaucoup promené dans la capitale où il réside depuis 1948. Il a passé toute son adolescence au bord du Canal Saint Martin avant de passer cinq ans rue Saint Denis dans le Quartier des Halles. Puis il a vécu dix-neuf ans rue des Saint-Pères en plein Saint-Germain-des-Près pour finalement se fixer dans le 14ème, un arrondissement dont il est littéralement tombé amoureux : « Je mourrai dans le 14ème. J’ai tellement bourlingué que j’ai besoin aujourd’hui d’un port d’attache. Et l’empathie suintent toujours des murs de cet arrondissement populaire qui n’a pas encore été complètement normalisé et boboïsé même s’il évolue tout doucement dans ce sens ». Son territoire est le quartier de la rue Hallé où il réside : « Ma culture, c’est la rue Daguerre, la rue Boulard, la rue Mouton-Duvernet, la rue Hallé, l’avenue Coty, la Tombe Issoire ». Il y fréquente bien sûr les bistrots auxquels il a consacré un magnifique album photo avec Bernard Pouchèle en 1996 (La nostalgie est derrière le comptoir). Certains sont même devenus ses « cantines » comme par exemples Le Daudet rue Alphonse Daudet, Au Bistrot rue Lalande, Le Vaudésir rue Dareau ou L’Os Minothos rue Pernety. Autant d’endroits authentiques et chaleureux pour lesquels il se bat en militant pour la reconnaissance au Patrimoine Immatériel de l’UNESCO des Bistrots et Terrasses de Paris Pour leur Art de Vivre. « Le 14ème arrondissement est une extraordinaire terre d’aventure et peut-être mon île Marquise ! », dit-il pour conclure notre entretien et se préparer à se rendre à l’autre bout de Paris pour célébrer les 30 ans de Là-bas si j’y suis, une grande fête organisée par son pote Daniel Mermet. Je lui souhaite bonne route – bien évidemment !
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