Quand nous avons rencontré Sou Abadi en 2013 pour organiser des cours de français à destination de réfugiés politiques iraniens, nous ne nous doutions pas que nous verrions quatre ans plus tard son nom affiché un peu partout à Paris pour la promotion de son premier film Cherchez la femme sorti en juin 2017. Quelque peu intimidés par cette soudaine notoriété, nous n’avons pourtant pas hésité a perturber la réalisatrice franco-iranienne dans le travail d’écriture de son prochain film pour tenter de percer les secrets de son parcours et de sa réussite. Sou nous a très gentiment consacré une heure de son précieux temps autour d’un thé au Laurier dans le 14ème arrondissement de Paris avant de se rendre à Hambourg pour une avant-première allemande de Cherchez la femme.
Du cinéma de quartier de Rasht au montage de documentaires télé
Sou ne s’est jamais senti de vocation précoce de cinéaste. A Rasht, la ville du nord de l’Iran où elle passe son enfance sous l’étroit contrôle de ses parents, elle fréquente néanmoins assidûment le cinéma de son quartier dont le directeur arménien qui est un ami de son père assure une très riche programmation de films russes, américains et français. A douze ans, elle a le coup de foudre pour la version russe d’Hamlet réalisée par Grigori Kozintsev qu’elle visionne une trentaine de fois (!). Son père horticulteur est extrêmement cinéphile. Sa mère enseigne la littérature persane au collège. Elle a 10 ou 11 ans quand éclate la révolution iranienne avec son cortège de violations des droits de l’homme, d’arrestations arbitraires et de répression sur les femmes et les minorités. Le régime islamique impose les restrictions vestimentaires et l’éducation religieuse obligatoire. Toutes ces lois fondées sur l’interdit bercent son adolescence. A 15 ans elle quitte son pays pour s’installer en France. Bonne élève et curieuse de tout, elle s’intéresse surtout à la littérature et à l’histoire. Mais pas question pour elle d’emprunter la voie littéraire car ses parents soucieux de son avenir professionnel la poussent à entreprendre des études scientifiques. Elle décroche sans trop de difficultés une maitrise en sciences appliquées à l’industrie. Ce n’est qu’une fois son diplôme en poche qu’elle change d’orientation : elle s’intéresse à l’anthropologie et à l’ethnologie, aux films de Jean Rouch, le fondateur de l’anthropologie visuelle, qui l’amènent naturellement vers le cinéma. Elle débute ainsi sa vie professionnelle comme monteuse et réalisatrice de documentaires télé sans avoir jamais entrepris d’études de cinéma.
Un projet de film longuement mûri et jalousement préservé
Tout occupée au montage de ses documentaires télé, Sou n’en nourrit pas moins en parallèle son projet de film qui va lui demander trois années et demi de préparation avant la concrétisation du tournage. Le synopsis du film est écrit en 3 mois d’avril à juin 2012. Elle finalise la première version du scénario un an plus tard en juin 2013. Sou nous raconte avec humour ses premiers contacts avec les producteurs de télévision certes intéressés par son projet mais un peu trop frileux pour la laisser réaliser elle-même son film. « La télé, c’est très normatif et il n’était pas question que je vende mon idée pour laisser réaliser mon film par un autre », se souvient-elle. Alors elle prend contact avec différents producteurs de cinéma dont Michaël Gentile à qui elle envoie son scénario à la fin 2013. « Il a été immédiatement intéressé, réactif et concret ». Le producteur n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà produit douze autres films dont Papa Was Not a Rolling Stone de Sylvie Ohayon sorti en 2013, Lolo de Julie Delpy sorti en 2014 et Rosalie Blum de Julien Rappenneau sorti en 2015. Ce n’est pas non plus la première fois qu’il produit un premier film. Très emballé par le projet de Sou, il ne tergiverse pas longtemps avant de se rendre chez son agent pour donner son accord définitif et signer le contrat tant désiré.
