Ancien pilier du Quartier Pernety, Daniel Chenot en a conservé par devers lui l’âme en plus de la mémoire. Il a habité à Pernety dès ses plus jeunes années et a eu pendant 40 ans son atelier de photographe-illustrateur-publicitaire au 130 de la rue du Château. Avec le soutien de Dominique Mazuet qui dirige La Librairie des Tropiques, il a publié en 2014 un beau livre de photographies intitulé rue du Château qui est un témoignage de la rénovation immobilière opérée dans notre Quartier au début des années 80 et qui finira par le contraindre à quitter son atelier. Il écrit dans la préface de son livre : “Dès mon arrivée dans ce petit coin retiré du XIVème, je fus touché par la chaleur humaine de mes nouveaux voisins : une petite communauté vivant dans la cour du 130 grâce à des loyers modérés. Je me souviendrai toujours de leur gentillesse et de leur intérêt à mon égard”. Faut-il croire aux forces de l’esprit pour prétendre que rien n’a changé ?
Les “règles du Quartier”
Cela fait aujourd’hui dix ans que Daniel Chenot a laissé son atelier derrière lui, le 130 de la rue du Château laissant la place à un énigmatique 130 bis. Mais la nostalgie des habitants du Quartier semble toujours habiter le photographe alors que nous nous escrimons à l’interroger sur son métier de créateur et d’artiste du 14ème: “La vraie création, ça reste quand même les gens qui font partie du Quartier”, nous recadre-t-il gentiment dès le début de notre interview. Elle naît des relations nouées entre les différentes personnalités de chacun”. D’ailleurs, le premier chapitre de rue du Château se passe au bistrot Le Cadran, l’ancien nom des Tontons qui fait l’angle de la rue du Château et de la rue Raymond Losserand. “La nostalgie est derrière le comptoir”, nous certifient dans un autre beau livre de photos Pierre Josse et Bernard Pouchèle (*). Et effectivement, les souvenirs du Cadran se bousculent dans la tête de Daniel : “Ce café était un point de rencontre très important du Quartier, se rappelle-t-il. Il servait aussi de distributeur de billets à une époque où il n’y avait pas encore de carte bleue, car c’est Nono, la gérante et propriétaire, qui bien souvent nous prêtait de l’argent pour le week-end. Nous avions également pour règles du Quartier de ne jamais payer notre café car nous étions toujours invités par une personne qui se trouvait au bar et c’était à chacun son tour sa tournée. Il y avait pas mal de gens qui venaient de très loin pour venir prendre leur café à cet endroit”. Daniel se souvient qu’à son époque tout le monde se saluait en se souhaitant le bonjour dans l’artère du Village Pernety où il avait son atelier. Avant la rénovation urbaine qui a en réalité été entamée dès les années soixante, la rue du Château abritait des imprimeurs, des photographes, bon nombre d’artistes désargentés, et même un théâtre comme en témoigne le livre de photos du vétéran du Quartier. Seules quelques petites maisons – dont l’atelier d’Anna Waisman – ont survécu. “Adieu, charmantes courettes jouxtant ces petites maisons simples de deux étages au plus, et qui faisaient la magie de ce coin de Paris populaire !”, écrit Daniel en préface de rue du Château. Un coin de Paris populaire qui vaut bien toutes les vies de château…
De la rue Vercingétorix à la rue du Château
Oui, rue du Château est un livre nostalgique, et alors ? Daniel Chenot est profondément humaniste et assume totalement son amour du Village Pernety et son attachement à tous les souvenirs qui continuent à le relier à lui. Il nous raconte comment, quelque temps après sa rencontre avec Robert Doisneau qui lui permet en 1964 de devenir reporter-photographe pour l’agence de communication Synergie, il est hébergé dans l’ancien atelier de Gauguin du 6 rue Vercingétorix par Pierre Jamet, un ami qui en plus d’être photographe est également chanteur puisqu’il est l’un des membres du groupe vocal Les Quatre Barbus très en vogue à l’époque. Appuyé par son père imprimeur qui le guide vers ses premiers clients, Daniel finira par installer son atelier de