Théâtre 14, les cinq ans d’un théâtre militant

Ne dites pas à Mathieu Touzé qu’il est un “intello”, il ne vous croira pas… C’est avec une modestie toute bretonne, très éloignée de l’image un peu snob que nous nous faisions d’un acteur de la scène culturelle parisienne, qu’il nous a gentiment reçu au Théâtre 14 pour faire découvrir aux Quatorziens qui ne le connaitraient pas encore le théâtre municipal de la Porte de Vanves. Notre entretien d’une demi-heure fut l’occasion de revenir, quelques semaines après la soirée de célébration des cinq ans du théâtre, sur les principes qui guident la programmation et les activités d’un lieu de culture qui contribue beaucoup à l’animation et à la vie du quartier prioritaire de la Ville de Paris dans lequel il est implanté. Tentative de restitution d’interview avec un intello qui s’ignore (vraiment ?).

Le service public du théâtre comme outil de vivre ensemble

Sans doute les qualités d’humilité et d’empathie de Mathieu Touzé font-elles de lui l’homme idoine pour diriger (aujourd’hui seul depuis le départ d’Edouard Chapot) le théâtre municipal de la Porte de Vanves. Car le Théâtre 14 se fait fort de conjuguer exigence et démocratisation en s’attelant à créer des ponts entre la pratique artistique et les gens de la rue qui sont, en l’occurrence, les résidents de la Porte de Vanves. “Que venons-nous faire et que voulons-nous faire dans un théâtre public en quartier prioritaire ? Ce sont des questions qui se sont posées à nous dès notre candidature à la reprise de la direction de ce lieu de création artistique, se souvient-il. Nous sommes partis du principe que faire du théâtre c’est depuis l’origine faire société, c’est-à-dire réunir les gens pour que nous parvenions tous à vivre ensemble, et cela au moment même où la pandémie de COVID-19 nous obligeait à nous séparer les uns des autres. Toutes nos activités sont coordonnées autour de ce questionnement : comment fait-on pour vivre ensemble et comment renforcer ce vivre ensemble grâce au théâtre et à la culture ?”. Pour atteindre cet objectif de service public, le Théâtre 14 ne se contente pas de programmer des oeuvres fortes susceptibles de susciter des avis très divergents de la part des spectateurs sans jamais les laisser indifférents, il organise également des rencontres, des colloques, des cours, des stages et des ateliers artistiques amateurs ou professionnels, toute l’année dans le cadre de son Université populaire. Avec la transmission pour colonne vertébrale, le directeur et metteur en scène de théâtre assume pourtant parfaitement ne pas être là pour faire du divertissement mais bien de l’art. “Ce qui fait notre humanité, c’est notre rapport personnel à l’art et à la culture”, affirme-t-il . Et je pense que le théâtre, ça peut changer des vies. En tout cas, il a changé la mienne en changeant mon rapport au monde et en en accroissant le champ des possibles.” Cette démarche de généreuse exigence a rencontré localement son public. “Au moment du Covid qui a provoqué l’annulation du Festival d’Avignon, nous avons créé le Paris Off festival qui a été pour nous l’occasion de rencontrer les gens du quartier au pied des tours d’immeubles pour leur parler de nous et de nos activités, se rappelle le directeur de théâtre. Nous renouvelons depuis cette expérience chaque année en construisant une histoire avec la population locale.” Rebelote en 2022 avec le festival Re-génération qui a porté pendant plus d’un mois 25 spectacles dans 14 lieux insolites du 14ème arrondissement, pour la plupart non prédisposés au spectacle vivant.

Le “Paris Off Festival” au Village Paradol (photo Lola Scandella)

Festival woke en vue 

Qu’est-ce qu’un théâtre populaire ? Qu’est-ce que la culture populaire ? Est-il vraiment possible d’associer exigence et démocratisation ? Il semblerait que nous ayons touché un point sensible en soulevant devant Mathieu Touzé la question de l’accessibilité à tous des oeuvres programmées au Théâtre 14. C’est en réalité notre sport favori d’essayer de prendre les gens à leurs contradictions – surtout peut-être lorsque nous les respectons et, au fond, les envions un peu. Mathieu Touzé avait sans doute dès le départ flairé le piège en récusant le qualificatif “intello”. Mieux vaut rire de nos contradictions pour avancer plus sereinement sur le terrain des idées. Et des idées, le directeur de théâtre n’en manque pas ! Pour preuve, le festival woke à venir. “J’assume d’autant plus d’être woke qu’on se sert aujourd’hui de ce terme contre tous et toutes choses avec un sens de plus en plus négatif. Il faut à un moment donné prendre les armes pour tenter de retourner le stigmate compte tenu de la menace qui pèse sur les artistes et sur l’art en général. Car je ne crois pas qu’il existe un art réactionnaire et que l’on puisse faire de la recherche esthétique sans poser certaines questions.” Tous les mouvements de balancier de la vie des idées ont leurs excès et Mathieu Touzé sait les identifier aussi bien chez les woke que chez les anti-woke même s’il est naturellement porté à mieux comprendre les douleurs exprimées par les exclus ainsi que l’éventuelle radicalité de l’expression du combat qu’ils mènent. Nous pourrions passer des heures à plaisamment ferrailler avec lui sur le terrain des idées mais les trente minutes qui nous étaient imparties sont déjà écoulées. Nous ne manquerons pas de venir assister aux prochains spectacles du Théâtre 14 pour nous changer les idées à défaut de changer d’idées. Puisqu’on nous assure que ça va bien se passer…

Actuellement à l’affiche du Théâtre 14, Port-au-Prince et sa douce nuit.

Cliquez ici pour accéder au site internet du Théâtre 14.

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