Marier comédie burlesque et film politique
Pourtant, aborder sous l’angle de la comédie burlesque un sujet aussi dangereusement explosif que celui de l’intégrisme islamique est un pari risqué. Or, dans le scénario qu’elle soumet à son producteur, Sou assume complètement ce mélange des genres. Le synopsis du film annonce la couleur : « Armand et Leila, étudiants à Science Po, forment un jeune couple. Ils projettent de partir à New York faire leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais quand Mahmoud, le grand frère de Leila, revient d’un long séjour au Yémen qui l’a radicalement transformé, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et décide de l’éloigner à tout prix d’Armand. Pour s’introduire chez Mahmoud et revoir Leila, Armand n’a pas le choix : il doit enfiler le voile intégral ! Le lendemain, une certaine Schéhérazade au visage voilé sonne à la porte de Leila, et elle ne va pas laisser Mahmoud indifférent… » C’est le début d’une longue série de quiproquos qui rythment le film jusqu’à son heureuse conclusion. Mais est-il seulement de nos jours loisible à un cinéaste d’associer rire et islam ? Sou est peu encline à pratiquer l’autocensure malgré les mises en garde. « Par les temps qui court, je ne travaillerais pas sur un projet comme ça ! », lui glisse une chef-décoratrice. « Personne ne voudra jouer dans votre film », lui assure un scénariste. Pas question pourtant qu’elle redessine ses personnages qu’elle trouve très bien caractérisés. « Je ne voulais pas faire un film politiquement correct. A force de vouloir faire des films politiquement corrects, on n’a plus de propos », se défend-elle. Il faut assumer ce qu’on pense et en parler publiquement. Dans ce film, je me suis moqué de l’intégrisme, c’est vrai ! Mais je ne me suis jamais moqué de la religion. Si l’on ne peut pas se moquer de l’intégrisme, où va-t-on ? Il n’y a dans mon film aucune stigmatisation ni aucun amalgame. Il s’agit juste d’être clair avec soi-même et seuls les gens qui ne sont pas clairs avec eux-mêmes ont pu se sentir offusqués ou offensés ». Elle en veut pour preuve que les nombreuses personnes d’origine maghrébine qui ont assisté aux avant-premières du film organisées en province sont venus la féliciter à l’issue de la projection.
Un film finalement très bien accueilli par la critique et le public
L’impression ressentie lors des avant-premières françaises qui se sont tenues à Lyon, Macon, Toulon, Montpellier, Rennes, Lille, Strasbourg, Bordeaux et Valenciennes est une bonne annonciatrice de l’accueil très favorable réservé au film lors de sa sortie officielle en France : “Un regard burlesque sur l’islamisme radical” , selon Le Monde, “Un film jouissif et thérapeutique” selon Marianne, “Une fable drôle et insolente sur l’islam” pour Les Inrocks. Du Canard Enchainé à Marie-Claire en passant par Les Echos, France Inter ou BFM, le film est très largement plébiscité par la critique et il n’y a guère que Gala, Le Parisien et L’Humanité pour faire la fine bouche. Sou se prête volontiers au jeu de l’interview pour une journaliste du Figaro qui l’invite à décrypter son film politique. Télérama est franchement dithyrambique : “Sou Abadi assume fièrement des références ambitieuses comme Cyrano de Bergerac. Le rythme échevelé du cache-cache et de la course-poursuite burlesque évoque aussi le sommet de la comédie de travestissement, Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder.” Côté box-office, ce n’est pas mal non plus : 250.000 entrées à ce jour, un score très honorable pour un premier film diffusé au début de l’été et porté par des acteurs qui ne sont pas encore des grandes stars. Sou aurait pourtant aimé faire mieux et regrette que son film n’ait pas réussi à toucher le très grand public malgré la distribution qui en a été faite. Mais Cherchez la femme va bientôt sortir dans seize autres pays dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, ce qui n’est pas pour elle une mince consolation. “C’est un succès pour l’industrie cinématographique française et un des films français qui a été le plus acheté à l’étranger cette année”, nous confie-t-elle en savourant son thé vert. C’est également un passeport pour un deuxième film à venir sur l’écriture duquel elle travaille actuellement à plein temps.
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