photographe-illustrateur-publicitaire au 130 rue du Chateau en 1974. C’est un grand atelier de plus de 80 m2 qui s’étale sur trois étages et qui comprend un labo au sous-sol, un espace photo au rez-de-chaussée et des bureaux au premier étage. Il va y rester quarante ans pour exercer son art tout en étant témoin de la démolition de nombreux bâtiments de son voisinage qu’il décidera d’immortaliser dans son ouvrage paru en 2014. Pendant que les pelleteuses s’activent, il ne perd pas une miette de l’humanité qui se manifeste autour de lui. Il se souvient comment, après avoir installé un piano dans son atelier à l’invitation de sa professeure de musique, il intriguait beaucoup le balayeur qui l’écoutait répéter toujours les mêmes morceaux à travers la vitre du rez-de-chaussée… Il se souvient également comment il a été aidé dans son activité de photographe par le fils de sa voisine grecque qui exerçait à l’époque le métier de coiffeur près de son atelier et qui s’est révélé être un renfort très précieux. Il se souvient enfin de ses multiples expositions au café Le Cadran dont la salle du restaurant accueillait des habitués venant tout aussi bien de Paris que de la campagne. Toute cette chaleureuse ambiance de la rue du Château et alentours est illustrée par de nombreuses photos du livre du photographe qui est toujours bien plus prompt à parler humain qu’à parler technique.
Un métier relié au temps
Daniel se décide quand même à nous entretenir de son métier de professionnel de la photographie, mais sans jamais se départir d’une certaine hauteur de vue. “Mon métier est infiniment relié au temps car une bonne photo d’il y a dix ou vingt ans n’est pas toujours une bonne photo aujourd’hui, nous explique-t-il. Quand j’ai commencé mon travail, la conception de l’image n’était pas du tout la même et chaque époque a sa propre manière de voir. Les photographes, de même que les publicitaires qui sont souvent les commanditaires de leur travail, peuvent d’ailleurs très facilement reconnaître la période ou même l’année à laquelle une photographie se rapporte. Cela ne veut nullement dire que les photos anciennes sont mauvaises, cela veut seulement dire que notre appréhension de l’image est sujette au temps, autrement dit que ce que l’on ressent d’une image dépend de l’époque où elle a été prise. Cartier Bresson disait des photos qu’elles étaient des coupures dans l’univers du temps.” Les grands photographes de leur temps ont permis à cet art longtemps considéré comme un art populaire d’acquérir ses lettres de noblesse. Cela fait à peine trente ans que l’on expose des oeuvres photographiques, la première exposition de photos en couleur de Daniel datant de 1995. La révolution numérique des années 1990-2000 a encore rebattu les cartes et achevé de démocratiser l’accès de tous à la photographie au point que chacun peut aujourd’hui s’improviser photographe muni d’un simple téléphone portable. A-t-on d’ailleurs encore aujourd’hui besoin de cours pour réaliser des bonnes photos ? Sans prétendre pouvoir définir ce qu’est une bonne photo après nous avoir longuement expliqué que cette notion était très évolutive dans le temps et éminemment personnelle dans la mesure où elle fait intervenir les subjectivités du preneur d’images et de de ceux qui contemplent son travail, Daniel n’en continue pas moins à enseigner l’art de la photo le samedi à 10h30 à l’association ENAC (Enseignement Art et Culture) qui est basée au… 104 de la rue du Château ! “J’essaie très humblement d’apprendre à mes élèves à regarder en leur permettant d’affiner et d’enrichir leur regard et en tentant de leur faire prendre conscience de ce qu’ils regardent”, nous dit-il. La meilleure façon de vous convaincre de l’utilité de pouvoir bénéficier de l’oeil du photographe est sans doute d’acquérir son prochain ouvrage à paraître, fruit de ses promenades dominicales à Saint-Germain.
(*) La nostalgie est derrière le comptoir, par Pierre Josse et Bernard Pouchèle, préface d’Alphonse Boudard, éditions Critérion.
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